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castellucci

  • Claudel dans le programme

    avignon.jpg

     

    Je continue ici ma lecture aléatoire du programme officiel du Festival d’Avignon 2008, livret bien édité, d’une centaine de pages.

    Je rappelle que les « artistes associés » de ce Festival sont la comédienne Valérie Dréville et le metteur en scène « concepteur » Romeo Castellucci.

     

    C’est en tombant, à la fin du volume, sur la page « Calendrier des spectacles » que je m’en suis aperçu :

    Ils avaient disparu.

    Qui ?

    Les auteurs dramatiques.

    Enfin, ceux qui restaient.

     

    Je m’explique :

    Face au titre : « Partage de midi », on peut lire cette étrange brochette de noms : « Baron/Bouchaud/ Clamens/Dréville/Sivadier ».

    Paul Claudel a disparu.

    De même, face au titre : « Hamlet », vous trouverez le nom « Thomas Ostermeïer » ; face à « La Mouette », « Claire Lasne Darcueil ». Pas de William Shakespeare, ni d’Anton Tchekhov à l’horizon.

    Face à « Inferno », le beau nom de « Romeo Castellucci » ; et, bizarrement, face à « La Divine Comédie », celui de Valérie Dréville (en effet, la dame lit Dante – le vrai –, un seul soir, bien sûr).

    Je trouve cela tellement parlant que je ne ferai pas de commentaires.

     

    Pour qu’on ne dise pas que j’exagère, néanmoins, je précise que le sommaire, quoique présenté différemment, obéit aux mêmes règles : Titre et metteur en scène (ou chorégraphe ou je ne sais quoi), évacuation de l’auteur (quand il y en a un).

     

    Revenons à Paul Claudel, disparu.

    Valérie Dréville, artiste associée au Festival d’Avignon 2008, ouvre ledit Festival avec Partage de midi de Paul Claudel. La mise en scène est signée des acteurs eux-mêmes : Gaël Baron, Nicolas Bouchaud, Valérie Dréville, Jean-François Sivadier, auxquels s’est ajoutée Charlotte Clamens. Tout cela est tout à fait intéressant (j’aime l’idée que les acteurs décident de se passer d’un metteur en scène), et nous explique l’étrange brochette de noms mentionnée plus haut. Comme ce spectacle ouvre le 4 juillet le Festival d’Avignon, et joue toute sa durée, jusqu’au 26, il est présenté en début de programme (p. 6 et 7).

    La page 6 présente les artistes (hors Valérie Dréville, « artiste associée » déjà présentée), la page 7 le spectacle.

    La page 6 nous présente donc, laïus académique après laïus académique, les comédiens ou/et metteurs en scène Gaël Baron, Nicolas Bouchaud, Charlotte Clamens, Jean-François Sivadier, puis, à la toute fin, Paul Claudel (il devait rester de la place). Ça se présente comme ça :

     

    « Paul Claudel (1868-1955) a 37 ans lorsqu’il écrit Partage de midi, œuvre autobiographique revendiquée. Au sortir d’une relation amoureuse avec une femme mariée, il a vécu le drame d’une séparation. De cette passion vécue en terre chinoise, lorsqu’il était consul de France, naîtra la première version de Partage de midi, éditée à 150 exemplaires adressés en secret à quelques amis. Ce n’est qu’en 1948 qu’il acceptera qu’une version remaniée soit publiée et mise en scène par Jean-Louis Barrault. »

     

    Et hop. Tout y est, non ?

    Vous avez bien vu passer là le plus grand génie théâtral du XX° siècle ? Le colosse littéraire, un des seuls en un siècle essentiellement romanesque, à ne passer jamais par le roman (ni d’ailleurs, ou si peu, par la philosophie)… Lui préférant le théâtre, le poème, l’essai et la théologie.

     

    Ceci dit, et pour changer un peu, je me réjouis que Partage de midi soit l’œuvre la plus jouée durant ce Festival. J’espère seulement que sa représentation sera digne.

    Oui, digne.

     

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    Notez que Dante, lui, n’est pas du tout présenté.

    Mais c’est parce que Castellucci est Dante.

    Et Castellucci, bien sûr, est présenté.

    Donc Dante aussi.

    Etc.

