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critique - Page 32

  • En lisant René Girard (2), une didascalie de Giraudoux

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    On trouve, au début d’Achever Clausewitz, entretiens de René Girard avec Benoît Chantre, l’idée que l’ « action réciproque » – terme clausewitzien emprunté aux tables des catégories de Kant – conduisant à la « montée aux extrêmes » est identifiable aux termes girardiens de « principe mimétique », et de « médiation double ».

    Benoît Chantre, p. 39, amène ainsi la chose :

    « Ne peut-on pas dire alors que si la politique court derrière la guerre, il nous faut penser l’action réciproque à la fois comme ce qui provoque cette montée aux extrêmes et ce qui la diffère ? Le principe mimétique, cette imitation du modèle qui devient imitateur à son tour et entraîne un conflit redoublé de deux rivaux, cette action réciproque que vous appelez « médiation double » dans vos livres, n’est-elle pas ici définie comme le moteur autonome de l’histoire ? »

    Et René Girard de répondre en détail, un peu plus loin, p. 44-45 :

    « Il est donc vrai que l’action réciproque provoque et diffère à la fois la montée aux extrêmes. Elle la provoque si chacun des deux adversaires se comporte de la même manière, répond aussitôt en calquant sur l’autre sa tactique, sa stratégie et sa politique ; elle diffère la montée aux extrêmes, si chacun spécule sur les intentions de l’autre, avance, recule, hésite, en tenant compte du temps, de l’espace, du brouillard, de la fatigue, de ces interactions constantes qui définissent la guerre réelle. (…) L’action réciproque peut donc être à la fois source d’indifférenciation et créatrice de différences, fauteur de guerre et facteur de paix. Si elle provoque et accélère la montée aux extrêmes, les « frictions » propres au temps et à l’espace disparaissent, et cela ressemble étrangement à ce que j’appelle « crise sacrificielle », dans mon approche des sociétés archaïques. Si, au contraire, l’action réciproque diffère la montée aux extrêmes, elle vise à produire du sens, des différences nouvelles. Mais tout se passe, encore une fois, pour des raisons que j’ai maintes fois tenté d’élucider dans mes livres, comme si c’était l’imitation violente qui l’emportait aujourd’hui : non plus celle qui ralentit, freine le cours des choses, mais bien celle qui l’accélère. Les conflits en cours en donnent maints exemples inquiétants. Nous commençons à entrevoir que la retombée d’un conflit n’est toujours qu’apparente, et laisse ouverte une possibilité de rebondir de façon plus violente encore. »

     

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    Il y a un moment que je veux écrire une note sur la didascalie ouvrant le premier acte de La guerre de Troie n’aura pas lieu, de Jean Giraudoux.

    Je ne savais trop comment amener brièvement cette phrase apparemment plate et descriptive, pour qu’elle soit comprise dans sa profondeur à la fois concrète et poétique ; et voilà que c’est la lecture de Girard qui m’en donne l’occasion. Notamment ces phrases-ci :  Les conflits en cours en donnent maints exemples inquiétants. Nous commençons à entrevoir que la retombée d’un conflit n’est toujours qu’apparente, et laisse ouverte une possibilité de rebondir de façon plus violente encore.

    La guerre de Troie n’aura pas lieu est une pièce écrite (et représentée pour la première fois au Théâtre de l’Athénée sous la direction de Louis Jouvet) en 1935.

    La guerre de Troie, comme on sait, aura lieu. Et elle n’est pas n’importe quelle guerre. Elle est la guerre après laquelle Troie n’existera plus. (De vilains esprits objecteront peut-être que de ce sac d’Ilion naîtra plus tard, vers l’Ouest, Rome.)

    Voici enfin cette simple phrase ouvrant et le premier acte et la pièce :

     

    « Terrasse d’un rempart dominé par une terrasse et dominant d’autres remparts »

     

    De tout cela ne restera rien : ni terrasse ni rempart.

