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  • Welcome to Bronzeculand ! (2) : Independance Day

    L’Occident meurt en bermuda.

    Philippe Muray

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    Je dois cette nouvelle caricature du Pro-Fête à la persévérance incongrue de mon ami Alain Potent, du journal de préséance l’e-Monde, retourné au Palais de l’Elysée pour connaître l’opinion de Mickey Grenelle, PDG de Bronzeculand France (ex-République française) sur l’indépendance autoproclamée de la province serbe du Kosovo.

     

    ALAIN POTENT. – Mais alors, Monsieur Mickey Chef, quoi que vous en pensez, dites donc, de l’indépendance de ce Kosovo que vous avez reconnu ?

    MICKEY GRENELLE. – L’indépendance du Kosovo ? Une phrase de plus en plus pour moi, un grand pas pour le Jihad islamique. (Ah merde, ça, non, y follait pas kjel dise…) Eh ben quoi, c’est vachement bien, merde, la liberté !

  • Acte du Procès de l'Homme

    C’est une pièce de théâtre. En voici les personnages :

     

    La Justice.

    La Miséricorde.

    La Conscience.

    L’Ange gardien.

    L’Homme.

    Lucifer.

    Le Monde.

    La Chair.

     

    L’auteur de la pièce est inconnu. Un espagnol du XVI° siècle.

    Quant au texte, il ne fait guère plus d’une dizaine de pages. Dans l’édition de la Bibliothèque de la Pléiade, du moins. On la trouve dans le volume titré Théâtre espagnol du XVI° siècle. Elle est traduite par Jean Canavaggio.

     

    La pièce appartient à un recueil d’autos anciens, dont en notice Canavaggio nous dit ceci :

     

    « Entre les rares débats liturgiques que nous a légués le Moyen Age castillan, et l’auto sacramental qui s’épanouira au Siècle d’or, l’Espagne de la seconde moitié du XVI° siècle voit fleurir un théâtre religieux abondant, mais de qualité inégale, et partagé, semble-t-il, entre des courants divers. Le vestige le plus important de cette production mal connue est un recueil de pièces anonymes en un acte, communément appelé Codice de autos viejos de la Biblioteca nacional de Madrid. »

     

    Quatre-vingt seize pièces au total, cinquante mille vers.

    De ces autos anciens, trois sont publiés par la Pléiade : L’auto du sacrifice d’Abraham, L’auto du martyre de sainte Barbe et L’auto du Procès de l’Homme.

    (Je voudrais simplement préciser ici que je ne comprends pas le refus des spécialistes et traducteurs de rendre le terme auto par celui d’acte. Un auto da fe, qu’on brûle ou non des livres, est un acte de foi. L’idée d’acte, comme chacun sait, n’est pas étrangère au théâtre ; celle d’acteur encore moins, etc. Le Dictionnaire dramatique de La Porte et Chamfort (1776) consacre d’ailleurs une belle page à ces « Drames Saints » que sont les Actes sacramentaux.

    Je me suis donc permis de rétablir ici, au moins dans le titre de ce billet, le mot acte. )

    Voici la notice à L’Acte du Procès de l’Homme, toujours par Jean Canavaggio :

     

    « L’auto de la Residencia del hombre est une version développée d’une farsa sacramental du même titre, également incluse dans le recueil édité par Léo Rouannet. A la différence des deux autos précédents, cette pièce est indépendante de tout support historique ou légendaire. Son caractère allégorique apparaît d’emblée, tant sous les espèces de personnages qui sont des entités abstraites, qu’à travers un symbolisme juridique qui s’affirme dès le titre de l’œuvre et se manifeste dans les moindres détails jusqu’à la sentence finale. (La Residencia était, dans l’ancienne Espagne, le compte-rendu qu’était tenu de faire un juge de l’administration de sa charge). Le didactisme qui en résulte ralentit sans aucun doute la progression dramatique. Seules, les ressources du parler quotidien confèrent un certain relief aux interventions de l’homme, tout en faisant coïncider la hiérarchie morale des justes et des pécheurs avec la hiérarchie sociale et culturelle des juges et des accusés.

