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Livres - Page 54

  • Le gai savoir, par Friedrich Nietzsche

     

     

    A l’honneur des « homines religiosi ».

      La lutte contre l’Eglise est sans doute entre autres aspects – car elle signifie mille choses diverses – la lutte des natures plus vulgaires, plus légères, plus confiantes, plus superficielles contre la domination des hommes plus graves, plus profonds, plus contemplatifs, c’est-à-dire plus méchants et plus méfiants, qui furent longtemps à scruter avec une suspicion profonde la valeur de l’existence comme aussi leur propre valeur : le vulgaire instinct du peuple, sa joie sensuelle, son « bon cœur » s’insurgèrent contre eux. L’Eglise romaine tout entière repose sur la suspicion méridionale à l’égard de la nature humaine, et qui dans le Nord prêta toujours au malentendu : suspicion qui constituait pour le Midi européen l’héritage du profond Orient, de l’antique et mystérieuse Asie et de son esprit de contemplation. A lui seul le protestantisme est un soulèvement populaire en faveur des braves gens, ingénus, confiants, superficiels (le Nord montre toujours plus de bienveillance et de platitude que le Midi) ; mais ce fut la Révolution française qui remit enfin solennellement et sans réserve le sceptre au « brave homme » (au mouton, à l’âne, à l’oie, en un mot à tout ce qui est d’une irrémédiable platitude, à tout ce qui braille, qui est mûr pour la maison de fous des « idées modernes »).

    Nietzsche, Le gai savoir, fragment 350, traduction de Pierre Klossowski.

  • Fournitures

    Malgré l’apparence, je ne saurais recommander les livres qui suivent, pour la simple raison que je ne les ai pas encore lus. La rentrée littéraire, qui n’est pas une préoccupation réelle pour moi, pourrait bien durer l’année scolaire tout entière… et il y a fort à parier que je ne bouclerai pas le programme. Au surplus, je ne me sens pas obligé de publier en ce blog une note pour chaque livre lu, partiellement ou totalement. Voici donc une liste non exhaustive des quelques livres qui, pour l’heure, ont retenu mon attention, quoique fort diversement :

    Le Chant de la mission, de John le Carré, au Seuil. Parce que j’ai lu, cet été même, de cet auteur dont je n’avais jusque là rien lu, en guise de divertissement intelligent et dans cet ordre : La Maison Russie (1989), Une Amitié absolue (2003) ; puis la « Trilogie de Karla », à savoir : La Taupe (1974), Comme un collégien (1977) et Les Gens de Smiley (1979) ; puis L’espion qui venait du froid (1963). Faut-il ajouter que si j’avais trouvé mauvais, ou même moyens, les romans de Le Carré je n’en aurais pas lu tant ?

    L’Empire du moindre mal, de Jean-Claude Michéa, dont j’ai déjà beaucoup apprécié la finesse dans L’enseignement de l’ignorance et Impasse Adam Smith. Peut-être est-ce simplement la fatigue, mais je crois qu’il est possible de faire un lien entre Michéa et Le Carré. Sans doute tient-il à la fois de cette common decency chère à Orwell et de cet Empire du moindre mal que le Carré a défendu contre le communisme soviétique, mais non pas aveuglément, et auquel désormais il botte très allégrement le train adipeux. Je note encore que le titre de Michéa ne peut pas ne pas être – de quelle façon précisément, je ne sais, n’ayant pas lu le livre – un hommage au regretté Philippe Muray.

    La Littérature à contre-nuit, de Juan Asensio, chez Sulliver. Le blog de Juan Asensio est l’un des seuls que je fréquente, et je veux effectivement dire par là que je le visite fréquemment (n’en est-on pas venu, lorsqu’on emploie les mots dans le sens qui est précisément le leur, à se sentir redevable de le préciser à un lecteur que l’on suppose, à tort ou à raison, pressé, distrait ou peut-être même, pour reprendre l’expression de Péguy, alphabète ?). Juan Asensio a ses obsessions, dont certaines sont tout à fait déplorables. Je vise ici celle, par exemple, qui consiste à talocher verbalement quoiqu’à tour de bras l’insignifiant Assouline, et à continuer encore et encore, bien après l’épuisement des derniers effets du comique de répétition. Quant à la littérature, je trouve fondées ses exigences, sa vindicte et ses apologies, et si je suis assez éloigné de partager tous ses goûts (Abellio, malgré son brillant style en trompe-couillons, ne trouve de place dans mon anti-panthéon littéraire qu’en tant que le plus manifestement doué des préfaciers d’Elisabeth Teissier), je prends connaissance de ses « papiers virtuels » avec grande attention. Lesquels m’ont faire lire, entre autres, Nicolas Gomez Davila et Juan Donoso Cortès. Ce n’est pas peu. – Pour le reste et pour finir, je trouve Asensio effectivement très doux.

