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Sarkozy - Page 4

  • Accélérer la catastrophe (2)

     

     

     

    – C’est quoi, Papa, un progressiste ?

    – C’est un type comme tout le monde, et qui donc chute, mais qui, enivré sans doute par sa propre chute, trouve justement qu’il chute vers le haut

    – Tu ne crois pas au Progrès, toi ?

    – Mais si. Je veux bien croire qu’en travaillant, on peut faire des progrès.

    – Pourquoi tu n’es pas progressiste, alors ?

    – Parce que je ne crois pas à la magie.

    – Et la magie, c’est quoi, alors ?

    – Justement, c’est croire qu’on s’élève lorsque l’on suit sa pente.

    – C’est comme le progressisme, alors ?

    – Oui, c’est de la folie furieuse. Allez, file te coucher, il est tard.

     

    Je regarde les livres sur la table.

    L’Empire du moindre mal, magnifique essai de Jean-Claude Michéa.

    Le Soulèvement contre le monde secondaire, de Botho Strauss.

    Dominium mundi, de Pierre Legendre.

    Entre autres…

    J’allume une cigarette, je me sers un whisky.

    J’ai sous le nez, sur Causeur.fr, un texte d’Elie Barnavi sur la laïcité...

    Je précise à d’éventuels nouveaux lecteurs, que j’ai pris récemment la déplorable habitude d’appeler Sarkozy le Président Grenelle (dans ce texte, pour une fois, la citation de Grenelle est exactement empruntée à son modèle dans la réalité). C’est un personnage que j’invente. Un personnage comique, je le précise. J’ai la joie de vous annoncer (c’est une exclusivité) que le prénom de ce personnage est Michel, ce qui permet à ses amis de l’affubler du gentil sobriquet de Mickey. Welcome to Wonderland…

    Bref, on nage en plein suicide. Il est onze heures du soir…

     

    – Et la laïcité, Papa, c’est quoi ?

    – Mais bordel de merde, je n’en sais rien, moi. Pardon. Ça veut dire que tout ce qui s’est passé avant 1789 est un immense paquet de sanguinaires saloperies, et ce qui s’est passé depuis aussi, à deux ou trois exceptions près. Et ça veut dire que nous, nous qui avons bien sûr tout pigé, nous sommes sinon vachement bons du moins sur le point de le devenir en sortant tout à fait de l’humanité.

    – Mais comment on le sait, qu’on est bon ?

    – Mais on l’a décidé, mon petit gars. Après Auschwitz, on s’est dit que ce serait vachement bien de devenir bons ; et on a décrété qu’on l’était, toujours cette putain de baguette magique. Puisqu’avant, c’était mal.

    – Ah ? Mais bon, la laïcité, c’est quoi ?

    – Il y a des curés dans ton école ?

    – Non.

    – Eh bien, tu vois, c’est ça, la laïcité.

    – Oui… Mais des curés, c’est quoi ?

    – Des gens d’avant. Qui croient en Dieu.

    – Quand c’était mal, alors ? Mais Dieu, alors…

    – Tu ne veux pas me foutre la paix, dis ? Pardon. Laisse-moi fumer peinard devant mon écran d’ordinateur et va te coucher, mon grand.

     

    Je ne sais d’ailleurs pas moi-même clairement distinguer ce qui, dans la suite de ce texte, relève de la farce et ce qui relève du tragique.

    (La même chose à la fois m’atterre et me fait rire.

    J’aime penser que c’est un don ; mais c’est un don pénible.)

    Je vais donc vous coller là tout un tir de barrage de citations diverses, qui vont faire vachement bien, avant mes conneries de dialogues de piliers de bars (non-fumeurs).

     

     

    « Le réactionnaire n’est précisément pas cet empêcheur ou cet incorrigible rétrograde que fait de lui la dénonciation politique – il marche au contraire en tête quand il s’agit de rappeler le souvenir de quelque chose d’oublié. Il a ici et maintenant devant lui les voiles épais de l’illusion technique et du vide de sens, et il veut les fendre, au moins pour des moments lucides, dans lesquels se révèlent Présence, Sens et Logos. »

    Botho Strauss, Le Soulèvement contre le monde secondaire.

     

     

    « Si le Droit constitue, pour le libéralisme politique, l’instance de régulation suprême qui doit se substituer à toutes les autres, ce n’est naturellement pas à la manière, jugée arbitraire et étouffante, des anciens montages normatifs – que ce soient, là encore, ceux de la coutume, de la religion ou de la vertu républicaine. La « théorie de la justice » sur laquelle se fonde la nouvelle autorité du Droit a, en réalité, peu de chose à voir avec ce que la philosophie traditionnelle avait jusqu’alors pensé sous ce nom. Elle ne se soucie plus, en effet, de définir des Idées ou de saisir des Essences, c’est-à-dire de s’exprimer au nom d’une quelconque « Vérité », quel que soit le statut métaphysique de cette dernière. Bien plus que d’une « théorie de la justice », il conviendrait plutôt de parler à son sujet d’une théorie de l’ajustage ou de l’ajustement. Pour l’essentiel, en effet, il s’agit seulement de mettre au point les combinaisons institutionnelles les plus efficaces, donc de calculer au plus juste le système de poids et contrepoids (checks and balances, disent les philosophes anglo-saxons) qui permettra de maintenir l’équilibre des libertés rivales en leur imposant un minimum d’exigences – en leur garantissant, si l’on préfère, le taux d’imposition existentielle le plus bas possible. Une théorie libérale de la justice ne doit donc engager, par principe, aucune réflexion philosophique particulière sur ce que pourrait être la meilleure manière de vivre. Elle se limite, au contraire, à définir les conditions techniques d’un simple modus vivendi. »

    Jean-Claude Michéa, L’Empire du moindre mal (Essai sur la civilisation libérale)

     

     

    « C’est pourquoi j’appelle de mes vœux l’avènement d’une laïcité positive, c’est-à-dire d’une laïcité qui tout en veillant à la liberté de penser, à celle de croire et de ne pas croire, ne considère pas que les religions sont un danger, mais plutôt un atout.