    Selon Rouannet, le sujet de cet auto dérive d’un débat célèbre dans toutes les littératures du Moyen Age, qui met en scène la damnation de l’homme et sa rédemption. Il est connu en France sous le nom de Procès du Paradis. C’est à cette tradition (dont procèdent d’autres pièces du recueil) que l’auteur aurait emprunté le symbolisme de l’intrigue, ainsi que les figures de l’homme, de la Justice, de la Miséricorde et de Dieu le Père. Quant à la trilogie classique des trois inséparables ennemis du genre humain – le Monde, la Chair et le Démon – il s’agit d’un lieu commun du drame liturgique européen.

     En dépit de cette filiation, l’originalité de cette pièce mérite d’être soulignée. Contrairement à ce qui se passait dans le débat médiéval, l’accusateur de l’homme n’est pas ici le diable, mais la Conscience ; quant à son défenseur, ce n’est plus la Vierge, mais l’ange gardien. De leur côté, Lucifer, le Monde et la Chair n’interviennent qu’à titre de témoins. Cette réélaboration du schéma primitif correspond à une évolution capitale : en effet, le thème central de l’auto n’est plus le péché originel, mais le péché en général qui, à la différence du précédent, peut être effacé par la contrition et la pénitence. A l’exaltation de l’Incarnation et de la Rédemption se substitue dès lors celle de l’Eucharistie, à quoi tend toute l’action dramatique et qui en constitue l’aboutissement. En ce sens, cette pièce sacramentelle destinée à la célébration de la Fête-Dieu illustre parfaitement, au sein du Codice de autos viejos, la recherche encore tâtonnante d’une formule dont l’auto caldéronien représentera la transfiguration. »

     

    Je vais maintenant essayer de découper en scènes ces dix pages, afin de vous en conter l’édifiante (au sens propre, merci) histoire :

     

    1. (C’est le jour de la Fête-Dieu, n’oublions pas.) D’abord, Justice et Miséricorde entrent (en chantant). C’est une scène d’exposition. Justice et Miséricorde annoncent qu’elles jugeront l’Homme, Justice qu’elle sera inflexible et Miséricorde… miséricordieuse.

     

    2. Ensuite, viennent l’Homme, la Conscience et l’Ange gardien. Dispute. L’Homme ne veut pas écouter ces deux filles-là, entend n’en faire qu’à sa tête. Dieu a lui donné le libre-arbitre, aussi n’est-ce pas leur volonté (à elles) qu’il veut accomplir, mais la sienne. « Je veux me divertir tout le temps que je vivrai (…). » Conscience décide de porter plainte, s’en va, laissant avec l’Homme l’Ange gardien qui se doit de lui demeurer attaché.

    (Note 1. Cette scène nécessite que la scène même – le plateau – figure un autre espace, et que les personnages Justice et Miséricorde n’y soient pas ; ou y soient comme n’y étant pas.)

     

    3. Conscience arrive au tribunal de la Justice. Elle est entendue par Justice et Miséricorde. Qui après examen, acceptent de juger l’Homme. Conscience part quérir l’Homme, tandis que Justice et Miséricorde discutent de la volonté de Dieu.

     

    4. Retour de Conscience, tenant l’Homme au collet, et accompagnée de l’Ange gardien. Ils s’acheminent vers le tribunal (voire note 1). Après que l’Homme promet de s’y rendre Conscience s’avise de les devancer afin d’y préparer l’exposé de ses griefs.

     

    5. L’Homme immédiatement entre au tribunal où déjà tout est prêt pour le jugement. Conscience accuse. L’Homme prend son Ange gardien pour avocat. Conscience demande à entendre trois témoins : La Chair, le Monde et Lucifer (et sort immédiatement les chercher). L’Homme s’indigne du procédé, l’Ange demande aux juges qu’il considère que les témoins ne sont pas dignes de foi (« ce sont les péchés en personne ! »).

     

    6. Retour de Conscience accompagnée des trois affreux. Ils vont vers le tribunal (voir note 1). Conscience derechef (elle est vraiment très motivée) décide de les devancer. Plan de bataille de Lucifer pour faire condamner l’Homme.

