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Politique - Page 26

  • Encore un effort... (2)

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    Lire la première partie.

     

     

    Je ne nierai pas cependant qu’une constitution semblable ne soit infiniment préférable à celle qui, après avoir concentré tous les pouvoirs, les déposerait dans les mains d’un homme ou d’un corps irresponsable. De toutes les différentes formes que le despotisme démocratique pourrait prendre, celle-ci serait assurément la pire.

    Lorsque le souverain est électif ou surveillé de près par une législature réellement élective et indépendante, l’oppression qu’il fait subir aux individus est quelquefois plus grande ; mais elle est toujours moins dégradante parce que chaque citoyen, alors qu’on le gêne et qu’on le réduit à l’impuissance, peut encore se figurer qu’en obéissant il ne se soumet qu’à lui-même, et que c’est à l’une de ses volontés qu’il sacrifie toutes les autres.

    Je comprends également que, quand le souverain représente la nation et dépend d’elle, les forces et les droits qu’on enlève à chaque citoyen ne servent pas seulement au chef de l’Etat, mais profitent à l’Etat lui-même, et que les particuliers retirent quelque fruit du sacrifice qu’ils ont fait au public de leur indépendance.

    Créer une représentation nationale dans un pays très centralisé, c’est donc diminuer le mal que l’extrême centralisation peut produire, mais ce n’est pas la détruire.

    Je vois bien que, de cette manière, on conserve l’intervention individuelle dans les plus importantes affaires ; mais on ne la supprime pas moins dans les petites et les particulières. L’on oublie que c’est surtout dans le détail qu’il est dangereux d’asservir les hommes. Je serais, pour ma part, porté à croire la liberté moins nécessaire dans les grandes choses que dans les moindres, si je pensais qu’on pût jamais être assuré de l’une sans posséder l’autre.

    La sujétion dans les petites affaires se manifeste tous les jours et se fait sentir indistinctement à tous les citoyens. Elle ne les désespère point ; mais elle les contrarie sans cesse et elle les porte à renoncer à l’usage de leur volonté. Elle éteint peu à peu leur esprit et énerve leur âme, tandis que l’obéissance, qui n’est due que dans un petit nombre de circonstances très graves, ne montre la servitude que de loin en loin et ne la fait peser que sur certains hommes. En vain chargerez-vous ces mêmes citoyens, que vous avez rendus si dépendants du pouvoir central, de choisir de temps à autre les représentants de ce pouvoir ; cet usage si important, mais si court et si rare, n’empêchera pas qu’ils perdent peu à peu la faculté de penser, de sentir et d’agir par eux-mêmes, et qu’ils ne tombent ainsi graduellement au-dessous du niveau de l’humanité.

    J’ajoute qu’ils deviendront bientôt incapables d’exercer le grand et unique privilège qui leur reste. Les peuples démocratiques qui ont introduit la liberté dans la sphère politique, en même temps qu’ils accroissaient le despotisme dans la sphère administrative, ont été conduits à des singularités bien étranges. Faut-il mener les petites affaires où le simple bon sens peut suffire, ils estiment que les citoyens en sont incapables ; s’agit-il du gouvernement de tout l’Etat, ils confient à ces citoyens d’immenses prérogatives ; ils en font alternativement les jouets du souverain et ses maîtres, plus que des rois et moins que des hommes. Après avoir épuisé tous les différents systèmes d’élection, sans en trouver un qui leur convienne, ils s’étonnent et cherchent encore ; comme si le mal qu’ils remarquent ne tenait pas à la constitution du pays bien plus qu’à celle du corps électoral.

    Il est, en effet, difficile de concevoir comment des hommes qui ont entièrement renoncé à l’habitude de se diriger eux-mêmes pourraient réussir à bien choisir ceux qui doivent les conduire ; et l’on ne fera point croire qu’un gouvernement libéral, énergique et sage, puisse jamais sortir d’un peuple de serviteurs.

    Une constitution qui serait républicaine par la tête, et ultra-monarchique dans toutes les autres parties, m’a toujours semblé un monstre éphémère. Les vices des gouvernants et l’imbécillité des gouvernés ne tarderaient pas à en amener la ruine ; et le peuple, fatigué de ses représentants et de lui-même, créerait des institutions plus libres, ou retournerait s’étendre aux pieds d’un seul maître.

