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mort - Page 10

  • Interview NDE (1)

    Je livre ici, en deux fois, une saynète d’interview retranchée (à mon grand regret) de la version définitive de Wonderland. Le nom de la chaîne télé est NDE 1 (Near Death Experience One). L’Inconnue est certainement connecté à un détecteur de mensonges, etc.

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    Studio de télé. Logo NDE 1.Lumières vives, rose fluo. Et une arme, aussi, au bon moment.

    Sur le divan hi-tech, l’Inconnue lentement s’éveille – semble-t-il ; la Mort est là déjà, très en beauté…

     

    LA MORT. – Elle dort. Elle dort et ne sait pas encore que son visage, nous le lui avons refait à neuf et rajeuni pour la compétition. Je soufflerai sur sa face et elle s’éveillera, attention, 1, 2, 3.

     

    *

     

    L’INCONNUE – Qu’est-ce que je fais ici ?

     

    Atroce feulement numérique.

     

    LA MORT – Taisez-vous. Contentez-vous de répondre aux questions.

    L’INCONNUE – C’est un interrogatoire.

     

    Atroce feulement numérique.

     

    LA MORT – Taisez-vous. C’est un débat télévisé.

    L’INCONNUE – Cauchemar.

     

    Atroce feulement numérique.

     

    LA MORT – Taisez-vous, merde.

    L’INCONNUE – Laissez-moi sortir.

    LA MORT – Nous avons fouillé votre passé. Nous n’avons rien trouvé. De quoi vous souvenez-vous ?

    L’INCONNUE – Pardon ?

    LA MORT – De quoi vous souvenez-vous ?

    L’INCONNUE – Mais… à propos de quoi ?

    LA MORT – De quoi vous vous souvenez, putain de merde. Listez vos saloperies de souvenirs par ordre chronologique, ils seront soumis à vérification.

    L’INCONNUE – C’est débile.

    LA MORT – Et alors ? Je ne vous demande pas ce que vous en pensez. Listez. Listez. Un souvenir. Même un seul, tout petit, paumé dans un coin.

    L’INCONNUE – Ouais. La gare, le lundi, c’est à la gare que je viens, un lundi, c’est le lundi que j’arrive à la gare, je vais au travail, à Wonderland.

    LA MORT – Quel jour quittiez-vous votre travail ?

    L’INCONNUE – Quittiez ?

    LA MORT – Quittez. Quel jour quittez-vous votre travail ?

    L’INCONNUE – Le samedi. Le vendredi. Je ne sais pas. Peut-être le jeudi.

    LA MORT – C’est à la gare ?

    L’INCONNUE – Oui.

    LA MORT – Vous reprenez le train, c’est bien ça ?

    L’INCONNUE – Oui, c’est ça, c’est pourtant logique. Je ne vois pas pourquoi toutes ces questions.

    LA MORT – Alors, comment pouvez-vous me dire que c’est un lundi, pas un jeudi, votre souvenir ?

    L’INCONNUE – C’est un lundi. Sûrement. Je me vois descendre d’un train. Du train.

    LA MORT – Comment peut-on se voir descendre d’un train ? Quand on descend d’un train, on ne s’en voit pas descendre. Vous mentez.

    L’INCONNUE – Non, non, je ne crois pas.

    LA MORT – Bon. Et que se passe-t-il à la gare ?

    L’INCONNUE – Je descends du train.

    LA MORT – Ne vous répétez pas. Cherchez. Ca n’a pas d’intérêt, ce souvenir, s’il est juste ce souvenir. Cherchez. Que se passe-t-il à la gare ? 

    L’INCONNUE – C’est un lundi, je descends du train… et après… eh bien, après, je ne sais plus.

    LA MORT – Vous ne savez plus ? Plus du tout ?

    L’INCONNUE – Non. Du tout. Je ne sais rien. Je suis vidée. Et vide.

    LA MORT – C’est maigre. Un autre souvenir ? Un homme, par exemple.

    L’INCONNUE – Un homme ? Vous voulez dire un homme en particulier ? Non, non, je ne vois pas.

    LA MORT – Pourtant vous avez des enfants.

    L’INCONNUE – On me les a offerts.

    LA MORT – Qui donc ? Un homme, justement, j’imagine.

    L’INCONNUE – Non, non, je ne crois pas. A un moment, ils étaient là, c’est tout. Je ne vois que ça.

    LA MORT – Le nom de vos enfants ?

    L’INCONNUE – Bégonia. Docile.

    LA MORT – C’est un souvenir, ça. Deux filles, donc ?

    L’INCONNUE – Peut-être. A moins qu’il n’y ait un garçon.

