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Theatrum Mundi - Page 149

  • Le Pain dur, par Paul Claudel

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    (Tous trois se donnent la main[1].) 

    LOUIS. – Et maintenant, j’ai encore quelque chose à vous demander.

    ALI. – Tout ce que vous voudrez.

    LOUIS, montrant le crucifix. – Vous êtes amateur de curiosités, débarrassez-moi de cette horreur.

    ALI. – Mais cela n’a aucune valeur ! la pluie et le temps en ont fait une chose informe.

    SICHEL. – Mon père, il est du Quinzième.

    ALI. – Il est rompu en morceaux. On dit que c’est Madame votre mère qui l’a retrouvé et collectionné.

    LOUIS. – Oui, elle était amateur de ce genre de choses.

    ALI. – Je n’en veux pas.

    LOUIS. – C’est du bronze massif comme une cloche.

             (Il frappe dessus du doigt. Ali frappe aussi, modestement.)

    Allez-y donc, ne vous gênez pas !

    Avez-vous quelque chose de dur ?

    ALI. (Il sort une clef de sa poche.) – C’est une clé que j’ai trouvée dans les décombres à Dormans. 

    LOUIS. – (Prenant la clef, il en décharge un grand coup sur la tête du Christ.) – Ecoutez un peu comme cela sonne !

    ALI. – Oui, les fondeurs n’étaient pas rares à cette époque.

    LOUIS. – Qu’est-ce que vous m’en donnez ?

    ALI. – Trois francs le kilo. C’est le prix courant. Vous n’en trouverez pas plus autre part.

    LOUIS. – Mais c’est du bronze ancien ! Regardez !

             (Il raye le bras du Crucifix avec la clef.)

    Ils ne savaient pas raffiner les métaux. Dans ces vieux bronzes, on trouve de tout, même de l’or et de l’argent.

    ALI. – Je vous en donne trois francs.

    LOUIS. – Donnez-m’en cinq.

    ALI. – Allons, je vous en donne quatre, mais c’est trop cher.

    Ce n’est plus du commerce, c’est de la fantaisie. Quatre francs ! Oui, c’est une mauvaise action que vous me faites faire.

    LOUIS. – Eh bien, j’accepte quatre francs, et si vous me débarrassez de cette horreur,

    J’estime que je serai encore celui qui gagne et non pas celui qui perd.

     

     

     

     

     

    [1] Ici s’unit le drame à la scène. (Note de Paul Claudel).

     

    J’ai intégré dans ma Culutre citoyenne cette fin de la pièce de Claudel, sous le titre : 10. La fin du Pain dur. Elle y figure à la  fois les prodromes de la succession des atrocités contemporaines et par son éloignement dans le temps – la scène écrite en 1913-1914 est censée se passer sous Louis-Philippe – l’exact envers de notre modernité imbécile… Voici ma didascalie en surplomb :

     

    La scène est dans le noir, les voix enregistrées. Les personnages sont ceux de la fin de la dernière scène du Pain dur de Paul Claudel : Sichel, Louis-Napoléon Turelure, Ali Habenichts.  Si vous voulez savoir un peu la cascade de parricides variés qui se répercute et s’ourdit dans cette pièce, et dont nous sommes les démocratiques enfants, lisez donc d’abord L’Otage, puis Le Pain dur, et pour finir Le Père humilié… En surplus des paroles, tous les didascalies et noms de personnages doivent être lus aussi, comme si nous nous trouvions dans la tête de cet unique lecteur silencieux que par extraordinaire nous entendons toutefois.

  • Vivre tue

    Je livre ici ce texte, écrit en 2005, qui sert de préface (étrange préface, je l’admets) au premier texte de Tout faut : Les Provinces de l’ennui. J’aurais pu l’actualiser un peu, mais j’ai préféré ne pas.

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    Je voudrais dire, tranquillement, que cette préface ne parle ni du théâtre en général ni de cette pièce en particulier. On peut donc, sans dommages pour la lecture, la passer. Mais comme c’est une préface pour rire, et que ce n’est pas si courant, on peut aussi la lire. Et peut-être éclairera-t-elle un peu la lecture de la pièce, on ne sait jamais.

     

    Sur mon paquet de cigarettes, il est écrit :

    Les fumeurs meurent prématurément.

    Prématurément par rapport à quoi ? me disais-je. Cela doit tout simplement vouloir dire : plus tôt que la moyenne.

    Ecrire cela, ce slogan archi-indiscutable depuis que la vérité est devenue statistique, c’est vouloir convaincre les gens qu’il serait mieux, qu’il serait préférable qu’ils vivent plus vieux.

