Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Fusées - Page 60

  • Un conte de Noël : Zen U 20

     ... de chrétien zélé que j’avais été, j’étais devenu un esprit fort, c’est-à-dire un esprit faible. 

    Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, Livre V, chapitre 15

     
    1430074799.jpg

    Prologue

     

    L’histoire idiote que je vais vous raconter n’est pas vraie. J’en veux pour preuve qu’elle se passe dans le futur. Dans les années 2052 après Jésus-Christ, environ.

    Personnellement, je l’ai écrite cette semaine, dans un bar, en fumant de criminelles et « pornographiques » cigarettes…

    Mais peu importe. Puisque selon Boileau, le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable, reste à espérer que le vraisemblable, à son tour, ne devienne pas vrai.

    Je n’aime pas beaucoup la science-fiction, mais pour compenser : j’aime bien me foutre de la gueule du monde.

     

     

    Chapitre 1

     

    Je m’appelle François Dupin. Je n’ai jamais rien aimé de ce qui dure. J’ai toujours été contre les traditions abjectes. Toute ma vie, j’ai dégueulé mes pères. Je n’ai jamais cru à rien. Mais ce n’est pas cela que je voulais vous dire…

    Je m’appelle François Dupin. Je suis vieux. Je vais mourir. Ici, dans cette vieille ville de Lyon. En l’an 1430 de l’Hégire.

    Je m’appelle François Dupin. A moins que je ne sois déjà mort. A tout le moins, rêve ou réalité, je me vois mourir. Je suis sur ce lit électrique, à l’hôpital, métissage de crasse et d’hygiène où la mort sent le propre chimique et la vie, je ne sais pourquoi, la merde… et quoiqu’il n’y ait personne à mon chevet, je parle à la petite caméra fixée au montant métallique qui me fait face. C’est à cette minuscule saloperie technologique reticulée au monde entier, ou à ce qui désormais en tient lieu, que je lance d’une voix faible mes dernières et vaines phrases.

    Elles ne sont pas, d’ailleurs, celles que j’aurais souhaitées :  

    – Alors ils remplacèrent le mot Bible, qui signifiait Livre, par le mot Média, qui signifie Moyen.

    Et il y eut partout des médiathèques.

    Et il n’y eut plus nulle part des bibliothèques

    Puis vous vîntes.

     

     

    Chapitre 2

     

    Et il mourut, « vieux et pourri », ainsi que le dit, en français, pour s’amuser, Naïma, sa petite fille.

    Et voilà.

     

    (– Et alors ?

    – Alors, ses petits enfants n’avaient rien compris à ses dernières paroles. Il faut dire à leur décharge, que le son de la communication, on ne sait pourquoi, n’était pas terrible.

    – Oui ?...

    – Et il faut dire encore que le « vieux et pourri » avait parlé en français, et que ses petits-enfants (enfin, les quelques-uns d’entre eux qui avait assisté en ligne à sa mort) ne parlaient pas patois. Ils s’étonnaient tout de même que la dernière phrase – trois mots – leur demeurât incompréhensible à ce point.

    – Attends… Il a combien de petits enfants, le « vieux tout pourri » ?...

    – Mettons quatre. Ou quinze. Ou vingt-trois. Peu importe. Dont deux seulement assistent à sa mort en ligne.)

     

    Naïma, toutefois, accorda quelques minutes de son temps précieux à cette « chose », qu’elle réfléchissait dans sa langue maternelle, métissage citoyen de mauvais arabe dialectal et de français de collège du vieux temps (« Mon granpér é 1 vieucon mai mintnan il é crévé inchallah », écrivit-elle en s’appliquant dans son journal intime électronique). Puis elle mit en veille l’ordinateur, enveloppa soigneusement sa chevelure dorée dans un hijab Gucci fort seyant et se rendit à son cours de philosophie politique à la TRU (Tariq Ramadan University), dans l’Est de Lyon.

