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dieu - Page 16

  • Prière pour mon lecteur, par saint Irénée de Lyon


    Je m’adresse à Toi, Seigneur,

     

    Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac,

    Dieu de Jacob et d’Israël,

    Toi le Père de notre Seigneur Jésus-Christ.

     

    Dieu qui dans la surabondance de ta miséricorde,

    T’es complu en nous, pour que nous te connaissions ;

     

    Toi qui as fait le ciel et la terre,

    Toi qui domine toute chose,

    qui es le seul et vrai Dieu,

    au-dessus de qui il n’est pas d’autre Dieu ;

     

    Toi qui, par notre Seigneur Jésus-Christ,

    donne aussi la force de l’Esprit Saint ;

     

    Donne à tous ceux qui liront cet écrit

    de reconnaître que tu es le seul Dieu,

    d’être fortifiés en Toi

    et de se garder de toute doctrine hérétique,

    athée et impie.

     

    (Sources : Irénée de Lyon, Contre les hérésies III, 6, 4. Texte trouvé sur le beau site Patristique.org.)

  • Insipiens Rex

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    Cur, nisi quia stultus et insipiens ?

    Saint Anselme de Cantorbéry, Proslogion

    « Pourquoi, sinon parce qu’il est sot et insensé ? »

     

    1. Dramatis personae

    Il y a une continuité, et une évolution, de Nietzsche.

    Si je les condense, la pensée de Nietzsche, quitte à la réduire ici de façon outrancière, est une mise en tension entre deux termes polaires, dont un seulement, dans le cours du temps, de l’œuvre et de la pensée, significativement, a changé.

    Il y a, dès le départ : Dionysos et Apollon.

    Et il y a, à la fin : Dionysos et le Crucifié.

    Apollon et le Crucifié, notons-le, ne sont pas interchangeables, quoiqu’en nombre de points ils se ressemblent. Un autre nom d’Apollon est Loxias, l’Oblique, et l’ « oblique » est une façon parmi d’autres dont la Chrétienté appréhendera, plutôt que : nommera, le diable. (D’une manière comparable, Léon Bloy, à la fin du Salut par les Juifs, note qu’il est à peu près impossible de séparer Lucifer et le Paraclet (l’Esprit Saint), fût-ce dans l’extase béatifique…)

    Toutefois, aucun de ces termes polaires, entre lesquels oscille et peut-être se positionne toute vie humaine, n’est à proprement parler un concept. Les philosophes ont parlé, parleront, peut-être parce que c’est leur gagne-pain, peut-être parce qu’ils obéissent, de personnages conceptuels. Foutaises.

    Ces termes sont avant tout des noms propres.

    Des noms de personnages.

    Des noms de dieux, aussi.

    Et ce ne sont pas les seuls.

    Il y a encore : Dieu – le Dieu des Juifs et des Chrétiens – dont l’hypothèse qu’Il est mort emplit – et barre – tout l’œuvre de Nietzsche.

    Et il y a aussi, bien, sûr, Zarathoustra, un ancien dieu, mort lui aussi, mais depuis des siècles, que Nietzsche essaie de réactiver, sinon pas : ressusciter, en vain, magnifiquement.

    Des noms de dieux, donc.

     

     

    2. Aporie tragique

    Et puis, il y a ce petit personnage très commun, multiple et protéiforme, qui se trouve avoir envahi le monde, «  la maison de fou des idées modernes », et qu’en sa dramaturgie singulière Nietzsche nomme l’insensé.

    Car c’est bien cet insensé-là, générique et multiple, qui ne se trouve aucun nom – serait-il légion ? – qui a charge de porter l’annonce de la mort de Dieu. Notez qu’en ce célèbre fragment 125 titré « L’insensé » du Gai savoir, notre insensé est tout à fait catastrophé. Non sans raison.

    J’emploie le terme de catastrophe, parce qu’il a un sens dramaturgique précis : « C'est le changement ou la révolution qui arrive à la fin de l'action d'un Poëme Dramatique, & qui la termine. » (Dictionnaire dramatique, 1776, par La Porte et Chamfort).

    Mais Nietzsche ne nomme pas ici par hasard insensé son personnage.

    Sans prétendre le moins du monde à l’exhaustivité, je me conterai d’évoquer deux textes importants, bien antérieurs à Nietzsche, où il paraît :

    Le psaume 14 (ex-psaume 13), dont je donne ici la traduction Segond :

    « L’insensé dit en son cœur : il n’y a point de Dieu !