    » […] La France a beaucoup changé. Les citoyens français ont des convictions plus diverses qu’autrefois. Dès lors la laïcité s’affirme comme une nécessité et oserais-je le dire, une chance. Elle est devenue une condition de la paix civile. »

    Mickey Grenelle, discours au Palais du Latran

     

     

    « La « neutralité axiologique » revendiquée par le libéralisme a parfois de curieuses conséquences. Rien ne peut logiquement interdire, en effet, que l’on utilise le racisme lui-même, à titre pédagogique, si l’on a de bonnes raisons de penser que c’est un moyen politique efficace pour parvenir à l’égalité des droits (c’est le principe de toute affirmative action). C’est ainsi que Houria Bouteldja, porte-parole des Indigènes de la République, a pu tranquillement déclarer (lors d’une émission de Frédéric Taddéi, diffusée sur France 3), et sans susciter, cela va de soi, la moindre réaction politique ou médiatique, que la première condition pour « rééduquer le reste de la société occidentale », était de considérer tous « les Blancs » comme des « sous-chiens » (Cf. Marianne, 30 juin 2007). »

    Jean-Claude Michéa, L’Empire du moindre mal (Essai sur la civilisation libérale)

     

     

    « Question « bonheur », les experts savent. Qu’y a-t-il de plus enviable que la non-mort assurée, la « Fontaine de Jeunesse », les muscles et la peau en bon état, l’esprit léger, un sexe performant, l’idéal de consommer sans trêve ? »

    Pierre Legendre, Dominium mundi  (L’Empire du management)

     

     

    « Mais ce n’est quand même pas une raison pour aller tomber dans l’excès. Les chrétiens recyclés sur ce module, on le comprend, ne vont pas être des Bloy ou des Bernanos. Le conciliaire a été le nom de leur propre « spectaculaire intégré ». Ils se sont fièrement ralliés à la démocratie spectaculaire. Les yeux de la foi leur en comptent les merveilles. »

    Guy Debord, « Cette mauvaise réputation… »

     

     

     

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    I

    – Tu crois à la laïcité, toi ? – Pardon ? – Peut-être que ça existe la laïcité, mais je ne vois pas du tout pourquoi il faudrait y croire. – Peut-être que c’est une religion, après tout. – Une religion de substitution ? – Ouais, une religion du vide, une manifestation enfin du nihilisme… – La laïcité, c’est un machin inventé pour en finir, ou au moins réduire, amoindrir la présence et l’influence de l’Eglise catholique en France. – En même temps, les laïcs ont toujours existé : un laïc, c’était juste quelqu’un qui n’était pas entré dans les ordres, non ? – Les choses alors se jouaient en France entre ceux qui étaient chrétiens et ceux qui ne l’étaient plus, ou ne voulaient plus l’être. – Entre les fils qui suivaient, tant bien que mal, leurs pères, et ceux qui, métaphoriquement ou pas, leur tranchaient la tête.

     

    II

    – L’autre question, c’est celle de la Référence, je crois. La société libérale (et j’entends par là aussi bien la gauche que la droite, aussi bien la droite que la gauche) tend à évacuer l’idée même de Référence : elle ajuste simplement son droit en fonction des groupes de pression. Qu’ils soient avoués ou non, visibles ou pas. – C’est bien ce que je dis : la laïcité est une religion de transition, une coque vide. Elle ne garantit rien. – Ce que met en place la société libérale, c’est en somme ce que Michéa appelle « neutralité axiologique ». – Ceux qui sont là, en somme, ont toute latitude à revendiquer tout ce qu’ils veulent, et quoi que ce soit. – Oui. La justice tranchera. – Et elle tranchera de plus en plus n’importe comment, puisqu’elle-même sera privée de toute Référence… elle aura à faire avec des concepts bidons, comme celui de « laïcité positive ». Ce que ça vend, ce concept, c’est que le Principe majeur de la République, c’est de s’adapter à ce qui vient, quoi que ce soit. Et croyez-moi, ça va se vendre.  – Pour parodier le bon Houellebecq, je dirais que la « laïcité positive » du Président Grenelle est une dhimminution du domaine de la République.

     

    III

    – La laïcité d’aujourd’hui est donc bien obligée de considérer de la même façon, indépendamment de tout critère simplement historique, et avec le même respect imbécile, toutes les religions, prôneraient-elles ouvertement l’assassinat ou la soumission des infidèles et la lapidation des femmes adultères – entre autres joyeusetés ; ce qui est aussi idiot que le serait de manifester le même respect à toutes les politiques. Hitler ne faisait-il pas de la politique ? Et Staline ? Et Mao ? Etc… – Merde. Et les valeurs républicaines ? – Ne faites pas rire. Elles n’ont plus aucune légitimité. La démocratie les engloutit. La démocratie d’opinion, et la possibilité de luttes d’influences juridiques, à grands coups de procès médiatiques. La République institue la démocratie, et la démocratie spectaculaire d’opinion fomente les communautarismes les plus inouïs, des plus débiles aux plus meurtriers en passant par toute une gamme de produits pornographiques (lesquels sont peut-être, hélas, nos derniers vecteurs d’ « intégration »), qui prolifèrent à une vitesse carcinomique, ravagent tout, implantent leurs métastases… – Jouer la République contre la démocratie, aujourd’hui, pourrait même être considéré comme une atteinte aux valeurs républicaines. On ne joue plus la carte de la République que pour l’évider tout à fait. – C’est que la République est une idée très ancienne, bien plus vieille que la Révolution française. La République n’est pas du tout une idée moderne, et c’est bien pour cela qu’elle s’effrite et s’effondre sous les coups du modernisme libéral déchaîné. – C’est une idée grecque de réalisation essentiellement romaine, d’ailleurs. Dans la façon du moins dont elle nous est parvenue. – « Rome, l’unique objet de mon ressentiment »… – C’est quoi, ça, c’est Nietzsche ? – Mais non, patate, c’est Corneille : la dernière fois qu’a brillé sur la France l’exaltation du courage antique devenu catholique, mettons… – Et Péguy ? – Mais Corneille et Péguy, c’est une ligne droite…