     

    7. Dans la foulée (aucune séparation formelle : les trois sont entrés au tribunal, qui statue illico) la Conscience présente ses témoins. Lucifer dit qu’il veut seulement dire la vérité. L’Ange gardien dit des trois témoins qu’ils sont en réalité complices et coaccusés. La Conscience justifie son choix. Sous couvert de dire la vérité, Lucifer charge l’Homme qui selon lui, refuse d’aimer Dieu et constamment L’offense. Le Monde enfonce le clou (si je puis dire) : orgueil, cupidité, vanité, avarice. La Chair en remet une couche (métaphore non filée) côté dépravations, débauches, etc. L’Ange gardien supplie l’Homme de s’amender. L’Homme hésite (et négocie) : « si je me confesse sur le champ (…), annulera-t-on ce procès de mes fautes et de mes erreurs ? ». L’Ange répond que oui. Confession « sincère » de l’Homme. Promesses. Miséricorde, en somme, demande que cesse la rigueur.

     

    8. Sentence (seule vraie séparation formelle dans le corps de l’Acte). Justice prononce que L’Homme, grâce à sa confession, « a part à la gloire divine, qu’il mérité le pardon de sa désobéissance et qu’il peut désormais entrer en grâce. » Il est certes absous d’une « juste accusation », mais Conscience est exhortée « à le harceler, l’instruire et le persuader sans cesse ». L’Homme accepte la sentence, promet de l’observer, file faire la fête (puisque c’est la Fête-Dieu).

     

    La pièce est finie.

  • La paix soit avec vous, de Vassili Grossman

     

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    Les éditions L’Age d’homme ont réédité en novembre 2007 les notes de voyage en Arménie qui constituent le dernier livre, écrit en 1962, de Vassili Grossman :

    La paix soit avec vous.

     

    (Je n’étais pas averti de l’existence de ce livre de l’auteur de Vie et destin.

    Le livre était pourtant arrivé chez mon libraire, parfaitement « anonyme » (si je puis dire), rangé bien debout en compagnie d’un paquet d’autres bouquins récents et guère promis à un brillant avenir commercial…

    Les gazettes, les journaleux littéraires n’ont pas fait mention, que je sache, de cette réédition (« franchement, qu’est-ce qu’on en a à foutre ? C’était déjà édité en 1989, j’imagine qu’on en a dit du bien à cette époque antédiluvienne… »). Ils avaient effectivement mieux à faire, ces médiocres, avec l’actualité de je ne sais quelle « rentrée littéraire » ; par exemple, encenser Crétin d’école, le dernier machin merdique de Daniel Pennajouir, et lui faire décerner par des collègues en médiocrité le Prix Ducon.

    Mais La paix soit avec vous ! Rien que le titre, ça fait ringard, non ? Alabama song, ça fait plus mieux, hein. Salut Bertolt Brecht ! Salut Jim Morrison ! Non, non, vraiment, La paix soit avec vous

    C’est son titre, si évidemment magnifique, n’en déplaise aux tocards, qui m’a mené à lui. – Et avec votre esprit, murmuré-je doucement, à la grande stupéfaction d’un libraire pourtant habitué à mes facéties imbéciles.)

     

    Traducteur qui ne parle ni ne comprend l’arménien de l’écrivain (1) – dont j’ignorais jusqu’au nom – Martirossian, Grossman raconte sa rencontre, selon les moments facile ou difficile, ratée ou réussie, avec la terre, le peuple et les coutumes arméniens.

    C’est un livre paisible et magnifique, oscillant entre poème et roman ; aux descriptions magnifiques des villes, paysages et personnes s’opposent parfois la trivialité de la vie, la petitesse physique, les humeurs de l’auteur.

