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Fusées - Page 57

  • Mettre les voiles, Alina

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    On n’a pas si souvent l’occasion de rigoler, comme dit l’autre. D’autant que l’humour s’effondre avec le reste, principalement avec la langue française. Mais quand même. Il reste les catholiques. Enfin, certains catholiques. Lesquels, d’ailleurs, n’ont plus grand-chose de catholique. Ce sont ce que j'appelle des catatholiques. Alina Reyes, par exemple. Elle ne brille pas par son humour, la pauvre, et c’est précisément cela qui est drôle. Elle ne brille pas davantage par l’orthodoxie de son catholicisme, et en définitive, elle ne brille pas du tout, ce qui confine à l’hilarant. Si donc vous avez l’envie de rigoler, parce que, comme dit l’autre, on n’en a pas si souvent l’occasion, allez donc faire un tour sur le blog de cette légère Alina, les illuminations fusent de toutes parts, un vrai régal. Par illuminations, je veux juste dire que la dame, en fait de mystique à deux sous, est tout simplement, et comme dit ce même autre, bien allumée. Il y a son article intitulé « Je suis la foi », qui est une vraie merveille d’aberration imbécile (et, dans sa façon de gentiment balayer le Credo, d’hérésie ? – ce qui ne gênera personne) ; et surtout sa défense d’un quarteron de catholiques bien-pensants ayant adressé à Benoît XVI, depuis le charmant site Oumma.com cher à Tariq Ramadan et aux Frères musulmans, une critique bécassement neuneu pour avoir osé baptiser (alors qu’il n’est que Pape), à Pâques, un homme né musulman et qui, semble-t-il, ne goûte guère sa religion maternelle (oui, comme on dit : langue maternelle) – sans doute parce qu’il la connaît mal, lui… Ces braves gens semblent en effet dire au Saint Père, je traduis : « – Merde alors, Très Saint Père ! A quoi ça sert qu’on se beurre la raie à tours de bras, nous autres catatholiques de l’Oumma, si c’est pour que ce soit vous qui convertissiez des musulmans, et non point eux qui nous pénètrent, et soumettent, et remettent… » Un pur moment de bonheur. De bonheur catatholique. Mais si.

    Il m’était arrivé, il y a quelque temps, d’appeler – oh, par jeu… – Alina Reyes Alina Rayée. Je pense qu’Alina Voilée serait aujourd’hui bienvenu. J’ai également émis l’idée (que j’ai alors placée dans la bouche du brave Mickey Grenelle) d’une symétrie possible entre l’exhibition des chairs où l’Occident en touriste se complaît et prélasse, et l’intégralité de la disparition du corps féminin derrière des linges atroces que revendique avec une suffisante légitimité quelques allumés de l’islam intégral. – Alors que faire, Alina ? Ouvrir une boucherie catatholique-hallal au cœur des Pyrénées ?

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    J’espère que Yannick Haenul, s’il a vraiment plagié Alina Voilée, va perdre son procès (si procès il y a) : parce que c’est illégal, et parce que c’est stupide ; et aussi parce que, ce faisant, il a prouvé son peu de goût.

  • Malraux est grand et BHL n'est pas sur la photo

    En réponse à une internaute, suite à mon billet sur ce brave BHL :

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    Chère madame,

    Vous me dites que j’exagère. Sans doute.

    Mais c’est BHL, et non pas moi, qui, au moment de dire que la laïcité n’est pas une religion, trouve judicieux d’intituler son article : Les dix commandements de la laïcité.

    A titre d’exercice, prenez les Dix Commandements de la Bible, notez-les, puis rayez ceux qui déjà n’ont plus du tout cours, ou ont tellement d’exceptions qu’ils sont sur la voie de la pure et simple caducité.