     

    IV 

    – Mon Dieu, mais ici, nous ne sommes même plus vraiment catholiques, ni chrétiens… – Voilà bien pourquoi il ne nous demeure plus qu’à défendre la République. – Mais c’est une impasse, vu ce qu’elle est, et à quel point déjà elle est tout effondrée. – La République et la laïcité, donc. –  La laïcité ne connaît que la religion chrétienne, et elle s’imagine, naïvement, mais la naïveté est un facteur de crime, que toutes les religions du monde sont bâties comme la religion chrétienne. Alors que pas du tout, en fait. – Je suis bien d’accord que c’est une impasse, désormais, la République. – Alors quoi ? – Alors rien. Il s’agit peut-être seulement de mourir, et de savoir le faire. – Nous avons des racines, qui, elles, sont chrétiennes. Indiscutablement. – Mais ces racines indiscutablement chrétiennes, de quoi exactement sont-elles les racines ? – La question n’est pas tant de savoir si nous pouvons éviter la guerre civile, que de savoir s’il faut l’éviter, non ? – D’ici là, en tout cas, l’Union européenne aura tout à fait fini d’adhérer à la Turquie (et pas l’inverse, merci bien). – Oui, oui, c’est toujours votre lumineuse idée barje d’accélérer la catastrophe, en somme…

     

    V

    – L’ancienne laïcité a permis de transformer l’Eglise catholique française en ce machin relativo-droitdelhommiste qui semble supplier ses derniers fidèles d’aller voir ailleurs que c’est pareil tout en admettant par avance qu’ils n’auront donc plus aucune raison de revenir. – Ouais, et la nouvelle laïcité positive du déplorable Grenelle ne fera jamais rien qu’adapter la France à l’islam, islam qui donc se radicalisera ouvertement de plus en plus. Que voulez-vous, c’est le Progrès. – Rien n’arrêtera ça. Parce qu’il faudrait restreindre drastiquement, c’est-à-dire de façon réellement républicaine, le concept de laïcité, et repréciser, comme le disait je ne sais plus où Alain Finkielkraut, quelles sont exactement les indispensables lois de l’hospitalité. Mais rien n’arrêtera ça. Sauf peut-être le fait que ça pète. Et le plus tôt sera le mieux. – Mais pourquoi ? – Parce que nous nous affaiblissons dramatiquement d’heure en heure, mon cher.

     

    Et vive quand même la République !

     

  • Grenelle, le casting (2)

     

    Commenter l’actualité ne m’intéresse qu’incidemment.

     

    Disais-je hier, au moment d’avouer l’évidence que le modèle de mon Président Grenelle était Nicolas Sarkozy. Ou du moins, « tenait » de lui.

    Et de parler de casting ! en plaçant mon personnage seul dans son lit, ne trouvant pas le sommeil !

    Un homme de pouvoir, et qui cherche des partenaires de jeu à sa mesure…

    Le retour de la Grande Politique.

     

    Et ce matin, un ami, au moment de commencer la répétition :

    – Tu sais quoi ?

    – Bah non, va.

    – Sarkozy, j’ai entendu à la radio, il est avec une chanteuse.

    – Laquelle ?

    – Je ne sais plus son nom. Une Italienne.

    – C’est bien, ce qu’elle chante, au moins ?

    – Je ne sais pas, je ne sais pas…

    Il cherche le nom de la dame en question, ne trouve pas. J’essaie de l’aider :

    – Elle est très connue ?

    – Oui, oui, sans doute…

    – Au fait, tu as lu ma dernière note sur Theatrum mundi ?

    – Elle est de quand ?

    – Cette nuit.

    – Alors non. Je dors, moi, la nuit. C’est sur quoi ?

    – Sur le casting du Président…

     

    Quand même, je rigole.

    Hier, au moment de torcher rapidement cette note dérisoire : Grenelle, le casting, je me demandais si, après les hommes politiques de stature internationale (tyrannasaurus rex), j’entrais dans la dimension femme.

    Je me suis répondu : oui.

    Mais la fatigue m’a écrasé.

    Et je remis à cette nuit la fin de la note.

    Et maintenant, je ne peux tout de même pas faire comme si l’actualité n’existait pas.

     

    – Et tu aurais dit quoi, des femmes du Président ?

    – Qu’elles ont, dans son film, un tout autre statut que les hommes. Séparation nette des régimes.

    – Machisme ?

    – Je ne pense pas, non. Les femmes du Président Grenelle aiment le Pouvoir sans doute, simplement ne courtisent-elles pas le même…

    – Tu peux nommer ça ?

