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Politique - Page 24

  • De la subversion normative

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    Ce n'est pas une chose rare qu'il faille reprendre le monde de trop de docilité.

    C’est un vice naturel comme l’incrédulité et aussi pernicieux.

    Superstition.

     

    Blaise Pascal, Pensées, fragment 176, (éd. Le Guern)

     

     

    Oui, oui, tout est là, en un éclair, notre marécage, sa fausseté intégrale, la subversion normative.

    Docilité, superstition.

     

      

    Dichten = condensare.

     

    Basil Bunting, repris et cité par Ezra Pound dans A. b. c. de la lecture (1934)

     

     

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  • Une conclusion

    Le nombre des paroles interdites enflant, demeure-t-il encore un sens à écrire en français ? Non, sauf à promouvoir le suicide, lequel a deux versants : faire ce qui est demandé, faire contre. Les comédiens français, la façon dont ils sont formés (n’importe comment, défilé de metteurs en scène tous plus originaux les uns que les autres) et formatés (paramétrage par défaut), formalisés si pas formolisés, rivés à leurs guichets, tout cela n’a presque aucun intérêt, c’est mauvais – quand ce n’est pas simplement bas. Et les déluges d’anecdotes, pensée absente, mal écrites, a-dramatiques ou post-, perclus de propagande, ne valent pas un spot publicitaire bas de gamme. Les modes de production, et d’entretien, de cette médiocrité sommitale, entre hiérarchies peuplées d’incompétents – ultime volonté d’une politique, versant suicide, de service public –, petits réseaux pécuniaires consanguins servant à garantir et assurer aux ridicules une petite place prétendument enviable dans cette maison de retraite, l’ensemble tout uniment verni d’une idéologie infantilement correcte, mortifère ; bref, la vacuité totale, tare nationale chérie, impose désormais, plutôt que la critique à l’infini répétée, inutilement, et déprimante à la longue, rien moins que le départ. Vivre et laisser mourir.

     

    Avignon

    18 juillet 2008

     

     

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  • Le monde qui fait le malin... (En lisant Renaud Camus)

     

     

     

     

    Nous sommes les derniers. Presque les après-derniers. Aussitôt après nous commence un autre âge, un tout autre monde, le monde de ceux qui ne croient plus à rien, qui s’en font gloire et orgueil.

    Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cessons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin. Le monde des intelligents, des avancés, de ceux qui savent, de ceux à qui on n’en remontre pas, de ceux à qui on n’en fait pas accroire. Le monde de ceux à qui on n’a plus rien à apprendre. Le monde de ceux qui font le malin. Le monde de ceux qui ne sont pas des dupes, des imbéciles. Comme nous. C’est-à-dire : le monde de ceux qui ne croient à rien, pas même à l’athéisme, qui ne se dévouent, qui ne se sacrifient à rien. Exactement : le monde de ceux qui n’ont pas de mystique. Et qui s’en vantent. Qu’on ne s’y trompe pas, et que personne par conséquent ne se réjouisse, ni d’un côté ni de l’autre. Le mouvement de dérépublicanisation de la France est profondément le même mouvement que le mouvement de sa déchristianisation. C’est ensemble un même mouvement de démystication. C’est du même mouvement profond, d’un seul mouvement, que ce peuple ne croit plus à la République et qu’il ne croit plus à Dieu, qu’il ne veut plus mener la vie républicaine, et qu’il ne veut plus mener la vie chrétienne, (qu’il en a assez), on pourrait presque dire qu’il ne veut plus croire aux idoles et qu’il ne veut plus croire au vrai Dieu. La même incrédulité, une seule incrédulité atteint les idoles et Dieu, atteint ensemble les faux dieux et le vrai Dieu, les dieux antiques, le Dieu nouveau, les dieux anciens et le Dieu des chrétiens. Une même stérilité dessèche la cité et la chrétienté. La cité politique et la cité chrétienne. La cité des hommes et la cité de Dieu. C’est proprement la stérilité moderne. Que nul donc ne se réjouisse, voyant le malheur qui arrive à l’ennemi, à l’adversaire, au voisin. Car le même malheur, la même stérilité lui arrive. Comme je l’ai mis tant de fois dans ces cahiers, du temps qu’on ne me lisait pas, le débat n’est pas proprement entre la République et la Monarchie, entre la République et la Royauté, surtout si on les considère comme des formes politiques, comme deux formes politiques, il n’est point seulement, il n’est point exactement entre l’ancien régime et le nouveau régime français, le monde moderne ne s’oppose pas seulement à l’ancien régime français, il s’oppose, il se contrarie à toutes les anciennes cultures ensemble, à tous les anciens régimes ensemble, à toutes les anciennes cités ensemble, à tout ce qui est culture, à tout ce qui est cité. C’est en effet la première fois dans l’histoire du monde que tout un monde vit et prospère, paraît prospérer contre toute culture.

