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strauss botho

  • De l'approbation du monde

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    Je réunis ici quelques notes approximatives sur l’art, le mouvement, et la revue du même nom, peut-être aussi sur la religion.

    Et je voudrais pour commencer les placer sous cette citation de Botho Strauss, tirée d’un texte intitulé « Supporter la distance » consacré à Rudolf Borchardt – écrivain presque inconnu en France, le seul titre traduit étant, à ma connaissance, Déshonneur chez Verdier – texte qu’on peut lire dans Le Soulèvement contre le monde secondaire, paru chez L’Arche éditeur.

     

    Quoiqu’il en soit, le dix-neuvième siècle reste le siècle d’un des plus grands schismes de l’histoire universelle. Faute en est à ce concept qui lui est propre « et qui n’appartient qu’à lui seul : l’émancipation », source originelle de toutes nos erreurs à longue portée, puisque l’émancipation sociale ne peut créer que des affranchis et jamais des gens libres puisque – selon la dialectique de l’histoire culturelle selon Borchardt – il est inscrit sur les tombeaux de toutes les cultures historiques que « quand ce sont des affranchis qui dominent, ce n’est pas le commencement de la liberté mais la fin de celle-ci. Le principe de l’émancipation est en effet l’émancipation sans fin, il lui faut toujours trouver «  de nouveaux quanta d’émancipable ». Ce ne sont pas seulement la religion et la coutume, mais presque immanquablement aussi la capacité de souvenir de la poésie qui sont sacrifiés au radicalisme du progrès – à la domination de Chronos qui avale ses enfants. La poésie devient littérature, elle se politise – « ce qui est une création exclusive de dix-huitième siècle » – elle devient l’esclave de la primauté du politique, au lieu comme jusqu’alors « de donner son contenu à la politique, comme cela fut, de Dante et Pétrarque à Machiavel, de Milton et Voltaire jusqu’à Schiller, et par-delà le romantisme allemand jusqu’à Hegel… »

     

     

     

    L’approbation du monde

    Peu de choses sont aussi réjouissantes que l’art contemporain, qui est une sorte de journalisme des choses. Peu de choses sont plus modernes aussi. Peu de choses ont atteint leur point d’autodestruction avec un air de trouver cela formidable. Peu de choses sont aussi fausses. Et peu de choses surtout sont autant de choses.

    Car rien n’a jamais approuvé le monde qui vient comme l’art contemporain. Le monde qui vient, quoi qu’il fasse, et quoi que puisse être précisément ce qui vient. L’art contemporain est une approbation immensément satisfaite de l’ordure la plus banale.

    Il n’est pas seulement question d’allégeance. Défendant des choses dans un monde presque entièrement voué à la production et la consommation de choses, l’art contemporain trouve en se prétendant subversif et rebelle sa place à la pointe du marché…

    Il faudrait d’ailleurs réfléchir que l’épithète contemporain est un adjectif très particulier : il ne qualifie pas son substantif, il le disqualifie. Exemple : un écrivain contemporain, l’histoire contemporaine.

    L’art contemporain en somme s’est affranchi de l’art. Il s’est libéré des techniques et disciplines anciennes, de toutes les règles censées permettre une représentation du monde (et de soi), et finalement il s’est affranchi de lui-même. En devenant contemporain, il a cessé d’être art. Et il ne lui est demeuré que le marché, avec le mode de réticulation qui lui est propre : le quadrillage planétaire, et cette éthique vite satisfaisante : la bonne conscience politique érigée en label de qualité. Quel verrouillage…

    Conséquemment aussi, l’art contemporain s’est étendu à la plupart des choses qui existent, pourvu qu’elles soient produites à notre époque : une boîte à œufs, un urinoir, un philosophe, une dictature, un baril de lessive, une enseigne publicitaire, n’importe quoi en somme. N’importe quelle chose…

    La difficulté de l’art contemporain ne tient jamais à la réalisation d’une œuvre, mais simplement à la manière de la faire viser, reconnaître par des instances supérieures, prétendument compétentes alors même que toute compétence est impossible.

