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dieu - Page 13

  • Le Commandement de la Machine (4)

    Le Commandement de la Machine (1)

    Le Commandement de la Machine (2)

    Le Commandement de la Machine (3)

     

     

    ****

     

    Quatrième série de coupes :

     

    21. Contrairement aux apparences que son intérêt lui dicte de manifester, la Machine est horizontalité pure. – Connectant ensemble selon ses propres lois silencieuses la totalité des produits qu’elle émet sur un marché qui n’est, donc, que la plus évidente de ses manifestations, se développant sans cesse vers l’intérieur comme vers l’extérieur, et par aussi la simple absorption de tout ce qui n’est pas directement son fait, la Machine respire, vit et, dans une certaine mesure partiellement comparable à celle de l’homme : qualitativement égale ou inférieure, à tous point de vue supérieure quantitativement, – pense. Sa pensée n’est pas distincte, en rien, de son action, car elle est matière pure. Et si l’entropie, nécessairement, la travaille du dedans, il faut bien admettre que ce qui doit mourir quelque jour et dispenser ainsi vers le futur une grande quantité d’énergie, occupe manifestement tout le champ du visible, tout le champ de l’irreprésentable. De sorte qu’il est évident que les petits hommes qui, de l’intérieur même de cet agencement de machines que leur esprit ne conçoit que très fragmentairement et ne peut plus du tout se représenter, croient devoir et pouvoir lutter contre l’expansion de la Machine, ne veulent en réalité rien d’autre que leur propre disparition accélérée et partant, avec celle aussi de la Machine, celle donc de toute vie humaine – du moins sous l’actuelle forme qu’ils se figurent qu’elle doit prendre toujours. Ils travaillent néanmoins non pas pour, mais dans la machine ; ils ne savent pas ce qu’ils font. Et, sur le corps plein de la terre, la Machine écrit elle-même en lettres capitales et baignée du sang noir de l’animal humain : In God we trust.

     

    1054. Il n’y a sans doute pas de Machine. Quant aux personnages, s’ils sont, ils sont les Interfaces du Néant ; donc ne sont pas.

     

    1202. Les hyperassassins du nouvel Alamuth ne sont pas, comme jadis, cachés dans une inexpugnable forteresse, non, ils sont des anonymes disséminés sur tout le territoire qu’ils ont à charge de détruire, et pour être clair, ils vivent, naissent et meurent dans nos cités indéfendables, et conséquemment déjà prises. Ce qui est sûr, c’est que ceux qui ne veulent pas se battre, préférant encore lutter pour d’ineptes droits à la retraite ou à se faire enculer – d’ailleurs bien plus symboliques qu’ils ne l’imaginent –, droits aussi qui non moins ineptement leur ont déjà été donnés, ceux dis-je qui ne veulent pas se battre ne seront bien évidemment d’aucun secours, mais pas seulement. Ils sont aussi les complices réels, confits d’une caracolante et macabre innocence, laissant bavasser leur saloperie intégrale de bonne mauvaise conscience de privilégiés voulant l’être encore davantage ; ils sont les complices réels de ceux qui ont décidé leur extermination pure et simple. En ce sens, les gouvernants cacochymes qu’ils élisent à grands renforts de petites contradictions apparentes, sont simplement mandatés pour maintenir l’archicriminelle illusion de la paix. Tels sont nos suicidaires, aptes seulement à lutter, mais sans conscience aucune de le faire, à la destruction totale d’une civilisation qu’ils haïssent aveuglément.

    (A suivre...)

  • Œdipe, de Vladimir Volkoff

     

    OEdipe Volkoff.jpg

     

    Belle pièce précise, concise et poétique que cet Œdipe (1993).

     

    ŒDIPE. – (…) Fondu de bout en bout du même métal, avec des maillons fils qui sont des maillons pères, avec des maillons pères qui sont des maillons fils, sauf le premier et le dernier, car le premier n’aura pas eu de père, et le dernier ne peut avoir de fils sous peine de ne pas être le dernier. C’est enfantin. C’est simple.

     

    Le Chœur qui représente à la fois les enfants de Thèbes et les étoiles a également fonction de jouer du temps ; selon le sens dans lequel il tourne et fait ronde, l’intrigue se déplace vers le futur ou le passé. La pièce peut ainsi commencer par la marche du vieil Œdipe, les yeux crevés, probablement vers Colone, accompagné de sa fille Antigone. Laquelle voit en rêve – le Chœur tourne dans le sens des aiguilles d’une montre – sa fin, après que ses frères se seront entretués sous les remparts de Thèbes, après qu’elle aura désobéi à Créon et rendu, ou tenté de rendre, à Polynice les honneurs funèbres. Racontant à son père sa vision, celui-ci comprend que la tragédie ne finit pas avec lui, et que la destinée poursuit aussi sa descendance. Et nous voilà revenu, de quelques tours de Chœur dans l’autre sens, à la rencontre d’Œdipe et de la reine Jocaste qu’il ignore être sa mère, après qu’il a tué son père, qu’il ignorait être son père, et vaincu le Sphinx, qui, ici, n’est point un sphinx ou l’idée mythologique qu’on s’en fait, mais la Chienne-Chantante, ordinateur femelle et qui règne sur Thèbes, s’étant soumis jusqu’au roi, Laïos, qu’Œdipe, donc, vient de tuer en légitime-défense… parce que celui-ci refusait qu’Œdipe affrontât la Chienne-Chantante.