    Ils se sont corrompus, ils ont commis des actions abominables ;

    Il n’en est aucun qui fasse le bien. »

    Le Proslogion de saint Anselme de Cantorbéry, où notre personnage paraît sous le beau nom latin d’insipiens.

    Il ne faudra pas moins de trois chapitres – les II (Que Dieu est vraiment), III (qu’il est impossible de penser qu’Il ne soit pas) et IV (Comment l’insensé a-t-il dit dans son cœur ce qui ne peut être pensé) – à saint Anselme pour traiter les problèmes que pose à sa preuve que Dieu est la première phrase de cet ex-psaume 13 ; et il finira même par fonder, en grande part, sa preuve sur cette phrase, après l’avoir remarquablement retournée.  (Je renonce à citer ici le Proslogion, parce que la démonstration d’Anselme est si serrée qu’il me faudrait transcrire ici l’intégralité des trois chapitres en question, et que là n’est pas, ce jour, mon objet…

    Comment l’insensé a-t-il gagné le monde, « notre » monde ?

    Comment le monde, « notre » monde est-il devenu le cœur même de l’insensé ?

    Et pourquoi ?

     

    Nullus quippe intelligens id quod deus est, potest cogitare quia deus non est, licet haec verba dicat in corde, aut sine ulla aut cum alliqua extranea significatione. Nul ne peut assurément reconnaître ce que Dieu est et penser qu’Il ne soit pas, bien qu’il (puisse) dire ces paroles dans (son) cœur sans aucune signification ou avec quelque signification étrangère.

    (Proslogion, IV – traduction Michel Corbin, éditions du Cerf, 1986)

    Il m'importe peu, ici, que Nietzsche parlant de l'insensé ait pensé, outre le psaume, davantage à saint Paul qu'à saint Anselme.

     

     

    L’insensé, lui, n’a rien pensé du tout. Il s’est simplement, à un moment de l’Histoire, trouvé nombreux. Il est parvenu à imposer son gouvernement, qui n’en est pas un.

    La catastrophe a eu lieu. C’est tout. Et sans doute a-t-elle encore lieu. Elle se déploie, dans toutes les directions opère sa destruction, ne laissera rien debout, pas un mot.

    La mort de Dieu est une victoire de la folie sur la raison.

    Pourtant, il est lui aussi catastrophé, l’insensé. Il se vante de son geste dans le même mouvement qu’il le déplore. Il lui a fallu des millénaires pour commettre cet assassinat singulier, et il ne le fera jamais plus…

    Nietzsche également sait qu’on ne reviendra pas en arrière. C’est même là que se trouve le problème. Je ne parle pas ici d’un problème abstrait, philosophique. Si le problème était philosophique, il n’aurait aucune espèce d’importance.

    Avec Dieu, les valeurs supérieures ont été emportées, sans retour.

    La tâche de Nietzsche, trouver un autre moyen de sauver les valeurs supérieures, est impossible. Elle est peut-être même déjà insensée.

    Il y a l’insensé. Et puis tous les dieux morts.

    Il y a les dieux morts, bien davantage vivants que l’insensé.

    Et parmi les dieux morts, bien davantage vivant que les autres, il y a le Crucifié.

     

    Peut-être.

     

  • Lire l'illisible (Elisabeth Bart)

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    Poursuite du vent.

    Il me paraît tout à fait au-dessus de mes forces de parler du très beau texte d’Elisabeth Bart, Le Qôhéléth, livre illisible. Après tant d’évidence, de clarté, de beauté, je me sens idiot et cela ne m’est pas un problème.

    J’ai toujours beaucoup aimé L’Ecclésiaste, puisque c’est de ce livre de la Bible qu’il est question. Je puis même dire que ce livre m’a fasciné. Mais pas seulement.

    C’est un livre qui ne vous lâche pas : sa violence, les questions qu’il vous pose, tournoient, assaillent, finalement réduisent en poussière vos maigres certitudes, vos navrantes et terrestres opinions, en somme tout ce que vous êtes socialement. Tout ce que vous croyez être.

    C’est un livre qui vous ramène à rien. A ce rien que nous sommes.

    C’est un livre, aussi, qui vous ramène à Dieu. Je le sais.

    Per speculum in aenigmate.

    Mais ces pauvres phrases (les miennes, hein), outre qu’elles sont idiotes, sont également inutiles.

    Si vous voulez pouvoir lire enfin, vraiment ce bref grand livre qu’est L’Ecclésiaste, je ne puis que vous recommander la lecture du texte d’Elisabeth Bart, que vous trouverez sur le site du Stalker.