    Voilà un art qui tient pour rien, non sans pour une fois quelque raison, ses marchandises, mais qui impose à ses artistes tout un jeu servile de relations sociales, rédaction de dossier, voyages, entretiens divers, toujours d’une façon ou d’une autre stipendiés, dont le seul but est d’écraser la concurrence.

    Le public ne comprend rien à l’art contemporain ? Allons, c’est d’abord parce qu’il lui demeure une vague idée de ce qu’était l’art d’avant. Mais cela même va finir. C’est ensuite parce qu’il n’y a littéralement rien à comprendre, sauf : cet artiste est génial ; la preuve en est qu’il s’est débrouillé pour qu’on le dise. Ah, le qu’en dira-t-on à l’époque de la prostitution de tout et de tous, contre tout et contre tous…

    L’artiste contemporain est en somme un VRP du néant. Il se tient donc à l’avant-garde de la destruction de tout. Il doit bouger sans cesse, se déplacer, surprendre, ne surtout jamais se répéter, ou se répéter sans cesse en arguant d’une différence chaque fois dans la répétition, il doit se dépasser, ne pas rester immobile, se dépasser encore et, les règles étant abolies, surenchérir sans cesse dans la connerie et la provocation, il doit être en mouvement, c’est-à-dire en somme : être le progrès, car le progrès, c’est sa pente, est en mouvement…

     

     

     

    Mouvement, revue indisciplinaire

    Notre merveilleuse époque, qui a remplacé l’art par l’artistique, la culture par le culturel, toutes choses également bonnes de ne se trouver ni histoire ni définition, semble toutefois s’être effarouchée de remplacer la discipline par le disciplinaire.

    Le mot eut été peut être trop martial pour cette époque de pacifisme moutonnier ; peut-être n’eut-il pas été assez flou et trop encore chargé de sens.

    L’époque ne hait rien tant que les règles, qu’elle assimile de façon délirante aux tabous, dont chacun sait qu’il faut les faire sauter, les éclater, etc.

    Sur le même modèle de substantivation des adjectifs,  l’époque a néanmoins foncé droit sur les termes de pluridisciplinaire et de transdisciplinaire, pour finir par créer – car rien aujourd’hui ne se pare des atours publicisés de la création comme ce qui se fait ouvertement gloire de détruire le passé, c’est-à-dire : la possibilité de la connaissance – le joli mot d’indisciplinaire.

    C’était un assez gros travail, déjà, de maîtriser une discipline ; mais du fait de la proximité réelle de certaines, il n’était pas impossible d’en maîtriser plusieurs : on a ainsi pu être, cela s’est vu, philosophe et romancier, romancier et dramaturge, dramaturge et metteur en scène, dramaturge et comédien, peintre et sculpteur, musicien et librettiste, etc.

    Ce qui est nouveau, et que l’antérieure connaissance des disciplines ne permettait pas, c’est de mélanger tout, et fort harmonieusement, de mélanger tout n’importe comment. Ceci claque comme le symptôme de notre époque prétendument libérée ; c’est en effet le symptôme de la maladie qui doit définitivement emporter cette civilisation ancienne. La maîtrise de plusieurs disciplines par un individu, jadis, ne visait aucunement l’abolition des frontières les séparant.

    Mais on est aujourd’hui d’autant plus transdisciplinaire ou pluridisciplinaire qu’on s’est généralement épargné la peine – quel mot horrible ! – d’en étudier une seule.

    (Ce serait d’ailleurs un excellent critère pour juger de la valeur de certaines études artistiques que celui de leur propre ouverture aux autres disciplines…)

    Et c’est ce que dit tranquillement, l’air de rien, le joli mot d’indisciplinaire – dans lequel, pour une fois, on peut lire ouvertement la haine de toute discipline et le rejet du passé.

    Ce Mouvement  doit en somme être seulement présent, incessamment présent, se recouvrant à chaque instant lui-même, abolissant toute mémoire qui ne soit pas d’abord – le faux est là – une chose neuve. Ce Mouvement est l’autre nom du présent perpétuel ; il est une préfiguration terrestre de l’Enfer et il est réalité. Dans le civil, on parlera plus aisément de progrès.