    – Non, non, pas encore. Il faut d’abord décrire, longuement, minutieusement, avant de nommer. Qu’est-ce qu’elles font, ses femmes, à Grenelle ? Par ses femmes, d’ailleurs, je précise, je n’entends pas nécessairement celles avec lesquelles il couche. Je n’en ai rien à foutre de ce qu’il fait avec. Ce qui m’intéresse, c’est le côté Les Femmes du Président, pour reprendre un titre célèbre.

    – Eh bien, oui, justement, qu’est-ce qu’elles font ?

    Cigarette.

    – Elles apparaissent, non ?

     

    Ne nous méprenons pas.

    C’est très difficile d’apparaître.

    La plupart des gens, hommes ou femmes, n’apparaissent pas : ils entrent et ils sortent, avec plus ou moins de discrétion. Entrer et sortir, le plus banalement du monde, avec classe ou en grande vulgarité, c’est le lot commun. La plupart des mortels, en somme, sont exclus d’apparaître.

    Les Femmes du Président, ce sont des femmes qui apparaissent.

    Entendons-nous bien : elles ne font pas des apparitions, au sens le plus banal d’entrer et sortir d’un lieu, non.

    Elles apparaissent.

    Elle n’entrent ni ne sortent.

    Leur apparition même semble exclure toute idée de faire.

    A un moment, voilà, elles sont là.

     

    Ça a l’air idiot, je sais bien, seulement voilà : ça ne l’est pas.

    Pour vous le prouver, je vais citer ici les définitions que donne le Trésor de la langue française du mot « apparition ». Vous voudrez bien noter qu’il a deux sens, et que le premier d’entre eux concerne à la fois la religion (probablement, au vu des exemples : la religion catholique) et la peinture (c’est-à-dire : un mode de la représentation) ; le second sens, que je ne cite pas ici et qualifierais même volontiers ce soir de vulgaire, concerne le fait de faire une apparition, c’est-à-dire d’entrer et sortir, de passer, d’entrer dans le champ de vision, etc…

     

     

     

    APPARITION, subst. fém.

    Action d'apparaître; résultat de cette action.

    A. RELIG. Manifestation d'un être surnaturel qui se rend visible, généralement pendant un court moment (cf. apparaître I A). Les apparitions de la Vierge à La Salette, à Lourdes :

    1. À cette époque, plongée pour nous dans une pénombre où des lueurs magiques étincellent çà et là, ce ne sont dans ces bois, dans ces rochers, dans ces vallons, qu'apparitions, visions, prodigieuses rencontres, chasses diaboliques, châteaux infernaux, bruits de harpes dans les taillis, chansons mélodieuses chantées par des chanteuses invisibles, affreux éclats de rire poussés par des passants mystérieux.

    HUGO, Le Rhin, 1842, p. 117.

    Avoir une apparition. Voir dans une vision un être surnaturel :

    2. Peu de mois après, la femme du maire de Bouville eut une apparition : sainte Cécile, sa patronne, vint lui faire des remontrances.

    SARTRE, La Nausée, 1938, p. 62.

    P. méton. L'être apparu surnaturellement :

    3. Lorsque l'Apparition de Lourdes a dit : « Je suis l'Immaculée Conception », c'est comme si elle avait dit : « Je suis le Paradis terrestre ».

    BLOY, Journal, 1905, p. 258.

    PEINT. Tableau représentant une vision surnaturelle, avec ce qui caractérise traditionnellement ce genre de peinture :

    4. Ses animaux plats [du douanier Rousseau], sombres ou parfois blancs, mais si souvent couleur d'apparitions, nous les retrouvons dans les « primitifs » américains...

    MALRAUX, Les Voix du silence, 1951, p. 510.

    P. anal. :

    5. En un instant je me transformai en marié de l'autre siècle. Sylvie m'attendait sur l'escalier, et nous descendîmes tous deux en nous tenant par la main. La tante poussa un cri en se retournant : « ô mes enfants! » dit-elle, et elle se mit à pleurer, puis sourit à travers ses larmes. C'était l'image de sa jeunesse, cruelle et charmante apparition!

    NERVAL, Les Filles du feu, Sylvie, 1854, p. 687.

    P. ext., rare. Courte vision prémonitoire :

    6. ... un retour continuel ne ramène-t-il pas le poète, des apparitions de la vie à venir, aux choses de l'existence terrestre; ...

    OZANAM, Essai sur la philos. de Dante, 1838, p. 252.

     

     

     

    Si j’essaie d’appliquer aux Femmes du Président une espèce de mélange contemporain des définitions concernant la religion et la peinture, je puis obtenir ceci :

    Manifestation d'un être surnaturel qui se rend visible, généralement pendant un court moment, dans un film représentant une vision surnaturelle…

    La boucle idiote qui pourrit « ma » définition est volontaire, merci.Comme aussi la présence du mot film.

     

    d7658ecc43dc17ebd7c964814c2374a9.jpg– La pauvre Marie-Laine Broyal, que des journalistes à l’esprit plat comparaient par moquerie à l’Immaculée Conception, et qui eût bien aimé qu’on la prît très réellement pour telle, est totalement ridicule en comparaison, rigole le Président Grenelle. Il faut avouer, à sa décharge, qu’elle n’avait personne qui pût la faire ainsi crédiblement apparaître.

    Car enfin merde, personne de soi-même n’apparaît. Il faut avoir été sollicité, il faut avoir été pleuré, il faut avoir été prié.

    Ils ne se rendent pas compte, les gens, de la foi qu’il faut…

    Et tant mieux, s’ils se rendaient compte de la foi qu’il faut, eh bien, ils ne croiraient pas, ils préfèreraient ne pas croire… Parce que la foi, au fond, n’a rien à voir avec la crédulité, n’est-ce pas ?

    Ils sont fainéants, les gens.