     

    Ainsi (pour prendre un seul exemple) de cette arrivée à Erivan le 3 novembre 1961 où l’auteur, après ce long voyage depuis Moscou, somme toute heureux qu’on ne soit pas venu l’accueillir à la gare, entreprend de visiter seul la ville, la ville où les gens vivent et non les morceaux choisis qu’on expose aux touristes, et découvre l’importance de ces cours intérieures…

     

    « La cour intérieure ! Pas les temples ou les édifices gouvernementaux, pas les gares, ni le théâtre, la salle de concerts ou le palais à trois étages des grands magasins ! Les petites cours intérieures (2). Voilà l’âme, l’intimité d’Erivan… Toits plats, escaliers, petites enfilades de marches, petits corridors et balcons, terrasses de diverses tailles, des platanes, un figuier, de la vigne grimpante, des tables et des bancs : tout cela harmonieusement fondu, emboîté l’un dans l’autre, jaillissant l’un de l’autre… Des dizaines, des centaines de cordes, telles des artères et des fibres nerveuses, relient balcons et galeries. Sur les cordes sèche le linge vaste et bigarré des habitants d’Erivan : les voilà, les draps dans lesquels dorment et font des enfants  (2) les hommes et les femmes aux sourcils noirs, les voilà, amples comme des voiles, les soutiens-gorge des mères-héroïnes, les chemisettes des fillettes, les caleçons des vieillards arméniens, les culottes des bébés, les couches, les couvertures d’apparat en dentelle. La cour intérieure ! Organisme vivant de la ville dont on aurait soulevé la peau (toute la vie de l’Orient s’y révèle) (2) : la tendresse et les mouvements de l’intestin (2), les emportements, les liens du sang, la puissance du lien communautaire. Les vieux égrènent leur chapelet, échangent sans hâte des sourires, les enfants polissonnent, les réchauds fument – dans des bassines de cuivre cuit de la confiture de coings et de pêches –, les cuves à lessive se perdent dans la vapeur, des yeux verts de chat guettent des maîtresses de maison en train de plumer une poule. La Turquie, la Perse sont proches. »

     

    Un bref paragraphe plus loin :

     

    « Me voilà en train d’ériger mon Erivan : je broie, je concasse, j’aspire, j’absorbe le tuf rose, le basalte, l’asphalte et le pavé, le verre des vitrines, les monuments en l’honneur d’Abovian, de Chaoumian, Tcharents (3), les visages, le bruit des voix, la vitesse folle des voitures conduites par des conducteurs forcenés. Je vois combien il y a de grands nez, combien de mentons pas rasés, envahis de poils noirs, et je comprends que cela vient de ce qu’il est difficile de raser des barbes de fer (2). »

     

    Deux pages plus loin :

     

    « Moi, en seigneur et créateur, je parcours Erivan, je construis dans mon esprit l’Erivan qui, au dire des Arméniens, compte 2700 ans, la ville que Mongols et Perses ont envahie, celle qui a vu l’arrivée des marchands grecs et l’entrée de l’armée de Paskevitch (4), celle qui il y a encore trois heures n’existait pas.

    Et voilà que le créateur, le seigneur tout-puissant, se trouble, commence à jeter autour de lui des regards inquiets… »

     

    Que se passe-t-il ? Quoi donc interrompt soudain l’expérience spirituelle, poétique, quasi-mystique (quoique déjà légèrement ironique, peut-être) de l’auteur ?

    Une bête et banale envie de pisser.

    Laquelle ne trouve nul lieu où décemment s’assouvir.

    Pourquoi ? Parce que les cours intérieures, justement, sont pleine de vie, et donc pleines de gens, et qu’on n’y peut, comme à Moscou, discrètement pisser…

    Voilà.

     

    Il est aussi question, bien sûr, du culte de Staline et de l’antisémitisme stalinien – passages du livre qui seront coupés, censurés pendant vingt ans ; il est aussi question du génocide perpétré par les voisins turcs, et de ses séquelles.

    Il est question du christianisme arménien et, sous lui (pour ainsi dire), du paganisme archaïque encore perceptible, sinon visible. (Que de censure, là aussi.)

    Il est surtout question, en fait, d’un peuple, d’une terre.

     

    La paix soit avec vous est un livre d’une très grande humanité (5).

     

     

     

     

     

    (1) Je tiens Vassili Grossman pour un modèle d’honnêteté ; aussi m’empresserais-je d’ajouter qu’il ne traduit pas seul le livre en question.

    (2) Les italiques ne sont ni de V. Grossman, ni bien sûr de moi ; elles indiquent les coupes qui furent pratiquées dans le texte par la censure soviétique.