    L’affrontement d’Œdipe et de la Chienne-Chantante – car elle chante réellement, et de la variété ! – est évidemment le sommet de la pièce. Les trois énigmes sont très bien amenées, commençant par une inversion discrète dans la plus connue, celle des trois âges de la vie et du nombre de pattes, puis poursuivant par deux questions réellement complexes qu’Œdipe déchiffre, décrypte et résout magnifiquement (je n’en dirai pas plus). Vaincue, la Chienne-Chantante explose. Thèbes est libérée, Œdipe enfin peut épouser Jocaste.

    Mais la pièce ici bascule et change ; les vivants et les morts peuvent se parler, à témoin cet extrait de dialogue entre Laïos et Antigone, qui ne se connurent pas pourtant (dans la pièce de Volkoff, c’est la Chienne-Chantante qui, déjà, avait annoncé à Laïos et Jocaste, que leur fils tuerait son père et épouserait sa mère) :

    LE CHŒUR. – Tu as cru que la Chienne-Chantante édictait un oracle infaillible ?

    LAÏOS. – J’ai cru.

    LE CHŒUR. – Et pourtant tu as cru aussi que tu le ferais avorter ?

    LAÏOS. – J’ai espéré.

    LE CHŒUR. – Le père meurt, le fils vit. Le fils à son tour devient père et meurt. Il est interdit d’attenter aux gréements agencés par les dieux.

    ANTIGONE. – Grand-père, ne touchez pas à ce petit

             Enfant. Je dois l’avoir pour père un jour.

     

    La pièce est une très tendre réflexion au milieu des carnages, sur ce qu’est un père, sur ce qu’est un fils ; sur ce qu’est un homme. Elle ne s’épargne pas de poser la question des dieux, et de Dieu, ni de jumeler le destin à la machine (au nom d'animal festif). Et ce tout est rythmé, plus que rythmé, « monté » par ce Chœur représentant à la fois les enfants de Thèbes et les étoiles.

    Ce Chœur qui dit, dans sa première intervention :

    LE CHŒUR. – Nous sommes les étoiles du ciel et nous sommes les enfants de Thèbes.

             Il n’est pas interdit d’être l’un et l’autre.

    Nous sommes les enfants déjà nés et ceux qui attendent de naître,

             nous sommes aussi les étoiles sans destin.

    Au ciel, nous tournons lentement autour de la ville de Thèbes ;

             sur terre, nous grouillons dans ses ruelles tortueuses.

    Et clôt ainsi la pièce :

    LE CHŒUR. – Nous, les étoiles, nous allons rentamer notre ronde ordinaire et attendre la fin du monde en dansant sur la tête des hommes.

     

    Très bien construite, la pièce est également très bien écrite. Les décasyllabes et les vers libres alternent avec la prose, et le tout trouve son unité dans la justesse d’emploi de chacun de ces modes, non moins que dans l’indication de l’auteur ouvrant le livre : « Note sur la diction. La diction doit être celle de la prose soignée. Sauf cas particuliers, la synérèse sera préférée à la diérèse et les e en fin de mot ne se prononceront pas. »

     

     

  • Le Commandement de la Machine (3)

    Le Commandement de la Machine (1)

    Le Commandement de la Machine (2)

     

     

    ***

     

    Troisième série de coupes :

     

    301. Mais dans le nihilisme impérial ne demeure plus d’histoire, plus d’espace ni de temps, plus de société fondée sur un conflit réel ou mimétique, plus de classes et plus d’hommes, finalement. Pauvres et riches sont confits dans la même misère. Tout est égalisé, tout est égal. Ils travaillent pour l’autocratie de la technique, bienvenue les gars.

     

    711. Le Commandement de l’Amour, dans sa formulation christique, est impossible à l’homme. Il est exactement prévu pour cela. Il n’y a rien à dire, c’est d’une balistique impeccable, parfaite. Le plérôme réalisé in absentia.

     

     

     

    (A suivre...)

