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Dantec

  • Artefact, de Maurice G. Dantec

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    Ayant laissé toutes les apparences, non seulement ce que perçoivent les sens, mais ce que l’intelligence croit voir, il tend toujours plus vers l’intérieur, jusqu’à ce qu’il pénètre, par l’effort de l’esprit, jusqu’à l’invisible et à l’inconnaissable et que là il voie Dieu. C’est en cela que consiste la vraie connaissance de celui qu’il cherche et sa vraie vision, dans le fait de ne pas voir, parce que celui qu’il cherche transcende toute connaissance, séparé de toute part par son incompréhensibilité comme par une ténèbre.

    Saint Grégoire de Nysse, La Vie de Moïse

     

    Artefact est bien sûr un roman. Un seul roman composé de trois romans : « Vers le nord du ciel », « Artefact », « Le Monde de ce Prince ». On peut peut-être dire de ces romans qu’ils sont indépendants, et il est assurément possible de les lire séparément ; mais ils ne sont certainement pas autonomes : tous trois sont en effet régis par et soumis à la même Loi, qu’ensemble ils indiquent (et peut-être déterminent) et à laquelle, non moins, ils obéissent. Et voilà bien la raison par laquelle ces trois romans en font un seul et unique, ne dévoilant son sens que par la façon dont ils inter-agissent entre eux… Sur quoi ? Sur, comme n’a de cesse de le répéter Dantec en son roman (mais est-ce bien lui ?), le cerveau du lecteur. C’est-à-dire, en l’espèce, sur moi.

    Artefact est bien sûr un roman. Mais ce n’est pas seulement un roman. C’est également un poème. Et même un poème dramatique, d’une dramaturgie très singulière, propre à la décourager les tenants d’une lecture scénaristique cherchant toujours à voir le film dans – si ce n’est même, au fond : devant – le livre qu’ils « lisent ». Lesquels prétendus « lecteurs », avec un vocabulaire de joueurs de cartes ou d’étudiants en journalisme, ne pourront jamais que faire l’impasse sur le second de ces romans du roman, « Artefact », lequel ne donne pourtant pas pour rien son nom à l’ensemble.

    Car c’est bien en ce second roman que se trouve, non pas bêtement le centre – quoiqu’il le soit aussi, et pour ainsi dire : physiquement –, mais le cœur atomique du roman, irradiant en tous sens, imposant une relecture complète du précédent et contaminant le suivant.

    Lire « Artefact » dans Artefact, avec la lenteur sans doute qu’une telle densité demande et finalement impose, lecture insupportable aux hommes pressés (mais par quoi ?) que nous sommes incessamment sommés (mais par qui ?) d’ « être », offre seul au lecteur la possibilité d’un saut que je suis très mal qualifié à dire quantique. Lire « Artefact » dans Artefact permet aux trois romans, nonobstant la linéarité chronologique de la lecture physique, de devenir simultanés ; et partant, d’être un seul. – S’il y a un seul roman, en somme, c’est parce que votre lecture des trois romans s’actualise sans cesse dans le temps même de votre lecture physique et chronologique et que votre lecture du premier des trois, « vers le nord du ciel », n’a plus rien à voir à la fin du troisième roman, « le Monde de ce Prince », avec la lecture initiale que vous en aviez faite. Votre lecture de « vers le nord du ciel » est en quelque sorte relue par la lecture du « Monde de ce Prince », telle qu’elle est permise, ou nécessitée, par « Artefact ». De sorte que, finalement, dans le temps même de votre lecture physique, linéaire et chronologique, vous êtes « contraint » à lire simultanément les trois romans, en un seul ; et que, fermant après la dernière page le livre, l’actualisation de ces trois romans en un seul se poursuit. Vous continuez de lire. A moins que vous ne commenciez…