    Il n’y a personne dans les tombes, de François Taillandier, chez Stock. Le troisième volume, après Option Paradis et Telling, de « La grande intrigue ». Dois-je préciser, là encore, que si je ne trouvais pas d’intérêt à cette lecture, je n’en parlerais pas ici ?

    Artefact, de Maurice G. Dantec, chez Albin Michel. Le seul des livres cités ici dont j’ai effectivement fait l’acquisition, quoique je ne l’aie pas encore commencé. J’ai lu tous les livres précédemment publiés de Dantec et, malgré certaines déceptions – la fin de Villa Vortex, par exemple, ou tel et tel passage de Cosmos Incorporated – et divergences d’opinions – mais il faut tenir les opinions pour rien, et les ramener à leur fond d’hérésie – je continue de le lire avec joie. Oui, avec joie.

    Voilà pour la littérature.

    Je m’étais promis de rédiger cette note en dix minutes et de simplement citer titres, auteurs et éditeurs, et voilà plus d’une demi-heure que je tapote à deux doigts mon clavier. Je lirai certainement encore, pour ma gouverne, un petit livre sur la situation actuelle en Irak : Le Chaos irakien (dix clés pour comprendre) de Fanny Lafourcade, aux éditions La Découverte.

    Pour l’heure, m’attendent le De grammatico de saint Anselme de Cantorbéry, et mon lit.

  • Dans les ténèbres, par Léon Bloy

    I

    Le mépris

     

    Oh ! le délicieux, l’inappréciable refuge ! Rafraîchissement surnaturel pour un cœur tordu d’angoisse et de dégoût ! Le mépris universel, absolu, des hommes et des choses. Arrivé là, on ne souffre plus ou du moins on a l’espérance de ne plus souffrir. On cesse de lire les feuilles, on cesse d’entendre les clamitations du marécage, on ne veut plus rien savoir ni rien désirer que la mort. C’est l’état d’une âme douloureuse qui connaît Dieu et qui sait qu’il n’existe rien sur terre où elle se puisse appuyer en nos effroyables jours.

    Est-il nécessaire pour cela d’être devenu un vieillard ? Je n’en suis pas sûr, mais c’est tout à fait probable. Le mal est énorme, pensent les hommes qui n’ont pas dépassé soixante ans, mais il y a tout de même ceci ou cela et le remède n’est pas impossible. On ne se persuade pas que tout est dans le filet du mauvais chasseur et qu’il y a un ange de Dieu ou un homme plein de miracles pour nous délivrer.

    La Foi est tellement morte qu’on en est à se demander si elle a jamais vécu, et ce qui porte aujourd’hui son nom est si bête ou si puant que le sépulcre semble préférable. Pour ce qui est de la raison, elle est devenue si pauvre qu’elle mendie sur tous les chemins, et si affamée qu’on la vue se repaître des ordures de la philosophie allemande. Il ne reste plus alors que le mépris, refuge unique des quelques âmes supérieures que la démocratie n’a pu amalgamer.

    Voici un homme qui n’attend plus que le martyre. Il sait de façon certaine qu’un jour il lui sera donné de choisir entre la prostitution de sa pensée et les plus horribles supplices. Son choix est fait. Mais il faut attendre, il faut vivre et ce n’est pas facile. Heureusement il a la prière et les larmes et le tranquille ermitage du mépris. Cet ermitage est exactement aux pieds de Dieu. Le voilà séparé de toutes les concupiscences et de toutes les peurs. Il a tout quitté, comme il est prescrit, renonçant même à la possibilité de regretter quelque chose.