    L’idée me vient d’ailleurs en vous répondant que peut-être la République ne veut pas autre chose – l’ignorerait-elle (et certes il ne faut pas compter sur des vendus à la BHL pour chasser les temples du marché, sans parler même de l’inverse…) – que la fabrication d’un grand marché global (à l’américaine) où toutes les soi-disant religions, ramenées toutes à leur plus petit dénominateur commun et toutes égales entre elles, sinon pas identiques, formeraient ensemble, et sous couvert de laïcité donc, un nouveau polythéisme – athéisme et agnosticisme inclus – s’hybridant sans cesse, dont les piliers seraient les anciens monothéismes relativisés et, comme je le disais hier, « démilitarisés ». Les fidèles, plutôt attachés à telle divinité, pourraient de temps en temps, selon les occurrences, dont certaines seront bien vite festivement et œcuméniquement conseillées, voire imposées, faire appel (ou rendre grâce ou ce que vous voulez) à telle autre n’appartenant pourtant pas à leur confession d’origine.

    Un nouveau paganisme, en somme.

    Lequel se trouve être, selon moi, le fantasme originel de la prétendue laïcité. La République nous revient tout droit de la Rome païenne, et la démocratie de la Grèce polythéiste (dont je ne nie bien évidemment pas les apports immenses par ailleurs). Il s’était agi, en somme, et ce mouvement avait innocemment débuté à la Renaissance, de revenir avant le christianisme…

    Fantasme qui, au vu de notre époque merveilleuse, est devenu déjà son utopie, puis son idéologie, et dont la réalisation désastreuse semble en cours.

    Le retour en somme de Fabre d’Eglantine et de son calendrier révolutionnaire débile, version XXI° siècle.

    Et certainement aussi, de la Terreur.

    Car bien sûr rien de tout cela ne tiendra.

    Toute considération partisane à part, la République est bien trop faible pour tenir dans la réalité son fantasme.

    1606362721.jpgOui, Malraux avait raison, qu’il ait effectivement dit cette phrase ou non : « Le XXI° siècle sera religieux ou ne sera pas ». Mais je suis tenté d’entendre religieux ici au sens de René Girard, pour qui le christianisme justement est une sortie de la religion, c’est-à-dire au sens du religieux archaïque et de la violence mimétique, de la montée aux extrêmes et de la réconciliation de ces extrêmes sur un bouc émissaire ; religieux au sens de ce qui, paradoxalement, niant la Révélation déclenche l’Apocalypse.

    Religieux au sens de pas chrétien. Au sens : d’échec de la Paix.

    Le XXI° siècle (après Qui ?), en somme, est religieux et il ne sera pas.

     

    Cordialement, etc.

  • Une blague d'enfant

     

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    – Moi, j’ai une blague !

    – Vas-y, mais applique-toi à la dire bien.

    – De quel côté un chat a-t-il le plus de poils ?

    – Ben…

    – Alors, un chat, de quel côté c’est, qu’il en a le plus, de poils ?

    – Euh…

    – Tu lui donnes ta langue ?

    – Au chat ?

    – Bah oui !

    – Pas encore, non…

    (Je ne vois toujours pas.)

    – Alors de quel côté c’est qu’il en a le plus, le chat, de poils ?

    – Cette fois, je donne ma langue.

    (L’enfant jubile, puis braille :)

    – A L’EXTERIEUR !

    (On rigole.

    Et on rigole.

    Et on rigole encore.

    Puis je dis :)

    – Tiens, passe-moi Pomponnette (1), on va vérifier.

    (Hurlements.)

    Moralité : Blague d’enfant, blague d’écorcheur.

    Moralité 2 : Le mot chat n’a pas de poils.