  • Un vrai roman (Mémoires), de Philippe Sollers

    J’ai retrouvé aujourd’hui ce brouillon inachevé. A son titre près, je le publie tel quel. Son sujet n’en mérite pas davantage. (Le titre initial de ce billet était : Sollers, la compil ; mais n’ayant pas achevé de l’écrire, je préfère, plus simplement, donner le titre du bouquin.)

     

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    Peut-être, après tout, un écrivain de l’ampleur de Philippe Sollers ne pouvait-il ramener mieux, de ce demi-siècle à user ses indestructibles semelles dans les couloirs des rues Jacob et Sébastien-Bottin, qu’une apologie de lui-même et de ses changeantes lumières. Le fait est que notre admirateur de l’immense Saint-Simon, en ses mémoires, ne s’oublie pas du tout et mieux (puisqu’il serait évidemment odieux de reprocher à un mémorialiste de parler de lui) ne se remémore au fond que lui seul, avec une satisfaction méritée.

    Les changements des mœurs survenus dans la période de son activité littéraire, aussi énormes soient-ils, et que l’auteur en question en ait été sinon un acteur du moins un figurant, ne lui inspirent que quelques maigrelettes phrases génériques, fleurant cliché, d’une platitude effarante ; de sorte que cela qui eût fait les délices horrifiques et détaillées d’un Balzac, d’un Saint-Simon ou d’un Chateaubriand – pour, avec l’auteur, ne point trop ici discriminer mémorialistes et romanciers –, sert seulement chez Sollers élevant à sa gloriole une statuette éphémère, pas même de toile de fond, mais plutôt de papier peint pisseux, sur lequel se détache l’Exception, c’est-à-dire : lui-même.

    Car Sollers est l’Exception ; et tel processionne-t-il, et tel théorise-t-il. La preuve en est d’ailleurs qu’il ne cesse de le dire, et de le faire dire. Ce qui est très réussi. Il est exceptionnel en cela que, comme tout le monde à présent, il le dit lui-même de lui-même ; et mieux, notre tâcheron  exceptionne formidablement, faisant à sa propre exception exception, au moins en cela qu’il le dit et fait dire beaucoup plus que les autres commerciaux concurrents, pourtant désinhibés et revenus de tout eux aussi, ne l’osent ou, plus simplement peut-être, ne le peuvent.

     

    Le style de Sollers est plus alerte et fluide que jamais.

    Sollers, on l’apprend, n’est pas un pseudonyme : non, c’est un « pseudo ».

    Lisez Un vrai roman (Mémoires), mais seulement si vous êtes constipé.

    Le style de Sollers est très très laxatif.

     

     

     

    Nota : J'emprunte à Pierre Jourde, pour la photographie, l'idée de comparer Sollers à Catulle Mendès.

      

  • Je singe (fiction spéculative)

    « Le libre-arbitre consiste en ce que nous ne pouvons connaître maintenant les actions futures. » Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus (traduction française de Gilles-Gaston Granger)

     

    Je n’ai pas un goût prononcé pour la science-fiction.

    Certaines œuvres pourtant, livres ou films, me plaisent beaucoup ; nonobstant quoi je conserve à l’égard de ce genre une réticence profonde, capable de parfois carrément virer à répugnance.

    Peu importe, après tout.

     

    Je dois noter que le sous-genre – quel rangement de bureaucrate, ou de magasinier, selon les options et folies – parfois nommé speculative fiction est celui, de loin, qui m’intéresse le plus (en attendant leur hypothétique advenue dans la réalité, les bastons d’empires cosmonautiques m’emmerdent…) : James Graham Ballard, par exemple. Ou George Orwell.

     

    Je dois également avouer être un garçon prosaïque, presque exclusivement intéressé par la réalité : rien ne m’intéresse autant que les rapports spéculaires, mimétiques qu’entretient avec son époque la littérature.