  • Le Commandement de la Machine (2)

    Le Commandement de la Machine (1)

     

    **

     

    Deuxième série de coupes :

     

    63. Les guerres sont commencées. Simultanées, elles se chevauchent. Personne ne vous demande de choisir : vous appartenez à un camp, ou à un autre. Que cela vous plaise, ou pas, n’est pas une question. Fort heureusement, il est des choses auxquelles on n’échappe pas.

     

    97. De son point de vue, qui est exactement la totalité des divers points de vue qui peuvent ou non s’exprimer, la Machine te cerne totalement ; d’autant plus même qu’elle te somme de choisir entre ses points de vue celui ou ceux dont, toi-même étant monnaie et marchandise, tu devras faire commerce. Ta vie, cette illusion fondamentale que la Machine a intérêt à ne jamais t’ôter, cette illusion au contraire qu’elle se doit de te faire développer toi-même, oui, ta vie même, elle l’appelle dès sa naissance à disparaître en elle, dans sa matière immense, en une fusion matricielle par laquelle ta mort même est judicieusement anticipée. Alors quoi ? – Mais moi, je te dis qu’il n’y a pas à choisir entre ces différents points de vue fabriqués tous à l’identique, mais à prendre en soi la totalité même de ces points de vue, oui, à prendre en soi le point de vue de la Machine. Et bien sûr, c’est impossible.

     

    121. Ta petite volonté imbécile d’échapper aux lois de la reproduction, d’échapper en somme à la génération et à la corruption, littéralement, ne compte pas à part. Elle prouve au mieux, cette croyance que ton destin individuel serait séparé de celui de l’espèce, ton imbécillité ; or, ce n’est pas du tout là que les choses se jouent. Ce calcul, en tant justement qu’il est calcul, appartient de fait à l’ordre de la Machine ; il lui est donc utile.

     

    249. On ne lutte pas contre la Machine, mais seulement contre ce qu’on prend pour elle – qui est fonction d’échelle. Et ce fait même d’attaquer un fantasme de Machine tient à l’illusion nécessaire, fondamentale, de la vie. Ta force de négation demeure ici seulement explétive.

     

    1026. Mais comment peuvent-ils à ce point détester leurs enfants, leurs propres enfants ? Et comment, non moins, trouvent-ils encore le moyen d’ignorer cela même ? Parce que, putain, cela crève les yeux – et justement, sans doute est-ce cela qui les leur crève… L’Europe des loisirs, où gouverne une nouvelle gentilité, saisie d’un effroi rétrospectif, extatique et inintelligent dont la durée trahit sans doute une reddition définitive à la raison inférieure, semble avoir décidé de ne plus commettre d’erreurs, c’est-à-dire de crimes, ce qui est en soi sa plus grande erreur et partant, son crime le plus ignoble – mais sans doute le dernier. Aussi la voit-on attaquée de partout, et par des ennemis qui n’hésitent plus à se nommer, mais elle a décidé unilatéralement qu’elle n’avait plus d’ennemis et que, donc, il était bienséant de ne pas se défendre, et de poursuivre son divertissement – je veux dire : son suicide. Quand on menace de mort toi et ta famille, tu prends des anti-dépresseurs ou tu retournes au cinéma ? Les deux, ah bon… l’un, puis l’autre. C’est formidable, ce qu’ils appellent la tolérance… La crainte et l’espérance étant les deux faces d’une même attente, on peut dire qu’il n’y aura pas, ou très peu, de survivants, car pour qu’il y en ait demain, il en faudrait aujourd’hui. L’histoire est action, conflit et finalement sélection ; en tout cas, elle ne connaît pas la paix. De sorte qu’il n’est finalement qu’un moyen de sortir de l’histoire et ce moyen, c’est d’en sortir en fumée. Bon vent.

     

    1035. Tout serait tellement simple et livré d’emblée au surplomb ridiculement bas de ceux qui passent pour des esprits critiques, si le Commandement de la Machine, nie-toi toi-même, derrière sa face apparente et massive n’en cachait une autre, elle réellement sensée. – Celui qui appartient à la masse et obéit à un Commandement qu’il n’est pas en capacité d’entendre, à un Commandement en somme dont il n’a pas conscience, choisissant parmi les possibles, se nie lui-même et l’ignore. Mais celui qui, entendant le Commandement pour ce qu’il est réellement, voulant y obéir et y obéissant de toute la puissance de son être, autre chose lui étant parfaitement impossible, que fait-il donc sinon se trouver ?

     

     

     

    (A suivre...)

  • Le Commandement de la Machine (1)

    Dans la nuit du 25 décembre 2004, j’ai fait disparaître dans la poubelle numérique de mon précédent ordinateur un texte assez volumineux, environ trois cents pages, qui me paraissait alors impossible à achever et mettre en ordre, et m’avait coûté deux ans de travail, intitulé : Le Commandement de la Machine. Et j’ai commencé, à partir du bref dialogue qui alors le terminait formellement, d’écrire Tout faut.

