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  • Placet beau

     

     

     

    Jour de poésie, sans doute (« Le français se cache pour mourir »). Le texte qui suit est de 2006 et je dois vous avouer qu’à l’époque, j’avais encore l’impression d’exagérer quelque peu…

    …Je publie donc ici, non sans une générosité certaine que mes détracteurs réactionnaires ne manqueront pas de me reprocher, ce modèle universel de lettre de candidature, de lettre de demande de subvention, de lettre de motivation, voire même, moyennant quelques changements légers, de lettre à un éditeur subventionné, modèle universel à l’usage de mes collègues auteurs dramatiques (1)… Ce geste charitable, totalement gratuit, devrait valoir aux signataires leur obole. J’ai moi-même à maintes reprises testé ce modèle ; toujours avec succès. Je recommande de conserver son titre (j’allais dire son « générique ») : Placet beau, lequel contient un jeu de mots de la plus belle facture impayée (comme ceux qu’on peut lire dans le quotidien Libération).

    Pour parler comme mon personnage : l’Ôteur, je dirai que : l’obligation de me citer n’est pas obligatoire.

    (1) On croyait savoir que la SACD s’occupait des auteurs et compositeurs dramatiques, dont elle est la société ; mais l’extension bien légitime d’une part de la notion d’auteur, la montée en puissance de l’analphabétisme égalitaire d’autre part, ont conduit à reconnaître, pour le seul spectacle vivant, des auteurs de : théâtre, théâtre musical, mime, arts du cirque, one man show (en français dans le texte), arts de la rue, opéra, spectacles de sketch(es) (idem), chorégraphie, comédie musicale, sons et lumières.  C’est dire si mon aide est précieuse.

     

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    L’ÔTEUR. – Ce placet beau, très beau, est vidament dédiécassé au Citoyen Suprême, lequel bien sûr ek-siste ainsi que tout le monde le suce. Faut-il le dire que le Citoyen Suprême c’est je-tu-vous dès lors qu’il n’y en a plus rien du tout de l’individuel dedans, c’est n’importe lequel des qui qui ne se l’envoie pas dire et le dit lui-même de lui-même que c’est lui. Ou toi. Mais surtout moi. Parce que l’Etat c’est moi et que moi, l’Etat je lui chie sur sa gueule.Voilà pourquoi que mon teste, beau comme ma semence, en même temps c’est vachement digne de se faire recevoyer par vous, ô Citoyen Suprême ! Et donnez-moi seulement du popognon et je serai guéri de pas recommencer encore. J’espère que vous me comprendez. D’autant que j’y ai droit à le pognon, vu la rage de révolte dedans que j’ai. Car parce que c’est là que je la fais, ma référence humblement. Car en tant qu’artisteur globalisé je me comprends moi-même déjà pas mal. Oué. Même que j’en ai causé avec des amis à moi qu’ils étaient bien d’accord après des bières que mon teste il est génial.

    Bref, tout ça le théâtre c’est que pour dire que les artistes ils sont comme les citoyens, je veux dire unis ensemble mais avec des grumeaux de communautés rouges plein partout dedans quand même en plus, comme les morceaux de fruits dans les yaourts je sais plus lesquels. Car c’est du yaourt superpositif oué, la Républicité de la démocrasse. Mais aussi que si les artistes ils sont comme les citoyens alors aussi l’inverse c’est vrai que les citoyens ils sont comme les artistes, y a pas de raison. Bref quoi, ici c’est suprême qu’il est le Citoyen, surtout qu’il lutte contre. Car parce que c’est un rebelle avant tout, tu vois ? que le citoyen sans rien, en fait il a tout dedans qui fait qu’il est pareil que les autres, quoi. C’est un artiste, si tu veux. Comme nous tous si qu’on veut, merde. Et on va tout niquer le pays comme une pétasse dans la tournante.

    Voilà, Citoyen Suprême, c’est pour toi ce placet beau subversé, et puisque c’est kif-kif c’est aussi de toi un peu qu’il est, ce placet ; et si que je le dis c’est pour dire merci comme quoi tu nous a éduqués bien dans ta sorbonne d’où qu’on vient. Qu’on est là nous aussi pour les péter les enculés de gens pas-qui-résistent, oué, et faire sur les trottoirs des flaques de sang comme une grosse et virginique œuvre d’dard. Oué. Merci. Casse-toi, Président de mes couilles et merci pour les susventions de la culture.