    LA MORT – Quels âges ont-ils ?

    L’INCONNUE – Je ne sais pas. Il y a longtemps, je trouve, que je les ais.

    LA MORT – Mais enfin, vous les aimez ?

    L’INCONNUE – Je ne comprends pas.

    LA MORT – Vous leur donnez à manger ?

    L’INCONNUE – Evidemment. C’est con comme question. Je suis leur mère.

    LA MORT – Gardez vos commentaires pour vous. Vous leur donnez à boire aussi, et des vêtements, et ce genre de choses ?

    L’INCONNUE – Oui, oui.

    LA MORT – Alors vous les aimez.

    L’INCONNUE – Même qu’ils vident tout mon compte en banque. Ils pillent même les dettes.

    LA MORT – Les chéris…

    L’INCONNUE – Les petits enculés, oui…

    LA MORT – En somme, vous êtes heureuse ?

    L’INCONNUE – Heureuse ?

    LA MORT – Oui, vous travaillez, vous gagnez votre vie, vous avez deux enfants parfaitement adorables, vous êtes heureuse. Le bonheur, quoi.

    L’INCONNUE – Le bonheur.

    LA MORT – Et votre nom, madame, il est revenu votre nom ?

    L’INCONNUE – Quel nom ? Ah, mon nom. Non.

    LA MORT. – C’est bien, ça. Ca soulage. Quelle expérience.

    L’INCONNUE. – Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi je ne sais plus mon nom ?

    LA MORT – Je rappelle à nos spectateurs que vous êtes sous sérum de vérité. Et vos enfants, ils ne le connaissent pas votre nom ?

    L’INCONNUE – Je ne sais pas.

    LA MORT – Comment vous appellent-ils ?

    L’INCONNUE – Maman.

     

    Atroce feulement numérique.

     

    LA MORT – Vous mentez ! N’oubliez pas que je suis là tout spécialement pour vous aider. Comment vous appellent-ils, alors ?

    L’INCONNUE – La Vieille.

    LA MORT – Bravo. Vous vous sentez vieille, vous ?

    L’INCONNUE – Oui.

    LA MORT – Quel âge avez-vous ?

    L’INCONNUE – Eh bien… écoutez… je dirais… 65 ans…

    LA MORT – Faux. Je suis ravie de vous apprendre que, génétiquement, vous avez 34 ans.

    L’INCONNUE – Vous savez ça, vous ?

    LA MORT – Oui, je sais ça. J’en sais même plus que ça. Ce n’est pas très vieux, 34 ans. La vie va encore vous traîner un moment. Elle va vous traîner longtemps, très longtemps, oui, très longtemps, très très.

    L’INCONNUE – Ah oui. Et comment ça ? Et comment vous le sauriez ?

    LA MORT – Comment je le sais. Mais parce que vous êtes morte, ma chère.

    L’INCONNUE – Rendez-moi mon nom, maintenant. Non, je ne suis pas morte. Et vous non plus, vous ne savez pas mon nom. Pas morte encore, non. Salope. Mon nom.

    LA MORT – Je le sais. Mais je ne puis pas vous le dire. C’est tout à fait contraire au règlement.

    L’INCONNUE – Cette discussion est atroce.

    LA MORT – Fermez-la.

    L’INCONNUE – Je ne suis pas morte.

    LA MORT – Si. Vous êtes morte. Essayez donc de vous tuer.

    L’INCONNUE – Quoi ?

    LA MORT – Essayez donc de vous tuer.

    L’INCONNUE – On passe encore à la télé, là ?

    LA MORT – Oui. L’audimat monte à max.

    L’INCONNUE – C’est de la folie.

    LA MORT – Si vous ne croyez pas que vous êtes morte, essayez donc de vous tuer. Pour voir.

    L’INCONNUE – Pour voir ?

    LA MORT – Oui, oui, pour voir. Préférez-vous que je vous tue ?

    L’INCONNUE – Non. Non.

    LA MORT – Alors, allez-y.

    L’INCONNUE – Bon. Pourquoi pas, après tout ?

    LA MORT – Adieu Bégonia, adieu Docile.

    L’INCONNUE – Quoi ?

    LA MORT – C’est ce que vous devriez dire. Adieu Bégonia, adieu Docile.

    L’INCONNUE – Adieu Bégonia, adieu Docile.

     

    L’Inconnue se tire une balle dans la tête.

     

    (A suivre…)

  • Vivre tue

    Je livre ici ce texte, écrit en 2005, qui sert de préface (étrange préface, je l’admets) au premier texte de Tout faut : Les Provinces de l’ennui. J’aurais pu l’actualiser un peu, mais j’ai préféré ne pas.