    Tout au plus serait-il tenté d’envier la mort de ceux qu’il a perdus et qui ont donné leur vie terrestre en combattant avec générosité. Mais cette fin elle-même le dégoûte, ayant été si déshonorée par les applaudissements des lâches et des imbéciles.

    Et le reste est épouvantable. La sottise infinie de tout le monde à peu près sans exceptions ; l’absence, qui ne s’était jamais vue, de toute supériorité ; l’avilissement inouï de la grande France d’autrefois implorant aujourd’hui le secours des peuples étonnés de ne plus trembler devant elle ; et la surnaturelle infamie des usuriers du carnage, multitude innombrable des profiteurs grands et petits, administrateurs superbes ou mercantis du plus bas étage, qui se soûlent du sang des immolés et s’engraissent du désespoir des orphelins. Il faut être arrivé, après tant de générations, sur ce seuil de l’Apocalypse et être ainsi devenu spectateur d’une abomination universelle que ne connurent pas les siècles les plus noirs pour sentir l’impossibilité absolue de toute espérance humaine.

    Alors, Dieu qui sait la misère de sa créature confère miséricordieusement à quelques-uns qu’il a choisis pour ses témoins la suprême grâce d’un mépris sans bornes, où rien ne subsiste que Lui-même dans ses Trois Personnes ineffables et dans les miracles de ses Saints.

    Lorsque le prêtre élève le calice pour recevoir le Sang du Christ, on peut imaginer le silence énorme de toute la terre que l’adorateur suppose remplie d’effroi en présence de l’Acte indicible qui fait paraître comme rien tous les autres actes, assimilables aussitôt à de vaines gesticulations dans les ténèbres.

    L’injustice la plus hideuse et la plus cruelle, l’oppression des faibles, la persécution des captifs, le sacrilège même et le déchaînement consécutif des luxures infernales ; toutes ces choses, à ce moment-là, semblent ne plus exister, n’avoir plus de sens en comparaison de l’Acte Unique. Il n’y a plus que l’appétit des souffrances et l’effusion des larmes magnifiques du grand Amour, avant-goût de béatitude pour les écoliers de l’Esprit-Saint qui ont établi leur demeure dans le tabernacle du royal Mépris de toutes les apparences de ce monde.

     

     (Dans les ténèbres, dernier livre de Bloy, 1917. Recopié de l’édition des Œuvres de Léon Bloy, tome IX, Mercure de France, 1969, édition de Jacques Petit.)

     

  • Copier. Pour rien

    Copier est un exercice sain. A condition cependant de ne pas copier n’importe quoi. J’aime l’idée, qui me vient avec ce blog balbutiant, de copier. C’est un acte d’humilité, s’il est permis de le dire. C’est un acte d’admiration, aussi.

    J’ai la chance de n’être pas copiste. Je ne suis pas un moine (essentiellement parce que j’ai la malchance de vivre au XXI° siècle, et non pas au XIII°). Je n’ai pas pour profession de copier, par exemple, des actes juridiques. Aussi ne m’est-il pas loisible d’énoncer un I would prefer not to. Je ne suis pas Bartleby the Scrivener.

    J’ai même, a contrario, la chance de préférer. C’est une grande chance.

    Les écrivains citent. Certains plagient. Ces activités diffèrent de la copie. L’activité de copier n’a pas pour but de servir celui qui copie. Une épigraphe, une citation sont sensées servir, et plus souvent encore : justifier, celui qui les copie. A juste titre, parfois.

    Je ne suis pas non plus Pierre Ménard, auteur du Quichotte. Je n’ai pas très envie, pour tout vous dire, d’être un personnage de Melville ou de Borgès. Ni même un moine. Ni Isidore Ducasse. Je n’ai pas envie du tout de faire de la critique littéraire. Je veux bien être critique, mais pas critique littéraire. Pas du tout. L’expression, d’ailleurs, à bien la lire, laisse l’impression que c’est la critique elle-même qui est littéraire. L’aigreur, la jalousie, la frustration rôdent. Jouissent de régner, aussi, souvent. Misère.