  • La Guerre civile, par Henry de Montherlant

     

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    La dernière pièce d’Henry de Montherlant porte le titre joli de La Guerre civile. Elle fut représentée pour la première fois (et non « créée », ainsi que disent les cons temporains) au Théâtre de l’Œuvre le 27 janvier 1965, mise en scène par Pierre Dux (et non « dans une mise en scène de », idem), dans un décor de Georges Wakhévitch (je ne vous fais pas le coup de la « scéno » plus ou moins « graphie »)… Grâce aux bons soins des éditions Gallimard, et de la Pléiade, je puis vous citer aujourd’hui l’intégralité de la première réplique de la pièce, portée par la « Figure » de la Guerre civile personnifiée (« voix de femme, dans la fosse », mentionne fort joliment la distribution), laquelle réplique ouvre l’acte premier, titré Mors et fricum (c'est-à-dire : mort et fric).

    La troisième photographie nous montre Pierre Fresnay dans le rôle de Caton et Pierre Dux dans celui de Pompée. (Les première et troisième photographie proviennent du site :  http://www.montherlant.be/index.html.)

     

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    Rideau baissé, la voix – féminine – de la Guerre civile éclate avec véhémence, de la fosse de l’orchestre.

     

    LA GUERRE CIVILE. – Je suis la Guerre civile. Et j’en ai marre de voir ces andouilles se regarder en vis-à-vis sur deux lignes, comme s’il s’agissait de leurs sottes guerres nationales. Je ne suis pas la guerre des fourrés et des champs. Je suis la guerre du forum farouche, la guerre des prisons et des rues, celle du voisin contre le voisin, celle du rival contre le rival, celle de l’ami contre l’ami. Je suis la Guerre civile, je suis la bonne guerre, celle où l’on sait pourquoi l’on tue et qui l’on tue : le loup dévore l’agneau, mais il ne le hait pas ; tandis que le loup hait le loup. Je régénère et je retrempe un peuple ; il y a des peuples qui ont disparu dans une guerre nationale ; il n’y en a pas qui aient disparu dans une guerre civile. Je réveille les plus démunis des hommes de leur vie hébétée et moutonnière ; leur pensée endormie se réveille sur un point, ensuite se réveille sur tous les autres, comme un feu qui avance. Je suis le feu qui avance et qui brûle, et qui éclaire en brûlant. Je suis la Guerre civile. Je suis la bonne guerre.

     

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  • La Tectonique des sentiments, d'Eric-Emmanuel Schmitt

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    Je n’avais jamais lu aucun livre d’Eric-Emmanuel Schmitt, et je ne retrouve pas, dans l’entrelacs de mes a priori et contradictions, au moment d’écrire cette note, les raisons qui ont bien pu me pousser à récemment acquérir ce bouquin. La Tectonique des sentiments est une bonne pièce ; elle s’ouvre sur une première scène de grande maîtrise technique et jusqu’à son dénouement poursuit sans faiblir. Aucun personnage, sauf un peut-être, n’est raté ; aucune scène et aucune situation ne paraissent qui ne sont justifiées ; aucune phrase, même, peut-être, n’est de trop. Les didascalies mêmes, de nos jours si méprisées – et parfois même avec talent –, ne rechignent pas, très romanesquement, à la plus fine, quoique concise, psychologie. L’histoire d’amour, les histoires d’amour vraies et fausses, superficielles ou profondes, leur réversibilité, en un mot : leur tectonique, sont très claires, très lisibles en leur complexité, et jamais pourtant caricaturales. C’est très réussi, donc, agréable à lire (et certainement aussi, très difficile à jouer).

    Diane se venge de Richard, dont elle imagine qu’il ne l’aime plus. Voilà l’histoire (je n’en dirai guère plus : vous n’avez qu’à lire le bouquin ou, si vous êtes fainéant, aller voir la pièce).