    (3) Ecrivains arméniens.

    (4) Paskevitch (1782-1856), feld-maréchal russe.

    (5) Comme je ne suis pas du tout convaincu de mon talent de critique, et que d’autre part je résiste, pour ne pas allonger trop mon texte, à citer des pages entières du livre, j’entreprends ici de recopier intégralement la quatrième de couverture, due au préfacier Shimon Markish (dont je ne sais rien) :

     

    « La paix soit avec vous, l’une des dernières (sinon la dernière) œuvres de Vassili Grossman, est à lire comme le testament d’un écrivain, le bilan de sa vie.

    A l’automne 1961, Vassili Grossman, malade, désespéré par la saisie de son dernier roman Vie et destin, accepte de passer un mois et demi en Arménie pour travailler à la mise en forme littéraire d’un roman traduit de l’arménien. Sa tâche accomplie, il entreprend, le 30 décembre 1961, de rédiger ses « impressions arméniennes ».

    Prenant le prétexte de « notes de voyage », Vassili Grossman parle ici de ce qui lui tient de plus à cœur : le peuple, les gens « simples » pas si simples que cela, le martyre arménien (et, parallèlement, le martyre juif), la foi, la poésie, l’art.

    Impossible, en lisant ce livre, de ne pas songer à Vie et destin. Car tous les thèmes, tous les motifs y ont été puisés. Mais La paix soit avec vous, véritable « poème », est un livre lumineux, empreint de lyrisme et de sérénité. Au soir de sa vie, Vassili Grossman jette sur le monde et lui-même un regard plein de compassion et d’ironie mêlées. La joie l’emporte sur la souffrance, et la foi en la bonté sur l’amertume. Jamais l’auteur n’a montré tant d’abandon, jamais il n’a mis à nu, avec une telle sincérité, son âme et son corps.

    Refusant la suppression de certains passages où il évoque l’antisémitisme soviétique, Vassili Grossman ne verra pas la publication de son texte. Celui-ci ne paraîtra qu’après sa mort, en 1965 et 1967, avec, dans les deux cas, les coupures exigées. Il a fallu encore vingt ans pour que la censure soviétique autorise enfin la publication du texte intégral, tel qu’on pourra le lire ici dans sa traduction française. »

  • En lisant René Girard (2), une didascalie de Giraudoux

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    On trouve, au début d’Achever Clausewitz, entretiens de René Girard avec Benoît Chantre, l’idée que l’ « action réciproque » – terme clausewitzien emprunté aux tables des catégories de Kant – conduisant à la « montée aux extrêmes » est identifiable aux termes girardiens de « principe mimétique », et de « médiation double ».

    Benoît Chantre, p. 39, amène ainsi la chose :

    « Ne peut-on pas dire alors que si la politique court derrière la guerre, il nous faut penser l’action réciproque à la fois comme ce qui provoque cette montée aux extrêmes et ce qui la diffère ? Le principe mimétique, cette imitation du modèle qui devient imitateur à son tour et entraîne un conflit redoublé de deux rivaux, cette action réciproque que vous appelez « médiation double » dans vos livres, n’est-elle pas ici définie comme le moteur autonome de l’histoire ? »

    Et René Girard de répondre en détail, un peu plus loin, p. 44-45 :

    « Il est donc vrai que l’action réciproque provoque et diffère à la fois la montée aux extrêmes. Elle la provoque si chacun des deux adversaires se comporte de la même manière, répond aussitôt en calquant sur l’autre sa tactique, sa stratégie et sa politique ; elle diffère la montée aux extrêmes, si chacun spécule sur les intentions de l’autre, avance, recule, hésite, en tenant compte du temps, de l’espace, du brouillard, de la fatigue, de ces interactions constantes qui définissent la guerre réelle. (…) L’action réciproque peut donc être à la fois source d’indifférenciation et créatrice de différences, fauteur de guerre et facteur de paix. Si elle provoque et accélère la montée aux extrêmes, les « frictions » propres au temps et à l’espace disparaissent, et cela ressemble étrangement à ce que j’appelle « crise sacrificielle », dans mon approche des sociétés archaïques. Si, au contraire, l’action réciproque diffère la montée aux extrêmes, elle vise à produire du sens, des différences nouvelles. Mais tout se passe, encore une fois, pour des raisons que j’ai maintes fois tenté d’élucider dans mes livres, comme si c’était l’imitation violente qui l’emportait aujourd’hui : non plus celle qui ralentit, freine le cours des choses, mais bien celle qui l’accélère. Les conflits en cours en donnent maints exemples inquiétants. Nous commençons à entrevoir que la retombée d’un conflit n’est toujours qu’apparente, et laisse ouverte une possibilité de rebondir de façon plus violente encore. »

