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  • Romantisme encore

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    Oisive jeunesse

    A tout asservie,

    Par délicatesse

    J’ai perdu ma vie.

    Ah ! que le temps vienne

    Où les cœurs s’éprennent.

     

    Rimbaud, Chanson de la plus haute tour

     

     

     

     

    La prime à la jeunesse, à la jeunesse foudroyée qui plus est, fut au XX° siècle très romantiquement – quoique, du moins officiellement, contre le romantisme – attribuée à ces précoces poètes que furent Lautréamont et Rimbaud.

    Mais pourquoi ?

    Pour empêcher qu’on lise Baudelaire et Verlaine, non ?

    Pour faire écran, du moins.

    Certains même voulurent voir, religieusement, en Rimbaud et Lautréamont des manifestations quasi-exclusives de la Vérité. Ils ont fini par faire de ces poètes des Bernadette Soubirous de carnaval, voire de gay pride… Sérieusement : des Bernadette Soubirous de quoi ? sinon de leurs propres engagements débiles de l’époque.

    Les Bernadette Soubirous de leur invertissement – puisque ça rapporte, donc, d’inverser…

    Ces gens-là, cadavres ou vieux barbons désormais, nous bassinent encore avec la jeunesse, la leur bien sûr, qui est en toc comme tous les marchandises désormais, jeunesse foudroyée aussi, bien sûr, mais autrement (puisque autrement est leur sésame), et on raccroche au passage 1968, le joli mois de mai des cadavres de la Fausse Commune…

    Rimbaud ni Lautréamont n’y sont pour quoi que ce soit, dans cette affaire sinistre. Ils sont même les victimes de cette affaire : ils sont devenus illisibles, invisibles sous le déluge commercial, pardon, intellectuel…

    Et Artaud, donc !

    Il a souffert, Artaud. Oui.

    Et il en a torché, des pages déchirées de douleur.

    (Le très vieux verbe français se douloir, du temps que la douleur aussi avait son verbe, se conjuguait ainsi : je me deux).

    Mais il est juste bon désormais à servir d’alibi aux poètes casse-couilles à prétentions intellectuelles, aux philosophes bien en chaires, aux metteurs en scène d’institutions, à tout cette lie de l’intelligence qui n’y entend goutte, mais cite et cite et cite, et se bâtit ainsi une moelleuse carrière à Peredelkino-sur-Seine ; à tout ce qui empile des discours secondaires

    Artaud est foutu, lui aussi.

     

    C’est peut-être la leçon de notre époque férue de quantités, et de chiffres : l’œuvre poétique demeure inconnue ou, dans le meilleur des cas, disparaît bien vite –, ou bien n’atteint à la notoriété que pour se voir annulée, annihilée (que j’entends en somme comme : annexée au néant) par des masses énormes de commentaires imbéciles, lesquels ensuite donnent lieu à simplification, à cliché – par quoi l’image du poète devient icône, ses adorateurs sourds se prosternant idolâtrement devant…

    Bref, c’est fini.

     

    (Voir aussi ici.)

     

  • Détresse

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    – Dis donc, mon vieux, je suis tombé sur ton blog : tu ne vas pas te faire que des copains…

    – Ouais, c’est pas meetic, mon blog.

     

    Bien. Je serais curieux de savoir combien de gens, de nos jours, écrivent, si l’on peut dire, pour se faire des copains.

    Peut-être, par ces temps de détresse, n’ont-ils trouvé que cela pour repousser un peu le suicide. On le leur souhaiterait presque, si l’on était gentil.

     

  • Guerre contre la réalité

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    Il y a une guerre contre l’âge adulte.

    Une guerre gagnée.

    Une guerre qu’il ne faut jamais bien sûr finir de gagner.

    D’éternels adolescents moquent, avec talent parfois, ne soyons pas bégueule, tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à une attitude responsable, consciente des réalités.

    On a tellement dégueulé les réalistes, non sans raison parfois, tant nombre d’entre eux furent médiocres et plats, qu’on en est venu à censurer la réalité elle-même.

    Il faut dire que ça va plus vite, et que nous ne jurons que par la vitesse.

    Cette guerre, évidemment, culmine en infantophilie généralisée.

    En infantomanie.

    Il y a une guerre contre l’âge adulte.

    Une guerre contre la réalité.

    Une guerre rêvée contre la guerre réelle.