    Le personnage de Diane est très réussi, celui de sa mère est une merveille, les deux putes roumaines engagées pour piéger Richard sont très justes, et tous ces personnages ne seraient pas réussis si les relations entre eux n’étaient pas elles aussi réussies. Le personnage à mon sens le moins réussi est finalement Richard, mais je n’en suis pas certain : il subit tout, et l’auteur à dessein lui fait jouer la carte de tout subir toujours, et de tout accepter. C’est peut-être le personnage le plus complexe, le plus silencieusement complexe ; et si je dis qu’il est peut-être le moins réussi, c’est simplement parce que je me demande si un tel personnage est vraisemblable (je sais, la catégorie selon certains date un peu), non pas en soi, mais dans cette pièce-là et face à cette femme-là, qu’est Diane…

    La pièce non plus, sans s’y appesantir jamais, dégage tranquillement son fond politique (au sens le plus élevé) : un couple de la haute société en train de se défaire, de ne pas renoncer aux désormais très puissants appâts d’un adolescence imbécile, couple dont la femme, politicienne humanitaire, est vouée par profession à l’amélioration des conditions de vie de prostituées devant par définition cesser de l’être ; un faux binôme mère-fille de manipulatrices elles-mêmes manipulées constitué en réalité de deux putes roumaines ; une mère aimant sa fille non sans regretter qu’elle soit ce qu’elle est, du fait peut-être d’un père absent ; une maladie fantasmatique, pour ne pas dire maladive, planant sur l’ensemble, et justifiant au passage les pires saloperies frigides ; subissant tout cela enfin, un homme, au statut très particulier, trouvant peut-être dans l’acceptation de tout le moyen de ne rien réellement céder, et dans l’aveuglement la possibilité de voir…

    Je m’aperçois que dès que j’évoque cet homme, Richard, je dis : peut-être… Et que cela serve de conclusion.

  • Une clope de Pâques

     

     

     

     

     

    A six heures trente, je suis sorti de la maisonnette de vacances à l’équipement standard tout au bout de la petite ville et, sous un crachin léger de neige fondue, j’ai regardé longuement le paysage désolé devant moi, la rivière grise et rapide aux reflets marron noir, les arbres encore d’hiver, le pont métallique d’un vert atroce sur le chemin de fer qui semble-t-il ne sert plus, les maisons vieilles parsemées sur les monts ternes. Sous le ciel gris pâle aux nuances de plomb, la vue déployait cette sérénité de la tristesse, immense et majestueuse, finalement reposante. Cette vallée du Lot, à tout prendre, et à rebours de l’imagerie touristique, aurait pu aussi bien être une vallée d’Ardennes ou du Jura, des Vosges ou de Haute-Marne, tant est présente cette parenté de pauvreté et, à travers elle, cette humilité somptuaire des hommes qui travaillent la terre, qui travaillent à la terre et ressemblent à leur terre, ce monde ancien, déjà cassé, que nous voulons détruire encore, ce monde simple et dur dont, compliqués et mous pour rien, nous sommes l’antithèse, ce monde qui ne nous fait plus même honte, ce monde que nous voulons oublier et que donc, nous ne voyons déjà plus, ce monde de silence que notre indifférence de bruit et de fureur ravage absolument, ce monde témoignant aujourd’hui du passé de nos pères et dont nous ne voulons plus rien savoir ou aimer, tant nous sommes occupés et possédés à jouir sans retenue de nos déprédations bariolées. Pas davantage que nous ne voulons aimer ou savoir ce monde ancien, nous ne parvenons ordinairement à comprendre la haine lente qui nous meut, la haine insue qui nous commande, nous qui en elle nous mouvons comme naturellement, cette haine désormais qui est l’air même que nous respirons. Il y a sur la rivière une digue de grosses pierres que des mains d’hommes ont jadis assemblée, une grue de chantier de métal gris aux terminaisons jaunes, et partout alentour dans ce dimanche de Pâques qui dort, des tâches de verdure morne dans un pays marron gris.

