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KLOAC

The Chiotte of the Culutre.jpg

 

Je livre ici la onzième des douze saynètes de Pour une Culutre citoyenne ! (2006).

Elle était interprétée, dans le spectacle que nous avons eu la possibilité d’en donner en 2008 par Arnaud Frémont et Emmanuelle Roussel.

 

 

 

 

 

11. KLOAC

 

 

Sol blanc.

Le cul dans un fauteuil rouge et or placé au centre de ce monde, la chargée de production.

Puis bientôt face à elle, le vieillard, toujours debout, qui à mesure que passe la scène grelotte et tremble davantage.

 

 

LA CHARGEE. – Envoyez-moi un vioque ! – Merde, ça sonne !

 

*

 

LE VIEUX. – Bonjour, madame.

 

LA CHARGEE, au téléphone. – …Oui, oui, c’est bien ça : la représentation coûte 9500 euros hors taxes, et elle dure vingt minutes mais on a un tarif préférentiel jeune public pour les scolaires avec, gratis en plus, rencontre avec l’artiste… – En bref, Anus horribilis (1) ou le Pétomane numérique est un spectacle très vivant, très convivial. Le trou du cul de l’acteur-pétomane est repris sur écran géant en fond de scène… – Oui, c’est très visuel. C’est aussi sonore et olfactif… – Non, ce n’est pas tout : ça ne se voit pas à l’œil nu mais son trou du cul est bourré de capteurs numériques reliés à une Intelligence Artificielle qui traduit les vents… – Oui, les pets si vous voulez. Qui traduit ces pets en langage humain normal. Ca donne de grandes phrases citoyennes sélectionnées au hasard dans la banque de données. Il y a du Paulo Coelho qui est très rigolo, du Jacques Derrida vraiment très déridant et du Amélie Nothomb, une vraie bombe !… – Là, je suis bien d’accord : 9500, ce n’est vraiment pas cher. Et les scolaires à 9000. C’est à voir en famille, d’ailleurs, allez au revoir ! – En ce moment ? on bosse sur le projet KLOAC : King Lear Once Again’ Cemetery… – Oui, c’est ça : j’attends confirmation des 23 dates d’Anus horribilis  – C’est ça, au revoir !

(Elle raccroche.)   

Putain, quel con, ce mec ! Et collant ! Bon. A nous deux !

 

LE VIEUX. – Bonjour, madame.

 

LA CHARGEE. – 84 ans. C’est ça. J’ai lu votre CV. Impressionnant. Les grands metteurs en scène, les grandes salles d’Europe, tout ça. Lorenzaccio, Dom Juan, Ruy Blas, Hamlet, Rhinocéros. Mais bon, que des gros machins d’avant-ringarde à texte et tout. Quelques innovations d’époque, bon, quand même. Tu crois que tu es encore à la hauteur ? Il y a combien de temps que tu n’as pas fait de scène ?

 

LE VIEUX. – Treize ans. Quelle traduction du Roi Lear donnerez-vous ? 

 

LA CHARGEE. – C’est idiot. C’est fini, le texte ! Aux chiottes ! Littérature de merde, oui ! Et plus personne n’y comprend rien. – Et toi, tu ne connais même pas le travail de Juan-Emilio Eichmann ?… Tu es à la ramasse, mon pauvre gars. On travaille direct à l’international, sans surtitrage et avec la techno à fond, nous. La France, c’est de la merde sauf qu’il y a du pognon pour les artistes. Nous, ce qu’on veut, c’est New York, Moscou, Tokyo, Berlin, Zanzibar, Pékin. Tout est dans le corps, la danse, la sueur, le sang, le sperme, le trash, le corps quoi, merde ! Juan-Emilio Eichmann, on dira de lui que, je cite : il est celui qui a tellement détruit toutes les disciplines artistiques qu’il ne peut même plus être réputé transdisciplinaire. Le langage est une frontière, une barrière, il faut l’atomiser ! Tiens, je vois que toi aussi, à l’époque, tu as eu un engagement politique ? 