    On défendra donc l’enfance, le rêve, l’adolescence, les marginalités, les déviances, la folie, l’utopie…

    Puis, et c’est le point, on les institutionnalisa.

    Voilà le crime.

    Toutes ces choses, l’enfance, le rêve, l’adolescence, les marginalités, les déviances, la folie, l’utopie, elles existent. Elles peuvent tout à fait exister. Qu’elles tombent ensuite, pour certaines, sous le coup de la loi, c’est autre chose. Loi ou non, justice ou pas, elles existent.

    Ce sont des choses qui ne se contestent pas. Contester l’existence de ce qui existe mène également au crime. C’est symétrique.

    Mais pourquoi faire la norme de ces choses qui précèdent, accompagnent ou pourrissent l’âge adulte ?

    Pourquoi les institutionnaliser ?

    Sinon pour défendre – mais pas au sens d’interdire, non – en sous-main, comme malgré soi, le crime ?

    Sinon pour institutionnaliser le crime même ?

    Toujours le même fond de romantisme.

    Avec ses pourritures et ses viscères.

    L’âge adulte est banni.

    Tout ce qui n’est pas lui l’a remplacé.

    Avec lui, la raison est bannie.

    Mise au ban, oui.

    L’épithète raisonnable est devenue infamante.

    Mais ce n’est pas venu comme ça.

    C’était prévisible.

    Des gens d’ailleurs l’avaient prévu, qu’on a fait taire.

    Il y eut d’abord une guerre contre l’idée de Père.

    Si, si, je vous jure.

    De là date sans doute cette inversion de la polarité du monde.

    L’inversion, c’est ce qui a précédé l’invertissement.

  • Sans le Moyen Âge, on ne comprend rien...

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    Non. Il fut gallican, ce siècle, et janséniste !

    C’est vers le Moyen Âge énorme et délicat

    Qu’il faudrait que mon cœur en panne naviguât,

    Loin de nos jours d’esprit charnel et de chair triste.

     

    Roi, politicien, moine, artisan, chimiste,

    Architecte, soldat, médecin, avocat,

    Quel temps ! Oui, que mon cœur naufragé rembarquât

    Pour toute cette force ardente, souple, artiste !

     

    Et là, que j’eusse part – quelconque, chez les rois

    Ou bien ailleurs, n’importe, – à la chose vitale,

    Et que je fusse un saint, actes bons, pensers droits,

     

    Haute théologie et solide morale,

    Guidé par la folie unique de la Croix,

    Sur tes ailes de pierre, ô folle Cathédrale !

     

     

     

    Le sonnet qui précède est le dixième poème de la première partie de Sagesse, de Verlaine, recueil publié en 1880.

  • De l'invertissement II (Paroles)

    La première partie : ici. 

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      II. PAROLES

     

