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  • Tu ne transmettras point (ébauche)

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    – Comprenez-nous bien, camarades. Quand ce vieux monde en proie aux démolitions et déprédations tremble, nous disons tout bêtement qu’il bouge, dans le but de faire croire qu’il avance ; et lorsqu’un quelconque de ses pans s’effondre, nous hurlons au génie et à la subversion ; car ce vieux monde, qui ne le voit ? nous ne le remplacerons par rien, simplement parce que construire aujourd’hui quelque chose pourrait peut-être nous donner quelque chose à conserver demain, et que nous nous refusons tout net à cet régression-là. Nous allons tout simplement faire beaucoup mieux : nous allons détruire ce monde, et puis l’abandonner. Oh, nous n’éviterons pas, sans doute, la barbarie, mais que voulez-vous ? c’est l’autre face du progrès. Disons, sa face réelle ; l’autre versant de l’utopie, comme toujours. Cette recette, si vous me passez l’expression, est certes historiquement éprouvée, mais pourquoi croyez-vous que nous éradiquons l’Histoire après que nous l’avons comme une déesse antique hissée sur piédestal ? « Du passé faisons table rase, le monde va changer de base », disait la chansonnette entêtante. Et en fait de base, camarades, croyez-moi, il y aura ce qu’il y aura quand tout sera détruit, même les ruines, et il n’y aura de fait rien qu’on puisse précisément nommer. Car voyez-vous, et c’est le point, détruire l’Histoire nous permet paradoxalement de la remonter, d’en remonter le cours, de remonter le temps, d’entrer, dans la vie même, à l’intérieur de ces mythes anciens que notre époque exténue – et de les démolir dans ce sens-là aussi… Ce dont plus personne ne devra avoir connaissance, chacun le vivra sans conscience, dans une vie animale, comment dire ? purement béatifique ; ou pour le moins : extatique. Car en vérité je vous le dis, c’est au profit de la vie, camarades, que nous détruisons la connaissance, j’aimerais ce soir vraiment vous en persuader. En réalisant l’homme, l’homme sans transcendance ni médiation, en faisant simultanément de lui un dieu, c’est-à-dire la référence suprême, et un animal, car la science ne nous révèlera jamais que de la matière et donc, au sens propre, ne nous révélera rien, nous évacuons l’homme, tout l’homme, nous évacuons dans le blabla l’hypothèse que sa parole est autre chose que l’information qu’elle émet. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », a dit jadis un humoriste oublié. Mais nous, si nous sommes là, c’est avant tout pour ruiner l’âme jusqu’à faire disparaître ce mot ; à quoi alors pourrait bien nous servir une quelconque conscience ? Nous travaillons à l’homme nu, à l’homme enfin débarrassé des objections ; nous travaillons pour le néant, et il n’y a rien à faire alors que dé-réaliser dans la réalité la Genèse : car nous remontons, mais dans la vie même et non pas dans son texte, un à un ses versets, et les faisons disparaître ; jusqu’au moment glorieux, qui vient mes camarades, qui vient, où elle ne pourra plus nous servir, même négativement, d’aune. « La terre était vide et vague. » Toute la Création, selon le mythe juif, avait été faite à coups de séparations successives, de discriminations. Ce grand diviseur de Dieu séparait, simplement en nommant, ceci de cela, puis de cela un autre ceci encore, jusqu’à faire, assez mauvaisement, sortir de l’homme la femme. Nous remontons réellement tout cela, et, soyons grossier puisqu’il le faut ! nous recollons tout ce qui avait été séparé, et parce que tel est notre seul outil, nous recollons tout cela à l’oubli. Nous les recollons une à une, ces séparations imbéciles, peut-être même pas dans l’ordre exact des versets, d’ailleurs, ni dans son ordre inverse, nous sommes plus chaotique que cela, et je vais vous dire pourquoi : parce que la destruction ne s’embarrasse pas des plans de l’architecte. Nous ramènerons Dieu même à son néant, et son Verbe avec lui, et l’Incarnation de son Verbe avec lui. Il n’y a plus le choix, notre volonté propre n’y sera même pour rien, car elle aussi, avec tout son fatras de péché et de libre-arbitre, nous la faisons disparaître au chaos. Qui ne voit que déjà, nous avons dépassé sans retour le moment de la première tentation, et de l’Arbre de la Connaissance du bien et du mal, sans parler même du premier meurtre, c’est-à-dire du premier parricide ? Laissez-nous rire. Qui ne voit que cette destruction que nous parons chaque jour des délices supposées de la création et du progrès ne nous mène aux contrées de l’innocence primordiale, édénique ? Et l’on viendra encore nous dire que je ne suis pas un garçon tout ce qu’il y a de plus pacifique. Oh, je sais bien qu’aucune civilisation jamais n’a pu se passer de ce que les hommes, depuis peu – et devinez grâce à qui ? appellent une religion, et qui leur fut la Vérité. Mais enfin, si l’on a pu lui inventer son aune, à celle-là, sans doute est-ce qu’elle n’était pas absolue… Mais que l’on se rassure, une autre vient, plus jeune, plus forte, une vérité intangible qui ne se soutient pas de l’esprit mais de la lettre pure, bornée. Mais chut… Regardez-moi bien, regardez. Je n’existe même pas, mes paroles flottent seules dans l’air vicié de vos villes, à moins que ce ne soit en vos cerveaux qui déjà me sont acquis, et il n’est pas certain que vous les oyiez vraiment, et vous-même, peut-être n’êtes-vous tout simplement pas là, faute de là ?

