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pâques

  • Le premier avril durera toute la vie...

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    Peu de choses nourrissent réellement.

     

    La plupart des choses fabriquées aujourd’hui servent à abrutir encore ceux qui paient pour les acquérir.

     

    C’est la crise.

    Alors ? Faut-il relancer l’économie par la consommation ou par l’investissement ?

     

    Je rigole.

     

    Des gens crèvent de froid.

     

    Notre abrutissement est devenu vital.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Une clope de Pâques

     

     

     

     

     

    A six heures trente, je suis sorti de la maisonnette de vacances à l’équipement standard tout au bout de la petite ville et, sous un crachin léger de neige fondue, j’ai regardé longuement le paysage désolé devant moi, la rivière grise et rapide aux reflets marron noir, les arbres encore d’hiver, le pont métallique d’un vert atroce sur le chemin de fer qui semble-t-il ne sert plus, les maisons vieilles parsemées sur les monts ternes. Sous le ciel gris pâle aux nuances de plomb, la vue déployait cette sérénité de la tristesse, immense et majestueuse, finalement reposante. Cette vallée du Lot, à tout prendre, et à rebours de l’imagerie touristique, aurait pu aussi bien être une vallée d’Ardennes ou du Jura, des Vosges ou de Haute-Marne, tant est présente cette parenté de pauvreté et, à travers elle, cette humilité somptuaire des hommes qui travaillent la terre, qui travaillent à la terre et ressemblent à leur terre, ce monde ancien, déjà cassé, que nous voulons détruire encore, ce monde simple et dur dont, compliqués et mous pour rien, nous sommes l’antithèse, ce monde qui ne nous fait plus même honte, ce monde que nous voulons oublier et que donc, nous ne voyons déjà plus, ce monde de silence que notre indifférence de bruit et de fureur ravage absolument, ce monde témoignant aujourd’hui du passé de nos pères et dont nous ne voulons plus rien savoir ou aimer, tant nous sommes occupés et possédés à jouir sans retenue de nos déprédations bariolées. Pas davantage que nous ne voulons aimer ou savoir ce monde ancien, nous ne parvenons ordinairement à comprendre la haine lente qui nous meut, la haine insue qui nous commande, nous qui en elle nous mouvons comme naturellement, cette haine désormais qui est l’air même que nous respirons. Il y a sur la rivière une digue de grosses pierres que des mains d’hommes ont jadis assemblée, une grue de chantier de métal gris aux terminaisons jaunes, et partout alentour dans ce dimanche de Pâques qui dort, des tâches de verdure morne dans un pays marron gris.

    Mon café à la main, j’ai allumé une cigarette et je me suis dit que les paysages tristes et souvent anodins des campagnes de France étaient ce qui restait de la vieille Chrétienté ; que ce paysage sous mes yeux, comme tant d’autres, était plus chrétien en tout cas que cette église désaffectée puis réaffectée à autre chose, et peu importe quoi, dans laquelle, hier, nous avons joué notre spectacle, Ce que j’ai fait quand j’ai compris que j’étais un morceau de machine ne sauvera pas le monde ; que ce festival pour lequel j’étais là, pour lequel mes compagnons endormis et moi avions fait ce voyage, que ce festival de vulgarité et d’abjection qui avait en sa programmation coincé mon produit de consommation culturelle entre les compagnies aux noms évocateurs : Mornifle et La Torgnole, était en somme sinon le plus imbécile des fleurons de notre époque, du moins le plus significatif et le plus voué à l’expansion et donc aussi le plus assassin. Je me suis dit aussi que je travaillais décidément au cœur même de la haine et de la destruction, dans la plus grande entreprise de déculturation, fonctionnant maintenant, depuis deux bons siècles qu’elle est sur le marché, à son rythme de croisière, et qui prend donc le nom désormais monstrueux de culture ; laquelle entreprise ne se contente pas seulement d’installer ses chapiteaux mortifères à côté des églises, mais vient faire au-dedans éclater sa parole de néant, sa sinistre parole nivelant d’une autorité qu’elle ne s’avoue pas détenir toutes les aspérités réelles de la vie, son abjecte parole horizontalisant de force toute velléité même de verticalité, sa parole enfin criminelle de préparer ainsi la voie au tout proche discours de haine enfin avouée qui finira d’achever cette civilisation à l’agonie, allah akbar. Je me suis dit encore que mes petits sabotages internes à cette machine de mort, si tant est déjà qu’ils ne sont pas l’excuse d’un cerveau débile, ne serviraient de rien tout simplement parce que cette machine dysfonctionne pour fonctionner, et que, même si je le sais, même si je le dis, même si je le hurle, ce ridicule dysfonctionnement picrocholin ne donnera pas même un hoquet à cette machine, ne suspendra pas un millième de seconde sa destruction de croisière. Et dans le même temps, ce paysage me reposait, et pas seulement de mes trois heures de mauvais sommeil pourri d’alcools ; ce paysage me reposait de moi, il me lavait ; plus, ce paysage simple et grandiose, à l’éradication totale duquel je travaille, et qui agonise sous notre travail de fossoyeurs ludiques et forcenés, trouvait encore, du fond de sa douleur, la force de pardonner son assassin. J’ai lancé le mégot dans l’herbe, et je suis rentré boire un autre café, faire mon sac, réveiller mes compagnons… Adieu Figeac et les rives du Célé, nous avions la France à traverser, ce jour de Pâques.