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    Fin du chapitre « Quelle espèce de despotisme les nations démocratiques ont à craindre », à la fin du second volume de « De la démocratie en Amérique », d’Alexis de Tocqueville (1835).

     

  • Nouveaux territoires de l'amour (un peu de narcissisme à la faveur des émeutes de Vitry-le-François)

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    Ce titre demande une explication.

     

    Je travaille partiellement, depuis quelques années, à Vitry-le-François.

    Le directeur de la scène conventionnée de Vitry, flanqué d’un metteur en scène associé, m’a passé commande, aux environs de Noël 2005, peu de temps donc après les émeutes de novembre, d’une pièce sur « les banlieues ».

    – Vous êtes sûrs que vous voulez me demander ça, à moi ? ai-je dit.

    – Mais oui, mais oui… fit le premier.

    – Mais oui, mais oui… fit le second.

    J’acceptai, pensez donc.

    Il était surtout question de parler du vivre-ensemble, ou vivrensemble, dans une barre d’immeuble qu’on va raser sous prétexte de rénover le quartier (les salauds).

    Quatre comédiens. Un homme (blanc), trois femmes (une blanche, une « black », une « beur »). – Pas de ballon de foot ? Pas de ballon de foot.

     

    J’ai dit que j’écrirai une farce.

    Au sens aristophanien.

    Autant que faire se peut.

     

    Son titre fut :

    Territoires de la merde.

     

    Mon meilleur titre.

    Mon synopsis évoquait aussi une émission de télé, sorte de Thalassa des banlieues, cyniquement intitulée : « Territoires de l’amour ».

    Mes commanditaires me pressèrent de changer le premier titre (impubliable) pour le second (putassier et cynique). Ce que j’acceptai, avec ma coutumière lâcheté.

    Non sans avoir préalablement argumenté :

    – Mais merde, quand vous voyez ces émeutes, vous vous dites, comme tout le monde : « Putain, c’est la merde… » et non pas « chouette, c’est l’amour ! ».

    Il apparut que j’étais cynique.

    Toujours le même déni de réalité.

    Mais c’est l’incitation au rêve, à l’émotion, à l’utopie, que j’ai moi toujours trouvée cynique.

    Mais bon, je cédai.

     

    Puis j’écrivis la pièce.

    Mes commanditaires la refusèrent.

    Une de mes meilleures pièces.

    La scène représente un parking. Les personnages sont : 1. une professeurere des écoles alcoolique dernier stade, célibataire et hystéro-dépressive ; 2. une jeune « beurette » émancipée quoique portant foulard, ayant parfaitement intégré les codes du quartier et transportant un sac très lourd dont nous ne saurons jamais ce qu’il contient ; 3. un politicien libéral-socialiste (c’est-à-dire qu’on ne sait s’il est encarté au Parti Salopiste ou à l’Union pour une Médiocrité Présidentielle) d’une infinie veulerie ; 4. une journaliste « black », très énergique, dirigeant son émission d’une main de fer, coupant la parole, au besoin avec vulgarité, etc. J’avais ajouté une cinquième «  personnage », une sorte d’Intelligence Artificielle qui, dans la dernière partie, c’est-à-dire dans l’émission télé, donnait à chaque phrase prononcée par les autres la note d’audimat. Ce qui rendait bien sûr complètement incohérent ce piètre simulacre de débat – l’annonce d’un 2, par exemple, engageant le locuteur à se contredire lui-même immédiatement, etc.

     

    Bref, ma pièce fut refusée. Dès lecture.

    Toujours le même déni de réalité (« Ce n’est plus la droite qui est réactionnaire, c’est la réalité », comme le disait quelque part le fade Laurent Joffrin…).

    Ils montèrent un autre texte, non-théâtral, sociologique et neuneu, je veux dire : pavé de bonnes intentions idiotes, et comme les programmes annonçaient une pièce titrée Territoires de l’amour, ils conservèrent ce titre de merde que j’avais initialement destiné à illustrer l’abjection journalistique.

    CQFD.

     

    CQFD est le titre des 20 pages de notes racontant l’histoire de cette commande et de son refus par ses commanditaires mêmes.

    Peut-être les publierai-je ici, quelque jour où je serai lassé de pondre de nouveaux billets.

     

    Depuis, j'ai archivé la pièce dans Tout faut.