     

     

     

    (1) J’aurais volontiers, en hommage au bon roman de Benoît Duteurtre La petite fille et la cigarette, dans lequel le malchanceux narrateur possède un chien nommé Sarko, nommé la chatte de cette histoire Ségo, mais j’ai eu peur de tomber sous le coup d’une quelconque loi – que je suis pourtant censé ne pas ignorer…

  • De l'invertissement (ébauche)

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    Ah ! Ah ! Je vais parler contre le suicide. La poésie contemporaine – cet adjectif est disqualificatif, je le rappelle – est devenue une Province de la Technique. On en est arrivé là lentement, de catastrophe en catastrophe, de romantisme triomphant en romantisme honteux. D’extases atroces, mais satisfaites, en atrocités industriées, jugées satisfaisantes dans la réalité – à preuve qu’on les poursuit, reniant chaque fois les précédentes, sur des échelles jamais vues, à des cadences infernales. Le Progrès. Jusqu’à l’humiliation définitive du poète – et peu me chaut qu’on juge immoral qu’après de telles évocations de meurtres de masse je ramène à ma phrase le seul petit poète, innocent amateur dans un monde de victimes toujours plus bankables –, humiliation consentie, quémandée, revendiquée. L’humiliation, hein, pas l’humilité – bien au contraire. Une espèce d’humiliation volontaire, selon le mode inverti qui occupe désormais le monde, dont grassement, avec des vulgarités de maquerelles, nous nous faisons titres de gloire – bons au porteur. Un néologisme pour caractériser cette accumulation-là : Invertissement. (– Tu fais quoi, en ce moment ? – J’invertis, tout bonnement. – Ah, et ça rapporte ?) Les poètes usinent précieusement de petites choses techniques, insensées, démolissent au glaviot la syntaxe. Le fait est qu’ils font des miniatures, point d’épopées ; mais des miniatures de quoi, je voudrais bien le savoir. On ne reconnaît rien, jamais. Il faut deviner ! Et lire encore n’importe quoi, en bons devins, dans les entrailles fétides de la modernité. Je suis sans doute bouché, je n’augure rien, et surtout rien de bon dans les cadavres… Ces poètes-là réputent donc leurs tristes messages encodés, encodés de ce pauvre code qu’ils seraient en définitive eux-mêmes, ces infatués du néant, et qui ne se communique pas. (– Qu’as-tu fait de ton Talent ? –  Eh bien, vois comme je suis vertueux, mais je lui ai chié dessus tout le long de la vie ! pour le protéger hein, et mes lecteurs éventuels se doivent d’être avant tout fouille-merde…) Ils ravagent le champ même de la langue, au nom que chacun fait la sienne ; et tous en font finalement une seule, et qui comme telle n’est pas. (Et je vous interdis ici de songer même à la Babel de la Bible ; les fameux Dalton de Lucky Luke, creusant pour s’évader de la même cellule du même pénitencier chacun leur propre trou exactement identique, et identique car différent, est une image bien plus juste.) C’est leur propre écrabouillis chaque fois qu’ils écrasent sur la page. Ils sont passés dessous la parole, sont retournés aux animaux en se prenant pour de petits dieux lares, et ça ne suffira pas, techniquement, de foutre à homme une majuscule de pure forme. Oh, ce n’est pas simplement un échec ou une impasse, moins encore quoi que ce soit qu’on puisse banaliser et ramener à tel ou tel particulier, et pas davantage ce n’est une aporie, non, c’est une extermination qui voue chaque langue à sa disparition paradoxale, ensevelie sous des mégatonnes de discours secondaires. Il faut désormais des tombereaux de citations ineptes, généralement de philosophes ou assimilés, ces favorites tarifées du tyran, lesquelles élèvent avec une candeur trafiquée de pervers sexuel leur athéisme au rang d’acquis social, pour défendre dans le vide de petits monceaux de syllabes qui font regretter de ne pas s’être plongé plutôt dans un magazine féminin, par exemple, ou dans un merveilleux roman – contemporain lui aussi. Les poètes dont je parle ce soir sont de droit, et tels sont aussi bien n’importe qui, et j’appelle donc ici poète exactement n’importe qui – l’invertissement toujours –, non qu’il se soit agi jadis de naissance mais bien plutôt d’une élévation et finalement d’une noblesse, en aucun cas d’un droit ; et voilà bien ce qui effraie ma chronique. Ils sont n’importe qui, dis-je, et l’époque recrute large, arguant d’une clause égalitaire qui justifie les abrutis, n’admettant de les discriminer que pour les propulser à d’inenvisageables sommets (mais que sont-ils vraiment, ces sommets de l’invertissement ?). Ils sont n’importe qui, ils parlent n’importe comment pour dire n’importe quoi, et ils s’en contrefoutent eux-mêmes, pourvu que ça serve, que ça invertisse et donc rapporte. Oui, je parle aussi, dans ce toujours même paragraphe, de l’argent, mais pas seulement ; je parle de son mode de collusion avec cette espèce de post-nazisme qui ne menace guère de submerger les basses terres de notre époque, parce qu’elles sont déjà intégralement noyées sous lui. Et je vais pour finir vous dire ce qu’ils font, ces poètes qui n’en sont aucunement, faute d’œuvre, eh bien c’est pourtant simple, comme ils peuvent, avec leurs pauvres moyens d’impuissants et leur nombre de plus en plus élevé, ils ne font rien moins que désincarner le Verbe (y parviennent-ils vraiment ?). Et le plus affligeant, et le plus amusant aussi, c’est qu’ils ne me contrediront pas. Ils sourient, même, flattés sans doute de cette reconnaissance. Et moi aussi, je souris – en me posant cette navrante question : qui ai-je donc imité ?