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    Ce texte est de 1910. Il est de Charles Péguy, dans le volume intitulé Notre Jeunesse. J’ai trouvé cet extrait dans le recueil dû à Denise Mayer La République… Notre Royaume de France (Nrf, Gallimard, 1946), que j'ai déjà cité ici. La phrase exacte de Péguy, tirée de L’Argent, qui donne son titre à l’ouvrage est celle-ci : « La République une et indivisible, c’est notre royaume de France ». (Sur un sujet voisin, avec moins de talent : De l'invertissement II, Tu ne transmettras point, Du devoir d'insubordination, De l'approbation du monde.)

    C’est la lecture de La grande déculturation, de Renaud Camus, qui m’a donné l’idée, ce soir, de le copier ici.  

     

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  • Tu ne transmettras point (ébauche)

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    – Comprenez-nous bien, camarades. Quand ce vieux monde en proie aux démolitions et déprédations tremble, nous disons tout bêtement qu’il bouge, dans le but de faire croire qu’il avance ; et lorsqu’un quelconque de ses pans s’effondre, nous hurlons au génie et à la subversion ; car ce vieux monde, qui ne le voit ? nous ne le remplacerons par rien, simplement parce que construire aujourd’hui quelque chose pourrait peut-être nous donner quelque chose à conserver demain, et que nous nous refusons tout net à cet régression-là. Nous allons tout simplement faire beaucoup mieux : nous allons détruire ce monde, et puis l’abandonner. Oh, nous n’éviterons pas, sans doute, la barbarie, mais que voulez-vous ? c’est l’autre face du progrès. Disons, sa face réelle ; l’autre versant de l’utopie, comme toujours. Cette recette, si vous me passez l’expression, est certes historiquement éprouvée, mais pourquoi croyez-vous que nous éradiquons l’Histoire après que nous l’avons comme une déesse antique hissée sur piédestal ? « Du passé faisons table rase, le monde va changer de base », disait la chansonnette entêtante. Et en fait de base, camarades, croyez-moi, il y aura ce qu’il y aura quand tout sera détruit, même les ruines, et il n’y aura de fait rien qu’on puisse précisément nommer. Car voyez-vous, et c’est le point, détruire l’Histoire nous permet paradoxalement de la remonter, d’en remonter le cours, de remonter le temps, d’entrer, dans la vie même, à l’intérieur de ces mythes anciens que notre époque exténue – et de les démolir dans ce sens-là aussi… Ce dont plus personne ne devra avoir connaissance, chacun le vivra sans conscience, dans une vie animale, comment dire ? purement béatifique ; ou pour le moins : extatique. Car en vérité je vous le dis, c’est au profit de la vie, camarades, que nous détruisons la connaissance, j’aimerais ce soir vraiment vous en persuader. En réalisant l’homme, l’homme sans transcendance ni médiation, en faisant simultanément de lui un dieu, c’est-à-dire la référence suprême, et un animal, car la science ne nous révèlera jamais que de la matière et donc, au sens propre, ne nous révélera rien, nous évacuons l’homme, tout l’homme, nous évacuons dans le blabla l’hypothèse que sa parole est autre chose que l’information qu’elle émet. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », a dit jadis un humoriste oublié. Mais nous, si nous sommes là, c’est avant tout pour ruiner l’âme jusqu’à faire disparaître ce mot ; à quoi alors pourrait bien nous servir une quelconque conscience ? Nous travaillons à l’homme nu, à l’homme enfin débarrassé des objections ; nous travaillons pour le néant, et il n’y a rien à faire alors que dé-réaliser dans la réalité la Genèse : car nous remontons, mais dans la vie même et non pas dans son texte, un à un ses versets, et les faisons disparaître ; jusqu’au moment glorieux, qui vient mes camarades, qui vient, où elle ne pourra plus nous servir, même négativement, d’aune. « La terre était vide et vague. » Toute la Création, selon le mythe juif, avait été faite à coups de séparations successives, de discriminations. Ce grand diviseur de Dieu séparait, simplement en nommant, ceci de cela, puis de cela un autre ceci encore, jusqu’à faire, assez mauvaisement, sortir de l’homme la femme. Nous remontons réellement tout cela, et, soyons grossier puisqu’il le faut ! nous recollons tout ce qui avait été séparé, et parce que tel est notre seul outil, nous recollons tout cela à l’oubli. Nous les recollons une à une, ces séparations imbéciles, peut-être même pas dans l’ordre exact des versets, d’ailleurs, ni dans son ordre inverse, nous sommes plus chaotique que cela, et je vais vous dire pourquoi : parce que la destruction ne s’embarrasse pas des plans de l’architecte. Nous ramènerons Dieu même à son néant, et son Verbe avec lui, et l’Incarnation de son Verbe avec lui. Il n’y a plus le choix, notre volonté propre n’y sera même pour rien, car elle aussi, avec tout son fatras de péché et de libre-arbitre, nous la faisons disparaître au chaos. Qui ne voit que déjà, nous avons dépassé sans retour le moment de la première tentation, et de l’Arbre de la Connaissance du bien et du mal, sans parler même du premier meurtre, c’est-à-dire du premier parricide ? Laissez-nous rire. Qui ne voit que cette destruction que nous parons chaque jour des délices supposées de la création et du progrès ne nous mène aux contrées de l’innocence primordiale, édénique ? Et l’on viendra encore nous dire que je ne suis pas un garçon tout ce qu’il y a de plus pacifique. Oh, je sais bien qu’aucune civilisation jamais n’a pu se passer de ce que les hommes, depuis peu – et devinez grâce à qui ? appellent une religion, et qui leur fut la Vérité. Mais enfin, si l’on a pu lui inventer son aune, à celle-là, sans doute est-ce qu’elle n’était pas absolue… Mais que l’on se rassure, une autre vient, plus jeune, plus forte, une vérité intangible qui ne se soutient pas de l’esprit mais de la lettre pure, bornée. Mais chut… Regardez-moi bien, regardez. Je n’existe même pas, mes paroles flottent seules dans l’air vicié de vos villes, à moins que ce ne soit en vos cerveaux qui déjà me sont acquis, et il n’est pas certain que vous les oyiez vraiment, et vous-même, peut-être n’êtes-vous tout simplement pas là, faute de là ?