     

    Je laisse au Président la responsabilité de ses propos (« Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait purement paranoïaque »).

    Il dit cela pour me convaincre, d’ailleurs.

    Il n’en pense pas un mot. C’est un magicien, un sorcier…

     

    – Carla Bruni, hurle enfin mon ami, qui a retrouvé !

    – Je connais le nom, mais je ne vois pas sa tête, dis-je. Ni sa voix.

    – Moi, je ne connais pas sa voix. Enfin, je ne crois pas… Mais il paraît qu’elle a été maquée déjà avec plein de pipoles, des stars du rock, du journalisme, etc.

    – Peut-être. Mais elle n’était jamais apparue, hein ?

    – Tu veux que je te dise oui ?

    – Ouais.

    Nous montons en voiture. Radio.

    Le Président et son « amie » – l’amitié, décidément, a de beaux jours devant elle, à moins qu’elle aussi ne soit plus ce qu’elle était – se sont laissé docilement photographier par des paparazzi dans Main Street…

    Putain, c’est quoi, ça, Main Street…

    C’est la Grand-Rue, en français, non ?

    Le planète est un village, après tout, globalisation oblige.

    … à Eurodisney.

    Et Eurodisney, en français, c’est quoi ?

    En français, Eurodisney, ça n’existe pas.

    Comme « impossible », d’ailleurs.

    Mais enfin, il est bien plus probable, en définitive, que ce soit le français qui n’existe plus.

    Delenda Carthago.

     

    Photographiés dans Main Street à Eurodisney.

    La voilà, l’info. La vraie.

    Celle qui eût ravi le grand Philippe Muray.

    L’amie du Président, soyons sérieux, pourrait être aussi bien n’importe qui, qu’il ne l’en eût pas moins fait apparaître…

    Mais Main Street, à Eurodisney.

    Juste après le show Kadhafi Duck & The Tyrannasaurus Rex.

    Ô Spielberg !  Ô Disney ! Paris tremble ! comme (ne) dirait (pas) aujourd’hui Victor Hugo...

     

    Qu’est-ce que c’est que ça, Main Street, Eurodisney ?

    Sinon la reprise des commandes du montage par le Président Grenelle.

    Pour quelques heures, quelques jours.

     

    Nom de Dieu.

    Après les Tyrannasaurus Rex virils et planétaires…

    Voici, en exclusivité pour tout le monde, l’Apparition de la Vierge (plus très fraîche – comme vierge, veux-je dire –, mais passons).

    Dans un parc d’attraction.

    Le terme fait un peu ringard, je sais ; et pour tout dire : il fait français.

    Les majuscules, ici, manquent.

    Dans un Parc d’Attraction.

     

    Benoît XVI et ses sbires pro-islamistes d’œcuménisme interconfessionnel n’ont qu’à bien se tenir.

     

    Ô Richelieu ! Ô Bossuet ! La Grande Politique est de retour.

  • Grenelle, le casting (1)

    Commenter l’actualité ne m’intéresse qu’incidemment.

    – Mais tout de même, votre Président Grenelle… c’est Sarkozy, non ?

    – Oui et non. C’est le modèle…

    Le personnage se dessine peu à peu. J’aimerais beaucoup qu’il ne ressemble pas exactement à son modèle ; j’aimerais qu’il soit plus vrai.

    Pour le dire autrement : Je ne fais pas de politique. C’est d’ailleurs mon seul point commun, j’espère, avec ceux qui sont sensés en faire…

     

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    – Donc, se disait le Président Grenelle, pour faire un grand homme, pour le fabriquer, pour l’exciper du néant, il faut un grand acteur ; et peut-être en suis-je un…

    Mais un grand homme, un grand acteur, cela n’existe vraiment comme tel que s’il est pris dans une grande mise en scène tout à son service.

    Et là, somme toute, j’ai des doutes…

    Le Pouvoir n’a semble-t-il plus le pouvoir de présider au montage.

    Je n’ai pas le final cut. Les acteurs ne l’ont plus.

    J’essaie de compenser autrement, c’est tout.

    En étant là le plus possible.

     

    Il réfléchit, Grenelle.

    On aurait tort, d’ailleurs, de le prendre pour un homme sans culture.

    Il a appris ça des Américains, qu’il faut toujours passer pour plus con que l’on est.

    D’abord parce que les gens qui vous méprisent ou vous détestent ont, même malgré eux, une certaine tendance à vous sous-estimer qui ne peut que vous être profitable ; ensuite, parce que, du coup, les gens, les vrais gens hein ?, eh bien, ils vous aiment…

     

    – Le montage, de toute façon, appartient désormais à tout le monde. On peut donc parier, en somme, qu’il sera standard, le pour et le contre se compenseront d’eux-mêmes. Sauf catastrophe, évidemment.

    Donc : autant ne s’en préoccuper pas.

    C’est leur petite affaire, à eux, les autres. Ils ne s’occuperont même qu’à ça… ça leur donnera, très momentanément, de l’importance. Ça les occupera. Bien.

    Alors quoi ?

    Alors il y a l’histoire. L’histoire dans l’Histoire, si cette dernière n’a pas définitivement foutu le camp.

     

    Il y a un silence.

    Le Président se retourne dans son lit.

     

    – Merde.

    Le scénario. Je ne le connais pas, moi, le scénario.

    Je suis un acteur en temps réel, moi. Je ne la connais pas, la fin de l’histoire.

    Pourquoi les gens regardent le film alors, s’il s’étire et dure comme ça, sans fin possible ? Pourquoi les gens me regardent-ils s’il n’y a pas d’histoire bien propre, bouclée, célébrant a priori ma gloire ou ma défaite ?

     

    Il y est, là.