    Son cousin Nasser, à cent cinquante kilomètres de là, traduisit dans son globish natal l’ultime et incompréhensible phrase de son grand-père (elle lui semblait, du seul fait de ses qualités sonores, pouvoir faire l’objet d’un refrain dans une des chansons qu’il écrivait pour son « groupe » - il était seul dans son groupe et travaillait les divers instruments sur son ordinateur. Comme il était artiste, il entretenait divers engagements politiques, militait notamment dans une association qui lui avait passé commande d’une chanson : le MSDVRTSQOLDDFPD ou Mouvmen Sitoyen pour la Dépennalization des Viol en Réunions ou Tournante Si Quyz Ont Lieu Dans Des Filles Pas Déscente).

    « Zen U 20. »

     

    (– Ce qui veut dire ?

    – Eh bien, mais c’est sa traduction :

    Zen You Twenty.

    Then You Twenty.

    Puis vous vîntes.)

     

  • Affaire Handke

    d46608f293ac974683e0ab64b3bdfa44.jpg

     

    Je n’ai aucune espèce de sympathie, bien au contraire, pour Milosevic.

    Et aussi, j’ai bien peu lu Peter Handke.

     

    Mais j’ai pourtant signé, à l’été 2006, une pétition contre le retrait de la programmation de la Comédie française de sa pièce Voyage au pays sonore ou l’art de la question, retrait motivé par le fait que l’Administrateur de la Comédie française, Marcel Bozonnet, avait eu l’intelligence de lire le Nouvel Observateur, torchon de propagande libéral-socialiste dans lequel, cette semaine-là, on lisait que Handke avait assisté aux funérailles de Milosevic.

     

    Comme, du fait de ma discrétion légendaire, je ne compte pour rien dans ce milieu « culutrel », une telle signature ne m’a même pas valu d’ennui, ni aucune polémique avec quiconque. Pourtant, tout ce même milieu, d’un beau mouvement de « matons de Panurge », comme eût dit le regretté Philippe Muray, s’était rué à signer la pétition adverse sous la houlette imbécile d’Olivier Py, notre grenelle de bénitier.

     

    Peu après, j’ai lu la pièce de Handke.

    Voyage au pays sonore ou l’art de la question est une pièce trop longue, aussi intelligente qu’ennuyeuse (c’est à peu près tout ce dont je me souviens).

    Elle ne déméritait donc en rien. Et de fait, elle n’est pas en question.

     

    En somme, si la constipation de ce murcide Bozonnet ne l’avait poussé à s’enfermer aux toilettes en compagnie du Nouvel Observateur, la pièce de Handke n’eût pas été retirée…

     

    Pourquoi ce billet, aujourd’hui ?

    Parce que je viens de lire, sur le blog de Jean-Jacques Nuel, que le Nouvel Observateur, attaqué en justice par Peter Handke, avait été condamné…

     

    Vous pouvez lire ici le billet de Jean-Jacques Nuel.

     
  • Grenelle, le casting (2)

     

    Commenter l’actualité ne m’intéresse qu’incidemment.

     

    Disais-je hier, au moment d’avouer l’évidence que le modèle de mon Président Grenelle était Nicolas Sarkozy. Ou du moins, « tenait » de lui.

    Et de parler de casting ! en plaçant mon personnage seul dans son lit, ne trouvant pas le sommeil !

    Un homme de pouvoir, et qui cherche des partenaires de jeu à sa mesure…

    Le retour de la Grande Politique.

     

    Et ce matin, un ami, au moment de commencer la répétition :

    – Tu sais quoi ?

    – Bah non, va.

    – Sarkozy, j’ai entendu à la radio, il est avec une chanteuse.

    – Laquelle ?

    – Je ne sais plus son nom. Une Italienne.

    – C’est bien, ce qu’elle chante, au moins ?

    – Je ne sais pas, je ne sais pas…

    Il cherche le nom de la dame en question, ne trouve pas. J’essaie de l’aider :

    – Elle est très connue ?