  • Castellucci dans le programme (2)

    Romeo Castellucci2.JPG

     

    Je tourne enfin la page présentant le projet de Divinna Commedia selon Castellucci, pour lire les pages consacrées aux deux spectacles et à l’installation. Ces textes de présentation sont toujours signés d’Antoine de Baecque.

     

    On n’apprend pas grand-chose sur ce que sera Inferno de Castellucci :

    « Inferno [de qui ? de Dante ? ou de Castellucci ? Ah, j’oubliais, c’est pareil…] est un monument de la douleur. L’artiste doit payer. Dans la forêt obscure où il d’emblée plongé, il doute, il a peur, il souffre. Mais de quel péché l’artiste est-il coupable ? S’il est ainsi perdu, c’est qu’il ne connaît pas la réponse à cette question. Seul sur le grand plateau du théâtre, ou au contraire muré dans la foule et confronté à la rumeur du monde, l’homme que met en scène Romeo Castellucci subit de plein fouet cette expérience de la perte de soi, désemparé. Tout ici l’agresse, la violence des images, la chute de son propre corps dans la matière, les animaux, les spectres. La dynamique visuelle de ce spectacle a la consistance de cette hébétude, parfois de cet effroi, qui saisit l’homme quand il est réduit à sa petitesse, démuni face aux éléments qui l’accablent. Mais cette fragilité est une ressource, cependant, car elle est la condition d’une douceur paradoxale. Romeo Castellucci montre à chaque spectateur qu’au fond de ses propres peurs, il existe un espace secret, empreint de mélancolie, où il s’accroche à la vie, à « l’incroyable nostalgie de sa propre vie ». »

    Ca promet, n’est-ce pas ? Monument de la douleur, plongé dans une forêt, muré dans la foule, la chute de son corps dans la matière, et mieux encore : dynamique visuelle qui a consistance d’hébétude…

    Ca a l’air formidable, tout bonnement.

     

    Ce qui est tout à fait étonnant, finalement, c’est qu’on puisse déduire, du galimatias qui sert de prose à Antoine de Baecque, que le projet de Castellucci ne manque pas de cohérence.

    Dans la présentation de l’installation Paradiso – je viendrai à Purgatorio ensuite – notre journaliste présente ainsi le Paradis selon Castellucci :

    « C’est un monde paradoxal, sans incarnation : dans Inferno, l’homme était exclu des élus, ici il est exclu du monde, condamné à errer dans un univers sans corps, sans visage, sans matière, un lieu de pure lumière et de sonorités sans limites, tout entier dévoué à la seule gloire du Dieu créateur. »

    Puis cite Castellucci, grand contempteur (apparemment) et rival (j’imagine) de ce Dieu créateur :

    « Pour moi, c’est le chant le plus épouvantable, précise d’ailleurs Castellucci à propos du Paradis de Dante, une forme d’exclusion renversée, et non pas un accueil en forme de bienvenue ! »

    Ce qui est formidable aussi, non. Mais surtout instructif, si l’on résume ainsi, selon le principe du nihilisme actif :

    Le Paradis aussi, c’est l’Enfer. Il n’y a donc plus ni Enfer ni Paradis.

     

    La Divine Comédie de Dante était tout entière tendue vers le Paradis, vers « l’Amour qui meut le soleil et les autres étoiles ».

    Celle de Castellucci ne risque guère d’être « divine » : l’Enfer et le Paradis s’annulent ; et peut-être est-ce pour cela que Castellucci ne fait spectacle que de l’Enfer et du Purgatoire, laissant son redondant Paradis désincarné être une « installation ».

     

    Voyons donc ce Purgatorio :

    « L’homme qui traverse le purgatoire – le « chant de la terre » – est un être curieux, sans cesse arrêté par le concret des choses et des objets qui l’entourent, dans une représentation de sa propre vie. Cette matière [ ?] l’occupe, l’encombre, l’attache, et souvent le tourmente. Elle témoigne de ce qu’est précisément le purgatoire selon Romeo Castellucci : la vie humaine dans sa répétition quotidienne, la familiarité des tâches de tous les jours, le piège de la routine, l’expérience du corps banal, les retrouvailles avec le monde fini, la nature connue, les matières de la vie. »

    Bien. Annulez l’Enfer et le Paradis, il reste la vie quotidienne. Le purgatoire de Castelluci est la matière témoignant de la matière.

