Voici une courte saynète de commande.
Elle a peut-être quarante ans, un peu moins ou un peu plus ; c’est une petite bourgeoise moderne, décontractée, sympathique et vulgaire – elle est « prof » ou secrétaire de direction. C’est vers la fin de ce dîner dansant, elle a peut-être bu un peu, mais à présent elle déguste par saccades ce café qu’elle n’aime pas – il n’y avait pas de thé au menu – en regardant les gens danser.
LA DAME. – Regardez-moi danser ces cochons-là. De la vraie viande lubrique. Et dire que c’est dans ce genre d’échantillonnage-là que j’ai trouvé mon mari. Non mais quelle conne. Lequel m’a fait deux gosses et puis bye-bye. Qu’on baisait plus assez, qu’il a dit, un soir, bien bourré. C’est vrai qu’après le boulot et les gosses à s’occuper toute seule, mon cul c’était pas une fontaine de jouvence. J’aurais mieux fait de rester assise, n’empêche, plutôt que d’aller le remuer sous son nez, mon cul, le premier soir, dans cette boîte de nazes. Qu’est-ce qu’il croit donc, ce con-là ? Qu’un couple avec marmots, c’est fait pour s’éclater. Ça s’éclate ou ça éclate, c’est ça… Connard. Je peux bien me lever, aller danser, je ne suis pas si pourrie, j’en lèverai bien un autre, et quoi ? Recommencer la même chose en pareil… Comme s’il aurait pas pu se trouver une pouffe d’occase, de temps à autre, pour satisfaire son poireau ; et puis moi de même de mon côté, moins souvent. Dans le silence complice, genre : je me doute bien, mon coco, mais tant que tu ramènes des couches et du jambon, y a rien à dire. On aurait pu vieillir ensemble, comme des vieux. J’aurais supporté sa brioche et lui mes seins en gants de toilette. Je me serais forcée de temps en temps, les années bissextiles, en gueulant un peu des trucs salaces, histoire qu’il ait pas l’impression de sauter un paquet de chips. C’est ça, merde, d’être civilisés ; c’est ça, l’amour, le vrai, pas celui des magazines en merde. Mais non. Voilà qu’il lui fallait sa chose à chose à chaque jour. Moi. Dessus, dessous, de dos, dedans, dehors. L’amour-passion, on le sait bien que ça ne dure pas la vie. Mais le gars avait l’adolescence tenace et l’âge adulte, il ne le verra jamais. Il s’est tiré avec une jeunette qui lui a claqué dans les doigts au premier gusse plus friqué qui passait. Raque quand même ta pension, salopard. Et il recommence et recommence à s’en user la bite, jamais lassé d’échouer. Alors les gars, vous pouvez bien vous démener comme des cons à danser, je ne bougerai pas mon cul de cette chaise. Ce que je veux, moi, c’est un contrat. Comment ils appelaient ça dans le temps ? Un mariage de raison. On vit ensemble, on a ses droits et ses devoirs, voilà, et le reste ne regarde pas l’autre. Eh, bande de cons, c’est quoi le contraire de la raison ? La folie, non ? Voilà que tout le monde veut faire les fous, et pas qu’un peu à vingt piges, non, tout le long de la vie. Un jour, même, ils ne voudront plus crever, les gens. Ils se prendront pour des petits dieux qui font rien que ce qu’ils veulent et ils seront cons comme des vaches, avec leurs coïts programmés et leurs crèmes anti-rides entre deux injections de botox. Il n’y aura plus de gosses du tout, ce sera la fin du monde et tout le fourniment. Rien à foutre. Je me ferais quand même bien juste sauter, moi, ce soir.
Et puis elle reste assise, se sert un verre de vin. Un grand. Et le descend cul sec (c’est le cas de le dire).
Commentaires
Le paquet de chips, là, chapeau !
Ah je reconnais le romantique sommeillant en vous Pascal!
Ah sans rire, d'une certaine façon, j'aime assez votre idée du couple. Partager le quotidien. Suffisant. Mais le quotidien rêves compris (rêves de beauté j'entends!)...
Grand style !
J'étais en forme, sans doute, ce jour-là !
Ce sont des choses qui arrivent. Comme parfois les mariages de raison. N'ayez aucune inquiétude à ce sujet. Ni à aucun autre.
Je dirais même : vous étiez en grande forme! C'est excellent.
Une forme de coup de poing d'arriver ici après le passage au salon (Une lettre du salon... magnifique).