    La science-fiction m’apparaît donc, très souvent, comme le lieu où la métaphysique, le manichéisme ou l’eschatologie s’affranchissent facilement de la réalité – puis-je dire qu’ils s’en excipent ?  –, en quelque sorte et littéralement : s’en décomplexent, se réduisent à outrance.

    Avec son réalisme forcené, finalement, Madame Bovary me pose davantage de questions métaphysiques, manichéennes ou eschatologiques que, pour prendre un exemple qui ne soit pas ridicule, Le Seigneur des anneaux. (Néanmoins, la succession des romans de Flaubert, leur réalisme, pose la question de savoir ce qu’est exactement La Tentation de saint Antoine…)

    En somme, je préfère au mythe le roman.

     

    J’approche donc ce genre : la science-fiction, ce sous-genre : la speculative fiction (que l’on pourrait tout de même faire l’effort minime de traduire, non ?) en le mimant, non pas très sérieusement mais ironiquement, et en le réduisant à outrance (je n’ai tout de même pas que ça à faire).

    Je singe.

    Et voilà ce que ça donne, par exemple :

     

    Les imbéciles (1980 et sqq) formèrent des crétins.

    Les crétins (2000 et sqq) forment des abrutis.

    Les abrutis (2020 et sqq) formeront des animaux.

    Les animaux (sans date) se reproduiront (peut-être).

     

    Avoir tort ou raison, évidemment, ne m’intéresse pas.

    En revanche, se demander à quel moment, bien avant que je cesse de l’employer, l’emploi (justement) du verbe former est devenu impropre ; se demander s’il n’a pas été, même, chaque fois improprement employé, est un problème passionnant.

     

    Je suis un garçon qui s’intéresse à la réalité ; j’ai des problèmes de vocabulaire.

  • En-jeu (Pour une Culutre citoyenne !)

    Je livre ici un court texte introduisant à Pour une Culutre citoyenne !

     

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    EN-JEU

     

     

     

    Question

     

    A force de lire des programmes de spectacles, des plaquettes, des documents de saison, des magazines et des journaux (culturels ou non, ceux-ci), je me suis aperçu qu’ils parlaient tous la même langue truffée de termes flous qui se voudraient techniques ; et aussi qu’ils disaient, de tout, strictement la même chose.

    Et à la fin, à bien écouter tout ce laminage permanent, la différence entre ce que dit un texte de Racine et un concert de hip-hop n’est même pas minime : elle n’existe tout bonnement pas.

    Ce détestable fourre-tout qu’on appelle la culture est une simple construction idéologique capable d’inclure absolument tout – et aussi bien n’importe quoi. Ceux qui mettent en vente – ou en vante – leur marchandise culturelle savent seulement qu’ils doivent employer cette langue-là, qui garantit en somme leur production.

     

    Si la culture est bien cette idéologie, quel est son but ? Quel intérêt trouve-t-elle à égaliser et indifférencier tout ?

    Et surtout, sur quoi fait-elle fond ?

     

    C’est de tout cela que parle, non sans méchanceté je crois, Pour une culutre citoyenne !

     

     

    Remarque

     

    L’égalité de toutes les différences, qui d’un point de vue platement arithmétique est une aberration, est doublée de complications apparemment terrifiantes : certaines différences sont plus égales que d’autres…

    Mais bon, en gros, tout vaut tout. (Après quoi, toutes les nuances sont possibles, puisque toutes également infondées.)

    Si une égalité est une différence, et réciproquement, il devrait logiquement s’ensuivre que tous les mots sont synonymes.

    Conséquemment ils sont tous également inadéquats ; et inutiles.

    De sorte qu’on peut s’en passer.

     

    Il est ici question, je crois, d’un retour à l’indifférencié.

    Le langage opère par divisions ; par discriminations, dirait-on aujourd’hui. Et c’est par lui, avec lui et en lui, que l’humanité était sortie de l’indifférencié, de l’animalité ; et qu’elle était ainsi devenue précisément cela : l’humanité.