  • Guerre contre la réalité

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    Il y a une guerre contre l’âge adulte.

    Une guerre gagnée.

    Une guerre qu’il ne faut jamais bien sûr finir de gagner.

    D’éternels adolescents moquent, avec talent parfois, ne soyons pas bégueule, tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à une attitude responsable, consciente des réalités.

    On a tellement dégueulé les réalistes, non sans raison parfois, tant nombre d’entre eux furent médiocres et plats, qu’on en est venu à censurer la réalité elle-même.

    Il faut dire que ça va plus vite, et que nous ne jurons que par la vitesse.

    Cette guerre, évidemment, culmine en infantophilie généralisée.

    En infantomanie.

    Il y a une guerre contre l’âge adulte.

    Une guerre contre la réalité.

    Une guerre rêvée contre la guerre réelle.

    On défendra donc l’enfance, le rêve, l’adolescence, les marginalités, les déviances, la folie, l’utopie…

    Puis, et c’est le point, on les institutionnalisa.

    Voilà le crime.

    Toutes ces choses, l’enfance, le rêve, l’adolescence, les marginalités, les déviances, la folie, l’utopie, elles existent. Elles peuvent tout à fait exister. Qu’elles tombent ensuite, pour certaines, sous le coup de la loi, c’est autre chose. Loi ou non, justice ou pas, elles existent.

    Ce sont des choses qui ne se contestent pas. Contester l’existence de ce qui existe mène également au crime. C’est symétrique.

    Mais pourquoi faire la norme de ces choses qui précèdent, accompagnent ou pourrissent l’âge adulte ?

    Pourquoi les institutionnaliser ?

    Sinon pour défendre – mais pas au sens d’interdire, non – en sous-main, comme malgré soi, le crime ?

    Sinon pour institutionnaliser le crime même ?

    Toujours le même fond de romantisme.

    Avec ses pourritures et ses viscères.

    L’âge adulte est banni.

    Tout ce qui n’est pas lui l’a remplacé.

    Avec lui, la raison est bannie.

    Mise au ban, oui.

    L’épithète raisonnable est devenue infamante.

    Mais ce n’est pas venu comme ça.

    C’était prévisible.

    Des gens d’ailleurs l’avaient prévu, qu’on a fait taire.

    Il y eut d’abord une guerre contre l’idée de Père.

    Si, si, je vous jure.

    De là date sans doute cette inversion de la polarité du monde.

    L’inversion, c’est ce qui a précédé l’invertissement.

  • Le savant moderne quadrille la surface en technicien

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    Le savant moderne quadrille la surface en technicien.

     

    Le savant moderne se trouve en quelque sorte voué à devenir un technicien plus ou moins brillant, c’est-à-dire : plus ou mois spécialisé, de sa discipline – quelle que soit en définitive celle-ci, et cela aussi explique l’espèce de pullulement des disciplines contemporain –, parce que descendre aux profondeurs historiques ou même métaphysiques des choses, la connaissance seule donnant accès à la compréhension et finalement à l’adhésion, le contraindrait à nier lui-même les positions qu’il est ordinairement rémunéré pour défendre.

     

    Un homme qui, par exemple, ne tiendrait pas le même discours en privé qu’en public, et cacherait au public les conclusions auxquelles l’a mené son travail, conclusions qu’il exposerait par ailleurs volontiers en privé, serait en définitive taxé par l’idéologie totalitaire de la transparence, non pas comme jadis d’hypocrisie – qu’on peut toujours défendre ou attaquer –, mais de schizophrénie. Cette psychiatrisation de l’hypocrisie la plus nécessaire au maintien des formes civilisées d’une société semble devoir trouver une manière de compensation dans la fascination exacerbée d’un certain nombre de savants envers les malades schizophrènes, modernement présentées comme victimes de leur maladie et dont la voix singulière et souffrante nous est proposée pour oracle.

     

    Pourquoi ai-je dit « descendre aux profondeurs » où il est question, somme toute, d’élévation ? Parce que ce monde est à l’envers, et maintenu à l’envers de toute la puissance de l’Argent.

    J’appelle cette action invertissement néologisme croisant « génétiquement » inversion et investissement. Ce monde n’est pas seulement passivement inversé et inverti, il invertit activement en lui-même, et les dividendes sont la seule division, la seule séparation qu’il admet in fine.