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comédie - Page 3

  • Polis

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    On peut essayer de quantifier le sommet du pouvoir, mais.

    Combien de morts une phrase peut faire. Combien d’argent elle peut perdre ou rapporter. Ou quels territoires, etc. Combien de divisions internes ou externes elle engendre. Quelles ripostes.

    Et son influence, restreinte ou pas ? Ses mesures procèdent toujours d’une méconnaissance, non moins qu’elle-même. Pour ne rien dire de ses délais.

    Se poser ces questions entrave la décision. Le pouvoir n’est lui-même qu’aveugle.

    L’effroi devant toute conséquence contraint ceux qui exercent le pouvoir à un certain nombre de phrases fausses, convenues, établies d’avance – ainsi que leurs réponses.  

    Et voilà pourquoi votre pouvoir est muet.

    Bavard, mais muet. Clairvoyant parfois, mais toujours inactif.

     

    (J’essaie de présenter les choses positivement.)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • A tout prix

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    Peut-être la pièce ne rencontre-t-elle la tragédie, paradoxalement, qu’en poussant au plus loin la volonté de l’éviter.

     

    Il faut que la pièce finisse bien.

    Même, sinon mieux, il faut à tout prix que la pièce finisse bien.

    Et cet à tout prix-là concasse les hommes.

     

    Et, puisque la comédie ne se définit en bonne règle que de finir bien, la tragédie consiste tout entière dans le fait de vouloir à ce point la comédie.

     

    La tragédie est sa corruption même.

  • Un beau prologue

    Dieu vous garde, bons auditeurs, et puisse votre bonté répondre à notre désir de vous plaire. Si vous continuez à nous épargner les murmures, nous voulons vous faire entendre une aventure arrivée en ce pays. Regardez cette décoration qui se déploie sous vos yeux : voilà votre Florence. Une autre fois, ce sera Rome ou Pise : c’est à se disloquer la mâchoire à force de rire.

    Cette porte que vous voyez là, à ma main droite, c’est celle de la maison d’un docteur qui a appris force lois dans Boèce. Cette rue qui s’ouvre à ce coin est la rue de l’Amour, où celui qui tombe une fois ne se relève plus. Et puis, si vous ne vous en allez pas trop tôt, vous pourrez reconnaître, à la robe d’un moine, quel est le prieur ou l’abbé qui habite l’église placée du côté opposé.

    Un jeune homme, Callimaco Guadagni, venu de Paris tout récemment, demeure là, à cette porte sur la gauche. Parmi tous les autres bons compagnons celui-ci a fait ses preuves, et donné des exemples qui lui ont mérité l’honneur et le prix de galanterie. Une jeune femme, la sagesse même, en fut passionnément aimée : vous verrez comment il s’y prit pour la séduire ; et je voudrais, mesdames, que vous fussiez séduite comme elle.

    La pièce se nomme la Mandragore. Pourquoi ? Vous le verrez bien, je suppose, en l’entendant jouer. L’auteur n’est pas homme de grande renommée ; pourtant s’il ne réussit pas à vous faire rire, il consent à payer à boire. Un amant qui se désole, un docteur un peu rusé, un moine dissolu, un parasite, enfant gâté de la malice, voilà pour aujourd’hui votre passe-temps.

    Et si ce sujet vous paraît trop frivole et peu digne d’un homme qui veut paraître sage et grave, excusez-le, dans la pensée qu’il s’étudie à rendre plus doux, par ces vaines imaginations, ses jours de douleur ; car il ne sait plus où tourner ses regards : on lui interdit de montrer dans d’autres travaux un autre talent, et il n’est point de récompense pour ses peines perdues.

    La seule récompense qu’il se promette, c’est que chacun se tienne à l’écart et ricane dans sa barbe en critiquant ce qu’il voit et ce qu’il entend. C’est sans doute grâce à cette triste manie que le siècle présent dégénère en toutes choses de l’antique vertu ; car voyant partout la médisance, le monde dédaigne de prodiguer sa fatigue et ses sueurs, pour élever, à travers mille obstacles, une œuvre que voilera le brouillard, que les vents ravageront.

    Cependant si quelqu’un, en médisant de l’auteur, s’imaginait le saisir par les cheveux, l’étourdir ou lui faire quitter la partie, j’avertis ce quidam que l’auteur aussi entend la médisance, qu’elle fut son premier métier, et que dans tous les pays du monde où le si résonne il n’estime âme qui vive, bien qu’il fasse escorte à qui peut porter un meilleur manteau que le sien.

    Mais laissons la médisance à qui veut médire. Revenons à notre affaire, afin que l’heure ne nous devance pas. Il ne faut pas tenir compte des paroles, ni prendre pour un monstre une chose si incertaine qu’on ne sait encore si elle existe ou non. Callimaco sort ; il a avec lui Siro, son domestique, et il va dire ce dont il s’agit. Que chacun soit donc attentif, et ne demande pas pour l’instant un autre renseignement.

     

    Machiavel, La Mandragore,

    Traduction de d’Avenel (1837)

  • Sourire

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Il se peut bien, comme d’excellents auteurs déjà l’ont dit, que l’écriture d’une tragédie, pour différentes raisons, dont quelques-unes tiennent à la haute politique – nulle part on ne trouve de souverain, qu’il soit homme ou dieu, réel et commun à représenter avec quelque respect – et les autres à la basse – l’accoutumance que nous avons à des spectacles faibles, préférant tous l’émotion à la raison –, ne soit plus possible aujourd’hui ; mais personne ne veut vraiment entendre ce corollaire, à savoir qu’en l’absence d’un référent également solide à moquer, la comédie non plus, sauf à se tromper d’objet comme on voit à toute heure, n’est pas possible… Pour autant,  il serait évidemment odieux de se rendre, je dis bien : se rendre, à la bouillie ordinaire.

     

    Si les choses ne se peuvent plus d’elles-mêmes soutenir, sans doute les faut-il soutenir de la chose opposée ; ainsi soutenir un commencement tragique d’un filigrane comique permet peut-être, en retournant la pièce, et avec l’avantage de n’en rompre aucunement l’unité, de finir une comédie en dansant sur les cadavres ; de sorte que tout le monde se réconcilie, avec une innocence de pervers, sur un tas de cadavres devenu nécessaire.

     

    Je ne veux point de rires ou larmes sains, mais de hideux sourires sur nos faces de poupons.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Voir aussi : Travails (2) et plus généralement, colonne de droite, la section Notes de travail