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dieu - Page 14

  • Vengeance

     

     

    Te voilà empêtré dans tes contradictions, crois-tu. Regarde-toi. Comment peux-tu désirer une chose, et en même temps ne pas l’aimer ? On dirait une vengeance.

    L’étrange machine mauvaise que tu es – aussi. A ton insu ? Vraiment ? Mais tu ne veux pas savoir, n’est-ce pas ?

    Tu te venges. Par le désir. Tes contradictions sont en tas, maintenant. Elles ne formeront pas un édifice présentable.

    Mais tu n’es pas tout le temps bête. Parfois, pour un moment plus ou moins bref, tu te rends compte, et te vois. Puis ta main chasse d’un revers cette grâce. Pauvre fou.

    Tu n’aimes pas, mais voudrais posséder. Vanité. Et ta vengeance n’aboutit pas, ne venge rien, se dissout au néant. Tu es un insensé.

    Tu es un assassin rentré. Un insensé. Un impuissant. Un possédé.

    Les horizons te bouffent. Tu désires et voudrais posséder. Tu veux te venger de toi, petit d’homme ? Mais ton action, avant même d’être, est celle du monde contre toi.

    Tu n’es jamais tant pire que lorsque tu désires du bien. C’est une misère d’arrangement. Pour te supporter. Regarde-toi, ce n’est encore pas toi que tu verras, salopard.

    Tu ne sais pas te voir seul.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Israël

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    La création du monde commençant à s’éloigner, Dieu a pourvu d’un historien unique contemporain, et a commis tout un peuple pour la garde de ce livre, afin que cette histoire fût la plus authentique du monde et que tous les hommes pussent apprendre par là une chose si nécessaire à savoir, et qu’on ne pût la savoir que par là.

     

     

    Blaise Pascal, Pensées, fragment 439, édition Le Guern

     

     

     

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    Images: Moïse par Michel-Ange

  • Sous les réseaux, la mort

    Je livre ici, après une courte présentation publicitaire désormais obsolète, le spectacle ne se jouant plus, une interview de 2006 à propos du spectacle et du texte demi-dieux 7.0 – l’une de mes rares incursions dans un domaine que je n’ose qualifier de science-fiction. Le texte (ed. Le clou dans le fer) et ses premières représentations datent de 2003. La photographie est de P. Latour, et l'on y voit la comédienne Christine Bruneau.

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    Imaginez que la réalité tout entière soit devenue un jeu… Que ce jeu, demi-dieux 7.0, ait sur toute chose une emprise totale.

    Imaginez qu’un jour, la Matrice décide, pour des raisons économiques, d’éliminer Santamaria, sa meilleure joueuse ; et que Non-Non, le virus humain créé à cet effet n’obéisse pas (mais pourquoi ?).

    Le jeu sera-t-il en capacité d’intégrer son propre dysfonctionnement ? Et n’est-il pas dans sa nature de machine de ne fonctionner qu’à coups de dysfonctionnements ? Et quelle place alors demeure-t-il à ce qui reste de l’homme ?

    Bonne chance à tous.

     

     

    SOUS LES RESEAUX, LA MORT

     

    Q. – De quoi parle demi-dieux 7.0 ?

    R. – De ce qui reste de l’homme dans un monde soumis à la Technique, ses machines, ses réseaux.

    Q. – Le titre n’en demeure pas moins énigmatique.

    R. – Dans la pièce, demi-dieux 7.0 est le nom du jeu pour ainsi dire total auquel Santamaria, la joueuse, voue sa vie. Tous les autres personnages sont des émanations du jeu, de la machine ; à commencer par cette voix tout à la fois neutre et féminine qui fait annonce (en décide-t-elle ?) des conditions et contraintes du jeu dans lequel tous sont pris.

    Q. – Comment fonctionne ce jeu ?

    R. – C’est le hic : on ne sait trop, et lui-même pas davantage. Il envoie un virus, Non-Non, éliminer la joueuse qui lui coûte trop cher. Mais, problème, Non-Non n’obéit pas. Du coup, le jeu intègre son propre dysfonctionnement, et décide de gratifier la joueuse d’une promotion. Pour continuer de fonctionner, le jeu ne cesse pas de changer ses règles. Quoiqu’il en soit, c’est sur la joueuse que le piège se referme.