    – Oui, oui, sans doute…

    – Au fait, tu as lu ma dernière note sur Theatrum mundi ?

    – Elle est de quand ?

    – Cette nuit.

    – Alors non. Je dors, moi, la nuit. C’est sur quoi ?

    – Sur le casting du Président…

     

    Quand même, je rigole.

    Hier, au moment de torcher rapidement cette note dérisoire : Grenelle, le casting, je me demandais si, après les hommes politiques de stature internationale (tyrannasaurus rex), j’entrais dans la dimension femme.

    Je me suis répondu : oui.

    Mais la fatigue m’a écrasé.

    Et je remis à cette nuit la fin de la note.

    Et maintenant, je ne peux tout de même pas faire comme si l’actualité n’existait pas.

     

    – Et tu aurais dit quoi, des femmes du Président ?

    – Qu’elles ont, dans son film, un tout autre statut que les hommes. Séparation nette des régimes.

    – Machisme ?

    – Je ne pense pas, non. Les femmes du Président Grenelle aiment le Pouvoir sans doute, simplement ne courtisent-elles pas le même…

    – Tu peux nommer ça ?

    – Non, non, pas encore. Il faut d’abord décrire, longuement, minutieusement, avant de nommer. Qu’est-ce qu’elles font, ses femmes, à Grenelle ? Par ses femmes, d’ailleurs, je précise, je n’entends pas nécessairement celles avec lesquelles il couche. Je n’en ai rien à foutre de ce qu’il fait avec. Ce qui m’intéresse, c’est le côté Les Femmes du Président, pour reprendre un titre célèbre.

    – Eh bien, oui, justement, qu’est-ce qu’elles font ?

    Cigarette.

    – Elles apparaissent, non ?

     

    Ne nous méprenons pas.

    C’est très difficile d’apparaître.

    La plupart des gens, hommes ou femmes, n’apparaissent pas : ils entrent et ils sortent, avec plus ou moins de discrétion. Entrer et sortir, le plus banalement du monde, avec classe ou en grande vulgarité, c’est le lot commun. La plupart des mortels, en somme, sont exclus d’apparaître.

    Les Femmes du Président, ce sont des femmes qui apparaissent.

    Entendons-nous bien : elles ne font pas des apparitions, au sens le plus banal d’entrer et sortir d’un lieu, non.

    Elles apparaissent.

    Elle n’entrent ni ne sortent.

    Leur apparition même semble exclure toute idée de faire.

    A un moment, voilà, elles sont là.

     

    Ça a l’air idiot, je sais bien, seulement voilà : ça ne l’est pas.

    Pour vous le prouver, je vais citer ici les définitions que donne le Trésor de la langue française du mot « apparition ». Vous voudrez bien noter qu’il a deux sens, et que le premier d’entre eux concerne à la fois la religion (probablement, au vu des exemples : la religion catholique) et la peinture (c’est-à-dire : un mode de la représentation) ; le second sens, que je ne cite pas ici et qualifierais même volontiers ce soir de vulgaire, concerne le fait de faire une apparition, c’est-à-dire d’entrer et sortir, de passer, d’entrer dans le champ de vision, etc…

     

     

     

    APPARITION, subst. fém.

    Action d'apparaître; résultat de cette action.

    A. RELIG. Manifestation d'un être surnaturel qui se rend visible, généralement pendant un court moment (cf. apparaître I A). Les apparitions de la Vierge à La Salette, à Lourdes :

    1. À cette époque, plongée pour nous dans une pénombre où des lueurs magiques étincellent çà et là, ce ne sont dans ces bois, dans ces rochers, dans ces vallons, qu'apparitions, visions, prodigieuses rencontres, chasses diaboliques, châteaux infernaux, bruits de harpes dans les taillis, chansons mélodieuses chantées par des chanteuses invisibles, affreux éclats de rire poussés par des passants mystérieux.