 

LE VIEUX. – Oui. J’ai été révolutionnaire dans une époque sans révolution. Bizarrement, dans mon domaine, cela m’a mené au sommet du régime que je combattais. J’ai dû commettre une erreur de logique quelque part ; mais où ?

 

LA CHARGEE. – On s’en bat les couilles, pépère ! Ce que vous avez commencé par erreur, nous le poursuivons par cynisme. Pauvre petit stalinien. Mais nous ne deviendrons pas ringard, nous ; car après nous, il n’y aura plus rien ! King Lear Once Again’ Cemetery, c’est ça : le cimetière du théâtre. Le cimetière du et encore une fois Le Roi Lear ! mesdames et messieurs… Ni Dieu ni Verbe ! Vu que c’est pareil. Bienvenue au KLOAC, camarade ! – Bon. Combien de coups de fouet tu peux encaisser ? Par jour ?

 

LE VIEUX. – De coups de fouet ? Pour de vrai ? On ne fera pas semblant ?

 

LA CHARGEE. – C’est fini, faire semblant ! On saigne, on baise, on pisse, on chie et on s’encule pour de vrai. Il n’y a que crever qu’on fait encore semblant, hélas. Plus pour longtemps. J’ai un projet en Colombie pour Juan-Emilio avec torture asiate et crevage zen au plateau ! Du putain de grand art ! Le problème, c’est de se faire subventionner le déplacement des équipes de télé jusque là-bas…

 

LE VIEUX. – Je ne sais pas, moi. Trois, peut-être.

 

LA CHARGEE. – Attends. Tu ne comprends pas l’enjeu artistique. C’est un Roi Lear trash, sado-maso. C’est son bouffon lui-même sodomisé qui le fouette, ça le fait jouir à mort, le vieux en cuir. Tu piges, vieille merde ? Alors, qu’est-ce que tu veux qu’on en foute, de trois pauvres coups de fouet ? C’est neuf minimum !

 

LE VIEUX. – Neuf ?… Et fort ?

 

LA CHARGEE. – Ouais, fort. Dis donc, le vioque, pourquoi tu veux travailler avec Juan-Emilio ?

 

*

 

LE VIEUX. – Je peux griller un clope ?

 

LA CHARGEE. – Tu es cinglé, ou quoi ? C’est non-fumeur comme partout, ici. Il veut me flinguer ma santé, en plus, ce vieux con. Comme si ça ne se voyait pas, que je suis fragile ! – Bon. Pourquoi tu veux travailler avec Juan-Emilio ?

 

LE VIEUX. – J’ai besoin d’argent.

 

LA CHARGEE. – Oui ?

 

LE VIEUX. – Mes fils avaient des dettes, j’ai hypothéqué tout ce que j’avais. Et maintenant que ma femme est morte, mes fils emportent tout ; ils m’abandonnent. Je n’ai plus rien à moi, sinon leurs dettes à eux. C’est humiliant, à mon âge, de chercher du travail, vous savez.

 

LA CHARGEE. – On va le plaindre, tiens. Pour ce qui est de l’argent, Juan-Emilio paie mal parce que ce n’est pas pour l’argent que ses danseurs doivent être là : c’est pour l’art et uniquement pour ça ! C’est clair ?

 

LE VIEUX. – Vous n’allez pas me prendre, alors ?

 

LA CHARGEE. – Si. Au tarif figurant grille Syndéac. Avec une prime pour la nudité.

 

LE VIEUX. – Ah ?

 

LA CHARGEE. – Estime-toi heureux. C’est de la pure pitié. Je me sauve. Déshabille-toi, que tu sois prêt pour l’examen médical. Le chirurgien arrive tout de suite.

 

LE VIEUX. – Le chirurgien ?

 

LA CHARGEE. – Oui, pour les implants. Allez, déshabille-toi. Il nous coûte assez cher comme ça, Mengele…

 

LE VIEUX. – Mengele ?

 

LA CHARGEE. – C’est un surnom. Eichmann... Mengele...  

 

 

  (1)     Et non pas annus horribilis, comme on avait lamentablement cru jusqu’à ce jour.

 

 

 

 

 

 

 

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