    Ah ! Ah ! Je vais parler contre le suicide. Contre l’obligatoire assassinat de soi. Contre le monde qui vient, en somme, et qui, aussi, essentiellement, est là depuis un bon moment déjà, plusieurs siècles. Si j’eusse pensé que ce monde neuf, sous son couvert opacifiant de rhétorique inverse, pure propagande de transparence, n’était pas, et presque exclusivement, Terreur et Destruction – terreur musicalement rythmée et soumettant à l’obligatoire approbation cacophonique des masses exactement tout ce qui vient, sans Discrimination aucune puisque c’est la capacité même de distinguer quoi que ce soit que l’on fait jovialement disparaître, en une festive abolition des frontières et séparations fourguant un monde de métissage généralisé vendu comme essence, sinon race, supérieure ; destruction des fondements jadis tus de la de la Raison et de la civilisation, je veux dire : levée des tabous jadis la garantissant contre le crime et la folie, ces deux jolies marottes de notre temps de fosses communes désormais hygiéniques –, eh bien, dis-je, si j’eusse pensé que ce monde neuf tirant libidineusement à lui toutes les atrocités à venir n’était pas avant tout Terreur et Destruction, je n’eusse tout bonnement pas écrit cette longue phrase. (– C’est compliqué exprès, et ce n’est pas fini.) Nous entrons aux temps abjects de la Crimination. Et par la grande porte, encore ! Et en fanfare bruitiste ! Je parle contre le suicide. (– Trop tard, mon lapin.) Te voici dans l’Occident forclos, ayant accompli le prodige suicidaire de se forclore lui-même. Raison évacuée dans les eaux glacées du calcul scientifique – produits dérivés inclus –, l’accès est aujourd’hui barré de la réalité ; et toute parole prétendument autorisée doit parler à côté, et à faux, usant contre toute politique connue de recours utopiques et idéologiques, du fond d’une insondable prostitution qui se voudrait pourtant bénigne, voire même légitimante. C’est notre propre meurtre qu’ainsi nous tramons obscurément, justifiant présentement et par anticipation toutes sortes de barbaries bariolées, et cette affaire assurément serait simple si nous avions réellement le courage de nos actes insensés, délirants – mais ce mépris du danger est justement ce que nous nous interdisons avec une fermeté des plus étranges, pourrait-on dire ultime ?  Et le moment du suicide, toujours éminent, toujours souhaité, est tout de même incessamment repoussé, procrastiné – comptablement reporté à nouveau, comme s’il nous devait être crédit ; de sorte qu’il écherra sur ces enfants idolâtrés que nous choyons et choyons et choyons, sur ces enfants à notre effigie, pantins que nous désarmons pour nous et déjà vêtons de blancs linges, et offrons en généreux sacrifice à ces barbaries adulées que nous appelons de nos vœux. En fait de transmission, les gosses en somme paieront la note de rien moins que leur vie – c’est pas du cash, ça ? –, ce qui est une manière de malédiction d’une puissance nouvelle : point ne sera besoin de décompter dans les siècles tant ou tant de générations. Bien, bien. Je parlerai en poète, puisque n’importe qui l’est – et par quoi, au nom de quelle autre moderne magie m’exciperais-je d’autorité de notre désormais égalitaire sort funeste et commun ? (– Bienvenue dans mes lignes de code, cerveau étranger : vous disposez ou non des connaissances pour que les connexions s’opèrent… – Il y a des pièges ? – Toute une batterie, oui. Moi aussi, je me bats.) La poésie contemporaine – cet adjectif est disqualificatif, je le rappelle – est devenue une Province de la Technique. On en est arrivé là lentement, de catastrophe en catastrophe, de romantisme triomphant en romantisme honteux. D’extases atroces, mais satisfaites, en atrocités industriées, jugées satisfaisantes dans la réalité – à preuve qu’on les poursuit, reniant chaque fois les précédentes, sur des échelles jamais vues, à des cadences infernales. Le Progrès. Jusqu’à l’humiliation définitive du poète – et peu me chaut qu’on juge immoral qu’après de telles évocations de meurtres de masse je ramène à ma phrase le seul petit poète, innocent amateur dans un monde de victimes toujours plus bankables –, humiliation consentie, quémandée, revendiquée – finalement stipendiée. L’humiliation, hein, pas l’humilité – bien au contraire. Une espèce d’humiliation volontaire, selon le mode inverti qui occupe désormais le monde, dont grassement, avec des vulgarités de maquerelles, nous nous faisons titres de gloire – bons au porteur. Un néologisme pour caractériser cette accumulation-là : Invertissement. (– Tu fais quoi, en ce moment ? – J’invertis, tout bonnement. – Ah, et ça rapporte ?) Les poètes usinent précieusement de petites choses techniques, insensées, démolissent au glaviot la syntaxe. Le fait est qu’ils font des miniatures, point d’épopées ; mais des miniatures de quoi, je voudrais bien le savoir. On ne reconnaît rien, jamais. Il faut deviner ! Et lire encore n’importe quoi, en bons