    HUGO, Le Rhin, 1842, p. 117.

    Avoir une apparition. Voir dans une vision un être surnaturel :

    2. Peu de mois après, la femme du maire de Bouville eut une apparition : sainte Cécile, sa patronne, vint lui faire des remontrances.

    SARTRE, La Nausée, 1938, p. 62.

    P. méton. L'être apparu surnaturellement :

    3. Lorsque l'Apparition de Lourdes a dit : « Je suis l'Immaculée Conception », c'est comme si elle avait dit : « Je suis le Paradis terrestre ».

    BLOY, Journal, 1905, p. 258.

    PEINT. Tableau représentant une vision surnaturelle, avec ce qui caractérise traditionnellement ce genre de peinture :

    4. Ses animaux plats [du douanier Rousseau], sombres ou parfois blancs, mais si souvent couleur d'apparitions, nous les retrouvons dans les « primitifs » américains...

    MALRAUX, Les Voix du silence, 1951, p. 510.

    P. anal. :

    5. En un instant je me transformai en marié de l'autre siècle. Sylvie m'attendait sur l'escalier, et nous descendîmes tous deux en nous tenant par la main. La tante poussa un cri en se retournant : « ô mes enfants! » dit-elle, et elle se mit à pleurer, puis sourit à travers ses larmes. C'était l'image de sa jeunesse, cruelle et charmante apparition!

    NERVAL, Les Filles du feu, Sylvie, 1854, p. 687.

    P. ext., rare. Courte vision prémonitoire :

    6. ... un retour continuel ne ramène-t-il pas le poète, des apparitions de la vie à venir, aux choses de l'existence terrestre; ...

    OZANAM, Essai sur la philos. de Dante, 1838, p. 252.

     

     

     

    Si j’essaie d’appliquer aux Femmes du Président une espèce de mélange contemporain des définitions concernant la religion et la peinture, je puis obtenir ceci :

    Manifestation d'un être surnaturel qui se rend visible, généralement pendant un court moment, dans un film représentant une vision surnaturelle…

    La boucle idiote qui pourrit « ma » définition est volontaire, merci.Comme aussi la présence du mot film.

     

    d7658ecc43dc17ebd7c964814c2374a9.jpg– La pauvre Marie-Laine Broyal, que des journalistes à l’esprit plat comparaient par moquerie à l’Immaculée Conception, et qui eût bien aimé qu’on la prît très réellement pour telle, est totalement ridicule en comparaison, rigole le Président Grenelle. Il faut avouer, à sa décharge, qu’elle n’avait personne qui pût la faire ainsi crédiblement apparaître.

    Car enfin merde, personne de soi-même n’apparaît. Il faut avoir été sollicité, il faut avoir été pleuré, il faut avoir été prié.

    Ils ne se rendent pas compte, les gens, de la foi qu’il faut…

    Et tant mieux, s’ils se rendaient compte de la foi qu’il faut, eh bien, ils ne croiraient pas, ils préfèreraient ne pas croire… Parce que la foi, au fond, n’a rien à voir avec la crédulité, n’est-ce pas ?

    Ils sont fainéants, les gens.

     

    Je laisse au Président la responsabilité de ses propos (« Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait purement paranoïaque »).

    Il dit cela pour me convaincre, d’ailleurs.

    Il n’en pense pas un mot. C’est un magicien, un sorcier…

     

    – Carla Bruni, hurle enfin mon ami, qui a retrouvé !

    – Je connais le nom, mais je ne vois pas sa tête, dis-je. Ni sa voix.

    – Moi, je ne connais pas sa voix. Enfin, je ne crois pas… Mais il paraît qu’elle a été maquée déjà avec plein de pipoles, des stars du rock, du journalisme, etc.

    – Peut-être. Mais elle n’était jamais apparue, hein ?

    – Tu veux que je te dise oui ?

    – Ouais.

    Nous montons en voiture. Radio.