     

     

     

    Religion (guerre des représentations)

    Toutes les considérations, certes approximatives, qui précèdent sont faites en somme d’un point de vue religieux, sur son versant anthropologique, mettons.

    Une société sans religion n’existe pas, ne saurait exister. Dès qu’une religion est sue, dès qu’elle se connaît pour telle, dès en somme qu’elle dévolue du statut de Vérité à celui d’opinion, dès qu’elle se meut en hérésie, conserverait-elle formellement ses dogmes, elle est foutue : elle se relativise elle-même et s’effondre…

    Une autre, insue celle-là, lui a sans doute déjà succédé.

    Je vais tenter d’illustrer mon propos de deux images très récentes (pour ne pas dire contemporaines), lesquelles j’accompagne de citations, d’ordres divers. Ces deux images sont de même nature : elles sont purement publicitaires.

     

    La première est une couverture récente de la revue indisciplinaire Mouvement :

     

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    Un dieu fut grand jadis, débordant d’une audace prête à tous les combats : quelque jour on ne dira plus qu’il a seulement existé.

    Eschyle, Agamemnon (paroles du Chœur, traduction de Paul Mazon)

     

    Le dogme du christianisme s’effrite devant les progrès de la science.

    Adolf Hitler, cité dans Propos de table

     

     

    La seconde de ces images est une publicité de l’AKP, le parti islamiste (« intégriste » donc) au pouvoir, visant à promouvoir l’intégration de la Turquie à la Communauté européenne :

     

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    Un grand prodige parut aussi dans le ciel. Une femme revêtue du soleil, qui a la lune sous ses pieds et sur sa tête une couronne de douze étoiles.

    Saint Jean, Apocalypse (traduction de Bossuet)

     

    Quand vous rencontrerez les infidèles, tuez-les jusqu’à en faire un grand carnage et serrez les entraves des captifs que vous aurez faits.

    Le Coran (traduction Kasimirski)

  • Accélérer la catastrophe (2)

     

     

     

    – C’est quoi, Papa, un progressiste ?

    – C’est un type comme tout le monde, et qui donc chute, mais qui, enivré sans doute par sa propre chute, trouve justement qu’il chute vers le haut

    – Tu ne crois pas au Progrès, toi ?

    – Mais si. Je veux bien croire qu’en travaillant, on peut faire des progrès.

    – Pourquoi tu n’es pas progressiste, alors ?

    – Parce que je ne crois pas à la magie.

    – Et la magie, c’est quoi, alors ?

    – Justement, c’est croire qu’on s’élève lorsque l’on suit sa pente.

    – C’est comme le progressisme, alors ?

    – Oui, c’est de la folie furieuse. Allez, file te coucher, il est tard.

     

    Je regarde les livres sur la table.

    L’Empire du moindre mal, magnifique essai de Jean-Claude Michéa.

    Le Soulèvement contre le monde secondaire, de Botho Strauss.

    Dominium mundi, de Pierre Legendre.

    Entre autres…

    J’allume une cigarette, je me sers un whisky.

    J’ai sous le nez, sur Causeur.fr, un texte d’Elie Barnavi sur la laïcité...

    Je précise à d’éventuels nouveaux lecteurs, que j’ai pris récemment la déplorable habitude d’appeler Sarkozy le Président Grenelle (dans ce texte, pour une fois, la citation de Grenelle est exactement empruntée à son modèle dans la réalité). C’est un personnage que j’invente. Un personnage comique, je le précise. J’ai la joie de vous annoncer (c’est une exclusivité) que le prénom de ce personnage est Michel, ce qui permet à ses amis de l’affubler du gentil sobriquet de Mickey. Welcome to Wonderland…

    Bref, on nage en plein suicide. Il est onze heures du soir…

     

    – Et la laïcité, Papa, c’est quoi ?

    – Mais bordel de merde, je n’en sais rien, moi. Pardon. Ça veut dire que tout ce qui s’est passé avant 1789 est un immense paquet de sanguinaires saloperies, et ce qui s’est passé depuis aussi, à deux ou trois exceptions près. Et ça veut dire que nous, nous qui avons bien sûr tout pigé, nous sommes sinon vachement bons du moins sur le point de le devenir en sortant tout à fait de l’humanité.