devins, dans les entrailles fétides de la modernité. Je suis sans doute bouché, je n’augure rien, et surtout rien de bon dans les cadavres… Ces poètes-là réputent donc leurs tristes messages encodés, encodés de ce pauvre code qu’ils seraient en définitive eux-mêmes, ces infatués du néant, et qui ne se communique pas. (– Qu’as-tu fait de ton Talent ? –  Eh bien, vois comme je suis vertueux, mais je lui ai chié dessus tout le long de la vie ! pour le protéger hein, et mes lecteurs éventuels se doivent d’être avant tout fouille-merde…) Ils ravagent le champ même de la langue, au nom que chacun fait la sienne ; et tous en font finalement une seule, et qui comme telle n’est pas. (Et je vous interdis ici de songer, même approximativement, à la Babel de la Bible ; les fameux Dalton de Lucky Luke, creusant pour s’évader de la même cellule du même pénitencier chacun leur propre trou exactement identique, et identique car différent, est une image bien plus juste.) C’est leur propre écrabouillis chaque fois qu’ils écrasent sur la page. Quand par extraordinaire demeure une page. Ils sont passés dessous la parole, sont retournés aux animaux en se prenant pour de petits dieux lares, et ça ne suffira pas, techniquement, de foutre à homme une majuscule de pure forme. Oh, ce n’est pas simplement un échec ou une impasse, moins encore quoi que ce soit qu’on puisse banaliser et ramener à tel ou tel particulier, et pas davantage ce n’est une aporie, non, c’est une extermination qui voue chaque langue à sa disparition paradoxale, ensevelie sous des mégatonnes de discours secondaires très fashion eux-mêmes voués à l’illisible. Pour les mêmes causes de fond, quoique avec des moyens fort différents et pour l’heure considérablement moins sanglants, cette extermination voue par exemple la langue française à devenir bientôt ce qu’est aujourd’hui, hélas, le yiddish. (– Tout le monde s’en fout ? Je passe… Mais comme Terminator, I’ll be back !) Il faut désormais des tombereaux de citations ineptes, généralement de philosophes ou assimilés, ces favorites tarifées du tyran, lesquelles élèvent avec une candeur trafiquée de pervers sexuel leur athéisme au rang d’acquis social, pour défendre dans le vide de petits monceaux de syllabes qui font regretter de ne pas s’être plongé plutôt dans un magazine féminin, par exemple, ou dans un merveilleux roman – contemporain lui aussi. Les poètes dont je parle ce soir sont de droit, et tels, sont aussi bien n’importe qui, et j’appelle donc ici poète exactement n’importe qui – l’invertissement toujours –, non qu’il se soit agi jadis de naissance mais bien plutôt d’une élévation et finalement d’une noblesse, en aucun cas d’un droit ; et voilà bien ce qui effraie ma chronique. Ils sont n’importe qui, dis-je, et l’époque recrute large, arguant d’une clause égalitaire qui justifie les abrutis, n’admettant de les discriminer que pour les propulser à d’inenvisageables sommets (mais que sont-ils vraiment, ces sommets de l’invertissement ?). Ils sont n’importe qui, ils parlent n’importe comment pour dire n’importe quoi, et ils s’en contrefoutent eux-mêmes, pourvu que ça serve, que ça invertisse et donc rapporte. Oui, je parle aussi, dans ce toujours même paragraphe, de l’Argent, mais pas seulement ; je parle de son mode à nouveaux frais de collusion avec cette espèce de post-nazisme qui ne menace guère de submerger les basses terres de notre époque, parce qu’elles sont déjà intégralement noyées sous lui. Entendons-nous bien : je ne parle là que de ce qui, sous des étiquettes diversement colorées, est déjà présent et gouverne, si ce terme s’est conservé un sens ; qui, aussi, tient à demeurer insu de lui-même afin de perversement se préserver de toute critique, et plus encore de toute crise réelle. Je parle bien, après la trahison – cette fois triomphale ! – de Dieu, de cet irrémissible péché contre l’Esprit en quoi consiste le suicide normatif de toute une civilisation. Et je vais pour finir vous dire ce qu’ils font, ces poètes qui n’en sont aucunement, faute d’œuvre, eh bien c’est pourtant simple, comme ils peuvent, avec leurs pauvres moyens d’impuissants et leur nombre de plus en plus élevé – les possédés sont Légion –, ils ne font rien moins que Désincarner le Verbe (y parviennent-ils vraiment ? C’est bien possible). Et le plus affligeant, et le plus amusant aussi, c’est qu’ils ne me contrediront pas. Ils sourient, même, flattés sans doute de cette reconnaissance inutile, et qui déjà m’expulse. Et moi aussi, je souris. Et puisque, au fond, je n’ai pas d’autre ambition dérisoire, prostituée que celle d’être un auteur comique, un humoriste idiot de ces temps festifs égayant de sa coruscante noirceur les grandes soirées mondaines et auto-promotionnelles de révolutionnaires en peluche, je souris moi aussi en posant cette navrante question : Qui ai-je donc imité ?

    Il faut bien que je rigole pour vous. Mais tout de même, je crois que maintenant, vous devriez relire ce texte.