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Theatrum Mundi - Page 141

  • Malraux est grand et BHL n'est pas sur la photo

    En réponse à une internaute, suite à mon billet sur ce brave BHL :

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    Chère madame,

    Vous me dites que j’exagère. Sans doute.

    Mais c’est BHL, et non pas moi, qui, au moment de dire que la laïcité n’est pas une religion, trouve judicieux d’intituler son article : Les dix commandements de la laïcité.

    A titre d’exercice, prenez les Dix Commandements de la Bible, notez-les, puis rayez ceux qui déjà n’ont plus du tout cours, ou ont tellement d’exceptions qu’ils sont sur la voie de la pure et simple caducité.

    L’idée me vient d’ailleurs en vous répondant que peut-être la République ne veut pas autre chose – l’ignorerait-elle (et certes il ne faut pas compter sur des vendus à la BHL pour chasser les temples du marché, sans parler même de l’inverse…) – que la fabrication d’un grand marché global (à l’américaine) où toutes les soi-disant religions, ramenées toutes à leur plus petit dénominateur commun et toutes égales entre elles, sinon pas identiques, formeraient ensemble, et sous couvert de laïcité donc, un nouveau polythéisme – athéisme et agnosticisme inclus – s’hybridant sans cesse, dont les piliers seraient les anciens monothéismes relativisés et, comme je le disais hier, « démilitarisés ». Les fidèles, plutôt attachés à telle divinité, pourraient de temps en temps, selon les occurrences, dont certaines seront bien vite festivement et œcuméniquement conseillées, voire imposées, faire appel (ou rendre grâce ou ce que vous voulez) à telle autre n’appartenant pourtant pas à leur confession d’origine.

    Un nouveau paganisme, en somme.

    Lequel se trouve être, selon moi, le fantasme originel de la prétendue laïcité. La République nous revient tout droit de la Rome païenne, et la démocratie de la Grèce polythéiste (dont je ne nie bien évidemment pas les apports immenses par ailleurs). Il s’était agi, en somme, et ce mouvement avait innocemment débuté à la Renaissance, de revenir avant le christianisme…

    Fantasme qui, au vu de notre époque merveilleuse, est devenu déjà son utopie, puis son idéologie, et dont la réalisation désastreuse semble en cours.

    Le retour en somme de Fabre d’Eglantine et de son calendrier révolutionnaire débile, version XXI° siècle.

    Et certainement aussi, de la Terreur.

    Car bien sûr rien de tout cela ne tiendra.

    Toute considération partisane à part, la République est bien trop faible pour tenir dans la réalité son fantasme.

    1606362721.jpgOui, Malraux avait raison, qu’il ait effectivement dit cette phrase ou non : « Le XXI° siècle sera religieux ou ne sera pas ». Mais je suis tenté d’entendre religieux ici au sens de René Girard, pour qui le christianisme justement est une sortie de la religion, c’est-à-dire au sens du religieux archaïque et de la violence mimétique, de la montée aux extrêmes et de la réconciliation de ces extrêmes sur un bouc émissaire ; religieux au sens de ce qui, paradoxalement, niant la Révélation déclenche l’Apocalypse.

    Religieux au sens de pas chrétien. Au sens : d’échec de la Paix.

    Le XXI° siècle (après Qui ?), en somme, est religieux et il ne sera pas.

     

    Cordialement, etc.

  • Une blague d'enfant

     

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    – Moi, j’ai une blague !

    – Vas-y, mais applique-toi à la dire bien.

    – De quel côté un chat a-t-il le plus de poils ?

    – Ben…

    – Alors, un chat, de quel côté c’est, qu’il en a le plus, de poils ?

    – Euh…

    – Tu lui donnes ta langue ?

    – Au chat ?

    – Bah oui !

    – Pas encore, non…

    (Je ne vois toujours pas.)

    – Alors de quel côté c’est qu’il en a le plus, le chat, de poils ?

    – Cette fois, je donne ma langue.

    (L’enfant jubile, puis braille :)

    – A L’EXTERIEUR !

    (On rigole.

    Et on rigole.

    Et on rigole encore.

    Puis je dis :)

    – Tiens, passe-moi Pomponnette (1), on va vérifier.

    (Hurlements.)

    Moralité : Blague d’enfant, blague d’écorcheur.

    Moralité 2 : Le mot chat n’a pas de poils.