    Le Président et son « amie » – l’amitié, décidément, a de beaux jours devant elle, à moins qu’elle aussi ne soit plus ce qu’elle était – se sont laissé docilement photographier par des paparazzi dans Main Street…

    Putain, c’est quoi, ça, Main Street…

    C’est la Grand-Rue, en français, non ?

    Le planète est un village, après tout, globalisation oblige.

    … à Eurodisney.

    Et Eurodisney, en français, c’est quoi ?

    En français, Eurodisney, ça n’existe pas.

    Comme « impossible », d’ailleurs.

    Mais enfin, il est bien plus probable, en définitive, que ce soit le français qui n’existe plus.

    Delenda Carthago.

     

    Photographiés dans Main Street à Eurodisney.

    La voilà, l’info. La vraie.

    Celle qui eût ravi le grand Philippe Muray.

    L’amie du Président, soyons sérieux, pourrait être aussi bien n’importe qui, qu’il ne l’en eût pas moins fait apparaître…

    Mais Main Street, à Eurodisney.

    Juste après le show Kadhafi Duck & The Tyrannasaurus Rex.

    Ô Spielberg !  Ô Disney ! Paris tremble ! comme (ne) dirait (pas) aujourd’hui Victor Hugo...

     

    Qu’est-ce que c’est que ça, Main Street, Eurodisney ?

    Sinon la reprise des commandes du montage par le Président Grenelle.

    Pour quelques heures, quelques jours.

     

    Nom de Dieu.

    Après les Tyrannasaurus Rex virils et planétaires…

    Voici, en exclusivité pour tout le monde, l’Apparition de la Vierge (plus très fraîche – comme vierge, veux-je dire –, mais passons).

    Dans un parc d’attraction.

    Le terme fait un peu ringard, je sais ; et pour tout dire : il fait français.

    Les majuscules, ici, manquent.

    Dans un Parc d’Attraction.

     

    Benoît XVI et ses sbires pro-islamistes d’œcuménisme interconfessionnel n’ont qu’à bien se tenir.

     

    Ô Richelieu ! Ô Bossuet ! La Grande Politique est de retour.

  • Grenelle, le casting (1)

    Commenter l’actualité ne m’intéresse qu’incidemment.

    – Mais tout de même, votre Président Grenelle… c’est Sarkozy, non ?

    – Oui et non. C’est le modèle…

    Le personnage se dessine peu à peu. J’aimerais beaucoup qu’il ne ressemble pas exactement à son modèle ; j’aimerais qu’il soit plus vrai.

    Pour le dire autrement : Je ne fais pas de politique. C’est d’ailleurs mon seul point commun, j’espère, avec ceux qui sont sensés en faire…

     

    e7cbfb5d25ebefa63260b4ef8bfc0c76.jpg

     

    – Donc, se disait le Président Grenelle, pour faire un grand homme, pour le fabriquer, pour l’exciper du néant, il faut un grand acteur ; et peut-être en suis-je un…

    Mais un grand homme, un grand acteur, cela n’existe vraiment comme tel que s’il est pris dans une grande mise en scène tout à son service.

    Et là, somme toute, j’ai des doutes…

    Le Pouvoir n’a semble-t-il plus le pouvoir de présider au montage.

    Je n’ai pas le final cut. Les acteurs ne l’ont plus.

    J’essaie de compenser autrement, c’est tout.

    En étant là le plus possible.

     

    Il réfléchit, Grenelle.

    On aurait tort, d’ailleurs, de le prendre pour un homme sans culture.

    Il a appris ça des Américains, qu’il faut toujours passer pour plus con que l’on est.

    D’abord parce que les gens qui vous méprisent ou vous détestent ont, même malgré eux, une certaine tendance à vous sous-estimer qui ne peut que vous être profitable ; ensuite, parce que, du coup, les gens, les vrais gens hein ?, eh bien, ils vous aiment…

     

    – Le montage, de toute façon, appartient désormais à tout le monde. On peut donc parier, en somme, qu’il sera standard, le pour et le contre se compenseront d’eux-mêmes. Sauf catastrophe, évidemment.

