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mort - Page 7

  • Des malles

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Il avait toujours un peu fait ça, finalement, ne rien faire et chauffer au soleil sur son banc une maïs qu’il ne pensait pas à fumer plantée à la gueule.

    Un jour, je n’y tenais plus, j’avais descendu les trois marches du perron à la main une bouteille et deux verres et je m’étais assis à côté de lui.

    Qu’est-ce que tu fais, mon vieux ?

    J’ai rempli les deux verres dans son silence.

    Poème.

    Il a dit ça, pas fort du tout, ou bien c’est ce que j’ai entendu.

    Eh bien, écris-les sur du papier tes poèmes et je les ferai circuler.

    Il avait alors comme chassé une mouche.

    Je crois bien que je l’emmerdais et qu’il se serait levé s’il lui était resté plus d’une jambe.

    Pas des poèmes, un.

    Ça m’avait laissé coi.

    Mon verre était fini et il n’avait pas touché au sien.

    Un seul poème ?

    Il avait comme encore chassé une mouche.

    J’ai allumé une cigarette en regardant la sienne toujours immobile au coin de ses lèvres.

    Merde, et il raconte quoi ?

    Il n’a pas chassé de mouche cette fois-là, il a seulement fait une sorte de moulinet pas fini qui semblait vouloir pourtant prendre tout avec lui.

    Ça n’était sans doute pas un poème pour les trous du cul de la ville ni pour les bouseux de la cambrousse.

    Ce jour-là, j’avais donc bu pour nous deux la bouteille et grillé  plusieurs clopes tandis que la sienne demeurait immuable. Puis le silence des jours était revenu comme chez lui.

    Dans sa chambre, quand plus tard je l’ai débarrassée, j’ai trouvé des tas de documents sur la guerre depuis en gros qu’on s’en souvient. Et d’autres malles encore que j’ai refusé d’ouvrir avant de les foutre au feu.

    Il avait toujours un peu fait ça, finalement, ne rien faire et chauffer au soleil sur son banc une maïs plantée à la gueule, mais dernièrement il ne faisait pour ainsi dire plus que ça.

    Il avait l’air de ne rien faire, mais si on regardait bien, on pouvait deviner qu’il était sur trop de fronts à la fois. Mais je dis ça après coup.

    A un moment, il a juste basculé lentement sur le banc.

    Il avait pile soixante piges. Je l’ai fait enterrer avec son vieux bouquin tout annoté de la guerre du Péloponnèse.

    Je crois qu’il faisait un poème pour les soldats qui ont bien raison de ne rien lire, alors à quoi bon écrire même une broque, hein.

    Après, il n’y a plus eu qu’à vendre la maison à un connard qui l’a rasée peu après.

    Bien sûr, tout l’intérêt de ce texte tient dans l’étrange emploi qu’il fait des temps du passé.

     

     

     

     

  • 59. Autoportrait (photographie retouchée)

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    Ses colères ne sourdaient presque plus. Elles étaient maintenant suivies de moments de grand calme. Pour donner le change, il se défoulait en imprécations préparées, toutes artificielles et fausses, auxquelles il tenait beaucoup ; il y défendait avec véhémence divers arguments de longtemps réfutés. Mais cela aussi devait demeurer rare. Il n’aimait plus réellement que les paysages et il ne lui était pourtant plus très nécessaire de les voir. Une dernière question lui vint, qu’il chassa.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • 56. Vieux homme

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Il dit : – A un moment, c’est douloureux parce que vous n’avez plus rien à lui dire, ni elle à vous, et que ça vous pèse, avec la sensation du gâchis alors que c’est seulement que la passion, cette chose ridicule, peut-être inévitable, mais qui m’a l’air forcée quand même aujourd’hui, on ne s’en souvient plus assez pour s’y faire encore croire et tout le semblant qui suit ; et puis, eh bien, un moment après, quand cette bascule-là elle a passé vraiment, je veux dire si vous êtes capable de renoncer même à la frustration, vous commencez à trouver que c’est reposant, d’être là, et qu’elle soit là, avec ce silence entre vous de ceux qui n’ont rien à se prouver – en tout cas à l’autre. Oh, ça n’empêche pas de s’engueuler, heureusement. Pour savoir qui descend les poubelles, ou autre chose, par exemple. On reste des humains quand même. A un moment, on se disputait même à savoir qui resterait en dernier. Et puis voilà, hein.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Polis

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    On peut essayer de quantifier le sommet du pouvoir, mais.

    Combien de morts une phrase peut faire. Combien d’argent elle peut perdre ou rapporter. Ou quels territoires, etc. Combien de divisions internes ou externes elle engendre. Quelles ripostes.

    Et son influence, restreinte ou pas ? Ses mesures procèdent toujours d’une méconnaissance, non moins qu’elle-même. Pour ne rien dire de ses délais.

    Se poser ces questions entrave la décision. Le pouvoir n’est lui-même qu’aveugle.

    L’effroi devant toute conséquence contraint ceux qui exercent le pouvoir à un certain nombre de phrases fausses, convenues, établies d’avance – ainsi que leurs réponses.  

    Et voilà pourquoi votre pouvoir est muet.

    Bavard, mais muet. Clairvoyant parfois, mais toujours inactif.

     

    (J’essaie de présenter les choses positivement.)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Une vie

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Son père ici, sa mère là, l’administration au-dessus, lui donnèrent tout. Des jouets, des diplômes, même des filles.

    Il prit tout l’argent qu’il pût, puis abandonna ses parents.

    Son père le chercha longtemps, en vain.

    Sa mère le croisa une fois dans un supermarché, mais ne le reconnut pas.

    Il n’assista pas à l’enterrement de son père, ici ; ni à l’incinération de sa mère, dans le sud.

    L’an dernier, peu après ses quarante ans, sa voiture heurta de plein fouet un camion.

    Il ne laissa rien.