– Qu’est-ce que tu fais en ce moment ?
– Je monte un spectacle.
– Ah, et c’est un spectacle qui dénonce quoi ?
– Mais rien du tout, mon cher, rien du tout. J’essaie de décrire. Cela s’appelle Pour une Culutre citoyenne ! (oui, oui, culutre) et c’est une série de saynètes sur le milieu prétendument culturel.
– C’est ce que je dis : tu dénonces…
– J’essaie simplement d’exagérer un peu la réalité, d’outrer les choses. Je pensais d’ailleurs y être parvenu ; mais en fait non, à simplement travailler avec les comédiens, je m’aperçois que le texte est platement réaliste et tout à fait monstrueux.
– Mais c’est ton milieu, pourtant, non ?
– Oui.
– Et tu n’as pas peur ?
Décrire les choses, je crois, suffit souvent à les rendre ambiguës. Dénoncer, c’est dire ce qu’il faut (ou faudrait) faire ou penser. C’est de la propagande.
– Mais tous les spectacles que je vois, qui sont « engagés », « subversifs », dénoncent toujours quelque chose.
– Certes, mais au nom de quelle autre chose ? Quelle idéologie tire sur quelle autre ? Et n’est-ce pas toujours la même qui s’exprime ?
Dans le programme en ligne d'une salle de spectacle, je lis ceci, à propos d'un imbécile et quelconque (je le sais : je l'ai vu) spectacle de cirque de tréteaux signé Pierre Meunier, interprété par Jeanne Mordoj, et titré Eloge du poil :
« Qu’y a-t-il de plus subversif qu’un poil dans une société policée et hygiéniste ? C’est peut-être avec cette pensée qu’on quittera Eloge du poil. »
Voilà, on vous dit même quoi « penser », quoiqu’il n’y ait là rien qui ressemble à « de la pensée ». (Il n’y a sur le plateau qu’une femme à barbe « servant de support » à une série de numéros de mauvais cirque et tous rivalisant de « navritude » ( ?), de « navroure » ( ?).)
On en est là. Au reste, je ne m’étonne pas du succès que remporte ce spectacle « poétique », i.e. qui ne raconte rien, auprès, non pas nécessairement du public, mais des « diffuseurs ».
(Les diffuseurs d’ambiance, comme je les appelle gentiment…)
Dénoncer doit être rassurant… puisque décrire est censé faire peur.
Les conséquences d’une dénonciation, aussi insignifiante soit-elle, sont aujourd’hui censées être positives (et le sont certainement, mais de leur propre point de vue).
Les conséquences d’une description, elles, devraient effrayer leur auteur.
– Tu n’as pas peur ?...
La réalité est plus simple : l’ambiguïté fait peur aux tout-puissants diffuseurs d’ambiance (le fait est que ces tocards incultes, ces temps-ci, ne se sentent plus pisser), devrait donc par conséquent me faire peur également, considérations économiques obligent…
Laissez-moi rire.