    Que ses agents le sachent ou non, c’est bien contre cela – l’humanité, en tant qu’elle est instituée – qu’est en lutte aujourd’hui la culture, institution désormais auto-immune.

    Voilà le nœud.

     

     

    Actualité

     

    La programmation imbécile du Festival d’Avignon 2005, par exemple, a logiquement donné lieu à un débat imbécile entre crétins culturels autorisés, qui opposerait de prétendues « dramaturgies non-textuelles » à de prétendues « dramaturgies textuelles ».

    Mais à l’idéologie qui indifférencie tout par inclusion, qu’il y ait ou non texte importe peu. (Après quoi chacun défend sa place dans le Château, son droit à être inclus, et c’est tout.)

    Tout ce qui ne prend pas directement pour cible cette idéologie demande en somme à être indifférencié ; à disparaître.

     

     

    Censure

    Silence.

     

    Novembre 2005

  • Décrire ou dénoncer

     

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    – Qu’est-ce que tu fais en ce moment ?

    – Je monte un spectacle.

    – Ah, et c’est un spectacle qui dénonce quoi ?

    – Mais rien du tout, mon cher, rien du tout. J’essaie de décrire. Cela s’appelle Pour une Culutre citoyenne ! (oui, oui, culutre) et c’est une série de saynètes sur le milieu prétendument culturel.

    – C’est ce que je dis : tu dénonces…

    – J’essaie simplement d’exagérer un peu la réalité, d’outrer les choses. Je pensais d’ailleurs y être parvenu ; mais en fait non, à simplement travailler avec les comédiens, je m’aperçois que le texte est platement réaliste et tout à fait monstrueux.

    – Mais c’est ton milieu, pourtant, non ?

    – Oui.

    – Et tu n’as pas peur ?

     

    Décrire les choses, je crois, suffit souvent à les rendre ambiguës. Dénoncer, c’est dire ce qu’il faut (ou faudrait) faire ou penser. C’est de la propagande.

     

    – Mais tous les spectacles que je vois, qui sont « engagés », « subversifs », dénoncent toujours quelque chose.

    – Certes, mais au nom de quelle autre chose ? Quelle idéologie tire sur quelle autre ? Et n’est-ce pas toujours la même qui s’exprime ?

     

     

    a56afb79dd2ba8715a09c55d4e569224.jpgDans le programme en ligne d'une salle de spectacle, je lis ceci, à propos d'un imbécile et quelconque (je le sais : je l'ai vu) spectacle de cirque de tréteaux signé Pierre Meunier, interprété par Jeanne Mordoj, et titré Eloge du poil :

    « Qu’y a-t-il de plus subversif qu’un poil dans une société policée et hygiéniste ? C’est peut-être avec cette pensée qu’on quittera Eloge du poil. »

    Voilà, on vous dit même quoi « penser », quoiqu’il n’y ait là rien qui ressemble à « de la pensée ». (Il n’y a sur le plateau qu’une femme à barbe « servant de support » à une série de numéros de mauvais cirque et tous rivalisant de « navritude » ( ?), de « navroure » ( ?).)

    On en est là. Au reste, je ne m’étonne pas du succès que remporte ce spectacle « poétique », i.e. qui ne raconte rien, auprès, non pas nécessairement du public, mais des « diffuseurs ».

    (Les diffuseurs d’ambiance, comme je les appelle gentiment…)

     

    Dénoncer doit être rassurant… puisque décrire est censé faire peur.

    Les conséquences d’une dénonciation, aussi insignifiante soit-elle, sont aujourd’hui censées être positives (et le sont certainement, mais de leur propre point de vue).

    Les conséquences d’une description, elles, devraient effrayer leur auteur.

    – Tu n’as pas peur ?...

     

    La réalité est plus simple : l’ambiguïté fait peur aux tout-puissants diffuseurs d’ambiance (le fait est que ces tocards incultes, ces temps-ci, ne se sentent plus pisser), devrait donc par conséquent me faire peur également, considérations économiques obligent…

     

    Laissez-moi rire.