    On n’avait vraiment pas besoin de Dante pour en arriver là.

    A moins qu’il ne se soit agi, au fond, que de démolir Dante.

    Ce qui est bien possible, après tout…

     

    Notre bon journaliste poursuit :

    « Il [l’homme, donc] se sait condamné à errer là, parmi la réalité, à la fois représentée sans distance, de manière abstraite, et de façon hyperréaliste, « une réalité sans ombre » dit le metteur en scène, qui s’est attelé à un important travail sur les formes en devenir. »

    Passons sur ce que peut bien signifier s’atteler à un important travail sur les formes en devenir

    Et regardons agir le même principe du nihilisme actif : l’abstraction c’est la réalité, la réalité c’est l’abstraction, il n’y a donc plus ni réalité ni abstraction.

     

    Conclusion :

    « La punition, ici, c’est tout simplement de vivre, de faire l’expérience du monde. »

     

    Ce qui serait désolant, si Castellucci n’était pas un génie créateur capable à lui seul d’hypostasier le Néant :

    « Ce Purgatorio est donc [ !]  plus qu’un spectacle, car c’est aussi pour le spectateur l’occasion d’une expérience à laquelle Romeo Castellucci donne beaucoup de prix : se retrouver, soudain, de l’autre côté du jeu du théâtre, dans l’envers de la représentation. »

    Quelle audace !

    Personne n’y avait jamais pensé !

    La suite :

    « Comme si chacun pouvait assister au spectacle de sa propre vie, mais primitive, renvoyée aux premiers temps, ceux des origines et de la naissance. Cette lucidité tout à coup offerte, comme une expérience de retour à la vue au sein de la nature contemporaine, de retour à la sensation au milieu de la ville moderne, n’est-elle pas plus terrible encore ? »

    Plus terrible que quoi, mon lapin ? Que la vie quotidienne ? Que l’envers de la représentation ?

    Conclusion :

    « C’est une angoisse existentielle qui sourd de ce spectacle, comme si les sensations et le corps se dissolvaient dans la matière [la comparaison veut-elle dire quelque chose ?]. »

     

    Bref, quand « une angoisse existentielle sourd » d’un spectacle, celui-ci est plus qu’un spectacle. Mais quoi ?

     

    Une conclusion aussi gigantesque nécessitait des moyens colossaux.

    Castellucci est un artiste planétaire ; un artiste globalisé.

    Il faudra bien en finir avec les langues, ces frontières.

    La planète culturelle en semble réellement convaincue, à simplement jeter un œil à toutes ces structures planétaires imbécilement conjurées à la destruction de l’œuvre de Dante (le vrai) :

    « Production de la Trilogie : Sociétas Raffaello Sanzio, Festival d’Avignon, Le Maillon-Théâtre de Strasbourg, Théâtre auditorium de Poitiers-Scène nationale, Le Duo (Dijon), barbicanbite09 (Londres) dans le cadre du Spill Festival 2009, de Singel (Anvers), Kunstenfestivaldesarts / La Monnaie (Bruxelles), Festival d’Athènes, UCLA Live (Los Angeles), Napoli Teatro Festival Italia, Emilia Romagna Teatro Fondazione (Modène), La Bâtie-Festival de Genève, Nam Jun Paik Art Center/Geyonggi-do (Corée), Vilnius Capitale européenne de la Culture 09, « Sirenos »-Festival international de théâtre de Vilnius, Cankarjev dom (Ljubljana), F/T09 – Tokyo International Arts Festival.

    Avec le soutien du ministère italien du Patrimoine et des Activités culturelles, de la Région Emilie-Romagne et de la Ville de Cesena avec l’aide du programme Culture (2007-2013) de l’Union européenne. »

     

    Budget de « création » ?

    A votre bon cœur…

     

    N'oubliez pas, comme dit ce bon Antoine de Baecque, que l'artiste doit payer...

     

     

  • Castellucci dans le programme

    Romeo Castellucci.jpg

    Le programme du Festival d’Avignon est décidément très instructif.

    Il est placé, pour une grande part, sous le signe de Dante. Et de la Divinna Commedia.

    Apparemment, du moins.

    Car c’est Romeo Castellucci qui s’en charge.

    L’Enfer (Inferno) et Le Purgatoire (Purgatorio) donneront lieu à deux spectacles, Le Paradis (Paradiso) à une installation.