    Mon café à la main, j’ai allumé une cigarette et je me suis dit que les paysages tristes et souvent anodins des campagnes de France étaient ce qui restait de la vieille Chrétienté ; que ce paysage sous mes yeux, comme tant d’autres, était plus chrétien en tout cas que cette église désaffectée puis réaffectée à autre chose, et peu importe quoi, dans laquelle, hier, nous avons joué notre spectacle, Ce que j’ai fait quand j’ai compris que j’étais un morceau de machine ne sauvera pas le monde ; que ce festival pour lequel j’étais là, pour lequel mes compagnons endormis et moi avions fait ce voyage, que ce festival de vulgarité et d’abjection qui avait en sa programmation coincé mon produit de consommation culturelle entre les compagnies aux noms évocateurs : Mornifle et La Torgnole, était en somme sinon le plus imbécile des fleurons de notre époque, du moins le plus significatif et le plus voué à l’expansion et donc aussi le plus assassin. Je me suis dit aussi que je travaillais décidément au cœur même de la haine et de la destruction, dans la plus grande entreprise de déculturation, fonctionnant maintenant, depuis deux bons siècles qu’elle est sur le marché, à son rythme de croisière, et qui prend donc le nom désormais monstrueux de culture ; laquelle entreprise ne se contente pas seulement d’installer ses chapiteaux mortifères à côté des églises, mais vient faire au-dedans éclater sa parole de néant, sa sinistre parole nivelant d’une autorité qu’elle ne s’avoue pas détenir toutes les aspérités réelles de la vie, son abjecte parole horizontalisant de force toute velléité même de verticalité, sa parole enfin criminelle de préparer ainsi la voie au tout proche discours de haine enfin avouée qui finira d’achever cette civilisation à l’agonie, allah akbar. Je me suis dit encore que mes petits sabotages internes à cette machine de mort, si tant est déjà qu’ils ne sont pas l’excuse d’un cerveau débile, ne serviraient de rien tout simplement parce que cette machine dysfonctionne pour fonctionner, et que, même si je le sais, même si je le dis, même si je le hurle, ce ridicule dysfonctionnement picrocholin ne donnera pas même un hoquet à cette machine, ne suspendra pas un millième de seconde sa destruction de croisière. Et dans le même temps, ce paysage me reposait, et pas seulement de mes trois heures de mauvais sommeil pourri d’alcools ; ce paysage me reposait de moi, il me lavait ; plus, ce paysage simple et grandiose, à l’éradication totale duquel je travaille, et qui agonise sous notre travail de fossoyeurs ludiques et forcenés, trouvait encore, du fond de sa douleur, la force de pardonner son assassin. J’ai lancé le mégot dans l’herbe, et je suis rentré boire un autre café, faire mon sac, réveiller mes compagnons… Adieu Figeac et les rives du Célé, nous avions la France à traverser, ce jour de Pâques.

  • Le Village de l'Allemand, de Boualem Sansal

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    Le Village de l’Allemand (ou le Journal des frères Schiller) n’est pas seulement un roman sur la proche parenté – descendance, pourrait-on dire ici – liant le nazisme d’hier à l’islamisme d’aujourd’hui ; c’est aussi un roman sur la lecture et la connaissance historique. Et le fait est qu’on aurait tort, me semble-t-il, de ne voir là qu’un roman à thèse, fût-il très habilement construit : tout simplement parce qu’un constat n’est pas une thèse, contredirait-il l’amour maladif de l’époque pour le déni de réalité.

    Rachel et Malrich sont frères, sont nés en Algérie, vivent en France, ont quatorze ans d’écart. Leurs parents – père allemand, héros du F.L.N., mère algérienne – vivent à Aïn Deb, près de Sétif. Rachel – contraction de Rachid Helmut – est cadre dans une boîte internationale, vit avec Ophélie dans un petit pavillon ; son frère cadet, lui, zone avec ses potes dans la cité, a échappé de justesse aux imams recruteurs de martyrs d’Allah, ne fréquente guère son frère qui l’emmerde avec sa morale, etc.