    Un seul exemple, à ma lecture le plus frappant – et donc pas nécessairement le plus fin. La dernière phrase du second roman, « Artefact », en sa question syntaxiquement très simple et pourtant très complexe : « Es-tu une personne ? », tandis que je commençais concrètement la lecture du « Monde de ce Prince », m’a brutalement ramené en arrière, très précisément au paragraphe ouvrant à la fois « vers le nord du ciel », premier roman des trois, et Artefact tout entier. Voici ce premier paragraphe, qu’il m’avait déjà fallu un certain temps à admettre – même au simple titre d’hypothèse –, tant il suppose que vie et mort coïncident exactement, ou plutôt que naissance et mort coïncident exactement, ce qui ne poserait pas tant de problèmes s’il ne s’agissait de la naissance et mort de celui qui parle (ou écrit) : « C’est ce matin-là que je suis né. Ce matin-là, à 8 h 46 et 40 secondes très exactement. C’est aussi l’instant où je suis mort. » Cette ouverture de la narration est en même temps une sortie hors du temps, sortie que la lecture d’ « Artefact » a non seulement intensifiée mais aussi fait sauter sur une autre ligne de narration. Et c’est cette même question « Es-tu une personne ? » qui viendra éclairer d’une lumière très crue, plus violente même que la série de crimes atroces et drôles qui y est en détails décrite, les dernières pages du « Monde de ce Prince ».

    La question posée (une des questions posées, plutôt) est celle de l’identité de celui qui parle. La question posée est celle de la parole ; et celle de la Parole. Car ce que sait un lecteur de cet art martial très ancien, et désormais très méprisé, qu’est le théâtre – ou : la littérature dramatique, comme on dit de nos jours pour faussement les séparer –, c’est cela : Un personnage, qu’il mente ou non, ne dit jamais la vérité. Ou bien : La vérité ne peut pas être dite. Ou encore : La vérité est le non-dit, et non seulement le non-dit mais encore le non-dicible, de la somme des paroles des personnages. Je ne puis donc pas tenir pour anodin le fait que les trois romans de Dantec soient précisément trois narrations distinctes, indépendantes, trois Je qu’il faut, quelque complexe et parfois rebutant que cela soit, admettre de devenir, l’un après l’autre et simultanément, pour accéder enfin, mais cette fois en silence, à l’unité du roman Artefact.

    Faire l’impasse sur « Artefact », qu’on le parcoure ou non des yeux, c’est faire l’impasse sur Artefact. Il est bien évidemment possible, ainsi que certains journalistes n’ont pas manqué de vivement le conseiller, les romans étant formellement et scénaristiquement indépendants, de lire seulement « vers le nord du ciel » et « le Monde de ce Prince » ; mais c’est se priver de lire un roman, pour en lire seulement deux. Et finalement, cela revient à tomber au piège que le roman de Dantec ne cesse pas de nous dire qu’il nous tend. D’une telle lecture duelle, on pourrait même conclure en se demandant sans trop d’apparente aberration s’il n’est pas question, finalement, dans ces deux romans apparemment opposés, d’une réflexion sur les conséquences post-traumatiques des accidents de voiture. Question qui, évidemment, tombe immédiatement dans l’anecdote pour tout lecteur d’Artefact.

    Pour conclure cette approximative notule, je dirais que le lecteur ne peut de toute façon éviter le piège que lui tend – et qu’est en soi – le dispositif romanesque de Dantec ; simplement peut-il soit y tomber, soit le devenir.

     

  • Fournitures

    Malgré l’apparence, je ne saurais recommander les livres qui suivent, pour la simple raison que je ne les ai pas encore lus. La rentrée littéraire, qui n’est pas une préoccupation réelle pour moi, pourrait bien durer l’année scolaire tout entière… et il y a fort à parier que je ne bouclerai pas le programme. Au surplus, je ne me sens pas obligé de publier en ce blog une note pour chaque livre lu, partiellement ou totalement. Voici donc une liste non exhaustive des quelques livres qui, pour l’heure, ont retenu mon attention, quoique fort diversement :

    Le Chant de la mission, de John le Carré, au Seuil. Parce que j’ai lu, cet été même, de cet auteur dont je n’avais jusque là rien lu, en guise de divertissement intelligent et dans cet ordre : La Maison Russie (1989), Une Amitié absolue (2003) ; puis la « Trilogie de Karla », à savoir : La Taupe (1974), Comme un collégien (1977) et Les Gens de Smiley (1979) ; puis L’espion qui venait du froid (1963). Faut-il ajouter que si j’avais trouvé mauvais, ou même moyens, les romans de Le Carré je n’en aurais pas lu tant ?