    Je crois que maintenant, vous devriez lire ce texte.

  • De l'approbation du monde

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    Je réunis ici quelques notes approximatives sur l’art, le mouvement, et la revue du même nom, peut-être aussi sur la religion.

    Et je voudrais pour commencer les placer sous cette citation de Botho Strauss, tirée d’un texte intitulé « Supporter la distance » consacré à Rudolf Borchardt – écrivain presque inconnu en France, le seul titre traduit étant, à ma connaissance, Déshonneur chez Verdier – texte qu’on peut lire dans Le Soulèvement contre le monde secondaire, paru chez L’Arche éditeur.

     

    Quoiqu’il en soit, le dix-neuvième siècle reste le siècle d’un des plus grands schismes de l’histoire universelle. Faute en est à ce concept qui lui est propre « et qui n’appartient qu’à lui seul : l’émancipation », source originelle de toutes nos erreurs à longue portée, puisque l’émancipation sociale ne peut créer que des affranchis et jamais des gens libres puisque – selon la dialectique de l’histoire culturelle selon Borchardt – il est inscrit sur les tombeaux de toutes les cultures historiques que « quand ce sont des affranchis qui dominent, ce n’est pas le commencement de la liberté mais la fin de celle-ci. Le principe de l’émancipation est en effet l’émancipation sans fin, il lui faut toujours trouver «  de nouveaux quanta d’émancipable ». Ce ne sont pas seulement la religion et la coutume, mais presque immanquablement aussi la capacité de souvenir de la poésie qui sont sacrifiés au radicalisme du progrès – à la domination de Chronos qui avale ses enfants. La poésie devient littérature, elle se politise – « ce qui est une création exclusive de dix-huitième siècle » – elle devient l’esclave de la primauté du politique, au lieu comme jusqu’alors « de donner son contenu à la politique, comme cela fut, de Dante et Pétrarque à Machiavel, de Milton et Voltaire jusqu’à Schiller, et par-delà le romantisme allemand jusqu’à Hegel… »

     

     

     

    L’approbation du monde

    Peu de choses sont aussi réjouissantes que l’art contemporain, qui est une sorte de journalisme des choses. Peu de choses sont plus modernes aussi. Peu de choses ont atteint leur point d’autodestruction avec un air de trouver cela formidable. Peu de choses sont aussi fausses. Et peu de choses surtout sont autant de choses.

