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possédés

  • Le nihiliste se meut

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    En complément de la note précédente, De l’approbation du monde, qui avait pour partie trait au mouvement, et à la contemporaine et modernante revue indisciplinaire du même nom, je ne résiste pas, étant tombé dessus par hasard aujourd’hui, à recopier ces quelques lignes d’André Markowicz ouvrant la postface à sa traduction des Démons, de Fédor Dostoïevski (Babel –Actes Sud. Je rappelle au passage que Markowicz a traduit en français l’intégralité des œuvres de Dostoïevski). Elles témoignent non seulement du génie de Dostoïevski, mais elles éclairent grandement par quoi il l’est. Notons que les nihilistes, ou leurs fétides descendants, écrits par Dostoïevski gouvernent aujourd’hui ce qu’on prend encore pour l’Europe, qu’on appelle parfois l’Occident, et qui fut la Chrétienté…

     

    Il y a dans les Démons un moment où quelque chose se produit en vous qui fait que la terre disparaît. Il n’y a rien, ou plutôt il y a quelque chose, mais quelque chose de si noir et de si singulier que cela reste au-delà des paroles, au-delà des concepts, au-delà même de l’intuition. Une présence, justement, comme d’une rumeur muette, d’un chaos, et d’un chaos concret.

    Généralement, au bout de quelque temps de travail sur un texte de Dostoïevski, des lignes de force commencent à se dessiner, des motifs apparaissent, une construction logique se laisse deviner : tous les motifs de l’Idiot, par exemple, sont présents dans les deux premiers chapitres. Pour les Démons, pendant longtemps, j’ai cherché ces motifs, ces répétitions de mots, d’images qui me guidaient dans mes traductions précédentes. Le problème est que je n’ai rien trouvé du tout, aucun motif, à part un seul, lié à Piotr Verkhovenski, un motif bizarre, qui m’est resté longtemps énigmatique : il ne marche jamais, il ne parle jamais lentement, tout ce qu’il fait, il le fait au pas de course, en « coup de vent » – le russe peut jouer sur une quantité de préverbes qui permettent ces jeux à partir du verbe courir, et c’est d’abord cet usage du préverbe qui m’a frappé. Ce motif-là, une fois qu’on l’a remarqué, devient obsédant, mais que signifie-t-il ? Des observations du même genre se sont accumulées, sans que je voie mieux quel sens leur attribuer dans l’économie de l’ensemble. C’est de cette défaillance globale qu’est venue toute ma perception du roman, et c’est elle, pour finir, qui a guidé mon travail de traduction.