     

     

     

    (1) J’aurais volontiers, en hommage au bon roman de Benoît Duteurtre La petite fille et la cigarette, dans lequel le malchanceux narrateur possède un chien nommé Sarko, nommé la chatte de cette histoire Ségo, mais j’ai eu peur de tomber sous le coup d’une quelconque loi – que je suis pourtant censé ne pas ignorer…

  • BHL est grand et BHL est son prophète

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    Je suis dans la salle d’attente. J’ai mal aux dents. Je feuillette un magazine pipolitique, le repose, m’apprête à en prendre un autre rigoureusement identique, lorsque j’aperçois, quelque part dans le désordre des canards, ces mots : Les dix command… Je songe aussitôt au Décalogue, puis, me souvenant de la mort récente de Charlton Heston, au film de Cecil B. DeMille. Je dégage les monceaux de torchons en vrac pour accéder à celui portant ce titre, et là, que lis-je enfin ? « Les dix commandements de la laïcité, par Bernard-Henri Lévy. » Et donc, je rigole.

    Dans l’hebdomadaire Marianne. Ce monde, décidément, est une merveille.

    Je feuillette – un magazine ne se lit pas – l’atroce article en question, qui commence par dire que la laïcité, of course, n’est pas une religion, poursuit sa chute en vantant à mots couverts l’idée « républicaine » d’un marché à l’américaine des religions qui se valent toutes de ne se devoir présenter là que castrées et démilitarisées, pour s’écraser je ne sais comment puisque j’ai déjà retoqué l’article, l’auteur et le canard, lesquels après un vol plané quelconque finissent échoués sur le dessus de la pile d’illustrés pipolitico-publicitaires.

    « Sacré » BHL. Encore un des ces humoristes contemporains pour attardés mentaux, fourguant d’autor sa bouillie humanitaire avariée, éclaboussant partout dans des jouissances de détraqué tout-puissant, n’ayant d’autre compétence que sa médiocrité médiacratique, d’autre légitimité intellectuelle que celle des réseaux d’affaire, puisque tout finit dans cet égout-là.

    Le bonhomme est tout à fait réputé pour s’être fait des couilles en or (1) sur la misère du monde. Il est même tout à fait capable, ce philosophe de plateau télé (avec d’autres Glucksman – père & fils – de carnaval), de vous rendre bankable n’importe quel lointain génocide.

    Mais ce n’est pas ça qui m’ « éclate » le plus, non.

    893060564.jpgCe qui me fait rire tout seul comme un crétin dans cette salle d’attente, sous le regard inquiet d’une dame âgée, c’est l’idée que ce brave couillon aurifère de BHL (2) se prend pour Dieu. Pour le doigt de Dieu, même. Puisque l’Exode dit que le doigt de Dieu écrivit les Dix Paroles… Il y a bien trop longtemps déjà qu’il ne se prend pas pour rien, notre BHL des Droits de l’Homme.

    Ça y est, c’est fait, il est Dieu. Enfin !

    Même qu’il écrit les Dix Commandements sur ce Sinaï bouseux que lui devient l’hebdomadaire Marianne. Il se prend sans doute aussi pour Moïse, dans la foulée. Parce que tout de même, cette histoire de doigt de Dieu à l’époque des Droits de l’Homme, on ne peut plus tellement y croire. En bonne logique athée – et BHL, qui vit dangereusement, est addict à l’athéeine – on devrait supposer que les Commandements, puisqu’ils furent écrits, le furent en réalité par le rusé Moïse… Pas de problème : il peut bien être à la fois Dieu et Moïse, notre BHL international. Ça ne risque pas de le gêner. A moins bien sûr que BHL ne soit Dieu, Marianne Les Tables de la Loi de la semaine qui finiront à la poubelle et le Lecteur-Républicain-Citoyen lui-même Moïse (merde, il faut bien flatter un peu son lecteur, pour autant qu’une telle comparaison puisse encore le flatter). C’est comme vous voulez, puisqu’on est en démocrassie.

    Je suis le Seigneur ton Dieu (Qui t’a fait sortir du pays d’Egypte). Tel est le premier des Commandements – de la Bible, hein, pas de BHL (mais il pense sans doute à l’adapter à sa sauce, pour un prochain succès de supermarché). Les catholiques s’arrêtent où commence la parenthèse, les juifs retiennent la phrase entière. Et alors ?

    Alors la dame âgée me prend à présent pour un cinglé complet. Un psychopathe (il faut avouer que je viens tout de même bien de lire une bonne demie page de BHL, ce qui ne plaide guère en ma faveur). Elle a peur, je le vois. On est chez le dentiste, tout de même. J’ai une chique à la joue droite et je rigole. Bon. Je prends sur moi. Je cesse de rire.