    Il s’est redressé dans son lit.

     

    – Quand ils vont au cinéma voir ce qui sort, les gens, ils ne la connaissent pas l’histoire. Ça n’est pas pour l’histoire, qu’ils y vont. Et les intellos mis à part, ce n’est pas non plus pour le réalisateur, ni pour le montage.

    Non, c’est pour le casting. Le casting. Bordel de merde.

     

    Il est au bord des larmes, d’un coup, le gros Grenelle. Il est redressé dans son lit, la face ravagée, il a l’air effondré. Martial, mais effondré.

     

    – Non mais, regarde-moi ces connards : tous des billes ! De François Groland et Marie-Laine Broyal à François Dufiion et Micheline Aubin-Marie… Rien, personne.

    Merde, hurle le Président Grenelle ! Je suis Marlon Brando, moi. Et il n’y a autour de moi, à droate comme à gôche, rien que des acteurs français de boulevard. Des Paul Préboist. Des Jacques Balutin. Au mieux des Pasqualabru. Et je ne vous parle pas du dyslexique amorphe de service : Beyrou-Est ou Beyrou-Ouest ?

    Des caves et des tocards.

     

    Il pleure, Grenelle.

    Pas d’adversaire à sa mesure.

    Il pleure, tout seul dans son grand lit.

    Il n’a pas tort, remarquez, sur le fond. Le cinéma veut créer des mythes. Peut-être est-ce une de ses fonctions, sinon la principale…

    Quand le cinéma américain, sur son versant mythique, a raconté la réalité de la seconde guerre mondiale, ça a donné Le jour le plus long. Une certaine idée de l’héroïsme. Les grandes vertus guerrières, martiales, sacrificielles. Le cinéma français, lui, pour coller un tant soit peu à la réalité de la guerre, de la drôle de guerre, a trouvé bon de nous sortir Où est passée la septième compagnie ?

    La tragédie d’un côté. La comédie pépère de l’autre. Chacun ses mythes. La France a hérité du côté le plus miteux, c’est logique.

    Après tout, on ne l’a pas faite, nous, cette guerre.

     

    Dans son film à lui, Grenelle, il joue John Wayne. Mais que serait John Wayne, je vous le demande, si face à lui il avait Jean Lefebvre, Pierre Mondy ?

     

    Alors il réfléchit, Grenelle.

    Le casting, bordel de merde.

     

    – Regardez-moi ces connards d’Européens de mes couilles (et Dieu sait si je suis européen convaincu) ! Qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse ? Il y a la Merkel, qui est bandante comme un cornet de frites graisseux dans une baraque pour routiers ! L’autre con de Gordon Brown, avec sa tête de cheddar pré-fondu… En Italie, depuis que Berlu n’est plus là, on ne sait même pas qui c’est. Et je ne vous parle pas de l’Espagne, avec leur Zapata qui pédalise tout le pays (ils seront bientôt aussi cons que les Français, les Espagnols, s’ils continuent)…

    Rien à tirer de tout ça. Des tocards.

    Bon alors, il va falloir jouer avec les durs, les méchants.

    George W. Bush, une espèce de Lee Marvin jeune et désintoxyqué.

    Poutine, dur de dur du KGB (déjà ça le fait, dans le film). Ed Harris rasé de près.

    Ahmadinejad, qui a une bonne tête de truand à la Eli Wallach.

    Kadhafi, qui aurait dû être joué par un Charles Bronson déjanté (enfin, je dis ça surtout à cause des yeux).

    Et le chinetoque, aussi, là, dont j’oublie toujours le nom.

    Voilà, là, on peut faire un film.

    Après, comme il n’y a pas de scénario, on improvise.

    Merde, il faut jouer dans la cour des grands.

    Tant pis s'ils sont psychopathes.

     

     

    Voilà, il peut dormir, Grenelle, à présent.

    La Grande Politique est de retour.

  • Kadhafi Président !

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    Je ne pense rien de particulier de la visite de Kadhafi en France.

    A dire le vrai, je trouve très drôles, très hilarants les petits jeux niaiseux du Président Grenelle et de son hôte porcif et sanguinaire.

    Les jugements moraux pleuvent, évidemment.

    On parle de realpolitik.

    C’est amusant.

    (Reprocher aux hommes politiques de faire de la politique réelle, ce n’est pas seulement idiot ; c’est également symptomatique de ce que les gens, ou plutôt : les journalistes, rêvent de fabriquer un monde imaginaire, pour ne pas dire : déliré et délirant…)

    Comme s’il fallait préférer une irrealpolitik. Ou une idealpolitik. Ou mieux : une surrealpolitik.

    A moins qu’il ne soit question d’une néorealpolitik.

     

    Les politiques qui existent sont réelles, toutes.

    (Je tiens ici que réel est l’adjectif, réalité le substantif ; et, bêtise ou pas, je refuse de considérer une chose aussi abstraite, absconse, abstruse et finalement absurde que je ne sais quel prétendu réel, etc.)

    Après quoi, ces politiques et leurs effets, on peut bien sûr les juger bons, mauvais, aberrants, idiots, dangereux, ce qu’on veut…

    On n’arrivera à rien d’intelligent en procédant ainsi.

    Chaque parti convaincra seulement ses convaincus, c’est-à-dire au fond : personne.

     

    Je trouve que la rencontre Kadhafi-Grenelle est une rencontre de théâtre, une rencontre mielleuse, conflictuelle et ambiguë.

    Les journalistes ne savent pas ce que ces deux-là, exactement, se sont dit.

    Et alors ? Il faudrait l’inventer.

    Je crois même que cela devrait être drôle.

     

    Chœur de journalistes, et l’icône jetable Rama Yade, très belle, en coryphée.