    Car rien n’a jamais approuvé le monde qui vient comme l’art contemporain. Le monde qui vient, quoi qu’il fasse, et quoi que puisse être précisément ce qui vient. L’art contemporain est une approbation immensément satisfaite de l’ordure la plus banale.

    Il n’est pas seulement question d’allégeance. Défendant des choses dans un monde presque entièrement voué à la production et la consommation de choses, l’art contemporain trouve en se prétendant subversif et rebelle sa place à la pointe du marché…

    Il faudrait d’ailleurs réfléchir que l’épithète contemporain est un adjectif très particulier : il ne qualifie pas son substantif, il le disqualifie. Exemple : un écrivain contemporain, l’histoire contemporaine.

    L’art contemporain en somme s’est affranchi de l’art. Il s’est libéré des techniques et disciplines anciennes, de toutes les règles censées permettre une représentation du monde (et de soi), et finalement il s’est affranchi de lui-même. En devenant contemporain, il a cessé d’être art. Et il ne lui est demeuré que le marché, avec le mode de réticulation qui lui est propre : le quadrillage planétaire, et cette éthique vite satisfaisante : la bonne conscience politique érigée en label de qualité. Quel verrouillage…

    Conséquemment aussi, l’art contemporain s’est étendu à la plupart des choses qui existent, pourvu qu’elles soient produites à notre époque : une boîte à œufs, un urinoir, un philosophe, une dictature, un baril de lessive, une enseigne publicitaire, n’importe quoi en somme. N’importe quelle chose…

    La difficulté de l’art contemporain ne tient jamais à la réalisation d’une œuvre, mais simplement à la manière de la faire viser, reconnaître par des instances supérieures, prétendument compétentes alors même que toute compétence est impossible.

    Voilà un art qui tient pour rien, non sans pour une fois quelque raison, ses marchandises, mais qui impose à ses artistes tout un jeu servile de relations sociales, rédaction de dossier, voyages, entretiens divers, toujours d’une façon ou d’une autre stipendiés, dont le seul but est d’écraser la concurrence.

    Le public ne comprend rien à l’art contemporain ? Allons, c’est d’abord parce qu’il lui demeure une vague idée de ce qu’était l’art d’avant. Mais cela même va finir. C’est ensuite parce qu’il n’y a littéralement rien à comprendre, sauf : cet artiste est génial ; la preuve en est qu’il s’est débrouillé pour qu’on le dise. Ah, le qu’en dira-t-on à l’époque de la prostitution de tout et de tous, contre tout et contre tous…

    L’artiste contemporain est en somme un VRP du néant. Il se tient donc à l’avant-garde de la destruction de tout. Il doit bouger sans cesse, se déplacer, surprendre, ne surtout jamais se répéter, ou se répéter sans cesse en arguant d’une différence chaque fois dans la répétition, il doit se dépasser, ne pas rester immobile, se dépasser encore et, les règles étant abolies, surenchérir sans cesse dans la connerie et la provocation, il doit être en mouvement, c’est-à-dire en somme : être le progrès, car le progrès, c’est sa pente, est en mouvement…

     

     

     

    Mouvement, revue indisciplinaire

    Notre merveilleuse époque, qui a remplacé l’art par l’artistique, la culture par le culturel, toutes choses également bonnes de ne se trouver ni histoire ni définition, semble toutefois s’être effarouchée de remplacer la discipline par le disciplinaire.

    Le mot eut été peut être trop martial pour cette époque de pacifisme moutonnier ; peut-être n’eut-il pas été assez flou et trop encore chargé de sens.

    L’époque ne hait rien tant que les règles, qu’elle assimile de façon délirante aux tabous, dont chacun sait qu’il faut les faire sauter, les éclater, etc.

    Sur le même modèle de substantivation des adjectifs,  l’époque a néanmoins foncé droit sur les termes de pluridisciplinaire et de transdisciplinaire, pour finir par créer – car rien aujourd’hui ne se pare des atours publicisés de la création comme ce qui se fait ouvertement gloire de détruire le passé, c’est-à-dire : la possibilité de la connaissance – le joli mot d’indisciplinaire.

