Je n’avais jamais lu aucun livre d’Eric-Emmanuel Schmitt, et je ne retrouve pas, dans l’entrelacs de mes a priori et contradictions, au moment d’écrire cette note, les raisons qui ont bien pu me pousser à récemment acquérir ce bouquin. La Tectonique des sentiments est une bonne pièce ; elle s’ouvre sur une première scène de grande maîtrise technique et jusqu’à son dénouement poursuit sans faiblir. Aucun personnage, sauf un peut-être, n’est raté ; aucune scène et aucune situation ne paraissent qui ne sont justifiées ; aucune phrase, même, peut-être, n’est de trop. Les didascalies mêmes, de nos jours si méprisées – et parfois même avec talent –, ne rechignent pas, très romanesquement, à la plus fine, quoique concise, psychologie. L’histoire d’amour, les histoires d’amour vraies et fausses, superficielles ou profondes, leur réversibilité, en un mot : leur tectonique, sont très claires, très lisibles en leur complexité, et jamais pourtant caricaturales. C’est très réussi, donc, agréable à lire (et certainement aussi, très difficile à jouer).
Diane se venge de Richard, dont elle imagine qu’il ne l’aime plus. Voilà l’histoire (je n’en dirai guère plus : vous n’avez qu’à lire le bouquin ou, si vous êtes fainéant, aller voir la pièce).
Le personnage de Diane est très réussi, celui de sa mère est une merveille, les deux putes roumaines engagées pour piéger Richard sont très justes, et tous ces personnages ne seraient pas réussis si les relations entre eux n’étaient pas elles aussi réussies. Le personnage à mon sens le moins réussi est finalement Richard, mais je n’en suis pas certain : il subit tout, et l’auteur à dessein lui fait jouer la carte de tout subir toujours, et de tout accepter. C’est peut-être le personnage le plus complexe, le plus silencieusement complexe ; et si je dis qu’il est peut-être le moins réussi, c’est simplement parce que je me demande si un tel personnage est vraisemblable (je sais, la catégorie selon certains date un peu), non pas en soi, mais dans cette pièce-là et face à cette femme-là, qu’est Diane…
La pièce non plus, sans s’y appesantir jamais, dégage tranquillement son fond politique (au sens le plus élevé) : un couple de la haute société en train de se défaire, de ne pas renoncer aux désormais très puissants appâts d’un adolescence imbécile, couple dont la femme, politicienne humanitaire, est vouée par profession à l’amélioration des conditions de vie de prostituées devant par définition cesser de l’être ; un faux binôme mère-fille de manipulatrices elles-mêmes manipulées constitué en réalité de deux putes roumaines ; une mère aimant sa fille non sans regretter qu’elle soit ce qu’elle est, du fait peut-être d’un père absent ; une maladie fantasmatique, pour ne pas dire maladive, planant sur l’ensemble, et justifiant au passage les pires saloperies frigides ; subissant tout cela enfin, un homme, au statut très particulier, trouvant peut-être dans l’acceptation de tout le moyen de ne rien réellement céder, et dans l’aveuglement la possibilité de voir…
Je m’aperçois que dès que j’évoque cet homme, Richard, je dis : peut-être… Et que cela serve de conclusion.