     

    Quoiqu’on pense de Kadhafi, il faut reconnaître que venir faire la morale des droits de l’homme au pays de la morale des droits de l’homme qui pète plus haut que son cul, que parler des récentes émeutes de banlieue en frisant l’appel « politiquement correct » (double langage, en français ; takkya, en arabe) au Jihad est un coup vraiment très talentueux.

    A quelles fins ?

    (Le théâtre aussi se pense en termes tactiques et stratégiques – selon la distinction canonique donnée par Clausewitz.)

     

    Il va de soi qu’à la fin de ce round, c’est le gros Grenelle qui l’a dans le cul, même avec son chèque idiot à la main.

    Mais, ego ou non, narcissisme ou pas, ce n’est vraiment pas ça l’important.

     

    J’imagine bien Kadhafi se torcher le cul avec un papier hygiénique tricolore, mais calibré aux normes européennes, offert par l’Elysée.

    Un peu de respect pour les symboles, merde.

     

  • Accélérer la catastrophe

     

    [Note : Voici une version un peu plus développée de ce texte.

    Pour répondre d’un mot aux diverses critiques reçues, je dirais volontiers de ce texte qu’il est ou une conversation de café, ou une blague d’une certaine ironie, ou au contraire un petit pamphlet trop sérieux ; mais je crois qu’il est tout cela à la fois… « Il ne faudrait pas que les RG tombent dessus… » et « C’est le salut par la guerre civile, votre machin ? » sont les phrases les plus drôles que j’aie lues à son propos.]

     

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    « C’est toujours le système de la retraite. C’est toujours le même système de repos, de tranquillité, de consolidation finale et mortuaire.

    Ils ne pensent qu’à leur retraite, c’est-à-dire à cette pension qu’ils toucheront de l’Etat non plus pour faire, mais pour avoir fait (ici encore ce même virement de temps et de chronologie, cette même descente d’un cran, cette mise du présent au passé). Leur idéal, s’il est permis de parler ainsi, est un idéal d’Etat, un idéal d’hôpital d’Etat, une immense maison finale et mortuaire, sans soucis, sans pensée, sans race.

    Un immense asile de vieillards.

    Une maison de retraite.

    Toute leur vie n’est pour eux qu’un acheminement à cette retraite, une préparation de cette retraite, une justification devant cette retraite. Comme le chrétien se prépare à la mort, le moderne se prépare à cette retraite. Mais c’est pour en jouir, comme ils disent. »

    Charles Péguy, Note conjointe

     

    « L’Occident meurt en bermuda. »

    Philippe Muray, Exorcismes spirituels III

     

    « Quand donc on donne aux gamins des écoles primaires des livrets de caisse d’épargne on a bien raison. Car on leur donne le bréviaire du monde moderne, un brevet de la tranquillité du monde moderne. C’est-à-dire un brevet d’avarice et de vénalité dans l’ordre du cœur. Et dans l’ordre de l’esprit, qui n’en est pas si loin, un brevet de matérialisme et d’intellectualisme, un brevet de déterminisme et d’associationnisme et de mécanisme.

    Et dans les deux ordres ensemble un brevet de raidissement et d’argent.

    Et on a bien raison de le présenter avec tant de cérémonie et comme un symbole et comme un couronnement et comme un coffret d’être et comme un coffret de la loi. De même que les Evangiles sont un ramassement total de la pensée chrétienne, de même le livret de caisse d’épargne est le livre et le total ramassement de la pensée moderne. Lui seul est assez fort pour tenir le coup aux Evangiles, parce qu’il est le livre de l’argent, qui est l’antéchrist. »

    Charles Péguy, Note conjointe

     

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    J’écris le texte qui suit en pensant à ce que dit Pierre Legendre, à la fin, je crois, de son film sur l’ENA, concernant la remarque d’un touriste lisant dans le sigle RF d’un bâtiment ancien : Royaume de France, quand il s’agit de République Française.

    J’écris ce texte avec sous les yeux un recueil de « textes politiques choisis par Denise Mayer » intitulé La République… notre royaume de France, de Charles Péguy (Gallimard, Nrf, 1946). La citation exacte de Péguy dont est tiré le titre du compil est : « La République une et indivisible, c’est notre royaume de France. »

    Je pense également à George Orwell et à sa common decency ; et, plus proche de nous dans le temps, à Jean-Claude Michéa, et à ce qu’il dit de ce qu’il nomme la collusion libérale-libertaire.

    Je pense également à ce pays, la France, dont l’agriculture est en jachère, l’industrie en friches (industrielles et donc : artistiques) et qui n’est plus, sous couvert d’une culture abrutie se prétendant « exception », que le très touristique bronze-culs de l’Europe.

     

    I

    – La prochaine fois, il y aura des morts, forcément. Ils tueront un flic, par exemple, et les flics répondront. Ce sera l’escalade. – Quelle idée, d’appeler ces gens des délinquants. Ce sont des criminels. Les délinquants commettent des délits, les criminels des crimes. – Ces gamins-là n’ont pas du tout été éduqués. – Ouais. L’Education nationale sert à ça. A ne plus éduquer personne. Et je ne te parle pas d’instruire… – Elle avait raison, Royal, alors, quand elle envisageait un encadrement de certaines écoles par l’armée. – Ce n’est pas inintéressant, mais c’est à côté de la plaque. L’école est, enfin : était, le lieu d’enseignement des disciplines, et nécessitait pour cela de la discipline. – Mais plus personne ne veut de trucs atroces comme ça : la discipline, c’est bien simple, ça fait disciplinaire… – Quant aux disciplines, c’est bien simple, elles sont en lambeaux. Il n’y a plus de langue française. – C’est complètement foutu de ce point de vue-là. On fabrique des crétins. Des crétins ordinaires, analphabètes à baccalauréat garanti par l’Etat ; et des crétins d’élite, énarques ou doctorants, tous également alphabètes. – Mais merde, il n’y avait pas, dans le temps, ce machin, là, la République… – Oh, mais c’était il y a très longtemps tout ça, c’est fini. – On n’étudie même plus ça en histoire, vu qu’il n’y en a plus. – C’était une époque où le beau mot d’instituteur existait ; un instituteur, en somme, ça servait à instituer un être humain dans le langage. Mais des instituteurs, il n’y en a plus non plus. – C’est interdit, même, je crois. – C’est possible, en effet.