     

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    Il y a un moment que je veux écrire une note sur la didascalie ouvrant le premier acte de La guerre de Troie n’aura pas lieu, de Jean Giraudoux.

    Je ne savais trop comment amener brièvement cette phrase apparemment plate et descriptive, pour qu’elle soit comprise dans sa profondeur à la fois concrète et poétique ; et voilà que c’est la lecture de Girard qui m’en donne l’occasion. Notamment ces phrases-ci :  Les conflits en cours en donnent maints exemples inquiétants. Nous commençons à entrevoir que la retombée d’un conflit n’est toujours qu’apparente, et laisse ouverte une possibilité de rebondir de façon plus violente encore.

    La guerre de Troie n’aura pas lieu est une pièce écrite (et représentée pour la première fois au Théâtre de l’Athénée sous la direction de Louis Jouvet) en 1935.

    La guerre de Troie, comme on sait, aura lieu. Et elle n’est pas n’importe quelle guerre. Elle est la guerre après laquelle Troie n’existera plus. (De vilains esprits objecteront peut-être que de ce sac d’Ilion naîtra plus tard, vers l’Ouest, Rome.)

    Voici enfin cette simple phrase ouvrant et le premier acte et la pièce :

     

    « Terrasse d’un rempart dominé par une terrasse et dominant d’autres remparts »

     

    De tout cela ne restera rien : ni terrasse ni rempart.

  • Welcome to Bronzeculand ! (1)

    Toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé serait purement paranoïaque.

     

    (Je suis désolé de vous le dire, mais je me serais volontiers passé d’écrire un truc pareil ; ce n’est pas du tout ce que je voulais faire, mais c’est parti comme ça, d’un jet. Bien sûr, je sais que les propos qui suivent n’auraient en aucun cas pu être tenus par le Président, ni d’ailleurs par moi-même. Je ne décline pourtant aucune responsabilité, bizarrement. Je me dis simplement – mais n’est-ce pas encore une manière d’excuse ? – qu’il est tout à fait navrant, voulant singer et amplifier la situation actuelle, d’en être arrivé à écrire de telles atrocités, et dans une langue si débile.)

     

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    Ce qui suit est une interview inédite du Président de la République française (Michel – dit Mickey – Grenelle) par le journaliste débutant Alain Potent, du journal l’e-Monde, telle qu’elle fut enregistrée…

    Sur le document vidéo, on peut voir Mickey Grenelle en short et chemisette dans les jardins de l’Elysée, un verre de Saint-Estèphe 1968 à la main et surveillant d’un œil expert la cuisson des merguez sur le barbecue présidentiel…

     

    ALAIN POTENT. – Monsieur le Président…

    MICKEY GRENELLE. – Merde alors, vous êtes ringard, vous. N’avez qu’à m’appeler Mickey, comme tout le monde.

    ALAIN POTENT. – Bien, Monsieur le Président…

    MICKEY GRENELLE. – Mais vous êtes bouché, ou quoi, Alain Potent ? M’encore appeler Monsieur le Président ! Vous êtes pas gonflé à moitié, vous ! Comme si je ne faisais pas tout pour la niquer total, la fonction présidentielle. Comme si je ne l’avais pas en six mois laminée, exterminée, six pieds sous terre enterrée, hein ? Vous imaginez de Gaulle à poil à la plage, avec sa bobonne ? Et Mitterrand avec sa maîtresse, non plus hein ? C’est que je suis transparent comme un miroir sans tain de salle d’interrogatoire, moi. Faut juste être du bon côté de la transparence, c’est tout…