    – Mais comment on le sait, qu’on est bon ?

    – Mais on l’a décidé, mon petit gars. Après Auschwitz, on s’est dit que ce serait vachement bien de devenir bons ; et on a décrété qu’on l’était, toujours cette putain de baguette magique. Puisqu’avant, c’était mal.

    – Ah ? Mais bon, la laïcité, c’est quoi ?

    – Il y a des curés dans ton école ?

    – Non.

    – Eh bien, tu vois, c’est ça, la laïcité.

    – Oui… Mais des curés, c’est quoi ?

    – Des gens d’avant. Qui croient en Dieu.

    – Quand c’était mal, alors ? Mais Dieu, alors…

    – Tu ne veux pas me foutre la paix, dis ? Pardon. Laisse-moi fumer peinard devant mon écran d’ordinateur et va te coucher, mon grand.

     

    Je ne sais d’ailleurs pas moi-même clairement distinguer ce qui, dans la suite de ce texte, relève de la farce et ce qui relève du tragique.

    (La même chose à la fois m’atterre et me fait rire.

    J’aime penser que c’est un don ; mais c’est un don pénible.)

    Je vais donc vous coller là tout un tir de barrage de citations diverses, qui vont faire vachement bien, avant mes conneries de dialogues de piliers de bars (non-fumeurs).

     

     

    « Le réactionnaire n’est précisément pas cet empêcheur ou cet incorrigible rétrograde que fait de lui la dénonciation politique – il marche au contraire en tête quand il s’agit de rappeler le souvenir de quelque chose d’oublié. Il a ici et maintenant devant lui les voiles épais de l’illusion technique et du vide de sens, et il veut les fendre, au moins pour des moments lucides, dans lesquels se révèlent Présence, Sens et Logos. »

    Botho Strauss, Le Soulèvement contre le monde secondaire.

     

     

    « Si le Droit constitue, pour le libéralisme politique, l’instance de régulation suprême qui doit se substituer à toutes les autres, ce n’est naturellement pas à la manière, jugée arbitraire et étouffante, des anciens montages normatifs – que ce soient, là encore, ceux de la coutume, de la religion ou de la vertu républicaine. La « théorie de la justice » sur laquelle se fonde la nouvelle autorité du Droit a, en réalité, peu de chose à voir avec ce que la philosophie traditionnelle avait jusqu’alors pensé sous ce nom. Elle ne se soucie plus, en effet, de définir des Idées ou de saisir des Essences, c’est-à-dire de s’exprimer au nom d’une quelconque « Vérité », quel que soit le statut métaphysique de cette dernière. Bien plus que d’une « théorie de la justice », il conviendrait plutôt de parler à son sujet d’une théorie de l’ajustage ou de l’ajustement. Pour l’essentiel, en effet, il s’agit seulement de mettre au point les combinaisons institutionnelles les plus efficaces, donc de calculer au plus juste le système de poids et contrepoids (checks and balances, disent les philosophes anglo-saxons) qui permettra de maintenir l’équilibre des libertés rivales en leur imposant un minimum d’exigences – en leur garantissant, si l’on préfère, le taux d’imposition existentielle le plus bas possible. Une théorie libérale de la justice ne doit donc engager, par principe, aucune réflexion philosophique particulière sur ce que pourrait être la meilleure manière de vivre. Elle se limite, au contraire, à définir les conditions techniques d’un simple modus vivendi. »

    Jean-Claude Michéa, L’Empire du moindre mal (Essai sur la civilisation libérale)

     

     

    « C’est pourquoi j’appelle de mes vœux l’avènement d’une laïcité positive, c’est-à-dire d’une laïcité qui tout en veillant à la liberté de penser, à celle de croire et de ne pas croire, ne considère pas que les religions sont un danger, mais plutôt un atout.