    Lorsque Rachel apprend, le 25 avril 1994, par les informations télévisées que ses parents ont été assassinés dans leur village d’Aïn Deb, il se rend sur place. Fouillant dans les affaires de son père, il découvre que celui-ci fut auparavant un officier SS ayant servi dans les camps d’extermination. Il ne dira rien à son frère, ni à Ophélie – qui le quittera –, descendra seul aux enfers en mettant ses pas dans ceux de son père, sillonnant l’Europe, la Turquie et l’Egypte, puis se suicidera aux gaz d’échappement le 24 avril 1996, dans le garage de son pavillon, après s’être rasé le crâne et avoir enfilé un pyjama rayé. Voilà, pour aller vite, ce qui s’est passé avant que le roman ne commence.

     

    Le roman proprement dit est l’histoire de la lecture par Malrich – contraction de Malek Ulrich –, qui n’a même jamais entendu parler de la Shoah, du journal de Rachel. Lecture qui va le pousser à tenir à son tour son journal. Même s’il ne sait pas très bien écrire.

    Le roman s’ouvre sur cette épigraphe de Malrich : « Je remercie très affectueusement Mme Dominique G.H., professeur au lycée A.M., qui a bien voulu réécrire mon livre en bon français. Son travail est tellement magnifique que je n’ai pas reconnu mon texte. J’ai eu du mal à le lire. Elle l’a fait en mémoire de Rachel qu’elle a eu comme élève. (…) Elle dit qu’il y a des parallèles dangereux qui pourraient me valoir des ennuis. (…) »

    En effet. Dans un premier temps, Malrich, qui ne sait pas grand-chose de l’Allemagne nazie ni de l’Histoire en général, d’ailleurs, rechigne à suivre son frère dans la condamnation de son père, tient évidemment à la mémoire de son père (c’est un soldat, il n’a fait qu’obéir, un ordre est un ordre, etc), puis se documente, fait lui aussi le périlleux voyage d’Aïn Deb, et commence, si j’ose dire, de « comprendre ».

    Malrich, à la différence de son frère, ne plongera pas maladivement dans le passé. Parce que son frère l’a fait pour lui, sans doute ; mais aussi parce que ce qu’il découvre du nazisme, il le voit autour de lui se mettre en place en temps réel : ce qu’il exprime ainsi dans une lettre, qu’il sait au demeurant parfaitement vaine au Ministre de l’Intérieur de la République française (nous sommes alors en février 1997) : « Les islamistes ont colonisé notre cité et nous mènent la vie dure. Ce n’est pas un camp d’extermination mais c’est déjà un camp de concentration, ein Konzentrationlager comme on disait sous le Troisième Reich. Peu à peu, nous oublions que nous vivons en France, à une demi-heure de Paris, sa capitale, et nous découvrons que les valeurs qu’elle proclame à la face du monde n’ont en réalité cours que dans le discours officiel. N’empêche et malgré toutes nos tares, nous y croyons plus que jamais. Tout ce que nous nous interdisons en tant qu’hommes et citoyens français, les islamistes se le permettent et nous refusent le droit de nous plaindre car, disent-ils, c’est Allah qui l’exige et Allah est au-dessus de tout. A ce train, et parce que nos parents sont trop pieux pour ouvrir les yeux et nos gamins trop naïfs pour voir plus loin que le bout de leur nez, la cité sera bientôt une république islamique parfaitement constituée. Vous devrez alors lui faire la guerre si vous voulez seulement la contenir dans ses frontières actuelles. Sachez que nous ne vous suivrons pas dans cette guerre, nous émigrerons en masse ou nous nous battrons pour notre propre indépendance. »

     

    Ce roman est admirablement construit : si l’on y lit en alternance le journal de Malrich et des morceaux de celui de Rachel, c’est à Malrich (et à Mme G.H.) qu’il faut attribuer la paternité de ce « montage » romanesque. Le narrateur principal n’est pas loin, donc, d’être analphabète ; quant au professeur qui « réécrit en bon français » son livre, rien ne dit qu’elle revendique le statut absurdement envié d’ « écrivain ». La prose de ce roman est donc très simple, ne vise pas apparemment le grand style littéraire. Ce qui me semble la marque la plus sûre du grand talent dramatique de l’auteur.

    Boualem Sansal, qui est Algérien et vit en Algérie, où ses livres sont censurés, est un homme courageux.