    Mieux ou préférable pour qui, on ne le saura pas.

    Mais ça a l’air d’aller de soi.

     

    Ce qu’on peut entrevoir, peut-être, sous ce slogan, c’est l’idée bénéfiquement égalitaire qui le supporte.

    Une moyenne est un calcul, on le sait.

    Mais idéalement, égalitairement, une moyenne ne devrait même plus être un calcul, fût-il simple. On devrait pouvoir s’épargner tout calcul. Une moyenne devrait être lisible d’emblée, sans calcul, car idéalement, égalitairement, tout le monde devrait mourir au même âge. Les femmes, les hommes, les  enfants, les ouvriers, les patrons, les chômeurs, les vieux, les cons. Tout le monde.

    C’est formidable, une telle idée.

    Tout le monde crèverait littéralement au même âge très tardif (mais tardif par rapport à quoi ? ne nous posons pas la question) parce que tout le monde vivrait de façon rigoureusement identique et que les aléas biologiques, foncièrement inégalitaires, seraient corrigés par la science, la médecine, la prévention flico-routière et par un feu roulant d’interdictions législatives.

    Pour commencer par le plus simple, on a déjà fait en sorte que tout le monde pense et dise la même chose ; ou plutôt que tout le monde répète le même discours public, celui-là même qu’on nous perfuse constamment à longueur de réseaux surciviques et qui n’est rien d’autre, au fond, qu’une injonction létale.

    Je pensais donc à tout cela, et pour tout vous dire, je m’égarais quelque peu. J’alignais des arguments qui, pour donner une idée assez juste de l’imbécillité totalitaire aujourd’hui au pouvoir, ne pensaient pas plus loin que cette dernière : je découvrais les arguments de l’adversaire et, tout à cette découverte, j’omettais tout bonnement, donc, de les penser.

     

    Non, non, c’est philosophiquement qu’il faut aborder ce slogan.

    Les fumeurs meurent prématurément.

    En faisant à cette époque hautement analphabète le crédit d’un néologisme supplémentaire, cela veut dire :

    Les non-fumeurs meurent maturément.

    En somme, donc, les fumeurs sont des prématurés de la mort, tandis que les non-fumeurs, eux, meurent à terme.

    La vie les accouche de la mort au bon moment.

    Ah, mais c’est qu’on est bien au-delà des moyennes, ici, voyez-vous.

    Le non-fumeur – sinon lui-même l’idée du moins qu’en a le pouvoir – est celui qui est prêt pour la mort à tout moment.

    Il est mûr. Toujours prêt.

    Le non-fumeur, toujours selon le pouvoir, est l’archétype du bon citoyen. C’est le scout absolu du civisme.

     

    Dans ce cas, le pouvoir – quel qu’il soit concrètement : Etat ou Europe – n’est rien moins que la Sage-Femme de la Mort. Laquelle, antérieurement à cette naissance invertie qu’est désormais la mort, prodigue à la femme-enceinte-de-la-mort qu’est tout individu de judicieux conseils préventifs, et publicitairement présentés sous forme de slogans indiscutables.

    Tout est inversé, un peu à la manière du 1984 d’Orwell.

    La mort c’est la vie.

    Et la vie concrète le suivi gynécologique permettant d’accoucher à terme de la mort.

     

    L’interdiction à venir de ce que les porcs du pouvoir nomment parfois l’addiction tabacologique, ou plus concrètement l’interdiction de fumer, trahit, comme tout ce qui aujourd’hui éradique le négatif en le criminalisant, cette inversion de la polarité de la vie, le retour de la mort comme égalité et comme matriarcat.

    Hop.

     

    Bref, non seulement le ventre est encore fécond, mais il est plein : et il usine, triomphalement. C’est le progrès.

     

     

  • L'Ecole du rire

     

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    J’entendais, je ne sais plus quel samedi, dans son émission Répliques, sur France Culture, Alain Finkielkraut constater rien moins que la disparition de l’humour.

    Et certes, peu de choses sont aussi tragiques que cette disparition.

    Mais cette disparition elle-même n’est pas nette : elle est, comme tout ce que produit l’idée de transparence, salopeusement opaque.

     

     

    Que les humoristes ne soient pas drôles est un signe des temps ; et c’est peut-être ça le plus drôle.