    Mais quand même murmuré-je :

    423334377.jpg– Apprends donc à compter jusqu’à quatre, BHL, sinistre couillon aurifère, ton imbécile Tétragramme n’a que trois lettres ! Et puisque YHWH (Yahvé) se doit prononcer Adonaï (id est Seigneur, en gros), comment devrait-on prononcer BHL ? Mammon ? Le Ploutocrate ? (3)

     

     

     

    (1) Peut-être était-il né avec. Mais il s’en fait souvent faire idolâtrement de nouvelles, tout à fait artificielles, et qu’il porte ostensiblement en écharpe par-dessus son décolleté, afin qu’on les lui lèche – ce qui, immanquablement, advient.

    (2) Voir (1).

    (3) Question subsidiaire : Où est passé Aristophane – dont l’ultime pièce fut Ploutos –, « notre Sauveur suprême Aristophane », comme l’écrit dans Opération Shylock Philip Roth ?

  • De l'invertissement (ébauche)

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    Ah ! Ah ! Je vais parler contre le suicide. La poésie contemporaine – cet adjectif est disqualificatif, je le rappelle – est devenue une Province de la Technique. On en est arrivé là lentement, de catastrophe en catastrophe, de romantisme triomphant en romantisme honteux. D’extases atroces, mais satisfaites, en atrocités industriées, jugées satisfaisantes dans la réalité – à preuve qu’on les poursuit, reniant chaque fois les précédentes, sur des échelles jamais vues, à des cadences infernales. Le Progrès. Jusqu’à l’humiliation définitive du poète – et peu me chaut qu’on juge immoral qu’après de telles évocations de meurtres de masse je ramène à ma phrase le seul petit poète, innocent amateur dans un monde de victimes toujours plus bankables –, humiliation consentie, quémandée, revendiquée. L’humiliation, hein, pas l’humilité – bien au contraire. Une espèce d’humiliation volontaire, selon le mode inverti qui occupe désormais le monde, dont grassement, avec des vulgarités de maquerelles, nous nous faisons titres de gloire – bons au porteur. Un néologisme pour caractériser cette accumulation-là : Invertissement. (– Tu fais quoi, en ce moment ? – J’invertis, tout bonnement. – Ah, et ça rapporte ?) Les poètes usinent précieusement de petites choses techniques, insensées, démolissent au glaviot la syntaxe. Le fait est qu’ils font des miniatures, point d’épopées ; mais des miniatures de quoi, je voudrais bien le savoir. On ne reconnaît rien, jamais. Il faut deviner ! Et lire encore n’importe quoi, en bons devins, dans les entrailles fétides de la modernité. Je suis sans doute bouché, je n’augure rien, et surtout rien de bon dans les cadavres… Ces poètes-là réputent donc leurs tristes messages encodés, encodés de ce pauvre code qu’ils seraient en définitive eux-mêmes, ces infatués du néant, et qui ne se communique pas. (– Qu’as-tu fait de ton Talent ? –  Eh bien, vois comme je suis vertueux, mais je lui ai chié dessus tout le long de la vie ! pour le protéger hein, et mes lecteurs éventuels se doivent d’être avant tout fouille-merde…) Ils ravagent le champ même de la langue, au nom que chacun fait la sienne ; et tous en font finalement une seule, et qui comme telle n’est pas. (Et je vous interdis ici de songer même à la Babel de la Bible ; les fameux Dalton de Lucky Luke, creusant pour s’évader de la même cellule du même pénitencier chacun leur propre trou exactement identique, et identique car différent, est une image bien plus juste.) C’est leur propre écrabouillis chaque fois qu’ils écrasent sur la page. Ils sont passés dessous la parole, sont retournés aux animaux en se prenant pour de petits dieux lares, et ça ne suffira pas, techniquement, de foutre à homme une majuscule de pure forme. Oh, ce n’est pas simplement un échec ou une impasse, moins encore quoi que ce soit qu’on puisse banaliser et ramener à tel ou tel particulier, et pas davantage ce n’est une aporie, non, c’est une extermination qui voue chaque langue à sa disparition paradoxale, ensevelie sous des mégatonnes de discours secondaires. Il faut désormais des tombereaux de citations ineptes, généralement de philosophes ou assimilés, ces favorites tarifées du tyran, lesquelles élèvent avec une candeur trafiquée de pervers sexuel leur athéisme au rang d’acquis social, pour défendre dans le vide de petits monceaux de syllabes qui font regretter de ne pas s’être plongé plutôt dans un magazine féminin, par exemple, ou dans un merveilleux roman – contemporain lui aussi. Les poètes dont je parle ce soir sont de droit, et tels sont aussi bien n’importe qui, et j’appelle donc ici poète exactement n’importe qui – l’invertissement toujours –, non qu’il se soit agi jadis de naissance mais bien plutôt d’une élévation et finalement d’une noblesse, en aucun cas d’un droit ; et voilà bien ce qui effraie ma chronique. Ils sont n’importe qui, dis-je, et l’époque recrute large, arguant d’une clause égalitaire qui justifie les abrutis, n’admettant de les discriminer que pour les propulser à d’inenvisageables sommets (mais que sont-ils vraiment, ces sommets de l’invertissement ?). Ils sont n’importe qui, ils parlent n’importe comment pour dire n’importe quoi, et ils s’en contrefoutent eux-mêmes, pourvu que ça serve, que ça invertisse et donc rapporte. Oui, je parle aussi, dans ce toujours même paragraphe, de l’argent, mais pas seulement ; je parle de son mode de collusion avec cette espèce de post-nazisme qui ne menace guère de submerger les basses terres de notre époque, parce qu’elles sont déjà intégralement noyées sous lui. Et je vais pour finir vous dire ce qu’ils font, ces poètes qui n’en sont aucunement, faute d’œuvre, eh bien c’est pourtant simple, comme ils peuvent, avec leurs pauvres moyens d’impuissants et leur nombre de plus en plus élevé, ils ne font rien moins que désincarner le Verbe (y parviennent-ils vraiment ?). Et le plus affligeant, et le plus amusant aussi, c’est qu’ils ne me contrediront pas. Ils sourient, même, flattés sans doute de cette reconnaissance. Et moi aussi, je souris – en me posant cette navrante question : qui ai-je donc imité ?