    C’était un assez gros travail, déjà, de maîtriser une discipline ; mais du fait de la proximité réelle de certaines, il n’était pas impossible d’en maîtriser plusieurs : on a ainsi pu être, cela s’est vu, philosophe et romancier, romancier et dramaturge, dramaturge et metteur en scène, dramaturge et comédien, peintre et sculpteur, musicien et librettiste, etc.

    Ce qui est nouveau, et que l’antérieure connaissance des disciplines ne permettait pas, c’est de mélanger tout, et fort harmonieusement, de mélanger tout n’importe comment. Ceci claque comme le symptôme de notre époque prétendument libérée ; c’est en effet le symptôme de la maladie qui doit définitivement emporter cette civilisation ancienne. La maîtrise de plusieurs disciplines par un individu, jadis, ne visait aucunement l’abolition des frontières les séparant.

    Mais on est aujourd’hui d’autant plus transdisciplinaire ou pluridisciplinaire qu’on s’est généralement épargné la peine – quel mot horrible ! – d’en étudier une seule.

    (Ce serait d’ailleurs un excellent critère pour juger de la valeur de certaines études artistiques que celui de leur propre ouverture aux autres disciplines…)

    Et c’est ce que dit tranquillement, l’air de rien, le joli mot d’indisciplinaire – dans lequel, pour une fois, on peut lire ouvertement la haine de toute discipline et le rejet du passé.

    Ce Mouvement  doit en somme être seulement présent, incessamment présent, se recouvrant à chaque instant lui-même, abolissant toute mémoire qui ne soit pas d’abord – le faux est là – une chose neuve. Ce Mouvement est l’autre nom du présent perpétuel ; il est une préfiguration terrestre de l’Enfer et il est réalité. Dans le civil, on parlera plus aisément de progrès.

     

     

     

    Religion (guerre des représentations)

    Toutes les considérations, certes approximatives, qui précèdent sont faites en somme d’un point de vue religieux, sur son versant anthropologique, mettons.

    Une société sans religion n’existe pas, ne saurait exister. Dès qu’une religion est sue, dès qu’elle se connaît pour telle, dès en somme qu’elle dévolue du statut de Vérité à celui d’opinion, dès qu’elle se meut en hérésie, conserverait-elle formellement ses dogmes, elle est foutue : elle se relativise elle-même et s’effondre…

    Une autre, insue celle-là, lui a sans doute déjà succédé.

    Je vais tenter d’illustrer mon propos de deux images très récentes (pour ne pas dire contemporaines), lesquelles j’accompagne de citations, d’ordres divers. Ces deux images sont de même nature : elles sont purement publicitaires.

     

    La première est une couverture récente de la revue indisciplinaire Mouvement :

     

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    Un dieu fut grand jadis, débordant d’une audace prête à tous les combats : quelque jour on ne dira plus qu’il a seulement existé.

    Eschyle, Agamemnon (paroles du Chœur, traduction de Paul Mazon)

     

    Le dogme du christianisme s’effrite devant les progrès de la science.

    Adolf Hitler, cité dans Propos de table

     

     

    La seconde de ces images est une publicité de l’AKP, le parti islamiste (« intégriste » donc) au pouvoir, visant à promouvoir l’intégration de la Turquie à la Communauté européenne :

     

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    Un grand prodige parut aussi dans le ciel. Une femme revêtue du soleil, qui a la lune sous ses pieds et sur sa tête une couronne de douze étoiles.

    Saint Jean, Apocalypse (traduction de Bossuet)

     

    Quand vous rencontrerez les infidèles, tuez-les jusqu’à en faire un grand carnage et serrez les entraves des captifs que vous aurez faits.

    Le Coran (traduction Kasimirski)