    » […] La France a beaucoup changé. Les citoyens français ont des convictions plus diverses qu’autrefois. Dès lors la laïcité s’affirme comme une nécessité et oserais-je le dire, une chance. Elle est devenue une condition de la paix civile. »

    Mickey Grenelle, discours au Palais du Latran

     

     

    « La « neutralité axiologique » revendiquée par le libéralisme a parfois de curieuses conséquences. Rien ne peut logiquement interdire, en effet, que l’on utilise le racisme lui-même, à titre pédagogique, si l’on a de bonnes raisons de penser que c’est un moyen politique efficace pour parvenir à l’égalité des droits (c’est le principe de toute affirmative action). C’est ainsi que Houria Bouteldja, porte-parole des Indigènes de la République, a pu tranquillement déclarer (lors d’une émission de Frédéric Taddéi, diffusée sur France 3), et sans susciter, cela va de soi, la moindre réaction politique ou médiatique, que la première condition pour « rééduquer le reste de la société occidentale », était de considérer tous « les Blancs » comme des « sous-chiens » (Cf. Marianne, 30 juin 2007). »

    Jean-Claude Michéa, L’Empire du moindre mal (Essai sur la civilisation libérale)

     

     

    « Question « bonheur », les experts savent. Qu’y a-t-il de plus enviable que la non-mort assurée, la « Fontaine de Jeunesse », les muscles et la peau en bon état, l’esprit léger, un sexe performant, l’idéal de consommer sans trêve ? »

    Pierre Legendre, Dominium mundi  (L’Empire du management)

     

     

    « Mais ce n’est quand même pas une raison pour aller tomber dans l’excès. Les chrétiens recyclés sur ce module, on le comprend, ne vont pas être des Bloy ou des Bernanos. Le conciliaire a été le nom de leur propre « spectaculaire intégré ». Ils se sont fièrement ralliés à la démocratie spectaculaire. Les yeux de la foi leur en comptent les merveilles. »

    Guy Debord, « Cette mauvaise réputation… »

     

     

     

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    I

    – Tu crois à la laïcité, toi ? – Pardon ? – Peut-être que ça existe la laïcité, mais je ne vois pas du tout pourquoi il faudrait y croire. – Peut-être que c’est une religion, après tout. – Une religion de substitution ? – Ouais, une religion du vide, une manifestation enfin du nihilisme… – La laïcité, c’est un machin inventé pour en finir, ou au moins réduire, amoindrir la présence et l’influence de l’Eglise catholique en France. – En même temps, les laïcs ont toujours existé : un laïc, c’était juste quelqu’un qui n’était pas entré dans les ordres, non ? – Les choses alors se jouaient en France entre ceux qui étaient chrétiens et ceux qui ne l’étaient plus, ou ne voulaient plus l’être. – Entre les fils qui suivaient, tant bien que mal, leurs pères, et ceux qui, métaphoriquement ou pas, leur tranchaient la tête.

     

    II

    – L’autre question, c’est celle de la Référence, je crois. La société libérale (et j’entends par là aussi bien la gauche que la droite, aussi bien la droite que la gauche) tend à évacuer l’idée même de Référence : elle ajuste simplement son droit en fonction des groupes de pression. Qu’ils soient avoués ou non, visibles ou pas. – C’est bien ce que je dis : la laïcité est une religion de transition, une coque vide. Elle ne garantit rien. – Ce que met en place la société libérale, c’est en somme ce que Michéa appelle « neutralité axiologique ». – Ceux qui sont là, en somme, ont toute latitude à revendiquer tout ce qu’ils veulent, et quoi que ce soit. – Oui. La justice tranchera. – Et elle tranchera de plus en plus n’importe comment, puisqu’elle-même sera privée de toute Référence… elle aura à faire avec des concepts bidons, comme celui de « laïcité positive ». Ce que ça vend, ce concept, c’est que le Principe majeur de la République, c’est de s’adapter à ce qui vient, quoi que ce soit. Et croyez-moi, ça va se vendre.  – Pour parodier le bon Houellebecq, je dirais que la « laïcité positive » du Président Grenelle est une dhimminution du domaine de la République.