    Je crois que maintenant, vous devriez lire ce texte.

  • Le nihiliste se meut

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    En complément de la note précédente, De l’approbation du monde, qui avait pour partie trait au mouvement, et à la contemporaine et modernante revue indisciplinaire du même nom, je ne résiste pas, étant tombé dessus par hasard aujourd’hui, à recopier ces quelques lignes d’André Markowicz ouvrant la postface à sa traduction des Démons, de Fédor Dostoïevski (Babel –Actes Sud. Je rappelle au passage que Markowicz a traduit en français l’intégralité des œuvres de Dostoïevski). Elles témoignent non seulement du génie de Dostoïevski, mais elles éclairent grandement par quoi il l’est. Notons que les nihilistes, ou leurs fétides descendants, écrits par Dostoïevski gouvernent aujourd’hui ce qu’on prend encore pour l’Europe, qu’on appelle parfois l’Occident, et qui fut la Chrétienté…

     

    Il y a dans les Démons un moment où quelque chose se produit en vous qui fait que la terre disparaît. Il n’y a rien, ou plutôt il y a quelque chose, mais quelque chose de si noir et de si singulier que cela reste au-delà des paroles, au-delà des concepts, au-delà même de l’intuition. Une présence, justement, comme d’une rumeur muette, d’un chaos, et d’un chaos concret.

    Généralement, au bout de quelque temps de travail sur un texte de Dostoïevski, des lignes de force commencent à se dessiner, des motifs apparaissent, une construction logique se laisse deviner : tous les motifs de l’Idiot, par exemple, sont présents dans les deux premiers chapitres. Pour les Démons, pendant longtemps, j’ai cherché ces motifs, ces répétitions de mots, d’images qui me guidaient dans mes traductions précédentes. Le problème est que je n’ai rien trouvé du tout, aucun motif, à part un seul, lié à Piotr Verkhovenski, un motif bizarre, qui m’est resté longtemps énigmatique : il ne marche jamais, il ne parle jamais lentement, tout ce qu’il fait, il le fait au pas de course, en « coup de vent » – le russe peut jouer sur une quantité de préverbes qui permettent ces jeux à partir du verbe courir, et c’est d’abord cet usage du préverbe qui m’a frappé. Ce motif-là, une fois qu’on l’a remarqué, devient obsédant, mais que signifie-t-il ? Des observations du même genre se sont accumulées, sans que je voie mieux quel sens leur attribuer dans l’économie de l’ensemble. C’est de cette défaillance globale qu’est venue toute ma perception du roman, et c’est elle, pour finir, qui a guidé mon travail de traduction.