    Q. – Le jeu, ici, est donc une métaphore.

    R. – Oui. On peut penser au système libéral, au marché (culture incluse), comme aussi bien à la vie en général : il n’y a pas d’autre jeu que celui-là et c’est cette vie qu’il faut vivre. Après quoi, même posée ironiquement, la question reste la même : y a-t-il un au-delà ? Dans le spectacle, le jeu et la machine se confondent. – Les hommes ont fabriqué des machines, des réseaux ; puis ils leur sont devenus adjacents. Entre les hommes, il y a des relations (c’est-à-dire de la parole, puisque relation est proche parent de relater) ; entre les machines, des réseaux. Plus il y a de machines et de réseaux, moins il y a de l’homme. Ce qui est tragique, ou aussi bien comique, c’est que l’homme, pour survivre, est obligé de vouloir toujours plus de machine, de réseau. De plus en plus interchangeable et anonyme, il se survit en disparaissant dans la machine, dont il est devenu le carburant. – Comme à la fin de la pièce Santamaria, acceptant de physiquement disparaître pour devenir la nouvelle voix de la machine, une voix officielle.

    Q. – Comment le spectacle parle-t-il de cela ?

    R. – Du point de vue du texte, avec les outils archaïques depuis toujours propres au théâtre : des personnages, des situations, des scènes – et la parole poétique pour mouvoir tout cela. Du point de vue de la scène plongée dans le noir total, avec les outils de l’illusion (apparition, disparition) et la proximité inquiétante entre acteurs et marionnettes.

    Q. – Justement, pourquoi travailler avec des acteurs et des marionnettes ?

    R. – Depuis l’aube des temps, des légendes racontent la volonté de l’homme de créer des êtres artificiels autonomes ; maintenant, c’est fait. Ses plus vieux rêves, l’homme les réalise en cauchemars pour de vrai. – Sur la scène du théâtre les marionnettes, pourvu qu’elles soient confrontées à des êtres de chair, peuvent représenter ces êtres artificiels. Dans le spectacle, les marionnettes ont des voix artificielles, elles s’avouent marionnettes ; et l’inquiétant provient de ce que les acteurs se modèlent sur elles, se marionnettisent…

    Q.- Il reste des rapports homme-femme, tout de même ?

    R. – Pour la première fois dans mon écriture, non. Dans demi-dieux 7.0, on est après le conflit, après l’extermination de la différence ; pour ainsi dire après l’humanité. Il y a la joueuse, bouffée d’isolement, et elle n’a de contact avec rien qui soit un être humain, homme ou femme. Ce qui n’empêche pas qu’on lui propose une duplication, sorte de croisement entre la reproduction techniquement assistée et le clônage pur et simple. Le monde-machine dont je parle (et qui est en grande partie déjà là) n’a plus besoin des mâles ; s’il en conserve quelques-uns, en guise d’épouvantails réactionnaires, c’est pour le décorum ou bien la propagande.

    Q. – Vos propos, tout de même, tournent autour de l’idée de création, de dieu ou de demi-dieu ?

    R. – L’homme, c’est le mauvais démiurge. Il ne sait pas du tout faire. Il amalgame, il empile, il connecte, il indifférencie, il décloisonne, il abolit les frontières et fait sauter les tabous, comme s’il voulait oublier que toute civilisation est fondée sur des tabous, à commencer par les interdits du meurtre et de l’inceste. Ca produit à coup sûr des horreurs. A contrario, le Dieu de la Genèse, lui, crée en divisant ; il sépare le jour de la nuit, le ciel de la mer puis la terre de la mer, l’homme des animaux, et même la femme de l’homme. En divisant – en discriminant dirait-on aujourd’hui –, il nomme. Nommant, il est le Verbe. Aujourd’hui, le premier imbécile anonyme venu, tout farci de faciles amalgames en vente libre et de prétentions mégalomaniaques à la con, parle de création (1) et regardez comme ses prétendues créations filent en effet tout droit vers l’inarticulé, la perte de langage, de logique, de raison… Le théâtre n’est pas création, mais mimésis, c’est-à-dire imitation d’un réel donné, cette imitation supposant un écart, une séparation, une différenciation et partant, une interprétation critique qui est avant tout opération de langage.