    Non, j’ai simplement envie de prendre du temps, parfois, pour copier des pages que j’aime, sans volonté aucune de me les approprier.

    Pour rien, donc. Diront les cyniques.

    Eh bien, soit : pour rien.

     

     

    Les écrivains, je trouve, ne copient pas assez. Ils prendraient le fait de copier, peut-être, pour une punition. Les écrivains sont demeurés scolaires. A l’école, on copie quand on est puni ; et pour le reste, c’est interdit. Les écrivains ne copient pas ; mais à la fin du cours, ils doivent rendre leur copie.

    Je ne sais trop d’ailleurs si on publie les meilleures, pour donner l’exemple (ce qui serait désespérant) ; ou les pires, pour l’édification des imbéciles. Mon avis est que les copies publiées sont tirées au sort. Les volontés individuelles, les copinages institués, les luttes d’influences et autres choses d’intérêt constituent en eux-mêmes ce que je nomme ici tirage au sort. 

    Je me dis parfois que si les écrivains prenaient plus souvent le temps de copier, pour rien, des textes qu’ils aiment, des auteurs qu’ils admirent, ils seraient moins emmerdants, plus lucides ; certains mêmes arrêteraient tout net d’écrire leur prose et ce serait très bien. Pour eux au premier chef, et puis pour les pauvres couillons qui, par curiosité, achètent leurs livres, parfois même plusieurs fois.

    Le plus amusant, peut-être, c’est que ces mêmes écrivains que l’idée de copier, pour rien, une page ou plusieurs d’un auteur admiré rebuterait, ne cessent pas de se copier les uns les autres ; et comme entre eux ils se méprisent copieusement, chacun se rêvant au-dessus de la mêlée, ils préfèrent copier sans le savoir ce qu’ils méprisent plutôt qu’en conscience ce qu’ils admirent. Ce qui, en quelque sorte, les juge. Mais ne les condamne pas. Parce qu’ils sont déjà condamnés. Ce qui n’a aucune espèce d’importance.

     

    Bref, c’est la rentrée ! Et qu’est-ce qui arrive à ces prétendues singularités ? Eh bien, ils se font empiler ! ce qui, à notre époque de massification de tout, est certainement une catégorie pornographique. On devrait d’ailleurs leur suggérer d’utiliser des insultes d’un genre nouveau, généralement applicables aux artistes : Va te faire empiler ! par exemple.

     

     

     

    Et moi-même, dans cette page, j’ai écrit bien assez d’imbécillités ; je vais donc la quitter, et me mettre tranquillement à mon travail de copie. C’est plus sûr.

  • Albert Pauphilet et les Jeux du Moyen Age

    Le volume de la collection de la Pléiade Jeux et sapience du Moyen Age, déjà évoqué ici le 11 septembre, dans la note Parole n’a parolé, m’accompagne depuis quelque temps. Le choix des textes composant ce volume est l’œuvre d’un nommé Albert Pauphilet, dont je ne sais presque rien, sinon qu’il est également l’éditeur dans la même collection du volume Historiens et chroniqueurs du Moyen Age. N’ayant que peu de goût, et presque aucune compétence, pour la critique, je me contenterais ici de citer la première partie de la brève introduction par Albert Pauphilet au Jeu d’Adam, première pièce de l’ensemble des jeux présentés, introduction qui me semble importante, révélant un certain nombre de choses peu connues quant à l’origine du théâtre français.

     

     

    « Le théâtre, en France, a d’abord été religieux, et il est sorti presque insensiblement de la liturgie. Dès le XI° siècle, dans certaines abbayes bénédictines, afin d’instruire et d’édifier plus sûrement un public sans culture, on figurait divers épisodes de la résurrection du Christ. Ce n’était que la transposition du récit de l’Evangile en spectacle et en propos directs de personnages visibles. Un sépulcre était simulé d’un côté de l’autel, et des moines, vêtus comme il convenait, représentaient les Saintes Femmes et l’Ange ; et leurs paroles étaient exactement le texte évangélique, en latin. Peu à peu, les magnifiques ressources spectaculaires et dramatiques encloses dans le texte sacré furent mises en œuvre ; les phrases du récit, considérées isolément, devinrent comme des moment successifs de l’action et se transformèrent en autant de scènes. A l’épisode essentiel du Sépulcre s’ajoutèrent ainsi des scènes accessoires, préludes et épilogues ; ce qui n’était d’abord, selon l’heureuse expression de M. A. Jeanroy, qu’une « liturgie mimée », prenait de plus en plus l’ampleur d’un drame. C’est ainsi qu’on vit les trois Maries en route vers le Sépulcre et se demandant entre elles : « Qui nous ôtera la pierre qui ferme l’entrée ? » Mais elles devaient porter des aromates pour embaumer le corps : elles les avaient donc achetés, et l’on inventa la scène chez le marchand de parfums. De la même façon l’apparition de Jésus ressuscité aux pèlerins d’Emmaüs fut traduite en une scène pleine de poésie et de grandeur.