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    Je voudrais dire, tranquillement, que cette préface ne parle ni du théâtre en général ni de cette pièce en particulier. On peut donc, sans dommages pour la lecture, la passer. Mais comme c’est une préface pour rire, et que ce n’est pas si courant, on peut aussi la lire. Et peut-être éclairera-t-elle un peu la lecture de la pièce, on ne sait jamais.

     

    Sur mon paquet de cigarettes, il est écrit :

    Les fumeurs meurent prématurément.

    Prématurément par rapport à quoi ? me disais-je. Cela doit tout simplement vouloir dire : plus tôt que la moyenne.

    Ecrire cela, ce slogan archi-indiscutable depuis que la vérité est devenue statistique, c’est vouloir convaincre les gens qu’il serait mieux, qu’il serait préférable qu’ils vivent plus vieux.

    Mieux ou préférable pour qui, on ne le saura pas.

    Mais ça a l’air d’aller de soi.

     

    Ce qu’on peut entrevoir, peut-être, sous ce slogan, c’est l’idée bénéfiquement égalitaire qui le supporte.

    Une moyenne est un calcul, on le sait.

    Mais idéalement, égalitairement, une moyenne ne devrait même plus être un calcul, fût-il simple. On devrait pouvoir s’épargner tout calcul. Une moyenne devrait être lisible d’emblée, sans calcul, car idéalement, égalitairement, tout le monde devrait mourir au même âge. Les femmes, les hommes, les  enfants, les ouvriers, les patrons, les chômeurs, les vieux, les cons. Tout le monde.

    C’est formidable, une telle idée.

    Tout le monde crèverait littéralement au même âge très tardif (mais tardif par rapport à quoi ? ne nous posons pas la question) parce que tout le monde vivrait de façon rigoureusement identique et que les aléas biologiques, foncièrement inégalitaires, seraient corrigés par la science, la médecine, la prévention flico-routière et par un feu roulant d’interdictions législatives.

    Pour commencer par le plus simple, on a déjà fait en sorte que tout le monde pense et dise la même chose ; ou plutôt que tout le monde répète le même discours public, celui-là même qu’on nous perfuse constamment à longueur de réseaux surciviques et qui n’est rien d’autre, au fond, qu’une injonction létale.

    Je pensais donc à tout cela, et pour tout vous dire, je m’égarais quelque peu. J’alignais des arguments qui, pour donner une idée assez juste de l’imbécillité totalitaire aujourd’hui au pouvoir, ne pensaient pas plus loin que cette dernière : je découvrais les arguments de l’adversaire et, tout à cette découverte, j’omettais tout bonnement, donc, de les penser.

     

    Non, non, c’est philosophiquement qu’il faut aborder ce slogan.

    Les fumeurs meurent prématurément.

    En faisant à cette époque hautement analphabète le crédit d’un néologisme supplémentaire, cela veut dire :

    Les non-fumeurs meurent maturément.

    En somme, donc, les fumeurs sont des prématurés de la mort, tandis que les non-fumeurs, eux, meurent à terme.

    La vie les accouche de la mort au bon moment.

    Ah, mais c’est qu’on est bien au-delà des moyennes, ici, voyez-vous.

    Le non-fumeur – sinon lui-même l’idée du moins qu’en a le pouvoir – est celui qui est prêt pour la mort à tout moment.

    Il est mûr. Toujours prêt.

    Le non-fumeur, toujours selon le pouvoir, est l’archétype du bon citoyen. C’est le scout absolu du civisme.

     

    Dans ce cas, le pouvoir – quel qu’il soit concrètement : Etat ou Europe – n’est rien moins que la Sage-Femme de la Mort. Laquelle, antérieurement à cette naissance invertie qu’est désormais la mort, prodigue à la femme-enceinte-de-la-mort qu’est tout individu de judicieux conseils préventifs, et publicitairement présentés sous forme de slogans indiscutables.

    Tout est inversé, un peu à la manière du 1984 d’Orwell.

    La mort c’est la vie.

    Et la vie concrète le suivi gynécologique permettant d’accoucher à terme de la mort.

     

    L’interdiction à venir de ce que les porcs du pouvoir nomment parfois l’addiction tabacologique, ou plus concrètement l’interdiction de fumer, trahit, comme tout ce qui aujourd’hui éradique le négatif en le criminalisant, cette inversion de la polarité de la vie, le retour de la mort comme égalité et comme matriarcat.

    Hop.

     

    Bref, non seulement le ventre est encore fécond, mais il est plein : et il usine, triomphalement. C’est le progrès.