    Donc : autant ne s’en préoccuper pas.

    C’est leur petite affaire, à eux, les autres. Ils ne s’occuperont même qu’à ça… ça leur donnera, très momentanément, de l’importance. Ça les occupera. Bien.

    Alors quoi ?

    Alors il y a l’histoire. L’histoire dans l’Histoire, si cette dernière n’a pas définitivement foutu le camp.

     

    Il y a un silence.

    Le Président se retourne dans son lit.

     

    – Merde.

    Le scénario. Je ne le connais pas, moi, le scénario.

    Je suis un acteur en temps réel, moi. Je ne la connais pas, la fin de l’histoire.

    Pourquoi les gens regardent le film alors, s’il s’étire et dure comme ça, sans fin possible ? Pourquoi les gens me regardent-ils s’il n’y a pas d’histoire bien propre, bouclée, célébrant a priori ma gloire ou ma défaite ?

     

    Il y est, là.

    Il s’est redressé dans son lit.

     

    – Quand ils vont au cinéma voir ce qui sort, les gens, ils ne la connaissent pas l’histoire. Ça n’est pas pour l’histoire, qu’ils y vont. Et les intellos mis à part, ce n’est pas non plus pour le réalisateur, ni pour le montage.

    Non, c’est pour le casting. Le casting. Bordel de merde.

     

    Il est au bord des larmes, d’un coup, le gros Grenelle. Il est redressé dans son lit, la face ravagée, il a l’air effondré. Martial, mais effondré.

     

    – Non mais, regarde-moi ces connards : tous des billes ! De François Groland et Marie-Laine Broyal à François Dufiion et Micheline Aubin-Marie… Rien, personne.

    Merde, hurle le Président Grenelle ! Je suis Marlon Brando, moi. Et il n’y a autour de moi, à droate comme à gôche, rien que des acteurs français de boulevard. Des Paul Préboist. Des Jacques Balutin. Au mieux des Pasqualabru. Et je ne vous parle pas du dyslexique amorphe de service : Beyrou-Est ou Beyrou-Ouest ?

    Des caves et des tocards.

     

    Il pleure, Grenelle.

    Pas d’adversaire à sa mesure.

    Il pleure, tout seul dans son grand lit.

    Il n’a pas tort, remarquez, sur le fond. Le cinéma veut créer des mythes. Peut-être est-ce une de ses fonctions, sinon la principale…

    Quand le cinéma américain, sur son versant mythique, a raconté la réalité de la seconde guerre mondiale, ça a donné Le jour le plus long. Une certaine idée de l’héroïsme. Les grandes vertus guerrières, martiales, sacrificielles. Le cinéma français, lui, pour coller un tant soit peu à la réalité de la guerre, de la drôle de guerre, a trouvé bon de nous sortir Où est passée la septième compagnie ?

    La tragédie d’un côté. La comédie pépère de l’autre. Chacun ses mythes. La France a hérité du côté le plus miteux, c’est logique.

    Après tout, on ne l’a pas faite, nous, cette guerre.

     

    Dans son film à lui, Grenelle, il joue John Wayne. Mais que serait John Wayne, je vous le demande, si face à lui il avait Jean Lefebvre, Pierre Mondy ?

     

    Alors il réfléchit, Grenelle.

    Le casting, bordel de merde.

     

    – Regardez-moi ces connards d’Européens de mes couilles (et Dieu sait si je suis européen convaincu) ! Qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse ? Il y a la Merkel, qui est bandante comme un cornet de frites graisseux dans une baraque pour routiers ! L’autre con de Gordon Brown, avec sa tête de cheddar pré-fondu… En Italie, depuis que Berlu n’est plus là, on ne sait même pas qui c’est. Et je ne vous parle pas de l’Espagne, avec leur Zapata qui pédalise tout le pays (ils seront bientôt aussi cons que les Français, les Espagnols, s’ils continuent)…

    Rien à tirer de tout ça. Des tocards.

