1984 pour 666
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Une question
Hypocrite lecteur, – mon semblable, – mon frère !
– Tu voudrais disparaître, être regretté, même, qui sait ? Mais toute apparition est si éphémère, si dérisoire, peut-être si méprisable… Car tu n’es pas apparu encore, ou pas assez à ton goût – ça, c’est assez drôle, au fond. Et pour disparaître à tes conditions, petit chéri, il te faudrait apparaître vraiment, tu le sais ! et pour ainsi dire rester apparu un certain temps, mais combien de temps ? C’est difficile à dire, et peut-être ne te trouverais-tu alors jamais assez longtemps apparu ! Tu te rêves méprisable, en somme… Mais puisque tu veux avant tout disparaître, comme si ne pouvait être requise qu’à cela ta pauvre volonté, tu ne parviens pas du tout à apparaître assez, sachant trop que tu serais aussitôt disparu qu’apparu et sans avoir le temps d’organiser à tes conditions cette disparition, dans l’espoir de la rendre signifiante, même pour peu de personnes. Tout ce fantasme ridicule m’a quand même l’air bâti sur l’hypothèse que les gens qui te regretteront, s’ils sont, ne s’apercevraient pas du méprisable intrinsèque de ton apparition longue. Pourquoi vouloir être aimé par des idiots et des imbéciles ?
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Scène perdue
La gueule pleine de sang plus ou moins vrai, il parle encore :
Vous savez ou vous ne savez pas mais la scène, c’est l’endroit où nous les morts, on est chez nous
On a débarqué de tous les siècles depuis qu’on s’en souvient
On est bigarrés en diable, couverts de sang et plein d’amours tordues, et les plus fieffés salopards d’entre nous, même s’ils n’ont pas vécu en vrai
N’ont pas vécu en vain et d’ailleurs vivent encore
Ici nous les morts on est hantés par les vivants ou prétendus vivants, ils se la jouent un peu acteurs mais ne nous survivent pas !
Mais fondamentalement oui c’est chez nous ici, oui
Puisque c’est le seul lieu de cette civilisation où les morts reviennent, l’ultime où ils reviennent encore !
Et ici, nous, on vous reçoit, braves gens
Même si pour venir vous avez besoin de croire que c’est l’inverse et que sans vous on n’existerait pas
Alors qu’en vrai, quand vous n’êtes pas là, parce que vous croyez être vivants ailleurs, on est là quand même, nous les morts
A tel point que s’il n’y a plus de scène jamais, eh bien, ce n’est pas grave !
Parce que, public ou pas, acteurs ou non, gens importants ou point, nous sommes les fantômes sans quoi plus rien
Une armée de ressuscités pas saints du tout et qui se paient le luxe de n’être jamais morts même une fois, et pour nombre de ne s’être jamais donnés la peine de naître dans ce que vous appelez la vie – mais bon, c’est normal, de votre point de vue
Car en vérité je vous le dis, nous sommes le principe qui vous parle
Comme a presque dit Christ qui n’est pas celui que vous croyez
Puisque, que vous croyez croire ou que vous croyez ne pas croire, vous y croyez toujours, d’une façon ou d’une autre, et même si c’est plutôt d’une autre
Et donc, que je vous dis, nous sommes le principe qui vous parle et le commencement de toute chose
Parce que primo au sens le plus banal nous vous parlons et parce que secundo vous êtes parlés par nous
Car nous, morts, avons la voix active et vous, vivants, la voix passive et c’est ainsi depuis la nuit des temps
Et pour les siècles des siècles.
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SPQR (V)
par-dessus ton épaule
personne
tu es dos au mur maintenant
et c’est presque inquiétant de ne pas aller plus mal
(sourire)
ton ombre armée devant toi
ou un pendu
ou rien
tu tergiverses un peu
pour te faire croire au luxe
exil ou trahison coco ?
(il neige)
est-ce vraiment le jour d’entrer dans Rome
et de changer de langue
je ferais mieux avant l’aube
de traverser le jardin blanc et d’aller à la pêche
je déposerai en passant
un chrysanthème sur ce pays
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Noté en lisant Voltaire