     

    III

    – La laïcité d’aujourd’hui est donc bien obligée de considérer de la même façon, indépendamment de tout critère simplement historique, et avec le même respect imbécile, toutes les religions, prôneraient-elles ouvertement l’assassinat ou la soumission des infidèles et la lapidation des femmes adultères – entre autres joyeusetés ; ce qui est aussi idiot que le serait de manifester le même respect à toutes les politiques. Hitler ne faisait-il pas de la politique ? Et Staline ? Et Mao ? Etc… – Merde. Et les valeurs républicaines ? – Ne faites pas rire. Elles n’ont plus aucune légitimité. La démocratie les engloutit. La démocratie d’opinion, et la possibilité de luttes d’influences juridiques, à grands coups de procès médiatiques. La République institue la démocratie, et la démocratie spectaculaire d’opinion fomente les communautarismes les plus inouïs, des plus débiles aux plus meurtriers en passant par toute une gamme de produits pornographiques (lesquels sont peut-être, hélas, nos derniers vecteurs d’ « intégration »), qui prolifèrent à une vitesse carcinomique, ravagent tout, implantent leurs métastases… – Jouer la République contre la démocratie, aujourd’hui, pourrait même être considéré comme une atteinte aux valeurs républicaines. On ne joue plus la carte de la République que pour l’évider tout à fait. – C’est que la République est une idée très ancienne, bien plus vieille que la Révolution française. La République n’est pas du tout une idée moderne, et c’est bien pour cela qu’elle s’effrite et s’effondre sous les coups du modernisme libéral déchaîné. – C’est une idée grecque de réalisation essentiellement romaine, d’ailleurs. Dans la façon du moins dont elle nous est parvenue. – « Rome, l’unique objet de mon ressentiment »… – C’est quoi, ça, c’est Nietzsche ? – Mais non, patate, c’est Corneille : la dernière fois qu’a brillé sur la France l’exaltation du courage antique devenu catholique, mettons… – Et Péguy ? – Mais Corneille et Péguy, c’est une ligne droite…

     

    IV 

    – Mon Dieu, mais ici, nous ne sommes même plus vraiment catholiques, ni chrétiens… – Voilà bien pourquoi il ne nous demeure plus qu’à défendre la République. – Mais c’est une impasse, vu ce qu’elle est, et à quel point déjà elle est tout effondrée. – La République et la laïcité, donc. –  La laïcité ne connaît que la religion chrétienne, et elle s’imagine, naïvement, mais la naïveté est un facteur de crime, que toutes les religions du monde sont bâties comme la religion chrétienne. Alors que pas du tout, en fait. – Je suis bien d’accord que c’est une impasse, désormais, la République. – Alors quoi ? – Alors rien. Il s’agit peut-être seulement de mourir, et de savoir le faire. – Nous avons des racines, qui, elles, sont chrétiennes. Indiscutablement. – Mais ces racines indiscutablement chrétiennes, de quoi exactement sont-elles les racines ? – La question n’est pas tant de savoir si nous pouvons éviter la guerre civile, que de savoir s’il faut l’éviter, non ? – D’ici là, en tout cas, l’Union européenne aura tout à fait fini d’adhérer à la Turquie (et pas l’inverse, merci bien). – Oui, oui, c’est toujours votre lumineuse idée barje d’accélérer la catastrophe, en somme…

     

    V

    – L’ancienne laïcité a permis de transformer l’Eglise catholique française en ce machin relativo-droitdelhommiste qui semble supplier ses derniers fidèles d’aller voir ailleurs que c’est pareil tout en admettant par avance qu’ils n’auront donc plus aucune raison de revenir. – Ouais, et la nouvelle laïcité positive du déplorable Grenelle ne fera jamais rien qu’adapter la France à l’islam, islam qui donc se radicalisera ouvertement de plus en plus. Que voulez-vous, c’est le Progrès. – Rien n’arrêtera ça. Parce qu’il faudrait restreindre drastiquement, c’est-à-dire de façon réellement républicaine, le concept de laïcité, et repréciser, comme le disait je ne sais plus où Alain Finkielkraut, quelles sont exactement les indispensables lois de l’hospitalité. Mais rien n’arrêtera ça. Sauf peut-être le fait que ça pète. Et le plus tôt sera le mieux. – Mais pourquoi ? – Parce que nous nous affaiblissons dramatiquement d’heure en heure, mon cher.

     

    Et vive quand même la République !