    ALAIN POTENT. – Comment dire ? Pouvez-vous nous dire où que vous en êtes avé la France ? Vu que ça n’a pas l’air de fort marcher pour vous dans les sondages, Monsieur Mickey.

    f752bea3144b7b7c07639aca7b819171.jpgMICKEY GRENELLE. – La France ? Mais qu’est-ce que c’est que ça, la France ? C’est terminé, cette merde. Posez-moi plutôt sur ma femme des questions ; et peut-être alors que je vous répondrai après à une – une, hein, et pas deux – à une question sur la France, là, comme vous dites…

    ALAIN POTENT. – Bien, bien, Monsieur Mickey. Comment elle va, votre épousée ?

    MICKEY GRENELLE. – Merde alors, vous n’avez pas plus subtil comme question, merde. Un grand journal comme le vôtre, vous voulez y rester ? Il faut que je les fasse, ou quoi, les questions, merde. C’est que je vais vous l’appeler, moi, votre Directoire, et vous allez voir qu’est-ce que je vais lui-z-y faire, moi, napoléonien comme je suis donc. Demandez-moi donc comment que ça va, mon couple ?

    ALAIN POTENT. – Comment que ça va, votre couple, Monsieur Mickey ?

    MICKEY GRENELLE. – Bonne question. Eh bien, ça va vachement bien. Je m’occupe d’une femme qui souffre. Dolorès, c’est quelqu’un, n’est-ce pas ? Pas vrai qu’il faut sans doute souffrir pour ne pas comme ça réussir à se poser, hein. C’est qu’elle en a taillé, des pipoles, avant d’échouer sur ma gueule, Dolorès. Une vraie âme d’artiste, tout écorchée en plus, hein, la Blondie. Même qu’elle s’est faite refaire le nez, Dolorès. Faut-y pas pour de vrai souffrir, au point de les pas supporter, les imperfections de son narcissisme, hein, Alain Potent ?

    ALAIN POTENT. – Peut-être, peut-être, je ne sais pas, moi, Monsieur le Président. Mais bon, sinon, la France aussi elle souffre, non, vous ne trouvez pas, vous ?

    MICKEY GRENELLE. – Mais oui qu’elle souffre, la salope, enfin, comme toutes les bonnes femmes, si vous voyez qu’est-ce que je veux dire. Et ça n’est pas prêt de prendre fin, avec toutes les fausses couches que j’ai sous le coude…

    ALAIN POTENT. – Ah, bah, mais dites donc, les gens de la France, ils ne vous auraient tout de même pas un peu élu comme Président de leur République, non ?

    67f2d6db0e5ccae26cbd13401a2a2c1b.jpgMICKEY GRENELLE. – Mais c’est de l’histoire ancienne, ça, Potent ! Vous déraillez total ! Dites-moi pas que vous croyez encore à ces fadaises, hein, merde. Non mais je rêve. Et puis quoi encore… D’ailleurs, une fois que ça a été fait, c’était fini, couru d’avance. Alors, venez donc pas me parler de la France, hein ? Qu’est-ce que c’est que ça donc, la France ? La Fille aînée de l’Eglise ? Mais vous datez, mon vieux, vous datez. La République ? Mais la République aussi c’est fini, sombrée qu’elle est dans la démocrassie d’opinons-tous-ensemble-en-râlant-comme-des-veaux. Bref merde, vous voulez que je vous dise un peu qu’est-ce que c’est, la France ?

    ALAIN POTENT. – Je dois vous avouer que ça arrangerait pas mal mes bidons, en effet. D’autant que je suis simple pigiste, moi. Les têtes d’affiche du canard, ils sont tous en récup, épuisés de vous suivre d’Eurodisney à Louxor et de Washington à Pékin et de Téhéran à Tel-Aviv…