    (La même chose à la fois m’atterre et me fait rire ; ce doit être cela, l’humour du désespoir. On vit jadis des gens mettre un point d’honneur à mourir juste après un bon mot. Notre civilisation – n’en déplaise au Président Mickey Grenelle, le mot civilisation n’est rendu réellement problématique que par l’impossibilité concrète d’encore lui accoler le mot notre (qu’est-ce que cela voudrait dire : « ma » civilisation ?) – meurt dans les borborygmes les plus affreux qui soient. S’étonner que ces immondices vocaux – non pas verbaux – soient produits par de prétendus humoristes avoue platement que l’on passe à côté de son époque).

    Il faudrait rire par-dessus son époque.

    Et ce n’est pas toujours si simple.

     

     

    Entre tant, il nous faut bien admettre que l’humour a plusieurs façons de disparaître.

    Il tend, par exemple, à se confondre au mépris pur et bas. C’est le versant Ardisson-Baffie, abyssale vulgarité qui, dans sa normative inversion des pôles, se croit une aristocratie – laissez moi rire !

    Mais il y a aussi – c’est un mode de disparition plus subtil, sans doute – son institutionnalisation, qui est en cours, qui est imminente, et qui, comme toutes les catastrophes produites à cadence par notre belle époque, va réussir.

    Un exemple ?

    A Reims, un journal gratuit de médiocre qualité, L’Hebdo du vendredi, consacre un article à l’ouverture d’une salle de spectacle privée. La salle s’appelle « A l’affiche », permet d’accueillir 250 personnes :

    « C’est Sylvain Collaro, propriétaire du café-théâtre le Don Camillo à Paris et associé au projet, qui a présenté le concept de « A l’affiche » rejoint ensuite sur scène par son frère Stéphane, célèbre créateur de l’émission le Bébête show et par Jean-Claude Walbert. Rapides et directs, les trois amis ont rappelé brièvement la vocation des lieux à savoir l’humour, le théâtre, la chanson et la promotion de jeunes artistes en devenir. » (Je laisse au nommé Julien Debant, signataire de l’article, la responsabilité de sa syntaxe.)

    Jusque là, rien que de très banal. Mais voilà :

    « Outre la diffusion de spectacles, « A l’affiche » devrait proposer des cours pour apprendre le métier d’humoriste. »

    Pourquoi pas, en effet ? La phrase suivante :

    « « Nous allons déposer un dossier auprès de l’Education Nationale et nous espérons pouvoir ouvrir notre école de l’humour à la rentrée 2008/2009 » précise Jean-Claude Walbert. »

    On y est.

    A quand l’ouverture d’une hypokhâgne préparant ouvertement à la « Star’Ac » ? D’un BTS « métiers de la pornographie » ?

    Rien ne dit que le dossier sera favorablement accueilli par l’Education Nationale. Mais si ce n’est cette année, ce sera la suivante ; et si ce n’est avec Collaro, on pourra certainement trouver des gens moins ringards : Cauet, par exemple, ou Michaël Youn – que j’ai déjà proposé pour la Comédie française…

     

     

    – Tu as fait l’école du rire ?

    C’est ainsi que cette ancienne blague idiote, qui suivait ordinairement une précédente blague pas drôle, va devenir réalité.

    L’Ecole du rire.

    Et ce rire même, que devra-t-il être sinon citoyen, tolérant, écologique ?

     

     

    Je suis désespéré. J’attends Molière, et le Saint-Esprit…

     

     

    Il disparaît aussi, l’humour, sous sa forme populaire, spontanée. Car enfin, il n’est point d’abord chose de spécialiste. A présent que les nouveau-nés, flanqués de leurs mères et pères, font leur apparition dans les cafés non-fumeurs, il faut s’attendre à ce que les blagues qui ne tombent pas encore sous le coup de la loi fassent l’objet d’une traque imbécile ; à ce qu’il se trouve, dans les plus brefs délais, un lobby de connasses et connards dénonçant je ne sais trop quel « blague-de-culage passif » (comme on dit : tabagisme passif) pervertissant nos adorables poupons…

    L’humour meurt. Et l’âge adulte avec lui.

  • En lisant René Girard...

     

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    … plus précisément le très beau et très déroutant Achever Clausewitz, entretiens avec Benoît Chantre, ce fragment de l’Epître de saint Paul aux Thessaloniciens (5, 1-5) :

     

    « Quant aux temps et moments, vous n’avez pas besoin, frères, qu’on vous en écrive. Vous savez vous-mêmes parfaitement que le Jour du Seigneur arrive comme un voleur en pleine nuit. Quand les hommes se diront : Paix et sécurité ! c’est alors que tout d’un coup fondra sur eux la perdition, comme les douleurs sur la femme enceinte, et ils ne pourront y échapper. »

     

    Ah, le beau dimanche de la vie.