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théâtre - Page 32

  • Vide au centre

    (On ne me croira peut-être pas, je m’en contrefous d’ailleurs, mais hier soir, j’étais en train de lire et relire, pour des problèmes de théâtre, Théorie de la Constitution de Carl Schmitt. J’ai fait une promenade sur internet, et je suis tombé sur ce billet, consacré à Sollers et ses sbires, de Juan Asensio, puis sur sa controverse légère avec Elisabeth Bart. Du coup, ramassant à la va-comme-je-te-pousse tout ce bazar, je me suis délassé à écrire ça. Vers trois heures du matin, ayant relu le texte, je l’ai trouvé au moins bizarre – j’avais même l’impression de parler de moi à la troisième personne du singulier, alors que non, pas vraiment. Je ne l’ai pas mis en ligne. Je le fais maintenant. La page informatique, de plus en plus, me semble un paillasson.)

     

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  • Bousiller

    Travails

     

     

     

    L’histoire d’amour tient en deux phrases brèves, chacun une. Puis arrive un troisième personnage qui leur parle d’autre chose (le sujet principal) et quand ce dernier sort, l’histoire d’amour des deux autres est définitivement bousillée.

    On dirait une consigne d’improvisation, j’y pense seulement maintenant. Ça m’étonnerait assez que quelqu’un les sorte jamais au débotté, mes deux phrases ; pourtant, elles m’ont l’air claires.

    Ce n’est pas que les histoires d’amour finissent mal en général (comme dit la chanson) qui m’emmerde, non, ce qui m’emmerde, c’est qu’elles m’emmerdent. Alors on expédie, une balle, un mort. Et on n’en parle plus.

     

    J’arrache ces putains de phrases une à une. Je les sors une à une et c’est une horreur. Ce sont vraiment des putains. Et elles ne doivent pas en être. C’est aussi bête que ça. Et aussi insoluble. Ça ne va jamais. Je ne prends que des mots de tous les jours et ils ne doivent plus être les mots de tous les jours. De là peut-être cette impression de guerre avec le temps – et je ne peux que la perdre, la faire et la perdre. Il faut défaire les mots, les vider, casser ce qu’ils trimbalent d’époque, de contemporanéité (mot atroce), mettons : d’ambiance. Il faut qu’ils soient moins, qu’ils soient nus, chétifs, et que le silence envahisse tout.

    J’ai écrit le premier acte laborieusement. Passer entre deux ou trois heures à écrire quatre ou huit phrases qui vous dégoûtent déjà de misère, fait que vous promenez le plus discrètement possible une sorte de honte quand, descendu dans la rue, vous croisez vos semblables et que vous les voyez se parler, se héler sans y penser, avec facilité. Mais qu’est-ce que je fais ? qu’est-ce que c’est, ce que je fais ? Au point que j’ai envoyé chier Machin, journaliste, en entrant au troquet : – Alors ça va, l’inspiration, hein ? – Ta gueule, fais pas chier.  

    Du coup, pour le deuxième acte, il a bien fallu que je redéverse tout ça sur quelque chose, que je bousille quelque chose, que je putanise ; et finalement, je travaille avec le même disque en boucle, c’est lui seul qui fait l’ambiance, et j’espère que ça m’aide à en vider tout le reste, ces salopes de phrases, donc. J’ai – je ne sais pourquoi, sinon parce qu’il n’y a pas de paroles, mais j’ai tant de disques sans paroles… – tout de suite choisi la Neuvième symphonie de Bruckner. Tant qu’à bousiller quelque chose, après tout, autant que ce soit immense.

    J’attends la suite, quand il va falloir le ramener dans la pièce, le banal. Quand il va falloir bousiller tout ce que je viens de faire, et mettre enfin les personnages à bavarder dans le vide. Et déjà je me dis que même le bavardage, il faudra le faire faux lui aussi, et que sans doute ça ne va pas couler comme ça, avec facilité…

     Je n’aurai vraiment parler que de bousiller, ce soir.

  • Tchekhov marmonne quelque chose qu'on ne comprend pas

    Voilà, c’est fini, ils ont vécu oisifs, dans une insouciance angoissée, ils ne sont pas adaptés au monde qui venait, elle a tout dépensé comme pour fuir, lui – son frère – a perdu le courage dans des bandes de billard, la cerisaie est vendue, à Lopakhine, un honnête gars, fils de moujik devenu commerçant, et les voilà donc à la toute fin de la pièce disant adieu à leur maison, leur monde.

     

    Lioubov Andreevna et Gaev sont restés seuls. Comme s’ils attendaient ce moment, ils se jettent dans les bras l’un de l’autre et sanglotent, tout bas, en se retenant, de crainte qu’on ne les entende.

     

    GAEV (au désespoir). – Ma sœur, ma sœur…

     

    LIOUBOV ANDREEVNA. – O ma chère, ô ma tendre, ô ma belle cerisaie !... Ma vie, ma jeunesse, mon bonheur, adieu !... Adieu !...

    Voix d’Ania (comme un appel joyeux) : « Maman !... »

    Voix de Trofimov (avec une excitation joyeuse) : « Ohé !... »

    Une dernière fois, regarder ces murs, ces fenêtres… Notre pauvre maman aimait à marcher dans cette chambre…

     

    GAEV. – Ma soeur, ma sœur..

     

    Voix d’Ania : « Maman !... »

    Voix de Trofimov : « Ohé !... »

     

    LIOUBOV ANDREENA. – On arrive !

     

    Ils sortent.

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