    Q. – En somme, votre spectacle, qui décrit un univers hautement technologique, n’a pas recours à ce qu’on appelle aujourd’hui les nouvelles technologies ?

    R. – Et vous, pour parler de Tchernobyl par exemple, et en penser quelque chose, vous avez besoin d’uranium ?

     

     

     

     

    (1) Il emploie le mot de création simplement pour masquer que ses problèmes réels, très banalement, ne sont que des problèmes de production et de vente ; et par là, se vautrant dans la vulgarité, il se donne l’air artiste.

  • Sans le Moyen Âge, on ne comprend rien...

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    Non. Il fut gallican, ce siècle, et janséniste !

    C’est vers le Moyen Âge énorme et délicat

    Qu’il faudrait que mon cœur en panne naviguât,

    Loin de nos jours d’esprit charnel et de chair triste.

     

    Roi, politicien, moine, artisan, chimiste,

    Architecte, soldat, médecin, avocat,

    Quel temps ! Oui, que mon cœur naufragé rembarquât

    Pour toute cette force ardente, souple, artiste !

     

    Et là, que j’eusse part – quelconque, chez les rois

    Ou bien ailleurs, n’importe, – à la chose vitale,

    Et que je fusse un saint, actes bons, pensers droits,

     

    Haute théologie et solide morale,

    Guidé par la folie unique de la Croix,

    Sur tes ailes de pierre, ô folle Cathédrale !

     

     

     

    Le sonnet qui précède est le dixième poème de la première partie de Sagesse, de Verlaine, recueil publié en 1880.

  • De l'invertissement II (Paroles)

    La première partie : ici. 

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      II. PAROLES

     

