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tabac

  • Des malles

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Il avait toujours un peu fait ça, finalement, ne rien faire et chauffer au soleil sur son banc une maïs qu’il ne pensait pas à fumer plantée à la gueule.

    Un jour, je n’y tenais plus, j’avais descendu les trois marches du perron à la main une bouteille et deux verres et je m’étais assis à côté de lui.

    Qu’est-ce que tu fais, mon vieux ?

    J’ai rempli les deux verres dans son silence.

    Poème.

    Il a dit ça, pas fort du tout, ou bien c’est ce que j’ai entendu.

    Eh bien, écris-les sur du papier tes poèmes et je les ferai circuler.

    Il avait alors comme chassé une mouche.

    Je crois bien que je l’emmerdais et qu’il se serait levé s’il lui était resté plus d’une jambe.

    Pas des poèmes, un.

    Ça m’avait laissé coi.

    Mon verre était fini et il n’avait pas touché au sien.

    Un seul poème ?

    Il avait comme encore chassé une mouche.

    J’ai allumé une cigarette en regardant la sienne toujours immobile au coin de ses lèvres.

    Merde, et il raconte quoi ?

    Il n’a pas chassé de mouche cette fois-là, il a seulement fait une sorte de moulinet pas fini qui semblait vouloir pourtant prendre tout avec lui.

    Ça n’était sans doute pas un poème pour les trous du cul de la ville ni pour les bouseux de la cambrousse.

    Ce jour-là, j’avais donc bu pour nous deux la bouteille et grillé  plusieurs clopes tandis que la sienne demeurait immuable. Puis le silence des jours était revenu comme chez lui.

    Dans sa chambre, quand plus tard je l’ai débarrassée, j’ai trouvé des tas de documents sur la guerre depuis en gros qu’on s’en souvient. Et d’autres malles encore que j’ai refusé d’ouvrir avant de les foutre au feu.

    Il avait toujours un peu fait ça, finalement, ne rien faire et chauffer au soleil sur son banc une maïs plantée à la gueule, mais dernièrement il ne faisait pour ainsi dire plus que ça.

    Il avait l’air de ne rien faire, mais si on regardait bien, on pouvait deviner qu’il était sur trop de fronts à la fois. Mais je dis ça après coup.

    A un moment, il a juste basculé lentement sur le banc.

    Il avait pile soixante piges. Je l’ai fait enterrer avec son vieux bouquin tout annoté de la guerre du Péloponnèse.

    Je crois qu’il faisait un poème pour les soldats qui ont bien raison de ne rien lire, alors à quoi bon écrire même une broque, hein.

    Après, il n’y a plus eu qu’à vendre la maison à un connard qui l’a rasée peu après.

    Bien sûr, tout l’intérêt de ce texte tient dans l’étrange emploi qu’il fait des temps du passé.

     

     

     

     

  • Prohibition/Speakeasy (note pour un cabaret)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Il s’agira d’un cabaret sans public et dont les représentations n’auront lieu nulle part. Ce ne sera pas à vendre et nous y dirons ce que nous voudrons comme nous voudrons. Nous ne demanderons de conseils à personne, ne reconnaissant à personne une telle autorité. Comme tout n’est plus que comm’, ce cabaret ne sera que son making of et il n’aura pas lieu. Il ne transgressera rien et son humour, espérons-le, ne sera pas drôle du tout. Par exemple, il ne nous viendra pas à l’esprit de dire à quelque censeur que ce soit : on vous emmerde. Pourquoi ? Parce que, exceptionnellement, il n’y aura pas de censeur.

     

     

     

     

     

     

     

    BOIRE UN VERRE

    FUMER UNE CLOPE

    PARLER LIBREMENT

     

    NOUS AGISSONS AUX FRONTIERES DE LA LEGALITE

     

     

     

     

     

    [En revanche, vous pouvez envoyer vos dons.]

  • Où il ne se passe rien

     

     

     

    Petite ville ruinée sur la Meuse, ciel plombé, septembre.

    Je suis le seul client du café-cantine. Derrière le comptoir, deux jeunes gens ; lui, en survêtement de supporter, elle, je ne sais plus comment. J’ai parcouru le canard local, je  trie à présent les notes dans mon portefeuille. Radio de merde en fond sonore. Défilé de paroles imbéciles, chansons tristes. Pubs.

    Un couple entre, ils ont quatre-vingts ans passés. La dame s’assied à côté de moi, le monsieur s’approche du comptoir pour passer commande.

    Il dit aux jeunes gens :

    – Ils sont devenus quoi, les anciens patrons ?

    Le jeune type ne répond pas, hausse discrètement les épaules, regarde ailleurs ; la jeune femme répond :

    – Oh, mais ils sont là, ils sont là, en cuisine.

    Puis elle s’en va derrière :

    – Papa, y a un monsieur qui te demande, c’est un ancien client…

    – J’arrive, dit le père affairé en cuisine.

    Pendant ce temps, le vieux monsieur précise qu’il a travaillé chez M*** jusqu’en 84, quand ça a fermé.

    Tout a fermé depuis. Toutes les usines. Sauf une forge. Familiale. Cette ville est trou. Elle se dépeuple. Seul son hôtel de ville tout blanc, que je vois par la fenêtre, témoigne d’une prospérité passée. La prospérité de quand la ville votait communiste ; de quand les usines tournaient à bon rendement.

    – On va prendre un café et un demi, dit le vieux monsieur.

    Le père arrive. Pas loin de soixante.

    Il regarde le vieux monsieur. Ne le reconnaît pas. S’en excuse en écarquillant les yeux.

    Le vieux monsieur répète qu’il travaillait chez M***, jusqu’en 84, quand ça a fermé. Ajoute qu’il déjeunait là tous les midis, avec l’équipe.

    Le père aimerait bien le reconnaître, ça l’arrangerait, mais pas moyen.

    Deux ou trois paroles banales, pour meubler. Chez M***, jusqu’en 84, quand ça a fermé.

    T***, le contremaître. Assez sympa.

    Lui, le patron le remet. Il passe encore, défois, T***.

    Le patron retourne en cuisine. Il a à faire, bientôt midi. Le vieux monsieur va s’asseoir face à sa femme. Je le regarde, entre deux notes à jeter. Le jeune homme en survêtement de supporter amène un demi et un café. A la radio, un connard raconte qu’en jouant, on peut gagner des millions.

    Le couple parle peu. Le vieux monsieur me regarde un instant.

    – Vous voulez le journal, monsieur ?

    Il acquiesce. Je lui tends le torchon.

    Je commande un autre picon et sors fumer.

    De la place, on voit la forêt tout autour, les montagnes.

    A côté de moi, un présentoir de presse exhibe une actrice en plastoc, quelconquement belle, son bras nu lascivement replié sur sa tête. Pose toc en sous-vêtements. Le magazine titre : «  Je suis de plus en plus honnête avec moi-même ». Rien à foutre. Menteuse.

    Je balance mon mégot, retourne à mon picon.

    La jeune femme dépose les entrées dans les assiettes. Menu unique pour tous.

    Des hommes arrivent pour déjeuner. Ils rient. Parlent fort. Serrent la main de chacun.

    Le vieux monsieur met des sous sur la table. Sa femme se lève. Ils sortent.