  • Encore un effort...

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    Je pense donc que l’espèce d’oppression dont les peuples démocratiques sont menacés ne ressemblera à rien de ce qui l’a précédé dans le monde ; nos contemporains ne sauraient en trouver l’image dans leurs souvenirs. Je cherche en vain moi-même une expression qui reproduise exactement l’idée que je m’en forme et la renferme ; les mots anciens de despotisme et de tyrannie ne conviennent point. La chose est nouvelle, il faut donc tâcher de la définir, puisque je ne peux la nommer.

    Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres :  ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et, s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie.

    Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ?

    C’est ainsi que tous les jours, il rend moins utile et plus rare l’emploi du libre-arbitre ; qu’il renferme l’action de la volonté dans un plus petit espace, et dérobe peu à peu à chaque citoyen jusqu’à l’usage de lui-même. L’égalité a préparé les hommes à toutes ces choses : elle les a disposés à les souffrir et souvent même à les regarder comme un bienfait. 

    Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l’avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière ; il en couvre la surface d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule ; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger.

    J’ai toujours cru que cette sorte de servitude, réglée, douce et paisible, dont je viens de faire le tableau, pourrait se combiner mieux qu’on ne l’imagine avec quelques-unes des formes extérieures de la liberté, et qu’il ne lui serait pas impossible de s’établir à l’ombre même de la souveraineté du peuple.

    Nos contemporains sont incessamment travaillés par deux passions ennemies : ils sentent le besoin d’être conduits et l’envie de rester libres. Ne pouvant détruire ni l’un ni l’autre de ces instincts contraires, ils s’efforcent de les satisfaire à la fois tous les deux. Ils imaginent un pouvoir unique, tutélaire, tout-puissant, mais élu par les citoyens. Ils combinent la centralisation et la souveraineté du peuple. Cela leur donne quelque relâche. Ils se consolent d’être en tutelle, en songeant qu’ils ont eux-mêmes choisi leurs tuteurs. Chaque individu souffre qu’on l’attache, parce qu’il voit que ce n’est pas un homme ni une classe, mais le peuple lui-même, qui tient le bout de la chaîne.

    Dans ce système, les citoyens sortent un moment de la dépendance pour indiquer leur maître, et y rentrent.

    Il y a, de nos jours, beaucoup de gens qui s’accommodent très aisément de cette espèce de compromis entre le despotisme administratif et la souveraineté du peuple, et qui pensent avoir assez garanti la liberté des individus, quand c’est au pouvoir national qu’ils la livrent. Cela ne me suffit point. La nature du maître m’importe bien moins que l’obéissance.

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    Le texte qui précède est de 1835.

    On le trouve au centre du chapitre « Quelle espèce de despotisme les nations démocratiques ont à craindre », à la fin du second volume de « De la démocratie en Amérique », d’Alexis de Tocqueville.

    L'illustration en tête du billet provient du blog Police du monde parodique.

  • Se convertir mieux pour gagner du temps plus

     

     

    Alain Potent, journaliste à l’e-Monde, était là, dans un coin, et il avait dû poser une question, puisque Mickey Grenelle y répondait ainsi :

    262089676.jpg– Mais non, M’sieur Potent, qu’on aura pas d’armée en vrai. D’abord, parce que c’est mal. Et ensuite, d’abord parce qu’on peut pas. J’ m’explique. Si qu’on donnerait un budget à la Défense, tous les autres et même les copains, ils vont gueuler au fascisme et qu’ils auront bien raison. Si qu’on fait une armée avec l’Europe, tout le monde va trouver ça formidable vu que ce n’est pas possible de s’entendre à 27 plus les Turcs. Donc il reste l’OTAN et ça c’est de l’Atlantisme donc c’est mal parce que même la gauche maintenant elle cite le général de Gaulle. Donc on n’a qu’à rien faire, vu que c’est la paix, et je le rappelle, vu qu’on est un club de vacances, les plages, les gonzesses à poil et tout, je le rappelle et même, hein, je montre l’exemple avec ma Dolorès Blondie que je l’ai rencontrée grâce à meetic.gouv.fr. Ce que je veux, c’est qu’on va réussir que le Bronzeculand France devient une sorte de Dubaï de l’Europe, avec des tas de jeux partout, plein de paint ball partout, et une population locale tant pis si elle ferme sa gueule…

    1046658833.jpgCe n’était pas très clair, donc.