    Avant de le jeter, j’ai sélectionné dans les paragraphes numérotés, un certain nombre d’entre eux, que je donnerai en cinq livraisons sur Theatrum mundi.

     

    *

     

    Première série de coupes :

     

    1. Ecoutez, hommes accumulés, bande d’humus, strates d’engrais, terreau de l’advenue terminale, écoutez, agencements quelconques de poussière et buée, écoutez et jusqu’à la plus ultime dépossession rendez à la Machine ce qui appartient à la Machine.

     

    48. Pour le reste, c’est la guerre, donc. La Machine déploie ses pions. Les intérêts de la Machine ne sont ceux d’aucun homme, d’aucune société humaine, d’aucune civilisation. A ce niveau, toutes les hybridations seront tentées, sans égard pour les pertes.

     

    81. L’occidenté cause énormément de l’amour, qu’il ne connaît pas, ne pouvant rien connaître ; jusqu’à ce que cet amour, peut-être, devienne le terme générique nommant son délire, le cauchemar dont il ne peut s’éveiller – parce qu’il ne dort pas, ne sachant pas dormir.

     

    135. Ce que l’occidenté, donc, nomme amour n’a d’existence que sociale, n’est rien d’autre qu’un rapport où la qualité est une propriété de la quantité – son prix le plus inaccessible. Et cela même l’occidenté ne le voit pas parce qu’il a fait de l’amour la marchandise suprême, sacrée, la marchandise qui ne paraît pas pour une marchandise. Ce que l’occidenté nomme amour, c’est le marché ; et ce qu’il nomme autrui, c’est l’argent. On ne met rien sur le marché, parce que tout y est déjà. L’enfant qui naît, il naît sur le marché.

     

    218. Les truqueurs de la morale, ces nouveaux gentils, ont construit leur surplomb et les degrés qui y mènent dans le plomb même de cette matière qu’ils prétendent, donc, surplomber. Quelque illusion qu’ils donnent à la masse qu’ils ont à charge d’électriser, quelque illusion aussi qu’ils croient vivre pour eux-mêmes, il n’auront bâti qu’un temple dans le temps, pour la satisfaction des idolâtres dont ils sont la fraction avancée et non pas séparée, et ils ne peuvent conséquemment que retarder encore son inexorable effondrement. Sans doute la beauté même de ces surplombs tient-elle tout entière dans la promesse de leur effondrement.

     

    522. Nie-toi toi-même. Tel est le Commandement de la Machine.

     

    533. Tu voudrais tellement être un héros, mon lapin, mais pour cela il faudrait qu’on te filme. La façon dont tu allumes ta cigarette en marchant dans cette rue est en soi tout à fait digne d’un film d’action américain ; il suffirait du bon cadrage, de la bonne musique, et surtout qu’il ait été préalablement décidé que c’était toi, oui toi, qu’il convenait de regarder. Mais tu passes anonyme dans un chaos de musique de variétés banale, dans un plan tellement élargi que tu n’es qu’une fourmi. Les femmes, même les femmes te regardent à peine. Et ne se resserre finalement sur toi qu’un sentiment d’impuissance que tu ne peux encaisser qu’en pariant sur l’injustice. – Certes tout cela est très dommage, mais toi au moins tu te vois très bien et l’essentiel n’est-il pas que tu aies la sensation d’être vu ? Il y a bien eu un moment où tu as été ce héros anonyme ? Oui. C’est déjà bien. Tu rappelleras maman ce soir.

     

    1018. Faites attention à vous, faites attention au reste aussi puisque vous roulez à grande vitesse sur cette autoroute, voilà, c’est ça, regardez ces voitures et camions qui filent dans les deux sens, prêtez brièvement attention grâce au petit rétro du pare-brise à ce que vous laissez derrière vous – si cette expression a un sens –, imaginez les destinations mêmes provisoires de tous ces véhicules, imaginez les cartes, inventez-les, imaginez leurs déserts et leur zones d’hyperactivité, ne vous demandez rien sauf où, oui, où vont ces gens dans leurs petites coques de métal, ajoutez à ce qui est désormais une cartographie imaginaire et mouvante les transports ferroviaires, maritimes, aériens et spatiaux… bien, et demandez-vous maintenant un instant comment vous pourriez être autre chose qu’un neurone ou un octet accomplissant sa tâche à la surface de ce cortex-machine qu’est peut-être cette planète ; et ce que pourrait bien changer à cela, dans trois minutes, votre crash létal. Cela modifie bien quelque chose, certes, mais quoi ? petit dysfonctionnement aussitôt absorbé. – Quelle information transportez-vous ? où l’amenez-vous ? pour le compte de quoi ?

    (A suivre...)