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Nietzsche

  • Ampleur de l'élément moral II

     

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    Je donne ici un aphorisme de Nietzsche, tiré du Gai savoir, dans la traduction de Pierre Klossowski. C’est le 114°, on le trouve au troisième livre et il est réellement intitulé Ampleur de l’élément moral.

     

    L’image que nous voyons pour la première fois, nous la construisons immédiatement à l’aide de toutes nos anciennes expériences, chaque fois selon le degré de notre probité et de notre équité. Même dans le domaine de la perception sensible il n’est d’autres expériences vécues que morales.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Ampleur de l'élément moral

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    L’image que nous voyons pour la première fois, nous la construisons immédiatement à l’aide de toutes nos anciennes expériences, chaque fois selon le degré de notre probité et de notre équité. Même dans le domaine de la perception sensible il n’est d’autres expériences vécues que morales.

     

     

     

     

     

     

     

     

    Voir aussi ici.

     

  • Insipiens Rex

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    Cur, nisi quia stultus et insipiens ?

    Saint Anselme de Cantorbéry, Proslogion

    « Pourquoi, sinon parce qu’il est sot et insensé ? »

     

    1. Dramatis personae

    Il y a une continuité, et une évolution, de Nietzsche.

    Si je les condense, la pensée de Nietzsche, quitte à la réduire ici de façon outrancière, est une mise en tension entre deux termes polaires, dont un seulement, dans le cours du temps, de l’œuvre et de la pensée, significativement, a changé.

    Il y a, dès le départ : Dionysos et Apollon.

    Et il y a, à la fin : Dionysos et le Crucifié.

    Apollon et le Crucifié, notons-le, ne sont pas interchangeables, quoiqu’en nombre de points ils se ressemblent. Un autre nom d’Apollon est Loxias, l’Oblique, et l’ « oblique » est une façon parmi d’autres dont la Chrétienté appréhendera, plutôt que : nommera, le diable. (D’une manière comparable, Léon Bloy, à la fin du Salut par les Juifs, note qu’il est à peu près impossible de séparer Lucifer et le Paraclet (l’Esprit Saint), fût-ce dans l’extase béatifique…)

    Toutefois, aucun de ces termes polaires, entre lesquels oscille et peut-être se positionne toute vie humaine, n’est à proprement parler un concept. Les philosophes ont parlé, parleront, peut-être parce que c’est leur gagne-pain, peut-être parce qu’ils obéissent, de personnages conceptuels. Foutaises.

    Ces termes sont avant tout des noms propres.

    Des noms de personnages.

    Des noms de dieux, aussi.

    Et ce ne sont pas les seuls.

    Il y a encore : Dieu – le Dieu des Juifs et des Chrétiens – dont l’hypothèse qu’Il est mort emplit – et barre – tout l’œuvre de Nietzsche.

    Et il y a aussi, bien, sûr, Zarathoustra, un ancien dieu, mort lui aussi, mais depuis des siècles, que Nietzsche essaie de réactiver, sinon pas : ressusciter, en vain, magnifiquement.

    Des noms de dieux, donc.

     

     

    2. Aporie tragique

    Et puis, il y a ce petit personnage très commun, multiple et protéiforme, qui se trouve avoir envahi le monde, «  la maison de fou des idées modernes », et qu’en sa dramaturgie singulière Nietzsche nomme l’insensé.

    Car c’est bien cet insensé-là, générique et multiple, qui ne se trouve aucun nom – serait-il légion ? – qui a charge de porter l’annonce de la mort de Dieu. Notez qu’en ce célèbre fragment 125 titré « L’insensé » du Gai savoir, notre insensé est tout à fait catastrophé. Non sans raison.

    J’emploie le terme de catastrophe, parce qu’il a un sens dramaturgique précis : « C'est le changement ou la révolution qui arrive à la fin de l'action d'un Poëme Dramatique, & qui la termine. » (Dictionnaire dramatique, 1776, par La Porte et Chamfort).

    Mais Nietzsche ne nomme pas ici par hasard insensé son personnage.

    Sans prétendre le moins du monde à l’exhaustivité, je me conterai d’évoquer deux textes importants, bien antérieurs à Nietzsche, où il paraît :

    Le psaume 14 (ex-psaume 13), dont je donne ici la traduction Segond :

    « L’insensé dit en son cœur : il n’y a point de Dieu !

    Ils se sont corrompus, ils ont commis des actions abominables ;

    Il n’en est aucun qui fasse le bien. »

    Le Proslogion de saint Anselme de Cantorbéry, où notre personnage paraît sous le beau nom latin d’insipiens.