    D’autant qu’il y avait aussi Kouchner qui lui soufflait des trucs que le Président balayait certes d’un revers de la main, mais qui avaient tout de même l’air de le déconcentrer pas mal. « Les amis de nos amis sont ennemis. Les ennemis de nos amis sont nos amis. » Des aphorismes dans ce goût-là, qui imprimaient sur la trogne du bon docteur K. cet air de fierté, sinon d’orgueil, de l’homme qui jouit de pervertir le plus élémentaire bon sens.

    Puis Mickey Grenelle s’est brutalement tourné vers moi et m’a dit :

    – Qu’est-ce que tu vas foutre, maintenant que tu n’as plus de boulot, pauv’ con ?

    Je l’ai regardé, un peu ahuri.

    Puis des paroles sont sorties de ma bouche, auxquelles je ne pouvais rien :

    – Eh bien, euh… je vais me convertir à l’islam, je crois.

    Grenelle a eu l’air positivement impressionné par ma réponse.

    Il s’est approché de moi pour me dire quelque chose en secret ou pour me rouler une pelle, je ne sais trop, et je me suis réveillé en sursaut, trempé de sueur, puis j’ai gueulé des insultes qu’il serait inconvenant de reproduire ici.

    Je me suis levé, j’ai allumé une cigarette en attendant que le café passe.

    Il était six heures du matin et j’avais effectivement dormi mes quatre heures réglementaires.

    Cette phrase puissante m’échappait régulièrement des lèvres :

    – C’est la merde, putain, c’est la merde.

    J’ai toujours été déprimé. Depuis tout petit. Sans raison.

    Mais là, tout de même, je sentais poindre sous ces phrases rituelles rien moins qu’une victoire.

    Le fond de calva dans le café m’a aidé à retrouver mes esprits.

    La fête des mères.

    – C’est la merde, putain, c’est la merde. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir offrir à ma mère ?

    Et là, croyez-moi ou pas, j’ai pensé à une burka.

    Oui, je sais, c’est étrange.

    Mais c’est comme ça que je me suis souvenu de la soirée d’hier.

    Il s’est passé quelque chose, hier. Tout en travaillant sur cette indocile machine informatique, je suis tombé amoureux d’Houria Bouteldja. J’y suis enfin arrivé. Il faut dire qu’elle est assez jolie, tout de même. Oh, bien sûr, c’est arrivé en regardant la télévision, pas en vrai. Le service public, sans doute. J’avais bu un peu, et comme souvent quand je travaille, j’avais coupé le son de ce bruyant appareil électro-ménager. Je m’étonne d’ailleurs que la plupart des gens tolèrent un appareil aussi bruyant et ne pensent jamais à lui couper le sifflet.

    Bref, Houria m’apparut soudain, gesticulante, hystérique, – et muette.

    C’était fascinant. Je ne résistai pas, abandonnai mon travail et tombai à genoux devant l’appareil. J’étais fait. J’étais ravi. Amoureux. Transi.

    – C’est elle !

    – Qui ça, elle ?

    165928574.png– Mais l’avenir, Ducon.

    – L’avenir est féminin, tu as raison.

    – C’est l’avenir et elle est déjà là !

    – Féminin, mais pas seulement féminin.

    – Oh non, pas seulement.

    Je réalisai soudain que je dialoguais seul, chez moi, à genoux devant un poste de télévision. Décontenancé, je résolus de me servir un autre bon vieux whisky.

    Avant, je n’aimais pas l’avenir.

    Maintenant, c’est fini.

    Hip hip hip houria !

    Du coup, j’ai allumé une cigarette en culpabilisant. Même mon verre de whisky, je me surpris à le regarder de travers. Avec suspicion. Mais bon.

    Et, troublé, je me remis au travail.

    J’avais une commande à finir, et il était presque une heure du matin.

    Un dialogue commandé par un Centre touristique régional. La visite guidée d’un village médiéval. Avec son lavoir, ses rues en pente, ses murs en vielle pierre volcanique, son église banale dont il faut faire une merveille d’architecture sans alourdir toutefois le dialogue de considérations techniques qui risqueraient de gonfler le public. Bref, un truc casse-couilles, purement alimentaire. J’en étais à la page 32, je touchais au but, le dialogue entre sainte Ursule et la journaliste Catherine Cazals, parsemé d’expressions en langue d’oc, était presque achevé.