     

  • Dans les ténèbres, par Léon Bloy

    I

    Le mépris

     

    Oh ! le délicieux, l’inappréciable refuge ! Rafraîchissement surnaturel pour un cœur tordu d’angoisse et de dégoût ! Le mépris universel, absolu, des hommes et des choses. Arrivé là, on ne souffre plus ou du moins on a l’espérance de ne plus souffrir. On cesse de lire les feuilles, on cesse d’entendre les clamitations du marécage, on ne veut plus rien savoir ni rien désirer que la mort. C’est l’état d’une âme douloureuse qui connaît Dieu et qui sait qu’il n’existe rien sur terre où elle se puisse appuyer en nos effroyables jours.

    Est-il nécessaire pour cela d’être devenu un vieillard ? Je n’en suis pas sûr, mais c’est tout à fait probable. Le mal est énorme, pensent les hommes qui n’ont pas dépassé soixante ans, mais il y a tout de même ceci ou cela et le remède n’est pas impossible. On ne se persuade pas que tout est dans le filet du mauvais chasseur et qu’il y a un ange de Dieu ou un homme plein de miracles pour nous délivrer.

    La Foi est tellement morte qu’on en est à se demander si elle a jamais vécu, et ce qui porte aujourd’hui son nom est si bête ou si puant que le sépulcre semble préférable. Pour ce qui est de la raison, elle est devenue si pauvre qu’elle mendie sur tous les chemins, et si affamée qu’on la vue se repaître des ordures de la philosophie allemande. Il ne reste plus alors que le mépris, refuge unique des quelques âmes supérieures que la démocratie n’a pu amalgamer.

    Voici un homme qui n’attend plus que le martyre. Il sait de façon certaine qu’un jour il lui sera donné de choisir entre la prostitution de sa pensée et les plus horribles supplices. Son choix est fait. Mais il faut attendre, il faut vivre et ce n’est pas facile. Heureusement il a la prière et les larmes et le tranquille ermitage du mépris. Cet ermitage est exactement aux pieds de Dieu. Le voilà séparé de toutes les concupiscences et de toutes les peurs. Il a tout quitté, comme il est prescrit, renonçant même à la possibilité de regretter quelque chose.

    Tout au plus serait-il tenté d’envier la mort de ceux qu’il a perdus et qui ont donné leur vie terrestre en combattant avec générosité. Mais cette fin elle-même le dégoûte, ayant été si déshonorée par les applaudissements des lâches et des imbéciles.

    Et le reste est épouvantable. La sottise infinie de tout le monde à peu près sans exceptions ; l’absence, qui ne s’était jamais vue, de toute supériorité ; l’avilissement inouï de la grande France d’autrefois implorant aujourd’hui le secours des peuples étonnés de ne plus trembler devant elle ; et la surnaturelle infamie des usuriers du carnage, multitude innombrable des profiteurs grands et petits, administrateurs superbes ou mercantis du plus bas étage, qui se soûlent du sang des immolés et s’engraissent du désespoir des orphelins. Il faut être arrivé, après tant de générations, sur ce seuil de l’Apocalypse et être ainsi devenu spectateur d’une abomination universelle que ne connurent pas les siècles les plus noirs pour sentir l’impossibilité absolue de toute espérance humaine.

    Alors, Dieu qui sait la misère de sa créature confère miséricordieusement à quelques-uns qu’il a choisis pour ses témoins la suprême grâce d’un mépris sans bornes, où rien ne subsiste que Lui-même dans ses Trois Personnes ineffables et dans les miracles de ses Saints.

    Lorsque le prêtre élève le calice pour recevoir le Sang du Christ, on peut imaginer le silence énorme de toute la terre que l’adorateur suppose remplie d’effroi en présence de l’Acte indicible qui fait paraître comme rien tous les autres actes, assimilables aussitôt à de vaines gesticulations dans les ténèbres.

    L’injustice la plus hideuse et la plus cruelle, l’oppression des faibles, la persécution des captifs, le sacrilège même et le déchaînement consécutif des luxures infernales ; toutes ces choses, à ce moment-là, semblent ne plus exister, n’avoir plus de sens en comparaison de l’Acte Unique. Il n’y a plus que l’appétit des souffrances et l’effusion des larmes magnifiques du grand Amour, avant-goût de béatitude pour les écoliers de l’Esprit-Saint qui ont établi leur demeure dans le tabernacle du royal Mépris de toutes les apparences de ce monde.

     

     (Dans les ténèbres, dernier livre de Bloy, 1917. Recopié de l’édition des Œuvres de Léon Bloy, tome IX, Mercure de France, 1969, édition de Jacques Petit.)