     

    II

    – Et puis il y a cette sinistre jeune femme, là, qui a été assassinée. Anne-Lorraine Schmitt (1). – Franchement, qu’est-ce qu’on en a à foutre ? Cette pauvre gourde qui n’a pas voulu se laisser violer. Franchement, elle se serait laissée faire, elle parlerait encore. – Ouais, il y a des gens qui ont de leur dignité une appréciation suicidaire. Ils ne sont pas prêts à tout pour simplement survivre. Quelle idée, aussi, de se défendre quand on est attaqué. C’est complètement archaïque. – C’est du suicide. D’ailleurs, elle était catholique. – Non mais la conne. Quant au pauvre bougre qui l’a assassinée, sa vie est foutue. Déjà que c’est un récidiviste. – Oui, oui, le pauvre, c’est une victime. C’est incroyable, cette facilité qu’ont les victimes à devenir bourreaux. Ou bourrelles, même, parfois. Presque à leur corps défendant ; enfin, si on peut dire. Ça les dépasse ; à croire pour de bon qu’au fond, ils n’y sont vraiment pour rien ; ils sont victimes de leurs pulsions. – Bon, oui, quoi, c’est juste un fait divers, non ? – Exactement, ça pourrait arriver à n’importe quelle femme, voire à n’importe qui. C’est la vie… Personnellement, je ne comprends même pas qu’on ait pu en parler autant. – Les banlieues, c’est bien mieux. La misère s’y trouve plus générique. C’est un climat nettement plus révolutionnaire, au fond. Et la révolution, quand même, il n’y a que ça de vrai. – Tu m’étonnes.   

     

     

    III

    – Nous filons droit vers la guerre civile. Un gouvernement habile pourra au mieux la repousser, la retarder. – Ce qui est idiot. Ce qu’il faudrait, au contraire, c’est accélérer la catastrophe. – Aucun gouvernement, médias au cul, ne voudra jamais faire cela. Ils ont la trouille. – Ils sont tenus par les couilles, oui. Même qu’il a fallu un microscope pour les choper. – Quoi ? – Les couilles, tiens…  – N’empêche. Je ne comprends pas. Pourquoi veux-tu l’accélérer, la catastrophe ? – Mais parce qu’elle aura lieu de toute façon. Il est bien trop tard pour l’empêcher. Un gouvernement habile pourra au mieux la repousser. – C’est-à-dire la refiler au prochain, bon débarras, lavage de mains pilatique. – Bon, mais quand même : pourquoi l’accélérer, cette putain de catastrophe ? – Je vais te dire : au lieu de repousser le moment du clash, il faut le précipiter. Parce que chaque jour qui passe donne à l’adversaire plus de moyens, plus d’armes, plus d’organisation ; parce que plus on repoussera le clash, plus on jouera la montre, à désarmer et désarmer pour donner des gages de bonne volonté citoyenne, plus ils seront puissants, et plus nous serons écrasés. – Tant que ces criminels brûleront les bagnoles de leurs voisins au fin fond de la banlieue, ça ne concernera guère le bobo – architecte, mais surtout : journaliste de gauche – qui les soutient moralement, de son fauteuil design. En revanche, si on arrivait à faire descendre en ville, à Paris, ces hordes, ces meutes de barbares… – Tu veux dire, s’ils s’en prenaient aux quartiers paisibles et chics de la capitale. – Oui, si au lieu d’avoir pour théâtre ces banlieues – parce que les banlieues, pour un parisien de Paris, c’est déjà l’étranger, et ce qui brûle là-bas ne brûle en définitive que dans sa télé –, ces émeutes avaient lieu à Paris, si la voiture du bobo était carbonisée, sa fille et sa bobote violées, là, peut-être qu’ils cesseraient d’excuser comme un seul homme les hordes criminelles… – Sans compter que les criminels pourraient s’attaquer à de plus gros symboles, même s’ils n’ont aucune idée de ce que c’est, l’Hôtel de Ville par exemple, et péter le Louvre aussi plutôt qu’une minable bibliothèque de quartier (je fais l’impasse sur l’Opéra Bastille)… – Et il y aurait un sursaut, tu crois ? – On peut l’espérer, non ? – Du courage. Tu attends du courage de ces gens-là, toujours prêts au nom de leur morale pornographique à excuser, ou plutôt : à justifier, à rendre juste, le pire. Ils justifient l’horreur et la terreur. Ils sanctifient le crime et l’abomination. Tu attends du courage de gens qui ont peur de tout. – Ils ont peur de tout, ces connards. Ils auraient peur de leur ombre. Ils ont même peur de la fumée des cigarettes, et de l’air qu’ils respirent.

     

    Votez Grenelle !

     

     

     

     

    (1) Je me permets de renvoyer ici au texte somptuaire (c’est le seul mot qui me vient) de Juan Asensio intitulé D’un silence assourdissant : sur l’assassinat d’Anne-Lorraine Schmitt.