    J’eus soudain une idée de génie. Je sélectionnai les mots Catherine Cazals et commandai au traitement de texte (je ne ferai pas de pub pour Word ici) de le remplacer automatiquement par le mot Houria B. Ce qui fut fait dans la seconde.

    Je venais de gagner mes galons de citoyen citoyen.

    Génial. Cool.

    Je compris vite néanmoins qu’il me faudrait revoir l’ensemble du texte. Ma brave sainte Ursule ne pouvait plus se contenter de raconter simplement son histoire ; il lui faudrait maintenant passer aux aveux. J’accentuai chez Houria ce côté inquisiteur qu’avait déjà Catherine. La sainte se repentait, admettait, difficilement d’abord, un certain nombre de mensonges, simulations, etc., puis, finalement, se sentait « libérée » d’avoir ainsi causé et finissait par demander conseil à la belle Houria…

    J’aurais également volontiers remplacé sainte Ursule par sainte Ségolène, mais c’eût été une faute lourde.

    Dans la foulée, j’envoyai un mail à mes commanditaires, demandant une augmentation conséquente. Ces imbéciles seraient malavisés de me la refuser : je ne vous dis pas le procès…

    Houria, merci.

    Cigare sur le balcon.

    Revenu à la machine, je tapai sur un moteur de recherche (pas question non plus de nommer Google) son nom aimé. Au bout d’un moment, je tombai sur la vidéo d’un type nommé Yunis Al-Astal, député élu démocratiquement du Hamas, une organisation que soutient ma bien-aimée. Il disait ceci : « Très bientôt, si Dieu le veut, nous conquerrons Rome, tout comme Constantinople l’a été. »

    Ces propos me ravirent.

    Voilà des gens au moins qui n’ont pas perdu toute connaissance historique. Voilà des gens enfin qui nomment Dieu et se souviennent de Constantinople, capitale de l’Empire Romain jusqu’au 29 mai 1453. Voilà des gens qui se souviennent de Rome et de la Chrétienté. Des gens qui, en somme, n’ont pas renié leur propre histoire.

    Voilà des gens qui vont gagner.

    Time is Allah.

    Et nous pouvons compter sur des loosers à la Grenelle pour les y aider positivement. Du coup, le féminin Mickey Grenelle enfin me devint sympathique.

    D’où mon rêve.

     

     

  • Le savant moderne quadrille la surface en technicien

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    Le savant moderne quadrille la surface en technicien.

     

    Le savant moderne se trouve en quelque sorte voué à devenir un technicien plus ou moins brillant, c’est-à-dire : plus ou mois spécialisé, de sa discipline – quelle que soit en définitive celle-ci, et cela aussi explique l’espèce de pullulement des disciplines contemporain –, parce que descendre aux profondeurs historiques ou même métaphysiques des choses, la connaissance seule donnant accès à la compréhension et finalement à l’adhésion, le contraindrait à nier lui-même les positions qu’il est ordinairement rémunéré pour défendre.

     

    Un homme qui, par exemple, ne tiendrait pas le même discours en privé qu’en public, et cacherait au public les conclusions auxquelles l’a mené son travail, conclusions qu’il exposerait par ailleurs volontiers en privé, serait en définitive taxé par l’idéologie totalitaire de la transparence, non pas comme jadis d’hypocrisie – qu’on peut toujours défendre ou attaquer –, mais de schizophrénie. Cette psychiatrisation de l’hypocrisie la plus nécessaire au maintien des formes civilisées d’une société semble devoir trouver une manière de compensation dans la fascination exacerbée d’un certain nombre de savants envers les malades schizophrènes, modernement présentées comme victimes de leur maladie et dont la voix singulière et souffrante nous est proposée pour oracle.

     

    Pourquoi ai-je dit « descendre aux profondeurs » où il est question, somme toute, d’élévation ? Parce que ce monde est à l’envers, et maintenu à l’envers de toute la puissance de l’Argent.

    J’appelle cette action invertissement néologisme croisant « génétiquement » inversion et investissement. Ce monde n’est pas seulement passivement inversé et inverti, il invertit activement en lui-même, et les dividendes sont la seule division, la seule séparation qu’il admet in fine.