    Tout ceci, selon la formule, « librement inspiré de La Divine Comédie de Dante ».

    Oui, oui, librement inspiré.

     

    Les travaux de l’« artiste » Castellucci, pardon : les créations, sont présentés dans ce programme par le « critique » Antoine de Baecque (car nous vivons dans le monde merveilleux où les critiques acceptent de rédiger les programmes, où l’éloge a priori est le ciment de l’approbation de ce qui est…).

     

    Extrait de la présentation du projet général :

    « Si La Divine Comédie est un texte qui accompagne Romeo Castellucci depuis son adolescence, il n’en propose pas une « adaptation » littérale. Son travail est inspiré par ce texte, comme il l’écrit dans ses notes de travail : « Lire, relire, dilater, marteler et étudier à fond La Divine Comédie pour pouvoir l’oublier. L’absorber à travers l’épiderme. La laisser sécher sur moi comme une chemise mouillée. » »

     

    Comme c’est beau.

    L’inspiration est donc l’action de faire disparaître les textes.

    Notre époque est inspirée et Castellucci est son symptôme.

    Castellucci a bien sniffé toutes les lignes de Dante, et il va nous expirer deux spectacles et une installation.

     

    Notre valeureux critique poursuit ainsi :

    « Mais il [Castellucci, hein, pas Dante] vise surtout à « devenir » Dante. »

    Et le tour est joué. Voilà, ça y est. Fastoche, pour lui.

    Et il n’y a même pas à en douter ! C’est beau, la critique, tout de même.

     

    Vous aussi, cher lecteurs, devenez Dante ! Voici la recette :

    1. Lisez La Divine Comédie.

    2. Ensuite relisez-la (c’est pourtant simple).

    3. Dilatez-la (démerdez-vous, soufflez dedans, par exemple).

    4. Martelez-la (avec un marteau post-« nietzschéen », par exemple).

    5. Etudiez-la à fond (s’il en reste).

    6. Et maintenant que vous avez étudié à fond, hop, vous pouvez oublier La Divine Comédie.

    On étudie pour oublier, bien sûr. On fait disparaître. Mieux : étudier à fond, c’est oublier.

    Comment ? Mais enfin, 7. absorbez-la à travers l’épiderme, La Divine Comédie, voyons. Et en même temps, 8. laissez-la sécher (oui, voilà, comme une chemise mouillée).

    C’est difficile ? C’est que vous n’êtes pas Romeo Castellucci, tiens.

    Vous ne pourrez donc pas devenir Dante.

     

    Trêve de plaisanterie :

    Vous croyiez naïvement que Dante, c’était La Divine Comédie ?

    Eh bien, non.

    Quand Romeo Castellucci lit La Divine Comédie, il « incorpore » Dante jusqu’à le devenir. (Vous vous trouviez moderne, de ne pas croire à la transsubstantiation ? Vous l’aurez quand même, sauce Castellucci, et fourrée à la merde.)

    Après quoi, évidemment, il peut se passer de « son » texte, puisque chacun de ses gestes est un geste de Dante.

    On pourra donc voir cet été, à Avignon, deux spectacles et une installation de Dante lui-même. (Evidemment, il faut y croire. Vous vous croyiez aussi débarrassé de la croyance ?)

    Parce que si Dante revenait aujourd’hui, il ne passerait pas sa vie à écrire La Divine Comédie, non, il nous torcherait ça vite fait, en réalisant des spectacles vivants à grands frais, des créations, même, au Festival d’Avignon. D’ailleurs, il s’appellerait Romeo Castellucci. En toute simplicité. (Et la réincarnation, vous y croyez, non ?)

    Dieu aussi, d’ailleurs, s’appelle Castellucci.

    Par bonheur, il y en a plein, des dieux, de nos jours.

    Il y a aussi Jan Fabre, par exemple. Entre autres, là aussi.

    On peut choisir. Selon les travaux et les jours, les heures et les humeurs.

    C’est l’avantage du néopaganisme.

    Je suis un homme de peu de foi.

     

    J’attends le retour des sacrifices.

    Humains, tant qu’à faire.

    Avouez que ça aurait de la gueule, quand même, un sacrifice humain.

    Un bébé, par exemple.

    Dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, au hasard.

    Quelle subversion.

    Non mais.

     

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