Les lieux et personnages seront cette fois ce que vous voulez… tout cela n’a en définitive aucune importance. Ce n’est pas encore cette fois que le sinistre ennui mondain aura été défoncé d’un autre, plus substantiel – si cela veut dire quelque chose… – et auquel rien ne peut faire par divertissement diversion. J’abandonne sans honte de m’expliquer plus avant et vous lirez à votre aune, de toute façon. Et tout, à la fin, ne sera pas sans doute éclairci – mais le peu qui l’aura été suffira à l’adieu.
– Vous m’avez amené un dossier, j’imagine.
– Vous imaginez peu, mais vous imaginez mal.
– Alors, mon cher, parlez-moi de vos projets…
– Je n’ai pas de projet.
– Vous ne pouvez pas. Il vous faut des projets. Au moins un.
– Les projets, c’est une porcherie, les projets.
– Comment pouvez-vous dire cela ?
– Il y a ce qu’on fait et ce qu’on ne fait pas, c’est tout.
– Mais mon cher, si vous n’avez pas de projet, vous ne pourrez rien faire du tout.
– Je crois qu’en réalité, ce que vous appelez projets, ce sont des vengeances.
– Pardon ?
– Oui, je crois, des vengeances.
– Mon dieu, mais vous êtes cinglé.
– Mais peut-être que non, en fait.
– Mais vous aviez des projets, avant, non ?
– Oui, j’ai pu dire que j’en avais.
– Et vous n’en avez plus ?
– Je ne demande plus les autorisations, merci.
– Vous avez essuyé trop de refus ?
– Non. J’ai essuyé trop d’autorisations.
– Vous voulez dire quoi ?
– J’ai bien trop conformé mes demandes aux réponses qu’on me ferait.
– C’est le jeu du monde, mon ami.
– Peut-être, mais maintenant, je ne veux plus de ces vengeances-là.
– Il n’y a pas d’autre monde que celui-là.
– Certes, mais je ne l’aime pas du tout, ce petit monde.
– Et puis, des autorisations pour se venger, ça ne tient pas debout…
– Si vous le dites.
– Et se venger de qui, d’abord ?
– Eh bien, de soi-même en premier lieu. Expier vous semble dû.
– Cinglé.
– Et cette expiation ensuite la rendre publique, selon les autorisations l’exposer.
– C’est pour cela que vous n’avez plus de projets ?
– Voilà.
– C’est un suicide professionnel.
– La vie commence après le suicide.
– Mais alors… pourquoi avoir pris rendez-vous ?
– Pour que la décision prise ait vraiment eu lieu. La valider.
– Mais vous n’existerez plus pour nous, vous en avez conscience.
– A peu près. Mais votre monde est complètement fini.
– Je vous écoute.
– L’art travaille toujours pour le pouvoir, et toujours le soutient.
– Nous ne sommes pas autorisés à l’admettre…
– Peu importe. Vous n’avez plus du pouvoir que le mépris que suscite sa faiblesse.
– Vous allez vraiment pouvoir devenir une brute, comme ça.
– Oui.