Autoportrait à la webcam de merde, 6 février 2010
Sa colère et lui avaient grandi ensemble et ils s’étaient pour ainsi dire nourris l’un l’autre et maintenant il vivait avec sa colère depuis si longtemps que ses proches mêmes ne la connaissaient pas pour ce qu’elle était, et souvent la nommaient calme. C’était un garçon très gentil ; il s’abstenait de tuer. Ses contradictions tenaient on ne sait comment en équilibre, peut-être précaire. Parce qu’on marche mieux sur deux jambes, son goût de la légèreté alternait avec celui qu’il avait de la gravité, au prix d’une imperceptible claudication toutefois. En attendant que tout s’effondre, il tenait comme naturellement tous les discours qu’on voulait, donnant à chacun ce qu’il ne savait pas même demander. Les femmes l’aimaient d’autant plus qu’au fond, elles lui indifféraient vraiment. Il regardait leurs regards parfois fiévreux béer sur plus rien, et se consolait de mépris bien frappé. Pour le reste, il consommait, obéissant aux canons de sa sinistre et chatoyante époque. Il savait que penser cela de lui-même tirait vers l’effet romanesque et comme il méprisait la littérature, il ne se privait pas de ses effets. Il voilait pudiquement d’humour son néant et laissait volontairement son absence à lui-même séduire qui avait bien besoin. Il lui était enfant arrivé de prier un bout de bois nommé Dieu de lui donner la foi, et tant d’égoïsme n’était finalement parvenu qu’à le navrer. Qu’on le prît pour un personnage capable de rire de lui-même l’arrangeait, il lui suffisait de savoir quel pauvre garçon pétri de violence il était. Parfois, devant l’abîme de mensonges qui le constituait presque entièrement, il se demandait si la panique viendrait, et comment – dans des moments de détresse que rien ne trahissait, il ne doutait plus que sa colère aussi fût fausse. C’est qu’il avait conservé une idée bêtement romantique de la panique, et ignorait tout à fait l’incarner froidement. Celui qui le devinerait tout entier, calme et colère faux fondus en une longue panique froide, ne ferait jamais que l’oraison funèbre d’un vivant et ne serait cru de personne – car le mensonge toujours dévoie qui le combat. La mort, décidément, était bien le meilleur abri. L’humour lui servirait d’alibi. Rien ne s’effondrerait plus, maintenant. En quelque sorte, il n’y était pour personne. C’était, disons, presque parfait. Au moment de conclure cette méditation, il nota en souriant qu’au grand soulagement de leurs lectrices, ses collègues confondraient encore longtemps écrire et lâcher la purée.