    Ah ! Ah ! Je vais parler contre le suicide. Contre l’obligatoire assassinat de soi. Contre le monde qui vient, en somme, et qui, aussi, essentiellement, est là depuis un bon moment déjà, plusieurs siècles. Si j’eusse pensé que ce monde neuf, sous son couvert opacifiant de rhétorique inverse, pure propagande de transparence, n’était pas, et presque exclusivement, Terreur et Destruction – terreur musicalement rythmée et soumettant à l’obligatoire approbation cacophonique des masses exactement tout ce qui vient, sans Discrimination aucune puisque c’est la capacité même de distinguer quoi que ce soit que l’on fait jovialement disparaître, en une festive abolition des frontières et séparations fourguant un monde de métissage généralisé vendu comme essence, sinon race, supérieure ; destruction des fondements jadis tus de la de la Raison et de la civilisation, je veux dire : levée des tabous jadis la garantissant contre le crime et la folie, ces deux jolies marottes de notre temps de fosses communes désormais hygiéniques –, eh bien, dis-je, si j’eusse pensé que ce monde neuf tirant libidineusement à lui toutes les atrocités à venir n’était pas avant tout Terreur et Destruction, je n’eusse tout bonnement pas écrit cette longue phrase. (– C’est compliqué exprès, et ce n’est pas fini.) Nous entrons aux temps abjects de la Crimination. Et par la grande porte, encore ! Et en fanfare bruitiste ! Je parle contre le suicide. (– Trop tard, mon lapin.) Te voici dans l’Occident forclos, ayant accompli le prodige suicidaire de se forclore lui-même. Raison évacuée dans les eaux glacées du calcul scientifique – produits dérivés inclus –, l’accès est aujourd’hui barré de la réalité ; et toute parole prétendument autorisée doit parler à côté, et à faux, usant contre toute politique connue de recours utopiques et idéologiques, du fond d’une insondable prostitution qui se voudrait pourtant bénigne, voire même légitimante. C’est notre propre meurtre qu’ainsi nous tramons obscurément, justifiant présentement et par anticipation toutes sortes de barbaries bariolées, et cette affaire assurément serait simple si nous avions réellement le courage de nos actes insensés, délirants – mais ce mépris du danger est justement ce que nous nous interdisons avec une fermeté des plus étranges, pourrait-on dire ultime ?  Et le moment du suicide, toujours éminent, toujours souhaité, est tout de même incessamment repoussé, procrastiné – comptablement reporté à nouveau, comme s’il nous devait être crédit ; de sorte qu’il écherra sur ces enfants idolâtrés que nous choyons et choyons et choyons, sur ces enfants à notre effigie, pantins que nous désarmons pour nous et déjà vêtons de blancs linges, et offrons en généreux sacrifice à ces barbaries adulées que nous appelons de nos vœux. En fait de transmission, les gosses en somme paieront la note de rien moins que leur vie – c’est pas du cash, ça ? –, ce qui est une manière de malédiction d’une puissance nouvelle : point ne sera besoin de décompter dans les siècles tant ou tant de générations. Bien, bien. Je parlerai en poète, puisque n’importe qui l’est – et par quoi, au nom de quelle autre moderne magie m’exciperais-je d’autorité de notre désormais égalitaire sort funeste et commun ? (– Bienvenue dans mes lignes de code, cerveau étranger : vous disposez ou non des connaissances pour que les connexions s’opèrent… – Il y a des pièges ? – Toute une batterie, oui. Moi aussi, je me bats.) La poésie contemporaine – cet adjectif est disqualificatif, je le rappelle – est devenue une Province de la Technique. On en est arrivé là lentement, de catastrophe en catastrophe, de romantisme triomphant en romantisme honteux. D’extases atroces, mais satisfaites, en atrocités industriées, jugées satisfaisantes dans la réalité – à preuve qu’on les poursuit, reniant chaque fois les précédentes, sur des échelles jamais vues, à des cadences infernales. Le Progrès. Jusqu’à l’humiliation définitive du poète – et peu me chaut qu’on juge immoral qu’après de telles évocations de meurtres de masse je ramène à ma phrase le seul petit poète, innocent amateur dans un monde de victimes toujours plus bankables –, humiliation consentie, quémandée, revendiquée – finalement stipendiée. L’humiliation, hein, pas l’humilité – bien au contraire. Une espèce d’humiliation volontaire, selon le mode inverti qui occupe désormais le monde, dont grassement, avec des vulgarités de maquerelles, nous nous faisons titres de gloire – bons au porteur. Un néologisme pour caractériser cette accumulation-là : Invertissement. (– Tu fais quoi, en ce moment ? – J’invertis, tout bonnement. – Ah, et ça rapporte ?) Les poètes usinent précieusement de petites choses techniques, insensées, démolissent au glaviot la syntaxe. Le fait est qu’ils font des miniatures, point d’épopées ; mais des miniatures de quoi, je voudrais bien le savoir. On ne reconnaît rien, jamais. Il faut deviner ! Et lire encore n’importe quoi, en bons