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Pauphilet

  • Albert Pauphilet et les Jeux du Moyen Age

    Le volume de la collection de la Pléiade Jeux et sapience du Moyen Age, déjà évoqué ici le 11 septembre, dans la note Parole n’a parolé, m’accompagne depuis quelque temps. Le choix des textes composant ce volume est l’œuvre d’un nommé Albert Pauphilet, dont je ne sais presque rien, sinon qu’il est également l’éditeur dans la même collection du volume Historiens et chroniqueurs du Moyen Age. N’ayant que peu de goût, et presque aucune compétence, pour la critique, je me contenterais ici de citer la première partie de la brève introduction par Albert Pauphilet au Jeu d’Adam, première pièce de l’ensemble des jeux présentés, introduction qui me semble importante, révélant un certain nombre de choses peu connues quant à l’origine du théâtre français.

     

     

    « Le théâtre, en France, a d’abord été religieux, et il est sorti presque insensiblement de la liturgie. Dès le XI° siècle, dans certaines abbayes bénédictines, afin d’instruire et d’édifier plus sûrement un public sans culture, on figurait divers épisodes de la résurrection du Christ. Ce n’était que la transposition du récit de l’Evangile en spectacle et en propos directs de personnages visibles. Un sépulcre était simulé d’un côté de l’autel, et des moines, vêtus comme il convenait, représentaient les Saintes Femmes et l’Ange ; et leurs paroles étaient exactement le texte évangélique, en latin. Peu à peu, les magnifiques ressources spectaculaires et dramatiques encloses dans le texte sacré furent mises en œuvre ; les phrases du récit, considérées isolément, devinrent comme des moment successifs de l’action et se transformèrent en autant de scènes. A l’épisode essentiel du Sépulcre s’ajoutèrent ainsi des scènes accessoires, préludes et épilogues ; ce qui n’était d’abord, selon l’heureuse expression de M. A. Jeanroy, qu’une « liturgie mimée », prenait de plus en plus l’ampleur d’un drame. C’est ainsi qu’on vit les trois Maries en route vers le Sépulcre et se demandant entre elles : « Qui nous ôtera la pierre qui ferme l’entrée ? » Mais elles devaient porter des aromates pour embaumer le corps : elles les avaient donc achetés, et l’on inventa la scène chez le marchand de parfums. De la même façon l’apparition de Jésus ressuscité aux pèlerins d’Emmaüs fut traduite en une scène pleine de poésie et de grandeur.

    Parallèlement à ces « jeux » de Pâques, quoique vraisemblablement un peu plus tard, des scènes consacrées à la Nativité s’ordonnèrent et se multiplièrent. La crèche, les bergers, les Mages, leurs offrandes rustiques ou somptueuses, que d’éléments pour des spectacles variés, et quelle incomparable source de poésie grandiose ou familière ! Un étonnant ensemble, représenté à l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, montre tout à tour l’arrivée des Bergers à Bethléem et leur adoration, la marche des Rois mages guidés par l’étoile, et leur comparution devant Hérode ; l’inquiétude d’Hérode qui fait rechercher par ses scribes les prophéties touchant ce Roi des Rois qui vient de naître ; sa colère ; puis l’adoration des Mages, et leur départ ; enfin la fuite en Egypte, le massacre des Innocents, la disparition d’Hérode et le retour de la Sainte Famille !

    Le texte sacré seul ne pouvait longtemps suffire à de telles extensions ; il se dilua, s’étoffa de paraphrases et de développements, s’entoura de commentaires lyriques. Dans les intervalles des dialogues, le chœur chantait des antiennes, entretenant ainsi constamment le souvenir de la liturgie toute proche, et conservant à ces fictions l’harmonieuse dignité des cérémonies du culte.

    Il est vraisemblable que le public laïc prenait grand intérêt à ces offices transformés, car peu à peu ils s’orientèrent vers lui et utilisèrent sa langue. Le français parut d’abord dans quelques ornements et broderies, puis il se mêla de plus en plus abondamment au latin. Vint un jour où il n’y eut plus guère en latin que les textes liturgiques chantés par le chœur, et les indications destinées aux clercs « meneurs de jeu » qui voudraient monter le spectacle. Le théâtre français était né ; ses origines ont un caractère de noblesse et d’idéalisme qui rappelle la naissance du théâtre grec, sorti lui aussi de la religion. »

     

     

    Il n’est pas étonnant, au vu des idéologies mortifères qui gambadent dans notre belle société, que cet aspect de la Renaissance du XII° siècle, comme on commence à dire enfin, laquelle correspond à peu près à ce que Pierre Legendre, sur un versant plus juridique, nomme la Révolution médiévale de l’interprète, soit généralement passé sous silence. Le XVII° siècle français ne serait donc pas sorti tout armé du néant, avec son trafic de règles sorties de la Poétique d’Aristote. Ce théâtre français médiéval, qui doit bien avoir un équivalent en Espagne aboutissant au XVI° siècle à la riche production des autos, est tout à fait passionnant, ou devrait l’être, pour nous aujourd’hui, en ce qu’il réouvre totalement la manière d’envisager un théâtre occidental qui ne soit pas simplement une copie de celui des grecs anciens.

    Le texte du Jeu d’Adam, après leçon et chant latins, commence par ce dialogue entre Figura (i.e. la Figure de Dieu) et Adam :

    FIGURA. – Adam !

    ADAM. –                Sire !

    FIGURA. –                       Formé te ai

                         De limo terre.

    ADAM. –                          Ben le sai…

    Ce qui n’est pas sans rappeler, par exemple, le début (si ma mémoire est bonne) du Monologue d’Adramelech de Valère Novarina, l’un des seuls auteurs dramatiques contemporains qui ne passe pas son temps à mettre en dialogues altercitoyens l’introuvable fond des articles de Libération ou du Monde diplomatique.