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mort - Page 8

  • La Maison de Dieu, un poème

    L’incipit, déjà, en italiques comme une didascalie, est un petit chef d’œuvre. Le voici :

     

    Le Kilimandjaro est une montagne couverte de neige, haute de 6.021 mètres, et que l’on dit être la plus haute montagne d’Afrique. La cime ouest s’appelle le « Masai Ngàje Ngài », la Maison de Dieu. Tout près de la cime ouest il y a une carcasse gelée et desséchée de léopard. Nul n’a expliqué ce que le léopard allait chercher à cette altitude.

     

    Eh bien voilà, les poètes à la ligne déjà peuvent aller se rhabiller.

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  • Je suis un phantasme

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    Formation :

    – Ne mens que lorsque c’est inutile.

    – Expliquez-moi.

    – Non.

     

    Il a mis très longtemps à comprendre.

    Et d’abord il a compris des choses fausses.

    Et ce qu’il a aujourd’hui compris ne l’est sans doute pas moins.

     

    Il a maintenant un éventail de réponses.

     

     

     

    Un ami :

    – Tu sais ce que c’est, ton problème ?

    – Non. Mais je sens que tu vas m’éclairer.

    – C’est que tu es beaucoup trop intelligent.

    – Ça, ce serait plutôt ton problème avec moi, non ?

    – Connard.

     

    Il n’aime pas le pouvoir ; et son intelligence doit demeurer inemployée.

     

     

     

    Personne ne triche autant que celui qui croit pouvoir, de ce qu’il pense de lui et de ce qu’on dit de lui, se connaître ; et devient ainsi à lui-même son phantasme, finissant même par imaginer ce qu’on eût dit, en son absence, de lui. Combien de romans ?

     

     

     

    En son absence, donc :

    – C’est un garçon auquel il n’est pas difficile de comprendre l’adversaire.

    Le nombre de nos motivations est extrêmement limité.

    – Demandez-lui d’écrire des rapports, alors.

    – Nous l’avons fait. Ils sont très simples. Mais nous les lisons mal.

    – Et dans l’action ?

    – Ou il désarme l’adversaire comme on retire à un enfant son jouet ; ou il prend toute la charge pleine gueule.

    – Et dans le second cas ?

    – Eh bien, il s’en fout.

    – Il s’en fout vraiment, ou bien est-ce affecté ?

    – Je ne sais pas.

    – De toute façon, ça revient au même.

    – Oui.

    – Bloquez-le dans des tâches subalternes. Humiliez-le doucement.

     

    Ceci est un autoportrait triché.

     

    Par exemple, il ne contient pas de dialogue avec des femmes.

    J’ai déjà donné.

     

     

     

     

     

     

     

  • Comment je suis devenu positif (pub)

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    C’est une chose assez éprouvante, à la longue, de faire le jour tout ce qu’on pense, la nuit, qu’il ne faudrait pas faire. Et puis, à un moment, tout cela devient indifférent. La mort engourdit vos membres ; vous aimeriez dormir. Avant, selon votre humeur, votre force, vous trouviez moyen de rire des choses atroces ; ou bien vous en pleuriez de rage. On vous disait cynique, nostalgique, pire encore ; on dit n’importe quoi, c’est son job. Vous étiez simplement vivant, pas sans contradiction. L’indifférence, l’habitude, la reconnaissance aussi ont tout nivelé, égalisé. Vous faites une chose le jour, une autre la nuit, elles sont peut-être encore contradictoires, mais elles sont aussi devenues les mêmes. C’est votre routine à vous, c’est tout. La douleur s’atténue. Vous dormez mieux, et plus. Il n’y a plus qu’à faire, le jour, ce que vous savez faire le jour. Ce que vous pensez de ce que vous faites vous indiffère – au diable ! Vous êtes mort. Bien sûr, ce n’est pas désagréable. On trouve d’ailleurs que vous avez gagné en sincérité.

    Autoportrait du 28 juin 2009.

     

    Il ne me reste plus, pour illustrer cela, qu’à vous laisser cliquer sur la phrase publicitaire suivante : Ce que j’ai fait quand j’ai compris que j’étais un morceau de machine ne sauvera pas le monde.

     

     

     

     

     

  • 1918

    Le vieux monsieur, né dans une époque où l’on pouvait encore juger du monde par ce qu’on en voyait couramment soi-même, me raconte cela, qui a marqué son enfance et peut-être en a signé la fin : l’armée allemande pénétrant sans qu’aucun combat n’ait été livré dans son village de Lorraine. C’est simple : l’armée française a reculé, l’armée allemande a avancé, et c’est tout ; pas un coup de feu. La guerre, il ne l’a finalement vue, et entendue, que cinq années plus tard, lorsqu’elle est repassée dans l’autre sens, avec des combats cette fois, mais bien peu de Français encore pour les livrer.

    Un peu plus tard, à propos d’autre chose, il dit que la génération de 1968, finalement, c’est la génération élevée par ceux qui ne se sont pas battus en 1940. Il dit cela, et ne dit que cela ; il ne dit pas, avec une radicalité abusive, par exemple, que les lâches ont levé et nourri des traîtres. Après tout, il a vécu avec ces gens-là ; certainement même les a-t-il aimés ; et il a mêlés à ceux-ci ses propres enfants, qui sans doute s’y sont fondus.

    La France, quelque attention qu’elle ait ou non portée à l’humiliation allemande du traité de Versailles, en est donc restée à cette formule : la Der des Ders ; et dans une large mesure, même, au sens le plus trivial, elle y est restée. Le vieux monsieur, par la suite, est allé perdre une guerre en Indochine ; son frère cadet, en Algérie. Guerres dont on a pu avouer, ensuite et plus ou moins franchement, que l’issue nous indifférait en quelque sorte… Voilà, c’est fini. C’était fini depuis 1918. En 1968, on a bruyamment fêté en France les 50 ans de la Der des Ders.

    J’aime beaucoup Dada, cette convulsion fulgurante, par-dessus tout inassignable, née du dégoût de la grande boucherie européenne. Je l’aime d’autant plus que je voue aux gémonies tous ses continuateurs prétendus. Que l’art officiel, aujourd’hui, se réclame de Dada n’est pas seulement une escroquerie manifeste ; c’est avant tout un symptôme. La Der des Ders. Il ne s’est rien passé depuis, et rien surtout ne doit arriver. Sauf du fric.