devins, dans les entrailles fétides de la modernité. Je suis sans doute bouché, je n’augure rien, et surtout rien de bon dans les cadavres… Ces poètes-là réputent donc leurs tristes messages encodés, encodés de ce pauvre code qu’ils seraient en définitive eux-mêmes, ces infatués du néant, et qui ne se communique pas. (– Qu’as-tu fait de ton Talent ? –  Eh bien, vois comme je suis vertueux, mais je lui ai chié dessus tout le long de la vie ! pour le protéger hein, et mes lecteurs éventuels se doivent d’être avant tout fouille-merde…) Ils ravagent le champ même de la langue, au nom que chacun fait la sienne ; et tous en font finalement une seule, et qui comme telle n’est pas. (Et je vous interdis ici de songer, même approximativement, à la Babel de la Bible ; les fameux Dalton de Lucky Luke, creusant pour s’évader de la même cellule du même pénitencier chacun leur propre trou exactement identique, et identique car différent, est une image bien plus juste.) C’est leur propre écrabouillis chaque fois qu’ils écrasent sur la page. Quand par extraordinaire demeure une page. Ils sont passés dessous la parole, sont retournés aux animaux en se prenant pour de petits dieux lares, et ça ne suffira pas, techniquement, de foutre à homme une majuscule de pure forme. Oh, ce n’est pas simplement un échec ou une impasse, moins encore quoi que ce soit qu’on puisse banaliser et ramener à tel ou tel particulier, et pas davantage ce n’est une aporie, non, c’est une extermination qui voue chaque langue à sa disparition paradoxale, ensevelie sous des mégatonnes de discours secondaires très fashion eux-mêmes voués à l’illisible. Pour les mêmes causes de fond, quoique avec des moyens fort différents et pour l’heure considérablement moins sanglants, cette extermination voue par exemple la langue française à devenir bientôt ce qu’est aujourd’hui, hélas, le yiddish. (– Tout le monde s’en fout ? Je passe… Mais comme Terminator, I’ll be back !) Il faut désormais des tombereaux de citations ineptes, généralement de philosophes ou assimilés, ces favorites tarifées du tyran, lesquelles élèvent avec une candeur trafiquée de pervers sexuel leur athéisme au rang d’acquis social, pour défendre dans le vide de petits monceaux de syllabes qui font regretter de ne pas s’être plongé plutôt dans un magazine féminin, par exemple, ou dans un merveilleux roman – contemporain lui aussi. Les poètes dont je parle ce soir sont de droit, et tels, sont aussi bien n’importe qui, et j’appelle donc ici poète exactement n’importe qui – l’invertissement toujours –, non qu’il se soit agi jadis de naissance mais bien plutôt d’une élévation et finalement d’une noblesse, en aucun cas d’un droit ; et voilà bien ce qui effraie ma chronique. Ils sont n’importe qui, dis-je, et l’époque recrute large, arguant d’une clause égalitaire qui justifie les abrutis, n’admettant de les discriminer que pour les propulser à d’inenvisageables sommets (mais que sont-ils vraiment, ces sommets de l’invertissement ?). Ils sont n’importe qui, ils parlent n’importe comment pour dire n’importe quoi, et ils s’en contrefoutent eux-mêmes, pourvu que ça serve, que ça invertisse et donc rapporte. Oui, je parle aussi, dans ce toujours même paragraphe, de l’Argent, mais pas seulement ; je parle de son mode à nouveaux frais de collusion avec cette espèce de post-nazisme qui ne menace guère de submerger les basses terres de notre époque, parce qu’elles sont déjà intégralement noyées sous lui. Entendons-nous bien : je ne parle là que de ce qui, sous des étiquettes diversement colorées, est déjà présent et gouverne, si ce terme s’est conservé un sens ; qui, aussi, tient à demeurer insu de lui-même afin de perversement se préserver de toute critique, et plus encore de toute crise réelle. Je parle bien, après la trahison – cette fois triomphale ! – de Dieu, de cet irrémissible péché contre l’Esprit en quoi consiste le suicide normatif de toute une civilisation. Et je vais pour finir vous dire ce qu’ils font, ces poètes qui n’en sont aucunement, faute d’œuvre, eh bien c’est pourtant simple, comme ils peuvent, avec leurs pauvres moyens d’impuissants et leur nombre de plus en plus élevé – les possédés sont Légion –, ils ne font rien moins que Désincarner le Verbe (y parviennent-ils vraiment ? C’est bien possible). Et le plus affligeant, et le plus amusant aussi, c’est qu’ils ne me contrediront pas. Ils sourient, même, flattés sans doute de cette reconnaissance inutile, et qui déjà m’expulse. Et moi aussi, je souris. Et puisque, au fond, je n’ai pas d’autre ambition dérisoire, prostituée que celle d’être un auteur comique, un humoriste idiot de ces temps festifs égayant de sa coruscante noirceur les grandes soirées mondaines et auto-promotionnelles de révolutionnaires en peluche, je souris moi aussi en posant cette navrante question : Qui ai-je donc imité ?

    Il faut bien que je rigole pour vous. Mais tout de même, je crois que maintenant, vous devriez relire ce texte.