    Il ne faudra pas moins de trois chapitres – les II (Que Dieu est vraiment), III (qu’il est impossible de penser qu’Il ne soit pas) et IV (Comment l’insensé a-t-il dit dans son cœur ce qui ne peut être pensé) – à saint Anselme pour traiter les problèmes que pose à sa preuve que Dieu est la première phrase de cet ex-psaume 13 ; et il finira même par fonder, en grande part, sa preuve sur cette phrase, après l’avoir remarquablement retournée.  (Je renonce à citer ici le Proslogion, parce que la démonstration d’Anselme est si serrée qu’il me faudrait transcrire ici l’intégralité des trois chapitres en question, et que là n’est pas, ce jour, mon objet…

    Comment l’insensé a-t-il gagné le monde, « notre » monde ?

    Comment le monde, « notre » monde est-il devenu le cœur même de l’insensé ?

    Et pourquoi ?

     

    Nullus quippe intelligens id quod deus est, potest cogitare quia deus non est, licet haec verba dicat in corde, aut sine ulla aut cum alliqua extranea significatione. Nul ne peut assurément reconnaître ce que Dieu est et penser qu’Il ne soit pas, bien qu’il (puisse) dire ces paroles dans (son) cœur sans aucune signification ou avec quelque signification étrangère.

    (Proslogion, IV – traduction Michel Corbin, éditions du Cerf, 1986)

    Il m'importe peu, ici, que Nietzsche parlant de l'insensé ait pensé, outre le psaume, davantage à saint Paul qu'à saint Anselme.

     

     

    L’insensé, lui, n’a rien pensé du tout. Il s’est simplement, à un moment de l’Histoire, trouvé nombreux. Il est parvenu à imposer son gouvernement, qui n’en est pas un.

    La catastrophe a eu lieu. C’est tout. Et sans doute a-t-elle encore lieu. Elle se déploie, dans toutes les directions opère sa destruction, ne laissera rien debout, pas un mot.

    La mort de Dieu est une victoire de la folie sur la raison.

    Pourtant, il est lui aussi catastrophé, l’insensé. Il se vante de son geste dans le même mouvement qu’il le déplore. Il lui a fallu des millénaires pour commettre cet assassinat singulier, et il ne le fera jamais plus…

    Nietzsche également sait qu’on ne reviendra pas en arrière. C’est même là que se trouve le problème. Je ne parle pas ici d’un problème abstrait, philosophique. Si le problème était philosophique, il n’aurait aucune espèce d’importance.

    Avec Dieu, les valeurs supérieures ont été emportées, sans retour.

    La tâche de Nietzsche, trouver un autre moyen de sauver les valeurs supérieures, est impossible. Elle est peut-être même déjà insensée.

    Il y a l’insensé. Et puis tous les dieux morts.

    Il y a les dieux morts, bien davantage vivants que l’insensé.

    Et parmi les dieux morts, bien davantage vivant que les autres, il y a le Crucifié.

     

    Peut-être.

     

  • Le gai savoir, par Friedrich Nietzsche

     

     

    A l’honneur des « homines religiosi ».

      La lutte contre l’Eglise est sans doute entre autres aspects – car elle signifie mille choses diverses – la lutte des natures plus vulgaires, plus légères, plus confiantes, plus superficielles contre la domination des hommes plus graves, plus profonds, plus contemplatifs, c’est-à-dire plus méchants et plus méfiants, qui furent longtemps à scruter avec une suspicion profonde la valeur de l’existence comme aussi leur propre valeur : le vulgaire instinct du peuple, sa joie sensuelle, son « bon cœur » s’insurgèrent contre eux. L’Eglise romaine tout entière repose sur la suspicion méridionale à l’égard de la nature humaine, et qui dans le Nord prêta toujours au malentendu : suspicion qui constituait pour le Midi européen l’héritage du profond Orient, de l’antique et mystérieuse Asie et de son esprit de contemplation. A lui seul le protestantisme est un soulèvement populaire en faveur des braves gens, ingénus, confiants, superficiels (le Nord montre toujours plus de bienveillance et de platitude que le Midi) ; mais ce fut la Révolution française qui remit enfin solennellement et sans réserve le sceptre au « brave homme » (au mouton, à l’âne, à l’oie, en un mot à tout ce qui est d’une irrémédiable platitude, à tout ce qui braille, qui est mûr pour la maison de fous des « idées modernes »).

    Nietzsche, Le gai savoir, fragment 350, traduction de Pierre Klossowski.