    L’Empire du moindre mal, de Jean-Claude Michéa, dont j’ai déjà beaucoup apprécié la finesse dans L’enseignement de l’ignorance et Impasse Adam Smith. Peut-être est-ce simplement la fatigue, mais je crois qu’il est possible de faire un lien entre Michéa et Le Carré. Sans doute tient-il à la fois de cette common decency chère à Orwell et de cet Empire du moindre mal que le Carré a défendu contre le communisme soviétique, mais non pas aveuglément, et auquel désormais il botte très allégrement le train adipeux. Je note encore que le titre de Michéa ne peut pas ne pas être – de quelle façon précisément, je ne sais, n’ayant pas lu le livre – un hommage au regretté Philippe Muray.

    La Littérature à contre-nuit, de Juan Asensio, chez Sulliver. Le blog de Juan Asensio est l’un des seuls que je fréquente, et je veux effectivement dire par là que je le visite fréquemment (n’en est-on pas venu, lorsqu’on emploie les mots dans le sens qui est précisément le leur, à se sentir redevable de le préciser à un lecteur que l’on suppose, à tort ou à raison, pressé, distrait ou peut-être même, pour reprendre l’expression de Péguy, alphabète ?). Juan Asensio a ses obsessions, dont certaines sont tout à fait déplorables. Je vise ici celle, par exemple, qui consiste à talocher verbalement quoiqu’à tour de bras l’insignifiant Assouline, et à continuer encore et encore, bien après l’épuisement des derniers effets du comique de répétition. Quant à la littérature, je trouve fondées ses exigences, sa vindicte et ses apologies, et si je suis assez éloigné de partager tous ses goûts (Abellio, malgré son brillant style en trompe-couillons, ne trouve de place dans mon anti-panthéon littéraire qu’en tant que le plus manifestement doué des préfaciers d’Elisabeth Teissier), je prends connaissance de ses « papiers virtuels » avec grande attention. Lesquels m’ont faire lire, entre autres, Nicolas Gomez Davila et Juan Donoso Cortès. Ce n’est pas peu. – Pour le reste et pour finir, je trouve Asensio effectivement très doux.

    Il n’y a personne dans les tombes, de François Taillandier, chez Stock. Le troisième volume, après Option Paradis et Telling, de « La grande intrigue ». Dois-je préciser, là encore, que si je ne trouvais pas d’intérêt à cette lecture, je n’en parlerais pas ici ?

    Artefact, de Maurice G. Dantec, chez Albin Michel. Le seul des livres cités ici dont j’ai effectivement fait l’acquisition, quoique je ne l’aie pas encore commencé. J’ai lu tous les livres précédemment publiés de Dantec et, malgré certaines déceptions – la fin de Villa Vortex, par exemple, ou tel et tel passage de Cosmos Incorporated – et divergences d’opinions – mais il faut tenir les opinions pour rien, et les ramener à leur fond d’hérésie – je continue de le lire avec joie. Oui, avec joie.

    Voilà pour la littérature.

    Je m’étais promis de rédiger cette note en dix minutes et de simplement citer titres, auteurs et éditeurs, et voilà plus d’une demi-heure que je tapote à deux doigts mon clavier. Je lirai certainement encore, pour ma gouverne, un petit livre sur la situation actuelle en Irak : Le Chaos irakien (dix clés pour comprendre) de Fanny Lafourcade, aux éditions La Découverte.

    Pour l’heure, m’attendent le De grammatico de saint Anselme de Cantorbéry, et mon lit.