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Une lettre du salon

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C’est un soir.

Voici ce qu’il écrit sous la lampe :

 

Mon amour. Est-ce que tu sais que je ne suis plus là que par devoir ? J’allais dire par fidélité, mais non. Est-ce que tu sais que Dieu seul, ou bien l’idée de Dieu, puisque tu préfères, m’empêche de me passer par la fenêtre ? Est-ce que tu as remarqué qu’il y a longtemps, je suis mort. Te souviens-tu que nous nous sommes aimés ? J’ai passé sur moi-même comme une armée en marche. J’ai écrabouillé longtemps le désir sous ma botte, il a salement couiné avant de crever d’un coup. J’ai mis toute ma force à cela, les dents serrées, sans ménager ces larmes qui n’auront pas coulé, et j’étais plutôt fort, je trouve. Je me suis abruti de fatigue jusqu’à ce qu’il n’y ait plus même de fatigue. J’ai bien calmé la brute, et l’ai exterminée toute, même. Quand j’avais peur, vois-tu, je n’avais peur de rien. Je passais par-dessus. Les filles me giflaient pour un mot. Les types ne me cassaient même pas la gueule. J’étais un western ambulant. Un bloc compact de violence. J’étais remuant, je tenais tête à tout, j’allais plutôt mal, j’enjambais les préliminaires et vomissais les conclusions. Cela me semble les souvenirs d’un autre. Je passais ma main dans tes cheveux. Tu souriais. Et comment dire ? Nous avions le temps de cela, oui. J’ai l’impression d’avoir vécu plusieurs années avec toi, corps emmêlés sur ce parquet. (Tu vois, ce n’est pas vraiment une lettre, plutôt une chanson populaire mal foutue.) Et maintenant je suis là, dans ce salon aux couleurs chaudes, à noter sur des feuilles ces pauvres phrases et toi, quand je relève le nez, je te vois. Tu es là, toute jolie, tellement loin, en train de regarder un magazine. Aucun mot ce soir ne franchira mes lèvres, aucun rire. La musique que tu as choisie, pas seulement écoutée, de sa dégradation en ambiance meublera le silence. Il ne fait pas mauvais ici ; bien au contraire, même. Il y a des choses à faire. J’ai l’impression de voir tout cela de très loin, comme l’enfant qui tient à l’envers la longue-vue. La mort ne viendra pas vraiment. Seulement la douleur. Le corps qui hurle. Et sur lequel il faut encore marcher. Pour achever le travail. Je vais bien.

 

Il pose son stylo, se lève, ramasse difficilement un jouet d’enfant, le range, se rassied, pose les mains bien à plat sur la table et demeure immobile.

Il prend la feuille, la chiffonne, la lance négligemment dans la poubelle. Puis quitte la pièce en claudiquant légèrement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un contrepoint romantique : Raison garder.

 

Commentaires

  • Ca calme comme on dit!

    J'adore particulièrement:
    "J’ai passé sur moi-même comme une armée en marche." et encore "J’étais un western ambulant. Un bloc compact de violence."

    Bref, ce billet me plait plus que je ne saurais dire.

    PS: tenez Pascal, hier au théâtre 13 j'ai vu jouer une pièce contemporaine pas mal roulée et mise en scène avec poésie et justesse. Cela s'appelait: "l'écrivain public", d'une nénétte australienne ou néo-zélandaise. J'en reparlerai je l'espère sur VB.

  • On ne peut pas lire ce texte sans pleurer.

  • @ Sophie : Il le faut, pourtant.

  • "j’enjambais les préliminaires et vomissais les conclusions": peut-être est ce maintenant qu'il a le temps? Très beau texte, poignant.

  • Eh ben mon pote! Les deux bons hommes qui ont écrit ce texte , ont un sacré talent. Laissons le désir remonter le long de nos bottes, afin qu'il retrouve sa place initiale: le slip !!

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