    557702b827c2d0500c42a1cc0a870d97.jpgMICKEY GRENELLE. – Eh bien mon vieux Alain Potent, entre nous je vais vous dire : La France, c’est la première destination touristique du monde, ouais. La première. Et même pas besoin de compter dedans les immigrés musulmans, clandestins ou pas (venez, venez, les gars, y en aura pour tout le monde avec même pour la forme deux-trois retours gratis qu’on peut gagner à la supertombola). La toute première d’Europe aussi, avec tout plein de Boches bouffeurs de saucisses et tout et tout, des Zollandais aussi, des Rosbeefs, et même des Suédoises. Vous ne comprenez pas, hein, Potent ? La France, c’est le bronze-culs de l’Europe. C’est pour ça que nous, les pipolitiques, on envahit les plages, et pas façon D-Day je peux vous le garantir. Avec pin-up et compagnie. Je vais même vous dire : Marilène Broyal, elle aurait pas fait mieux, je peux vous le dire. Pareil au même, elle se serait tapée un chanteur de droite type Barbelivien ou Hallyday, histoire de faire l’ouverture de la foire, et puis voilà, roule Mimile. Mais les plages, bordel, les plages, c’est là que ça débarque. La guerre économique, c’est là qu’elle est, et pas t-ailleurs. D’où vlà qu’il fallait bien la niquer, la fonction symbolique de Président à costume trois pièces, c’est d’un ringard, bordel de merde. La France, c’est Bronzeculand mon pote, et moi donc j’en suis le simple PDG à parachute doré du bordel, et pas bégueule avec ça, même qu’aussi je fais Gentil Organisateur. Une plage, un minaret. C’est ça l’avenir. Un coup USA, un coup Ben Laden.

    ALAIN POTENT – Je comprends, je comprends. Mais n’empêche, et ceux qui disent comme ça que vous êtes philosémite alors ? Parce que ça se dit, ça, hein, que vous seriez  copain avec des juifs, non ?

    557a726e178c6dec2ca887db0212b7c0.jpgMICKEY GRENELLE. – Aussi, évidemment. On voit que tu n’as jamais ramé avec une seule pagaie, mon gars. Pour aller tout droit, faut bien donner un coup de chaque côté, non ? Et si on ne fait pas en sorte que les juifs de France restent en France, eh bah sur la tronche de qui alors qu’on pourrait bien réconcilier tout le monde, merde ! Au cas qu’on se taperait une guerre civile, laquelle qu’on fait tout pour l’éviter en bâtissant mosquée sur mosquée, ça usine comme aurait dit je ne sais plus quel poète… D’ailleurs, c’est comme ça pour tout, c’est une question de moyenne, de statistique, la pipolitique : au lieu que les gens sont tous habillés normalement avec des habits, si tu as une pétasse à poil jambes écartées et une gentille gonzesse laïque en total burka, statistiquement c’est pareil au même, non ? Même poids de fringues par personne en moyenne… Sans compter que même les féministes trouvent tout ça tout chouette à max. Jamais le monde mondial mondialisé universel s’est autant joué sur l’image des gonzesses, d’où ma Dolorès, tu piges, Alain Potent ? Bref, j’appelle ça la laïcité positive, moi, parce que du négatif de toute façon, c’est interdit, prohibé. Y en aura pour tous les lobbies, toutes les communautés, on ajuste, on ajuste à la demande, et même qu’on te les réajuste en temps réel, les ajustements d’hier qui sont déjà dépassés. A grands coups de lois du bonheur. Pas de clopes, pas de gnôle, plus de bonbecs pour les gosses, un coup coca  amerloque sans sucre ajouté, un coup pas de cochon dans les écoles, charia sur fond de marchés financiers à l’horizon 2012. Je vais vous la faire, moi, l’Europe. Ce soir, c’est merguez à l’Elysée. Cigare ou pinard, Potent ?

    ALAIN POTENT. – Plutôt cigare, moi. C’est pas un lieu public, l’Elysée ?

    38ed4e8b53bc2f70b58e23c0e6b97de8.jpgMICKEY GRENELLE. – Ta gueule. Une petite transgression de temps en temps n’a jamais fait de mal à personne. D’ailleurs, c’est Fidel qui me les bazarde à pas cher.

    ALAIN POTENT. – Bah pourquoi pas alors.

    MICKEY GRENELLE. – Bien, Potent, bien. Allez, maintenant, allume ton machin et casse-toi, Dolorès va venir me chanter sa chanson.