    Bon alors, il va falloir jouer avec les durs, les méchants.

    George W. Bush, une espèce de Lee Marvin jeune et désintoxyqué.

    Poutine, dur de dur du KGB (déjà ça le fait, dans le film). Ed Harris rasé de près.

    Ahmadinejad, qui a une bonne tête de truand à la Eli Wallach.

    Kadhafi, qui aurait dû être joué par un Charles Bronson déjanté (enfin, je dis ça surtout à cause des yeux).

    Et le chinetoque, aussi, là, dont j’oublie toujours le nom.

    Voilà, là, on peut faire un film.

    Après, comme il n’y a pas de scénario, on improvise.

    Merde, il faut jouer dans la cour des grands.

    Tant pis s'ils sont psychopathes.

     

     

    Voilà, il peut dormir, Grenelle, à présent.

    La Grande Politique est de retour.

  • Kadhafi Président !

    f2c59ae0c6a98200d4a9e2db9c760ae5.jpg

    Je ne pense rien de particulier de la visite de Kadhafi en France.

    A dire le vrai, je trouve très drôles, très hilarants les petits jeux niaiseux du Président Grenelle et de son hôte porcif et sanguinaire.

    Les jugements moraux pleuvent, évidemment.

    On parle de realpolitik.

    C’est amusant.

    (Reprocher aux hommes politiques de faire de la politique réelle, ce n’est pas seulement idiot ; c’est également symptomatique de ce que les gens, ou plutôt : les journalistes, rêvent de fabriquer un monde imaginaire, pour ne pas dire : déliré et délirant…)

    Comme s’il fallait préférer une irrealpolitik. Ou une idealpolitik. Ou mieux : une surrealpolitik.

    A moins qu’il ne soit question d’une néorealpolitik.

     

    Les politiques qui existent sont réelles, toutes.

    (Je tiens ici que réel est l’adjectif, réalité le substantif ; et, bêtise ou pas, je refuse de considérer une chose aussi abstraite, absconse, abstruse et finalement absurde que je ne sais quel prétendu réel, etc.)

    Après quoi, ces politiques et leurs effets, on peut bien sûr les juger bons, mauvais, aberrants, idiots, dangereux, ce qu’on veut…

    On n’arrivera à rien d’intelligent en procédant ainsi.

    Chaque parti convaincra seulement ses convaincus, c’est-à-dire au fond : personne.

     

    Je trouve que la rencontre Kadhafi-Grenelle est une rencontre de théâtre, une rencontre mielleuse, conflictuelle et ambiguë.

    Les journalistes ne savent pas ce que ces deux-là, exactement, se sont dit.

    Et alors ? Il faudrait l’inventer.

    Je crois même que cela devrait être drôle.

     

    Chœur de journalistes, et l’icône jetable Rama Yade, très belle, en coryphée.

     

    Quoiqu’on pense de Kadhafi, il faut reconnaître que venir faire la morale des droits de l’homme au pays de la morale des droits de l’homme qui pète plus haut que son cul, que parler des récentes émeutes de banlieue en frisant l’appel « politiquement correct » (double langage, en français ; takkya, en arabe) au Jihad est un coup vraiment très talentueux.

    A quelles fins ?

    (Le théâtre aussi se pense en termes tactiques et stratégiques – selon la distinction canonique donnée par Clausewitz.)

     

    Il va de soi qu’à la fin de ce round, c’est le gros Grenelle qui l’a dans le cul, même avec son chèque idiot à la main.

    Mais, ego ou non, narcissisme ou pas, ce n’est vraiment pas ça l’important.

     

    J’imagine bien Kadhafi se torcher le cul avec un papier hygiénique tricolore, mais calibré aux normes européennes, offert par l’Elysée.

    Un peu de respect pour les symboles, merde.