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Golgotha picnic, de Rodrigo Garcia (1)

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En vérité, je vous le dis, qui n’a pas le sens de l’humour n’entend rien à la vie

Rodrigo Garcia, Golgotha picnic

 

 

Rodrigo Garcia n’est pas un mauvais dramaturge, ni non plus un bon. La question de la dramaturgie  (dans le texte en tout cas, et je parle ici du texte) n’est vraiment pas première, ni même peut-être seconde ; j’aurais envie de dire qu’elle intervient en troisième ou quatrième ligne et qu’en tout cas ce n’est pas cela d’abord qui est intéressant. Ou bien elle est tout entière contenue dans le montage du texte, qui lui donne son rythme, sa dynamique.

Je crois que Rodrigo Garcia est plutôt un moraliste – un moraliste raté d’ailleurs, un moraliste qui aurait bien aimé ne pas l’être. C’est un moraliste qui souffre et qui refuse de faire semblant de ne pas souffrir et de faire des jolies maximes comme si on n’y était pas, et qui fout la souffrance dans le texte en espérant que ça fera de la poésie. Et d’ailleurs, ça en fait par endroits. Ce qui est assez rare tout de même pour être signalé. Par poésie, je n’entends pas des trucs abstraits bien tournés pour faire joli, et d’ailleurs les quelques fois où Garcia me semble donner un peu là-dedans, il est terriblement casse-couilles.

 

*

 

J’écris ça parce que je viens de lire Golgotha picnic. Je n’ai pas vu le spectacle, je n’ai aucune idée de ce qu’il pouvait bien être, parce que la lecture du texte ne donne finalement aucune indication sur ce que peut bien être le spectacle.

En fait, je me contrefous du spectacle, de celui-ci et du spectacle en général, du spectacle vivant en particulier (enfin, entendons-nous bien, en tant que type travaillant dans ce qu’on appelle le « spectacle vivant », avec ce cynisme benoît qui caractérise l’époque, je suis en effet attaché à ce que les gens aillent au spectacle ; mais la production culturelle de ce pays est descendue tellement bas que ceci n’a pas tant de valeur en soi et dit seulement que si j’étais restaurateur ou maquereau je demeurerais d’évidence attaché à ce que les gens aillent au restaurant ou aux putes). A l’inverse de beaucoup d’admirateurs – la plupart par effet de mode, par mimétisme médiatique – de Rodrigo Garcia, l’idée de me déplacer pour aller voir un de ses spectacles ne me vient pas à l’esprit une seconde. Il faut dire que je ne partage pas la théorie en vogue (Tackels et consorts) selon laquelle il serait un « écrivain de plateau » dont le texte serait voué à disparaître dans le spectacle. Je trouve que Rodrigo Garcia est beaucoup plus intelligent que cette théorie utilitaire et mercantile, qui, de plus en plus, ne me semble faite que pour permettre à des gens de décider quels produits spectaculaires à date de péremption précoce on va réputer incontournables sur le marché européen de la culture ; et fort harmonieusement, ceux qui développent cette théorie travaillent à l’émergence médiatique des marchandises à la mode… (Il n’y a d’ailleurs là rien de choquant, ça a d’ailleurs probablement toujours été comme ça, que le pouvoir ait été celui de l’Eglise, de l’Etat ou de je ne sais quoi au juste désormais… et je ne vais pas vous refaire ici le match Jules II versus Michel-Ange, quelque passionnante que soit cette longue joute entre athées.)

 

*

 

Le livre commence par une préface de l’auteur, qui raconte comment il a conçu et écrit la pièce – Garcia dit pièce, pas spectacle, et dans le texte il dit pièce aussi – entre mai 2009 et novembre 2010, dans quel taxi italien l’idée lui est venue, sur quel ordinateur il a transcrit la sélection faite dans ses carnets, dans quels avions, et dans quel hôtel (le « Prince Sunshine » d’Ikebukuro à Tokyo) il a passé une semaine sans dormir à la boucler ; sans oublier de mentionner ce Christ de Lorenzo Lotto, vu à Jesi – la ville de Pergolèse – qui lui « a bien servi ».

Golgotha picnic rassemble des notes, des histoires, des coups de gueule, des cris de douleur travaillés, des réflexions sur l’histoire de l’art, un accident de bagnole avec la Passion selon saint Mathieu de Bach dans l’habitacle, etc., bref des textes de longueur, de tons et de genres différents. Et d’abord, on ne voit pas de personnage. Sinon Rodrigo Garcia lui-même. Et pas davantage de situation dramatique, rien. Un type qui dit des choses et dont je me suis dit à la lecture que ce devait être Rodrigo Garcia. Mais après tout, rien ne le prouve. Et cela n’importe que très peu.

Le seul mouvement un peu dramatique d’ensemble de la pièce tient à ce que le texte s’ouvre sur des paroles à propos du Christ, et qu’il se termine sur des paroles qui semblent prêtées au Christ, comme si celui qui parle (Garcia or not Garcia) était devenu ce Christ, ou avait pris sa place – puisqu’après tout elle est peut-être vacante. Vue ainsi, la pièce aurait en quelque sorte son ironique acmé dans l’accident de bagnole avec la Passion selon saint Mathieu, accident auquel survit le protagoniste et qui servirait alors de résurrection, même pour rire, ou pour du faux comme disent les enfants.

La pièce finit donc sur un « texte de la concorde » sous-titré « texte des commandements » et dans lequel on ne trouve d’ailleurs qu’un seul commandement, censé peut-être récapituler les absents, les anciens :

 

« Fuyez-vous les uns les autres

 

Je le dis depuis ma chute interminable, qui est ma place dans le monde et mon état de grâce, ma plénitude »

 

Fin de la pièce.

 

*

 

Le Rodrigo Garcia dont je cause est celui que je me suis fait à la lecture de la pièce et qui me paraît être l’homme qui y cause. Il est évidemment idiot de se demander si on est d’accord avec ce que dit un personnage et de le juger en fonction de son accord ou désaccord, non, la seule chose importante est de savoir si ce que dit la pièce, ici son personnage unique (ou presque, à concurrence du Christ) que j’appelle Rodrigo Garcia, est intéressant, et si cela semble intéressant, s’il ne s’y dirait pas aussi quelque chose d’important. Et le fait est que ce Rodrigo Garcia-là, dans la plus grande partie de son texte, est tout à fait passionnant – c’est le cas de le dire…

 

Notre époque est une aubaine pour les humoristes

La post-postmodernité nous a rendus ironiques jusqu’à la moelle

Vous êtes au-dessus de tout

Vous connaissez tout

Vous savez tout

Vous avez tout vécu

Vous avez bâti, avec moi, la métropole ironique

Les arrêts de métro s’appellent Mordacité, Satire, Cynisme

 

Vous ne pouvez rien faire la mine sérieuse

 

Elle est révolue, l’époque où on jouait sa vie pour des causes perdues, où on risquait sa peau

 

A présent, tout se fait avec de la distance, à distance, avec froideur et, paraît-il, intelligence. Tu parles

 

[…]

 

Une communauté spécialisée dans les clins d’œil

 

En somme, toute votre vie n’est que clins d’œil

 

Le jour se lève, têtes de nœuds

Et vous ne le célébrez pas, vous regardez le jour se lever avec suffisance, vous avez votre clin d’œil qui vous place au-dessus du lever du soleil

 

Le système est fondé sur le déjà-vu et moi, je me demande si un automne se répète

 

Par exemple.

 



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