néant - Page 16
-
Sans titre
-
Atéhéisme (sic ?)
L’anecdote du jour.
De laquelle, d’ailleurs, je ne conclus rien.
Assis à une table en terrasse au café, deux hommes, un petit garçon de trois ans.
Je ne sais pas de quoi parlent ces deux gars, mais l’un d’eux tout à coup s’exclame :
– Nom de Dieu !
L’autre homme se tourne alors vers son fils (ils se ressemblent encore) :
– Tu sais c’est qui Dieu ?
– ’est la téhé.
Rires.
-
De l'inutilité du théâtre, tout court
Ma bibliothèque est un monstre presque vivant. Depuis quatre ou cinq ans, elle déborde, craque, ne peut plus contenir tous mes livres. Mieux, elle les fait disparaître derrière des empilements de fortune toujours menaçant ruine. Tout classement est aboli – on en retrouve parfois vaguement la trace alphabétique. Reposer un livre dedans ou plus généralement dessus, c’est prendre le risque qu’elle en vomisse plusieurs autres. Une vingtaine parfois dégringolent, découvrant d’autres livres en désordre, oubliés – forces présentes en seconde ligne, voire en troisième. Il y avait deux ans que j’étais infoutu de remettre la main sur mon Folio d’Ubu et voilà que le monstre l’a recraché hier. Je l’ai trouvé au sol, en rentrant. Je ne sais pas d’où il est tombé. Peu importe.
Pour fêter ces retrouvailles, je vous recopie ici le paragraphe inaugurant un texte intitulé « De l’inutilité du théâtre au théâtre », paragraphe dans lequel beaucoup de choses ont seulement fait semblant de vieillir ou, plutôt, n’ont vieilli qu’en termes journalistes d’actualité :
Je crois que la question est définitivement tranchée de savoir si le théâtre doit s’adapter à la foule ou la foule au théâtre. Laquelle, antiquement, n’a pu comprendre ou faire semblant de comprendre les tragiques et comiques que parce que leurs fables étaient universelles et réexpliquées quatre fois en un drame, et le plus souvent préparées par un personnage prologal. Comme aujourd’hui elle va à la Comédie-Française entendre Molière et Racine parce qu’ils sont joués d’une façon continue. Il est d’ailleurs assuré que leur substance lui échappe. La liberté n’étant pas encore acquise au théâtre de violemment expulser celui qui ne comprend pas, et d’évacuer la salle à chaque entracte avant le bris et les cris, on peut se contenter de cette vérité démontrée qu’on se battra (si l’on se bat) dans la salle pour une œuvre de vulgarisation, donc point originale et par cela antérieurement à l’originale accessible, et que celle-ci bénéficiera au moins le premier jour d’un public resté stupide, muet par conséquent.
Depuis Jarry, celui qui peut comprendre s’est lui-même, doucement, expulsé des théâtres – ainsi d’ailleurs que tous ceux que la société ne saurait plus contraindre à devoir faire semblant ; quant à la foule, elle fait les mises en scène devant des publics clairsemés. L’absence totale de substance a de longtemps abattu le mur invisible, parfois dit « quatrième », séparant les personnages des spectateurs – les personnages, jugés trop dangereux, ayant été évacués, on a pu ensuite ôter les barreaux de la cage de sorte que le rien puisse donner sur lui-même…
On ne se bat plus dans les salles.
Ouf.
-
Révélation
Au long de la journée, il tenait habilement toutes sortes de conversations, adoucissant ses positions pour ne les céder pas, comme malgré lui toujours enclin au plus improbable compromis – diplomate ne travaillant au final pour rien ni personne, pas même pour lui ; mais lorsqu’au retour, il marchait seul dans les rues, il se sentait d’une humeur à piler absolument n’importe qui, et il attribuait le fait de ne jamais piler personne à l’idée qu’il avait que cette détermination était en quelque sorte sensible aux hypothétiques importuns, qui, immédiatement dissuadés, n’oseraient jamais se révéler tels. Il ne songeait point à autre chose qu’à cette sienne férocité discrète lorsqu’il heurta, à tel carrefour familier, le poteau d’un feu rouge ; de ce jour, il perdit toute illusion sur lui-même et ne put plus voir en lui-même ce héros attendant l’heure d’être révélé tel dans un jet de pure violence, et sut enfin, en un instant, qu’il n’était qu’un raté logiquement doublé d’un rêveur. Rien d’autre, apparemment du moins, ne changea ; et personne dans son entourage ne put jamais savoir quel accident de parcours avait bien pu produire un changement si soudain, quoique tous fussent bien incapables de dire quel il était précisément.
-
18. Faiblesse
Il lui semblait pourtant logique qu’une société qui affecte au désir et à la consommation une valeur seulement positive ne puisse finalement que détruire ses propres structures et institutions ; que les sujets d’une telle société soient toujours plus désarrimés de la raison, malades, et non seulement malades mais enorgueillis à l’extrême de cette maladie qui les verrait bientôt abolir en son nom toute discrimination entre eux-mêmes et les choses. C’est toute une société qui demande à disparaître, et jouit de disparaître. Elle disparaîtra donc. Par violence ou par ruse, elle sera remplacée par une autre, sûre de ses lois et de ses châtiments, et qui ne paraîtra archaïque qu’à ces affaiblis-là, dont il était. Et il se demanda pour qui il travaillait réellement. Et la réponse le fit franchement marrer.