Le passage qui suit est extrait de Ce que j’ai fait quand j’ai compris que j’étais un morceau de machine ne sauvera pas le monde, de Pascal Adam (c’est moi). Il est prononcé par le personnage de ce monologue, Joseph Vronsky, lequel est interprété par Fabien Joubert. A ce moment-là, nous en sommes au treizième texte, lequel a pour titre : « Les Erinyes nouvelles sont arrivées ». (Les photos sont de Thierry Robert.)
Ma brave maîtresse Zoé n’est pas seulement folle du cul ; elle est aussi férue de science-fiction. Elle a donc, elle aussi, des idées sur le monde ; et pire, elle ne se prive pas d’en parler.
Elle me parlait donc, l’autre jour, nue et encore allongée sur le ventre, de notre avenir de cyborgs, de la biotechnologie en cours, des manipulations du génome, de la progression nanotechnologique, de la soumission de l’espèce à la technomédecine, de la fabrication industrielle des bébés, et des intérêts capitalistiques énormes qui sont en jeu ; et du fait qu’il fallait, comme de bien entendu, résister.
Oui, oui, résister.
Je l’ai regardée, j’ai allumé une cigarette.
– Est-ce que tu prends la pilule, toi ?
– Bah évidemment.
– D’après toi, combien de milliards de dollars rapporte le pilulage systématique des filles de quinze ans à l’industrie pharmaceutique ? Ce n’est pas de la biotechnologie, ça ? Si le plaisir sexuel pour tous n’était pas une idée libératrice de gauche cool, ah, ah, on pourrait presque se sentir manipulé par le grand capital techno-impérialiste…
– Merde, Joseph, tu n’es tout de même pas contre la pilule ?
– Evidemment non, dis-je en lui tapotant délicatement le cul, évidemment non. C’est très pratique. Seulement voilà. Aucune civilisation n’avait jamais décidé de sacrifier sa démographie pour que ses sujets puissent s’envoyer en l’air. C’est sous label démocratique « liberté, égalité, stérilité » entrer directement dans l’ère de l’être humain à l’époque de sa reproduction technologique. Amen.
– Tu es fou, mon Joseph.
– Mais non. Regarde, Zoé…
– Je te suce ?
Evidemment, j’arrêtai là mon désolant débat vehmique sur la pilule. Il faut savoir se taire. Je n’allais tout de même pas, tandis qu’elle me suçait, lui parler des tribus sud-américaines exterminées en tant que population-test. Non seulement les femmes n’enfantaient pas, mais en plus elles mouraient. Les mâles, bizarrement, n’ont pas survécu très longtemps. Evidemment, comme nous sommes tous moralement actionnaires de ce système, la culpabilité est tellement disséminée qu’il n’y en a plus du tout. Il se peut d’ailleurs que nous sachions vaguement qu’une façon d’extermination comparable nous attend nous aussi, bientôt.
Personnellement, tant que je bande, je m’en fous. Comme quoi, il reste là-dedans de l’humain. Mais contre soi-même comme un gant retourné. Et tant mieux.
Le suicide en chantant nous ouvre la barrière.
Soyons concret un peu, merde. Nous ferons tout ce qu’on nous dira. Il suffira, comme pour cette pilule, de croire à l’emballage, la propagande. Qui ne nous présentera bien sûr que des progrès indéniables, de vraies libérations.
Les récalcitrants bien sûr seront diabolisés sous des noms infamants.
Ce que l’empire conquiert, ce sont nos corps.
Nous sommes des possédés.
Des possédés dépossédés.