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crucifix

  • Un retour...

    Je roule lentement au travers de la forêt immense tandis que la radio crache des appels rythmés au meurtre de flics. Je descends maintenant vers ma ville et elle n’est pas encore à feu et à sang ; j’arrête la radio. Je me souviens brutalement du crucifix taggé, tout à l’heure, dans les vignes. Les temps vont concorder bientôt, parfaitement, dans le chaos. Du moins, il m’est loisible de l’espérer. Quand j’ouvre les yeux, je comprends que je me suis arrêté et allongé au bord de la route. J’entre enfin dans ma ville, le long d’interminables barres d’immeubles, en écoutant L’art de la fugue. Pluie fine, à présent. Ensuite, j’ai gardé quatre jours cette musique en moi, et l’ai beaucoup fredonnée.

    C’est la guerre…déjà. Contrairement aux apparences, je n’exagère jamais. Mais chut…

  • Le Pain dur, par Paul Claudel

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    (Tous trois se donnent la main[1].) 

    LOUIS. – Et maintenant, j’ai encore quelque chose à vous demander.

    ALI. – Tout ce que vous voudrez.

    LOUIS, montrant le crucifix. – Vous êtes amateur de curiosités, débarrassez-moi de cette horreur.

    ALI. – Mais cela n’a aucune valeur ! la pluie et le temps en ont fait une chose informe.

    SICHEL. – Mon père, il est du Quinzième.

    ALI. – Il est rompu en morceaux. On dit que c’est Madame votre mère qui l’a retrouvé et collectionné.

    LOUIS. – Oui, elle était amateur de ce genre de choses.

    ALI. – Je n’en veux pas.

    LOUIS. – C’est du bronze massif comme une cloche.

             (Il frappe dessus du doigt. Ali frappe aussi, modestement.)

    Allez-y donc, ne vous gênez pas !

    Avez-vous quelque chose de dur ?

    ALI. (Il sort une clef de sa poche.) – C’est une clé que j’ai trouvée dans les décombres à Dormans. 

    LOUIS. – (Prenant la clef, il en décharge un grand coup sur la tête du Christ.) – Ecoutez un peu comme cela sonne !

    ALI. – Oui, les fondeurs n’étaient pas rares à cette époque.

    LOUIS. – Qu’est-ce que vous m’en donnez ?

    ALI. – Trois francs le kilo. C’est le prix courant. Vous n’en trouverez pas plus autre part.

    LOUIS. – Mais c’est du bronze ancien ! Regardez !

             (Il raye le bras du Crucifix avec la clef.)

    Ils ne savaient pas raffiner les métaux. Dans ces vieux bronzes, on trouve de tout, même de l’or et de l’argent.

    ALI. – Je vous en donne trois francs.

    LOUIS. – Donnez-m’en cinq.

    ALI. – Allons, je vous en donne quatre, mais c’est trop cher.

    Ce n’est plus du commerce, c’est de la fantaisie. Quatre francs ! Oui, c’est une mauvaise action que vous me faites faire.

    LOUIS. – Eh bien, j’accepte quatre francs, et si vous me débarrassez de cette horreur,

    J’estime que je serai encore celui qui gagne et non pas celui qui perd.

     

     

     

     

     

    [1] Ici s’unit le drame à la scène. (Note de Paul Claudel).

     

    J’ai intégré dans ma Culutre citoyenne cette fin de la pièce de Claudel, sous le titre : 10. La fin du Pain dur. Elle y figure à la  fois les prodromes de la succession des atrocités contemporaines et par son éloignement dans le temps – la scène écrite en 1913-1914 est censée se passer sous Louis-Philippe – l’exact envers de notre modernité imbécile… Voici ma didascalie en surplomb :

     

    La scène est dans le noir, les voix enregistrées. Les personnages sont ceux de la fin de la dernière scène du Pain dur de Paul Claudel : Sichel, Louis-Napoléon Turelure, Ali Habenichts.  Si vous voulez savoir un peu la cascade de parricides variés qui se répercute et s’ourdit dans cette pièce, et dont nous sommes les démocratiques enfants, lisez donc d’abord L’Otage, puis Le Pain dur, et pour finir Le Père humilié… En surplus des paroles, tous les didascalies et noms de personnages doivent être lus aussi, comme si nous nous trouvions dans la tête de cet unique lecteur silencieux que par extraordinaire nous entendons toutefois.