  • Jarry 1899

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    Deux extraits d’Ubu enchaîné (1899), d’Alfred Jarry. Pièce d’abord annoncée sous le titre d’Ubu esclave, et qui narre l’arrivée du couple Ubu en France…

    D’abord la fin de la première scène de l’Acte I :

     

    MERE UBU. – Oublie comme moi ces petites misères. Mais de quoi vivrons-nous si tu ne veux plus être Maître des Finances ni roi ?

    PERE UBU. – Du travail de nos mains, Mère Ubu !

    MERE UBU. – Comment, Père Ubu, tu veux assommer les passants ?

    PERE UBU. – O non ! Ils n’auraient qu’à me rendre les coups ! Je veux être bon pour les passants, être utile aux passants, travailler pour les passants, Mère Ubu. Puisque nous sommes dans le pays où la liberté est égale à la fraternité, laquelle n’est comparable qu’à l’égalité de la légalité, et que je ne suis pas capable de faire comme tout le monde et que cela m’est égal d’être égal à tout le monde puisque c’est encore moi qui finirai par tuer tout le monde, je vais me mettre esclave, Mère Ubu !

    MERE UBU. – Esclave ! mais tu es trop gros, Père Ubu !

    PERE UBU. – Je ferai mieux la grosse besogne. Et vous, madame notre femelle, allez nous préparer notre tablier d’esclave, et notre balai d’esclave, et notre boîte à cirer d’esclave, et vous, restez telle que vous êtes, afin que chacun voie à n’en pas douter que vous avez revêtu votre beau costume de cuisinière esclave !

     

    Et voici la suite, à savoir la deuxième scène (en intégralité) de ce premier acte ; la scène est au Champ de mars, les personnages sont : Les Trois Hommes Libres (quelle idée formidable d’avoir fait, pour la lecture au moins, un seul personnage de ces trois-là), Le Caporal.

     

    LES TROIS HOMMES LIBRES. – Nous sommes les hommes libres, et voici notre caporal. – Vive la liberté, la liberté, la liberté ! Nous sommes libres. – N’oublions pas que notre devoir, c’est d’être libres. Allons moins vite, nous arriverions à l’heure. La liberté, c’est de ne jamais arriver à l’heure – jamais, jamais ! pour nos exercices de liberté. Désobéissons avec ensemble… Non ! pas ensemble : une, deux, trois ! le premier à un, le deuxième à deux, le troisième à trois. Voilà toute la différence. Inventons chacun un temps différent, quoique ce soit bien fatigant. Désobéissons individuellement – au caporal des hommes libres !

    LE CAPORAL. – Rassemblement ! (Ils se dispersent.) Vous, l’homme libre numéro trois, vous me ferez deux jours de salle de police, pour vous être mis, avec le numéro deux, en rang. La théorie dit : Soyez libres ! – Exercices individuels de désobéissance… L’indiscipline aveugle et de tous les instants fait la force principale des hommes libres. – Portez… arme !

    LES TROIS HOMMES LIBRES. – Parlons sur les rangs. – Désobéissons. – Le premier à un, le deuxième à deux, le troisième à trois. – Une, deux, trois !

    LE CAPORAL. – Au temps ! Numéro un, vous deviez poser l’arme à terre ; numéro deux, la lever la crosse en l’air ; numéro trois, la jeter six pas derrière et tâcher de prendre ensuite une attitude libertaire. Rompez vos rangs ! Une, deux ! une, deux ! (Ils se rassemblent et sortent en évitant de marcher au pas.)