    Parallèlement à ces « jeux » de Pâques, quoique vraisemblablement un peu plus tard, des scènes consacrées à la Nativité s’ordonnèrent et se multiplièrent. La crèche, les bergers, les Mages, leurs offrandes rustiques ou somptueuses, que d’éléments pour des spectacles variés, et quelle incomparable source de poésie grandiose ou familière ! Un étonnant ensemble, représenté à l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, montre tout à tour l’arrivée des Bergers à Bethléem et leur adoration, la marche des Rois mages guidés par l’étoile, et leur comparution devant Hérode ; l’inquiétude d’Hérode qui fait rechercher par ses scribes les prophéties touchant ce Roi des Rois qui vient de naître ; sa colère ; puis l’adoration des Mages, et leur départ ; enfin la fuite en Egypte, le massacre des Innocents, la disparition d’Hérode et le retour de la Sainte Famille !

    Le texte sacré seul ne pouvait longtemps suffire à de telles extensions ; il se dilua, s’étoffa de paraphrases et de développements, s’entoura de commentaires lyriques. Dans les intervalles des dialogues, le chœur chantait des antiennes, entretenant ainsi constamment le souvenir de la liturgie toute proche, et conservant à ces fictions l’harmonieuse dignité des cérémonies du culte.

    Il est vraisemblable que le public laïc prenait grand intérêt à ces offices transformés, car peu à peu ils s’orientèrent vers lui et utilisèrent sa langue. Le français parut d’abord dans quelques ornements et broderies, puis il se mêla de plus en plus abondamment au latin. Vint un jour où il n’y eut plus guère en latin que les textes liturgiques chantés par le chœur, et les indications destinées aux clercs « meneurs de jeu » qui voudraient monter le spectacle. Le théâtre français était né ; ses origines ont un caractère de noblesse et d’idéalisme qui rappelle la naissance du théâtre grec, sorti lui aussi de la religion. »

     

     

    Il n’est pas étonnant, au vu des idéologies mortifères qui gambadent dans notre belle société, que cet aspect de la Renaissance du XII° siècle, comme on commence à dire enfin, laquelle correspond à peu près à ce que Pierre Legendre, sur un versant plus juridique, nomme la Révolution médiévale de l’interprète, soit généralement passé sous silence. Le XVII° siècle français ne serait donc pas sorti tout armé du néant, avec son trafic de règles sorties de la Poétique d’Aristote. Ce théâtre français médiéval, qui doit bien avoir un équivalent en Espagne aboutissant au XVI° siècle à la riche production des autos, est tout à fait passionnant, ou devrait l’être, pour nous aujourd’hui, en ce qu’il réouvre totalement la manière d’envisager un théâtre occidental qui ne soit pas simplement une copie de celui des grecs anciens.

    Le texte du Jeu d’Adam, après leçon et chant latins, commence par ce dialogue entre Figura (i.e. la Figure de Dieu) et Adam :

    FIGURA. – Adam !

    ADAM. –                Sire !

    FIGURA. –                       Formé te ai

                         De limo terre.

    ADAM. –                          Ben le sai…

    Ce qui n’est pas sans rappeler, par exemple, le début (si ma mémoire est bonne) du Monologue d’Adramelech de Valère Novarina, l’un des seuls auteurs dramatiques contemporains qui ne passe pas son temps à mettre en dialogues altercitoyens l’introuvable fond des articles de Libération ou du Monde diplomatique.