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Vivre tue

Je livre ici ce texte, écrit en 2005, qui sert de préface (étrange préface, je l’admets) au premier texte de Tout faut : Les Provinces de l’ennui. J’aurais pu l’actualiser un peu, mais j’ai préféré ne pas.

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Je voudrais dire, tranquillement, que cette préface ne parle ni du théâtre en général ni de cette pièce en particulier. On peut donc, sans dommages pour la lecture, la passer. Mais comme c’est une préface pour rire, et que ce n’est pas si courant, on peut aussi la lire. Et peut-être éclairera-t-elle un peu la lecture de la pièce, on ne sait jamais.

 

Sur mon paquet de cigarettes, il est écrit :

Les fumeurs meurent prématurément.

Prématurément par rapport à quoi ? me disais-je. Cela doit tout simplement vouloir dire : plus tôt que la moyenne.

Ecrire cela, ce slogan archi-indiscutable depuis que la vérité est devenue statistique, c’est vouloir convaincre les gens qu’il serait mieux, qu’il serait préférable qu’ils vivent plus vieux.

Mieux ou préférable pour qui, on ne le saura pas.

Mais ça a l’air d’aller de soi.

 

Ce qu’on peut entrevoir, peut-être, sous ce slogan, c’est l’idée bénéfiquement égalitaire qui le supporte.

Une moyenne est un calcul, on le sait.

Mais idéalement, égalitairement, une moyenne ne devrait même plus être un calcul, fût-il simple. On devrait pouvoir s’épargner tout calcul. Une moyenne devrait être lisible d’emblée, sans calcul, car idéalement, égalitairement, tout le monde devrait mourir au même âge. Les femmes, les hommes, les  enfants, les ouvriers, les patrons, les chômeurs, les vieux, les cons. Tout le monde.

C’est formidable, une telle idée.

Tout le monde crèverait littéralement au même âge très tardif (mais tardif par rapport à quoi ? ne nous posons pas la question) parce que tout le monde vivrait de façon rigoureusement identique et que les aléas biologiques, foncièrement inégalitaires, seraient corrigés par la science, la médecine, la prévention flico-routière et par un feu roulant d’interdictions législatives.

Pour commencer par le plus simple, on a déjà fait en sorte que tout le monde pense et dise la même chose ; ou plutôt que tout le monde répète le même discours public, celui-là même qu’on nous perfuse constamment à longueur de réseaux surciviques et qui n’est rien d’autre, au fond, qu’une injonction létale.

Je pensais donc à tout cela, et pour tout vous dire, je m’égarais quelque peu. J’alignais des arguments qui, pour donner une idée assez juste de l’imbécillité totalitaire aujourd’hui au pouvoir, ne pensaient pas plus loin que cette dernière : je découvrais les arguments de l’adversaire et, tout à cette découverte, j’omettais tout bonnement, donc, de les penser.

 

Non, non, c’est philosophiquement qu’il faut aborder ce slogan.

Les fumeurs meurent prématurément.

En faisant à cette époque hautement analphabète le crédit d’un néologisme supplémentaire, cela veut dire :

Les non-fumeurs meurent maturément.

En somme, donc, les fumeurs sont des prématurés de la mort, tandis que les non-fumeurs, eux, meurent à terme.

La vie les accouche de la mort au bon moment.

Ah, mais c’est qu’on est bien au-delà des moyennes, ici, voyez-vous.

Le non-fumeur – sinon lui-même l’idée du moins qu’en a le pouvoir – est celui qui est prêt pour la mort à tout moment.

Il est mûr. Toujours prêt.

Le non-fumeur, toujours selon le pouvoir, est l’archétype du bon citoyen. C’est le scout absolu du civisme.

 

Dans ce cas, le pouvoir – quel qu’il soit concrètement : Etat ou Europe – n’est rien moins que la Sage-Femme de la Mort. Laquelle, antérieurement à cette naissance invertie qu’est désormais la mort, prodigue à la femme-enceinte-de-la-mort qu’est tout individu de judicieux conseils préventifs, et publicitairement présentés sous forme de slogans indiscutables.

Tout est inversé, un peu à la manière du 1984 d’Orwell.

La mort c’est la vie.

Et la vie concrète le suivi gynécologique permettant d’accoucher à terme de la mort.

 

L’interdiction à venir de ce que les porcs du pouvoir nomment parfois l’addiction tabacologique, ou plus concrètement l’interdiction de fumer, trahit, comme tout ce qui aujourd’hui éradique le négatif en le criminalisant, cette inversion de la polarité de la vie, le retour de la mort comme égalité et comme matriarcat.

Hop.

 

Bref, non seulement le ventre est encore fécond, mais il est plein : et il usine, triomphalement. C’est le progrès.

 

 

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