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Politique - Page 25

  • Bienpensance et "pédagogie" versus espérance

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    En causant avec elle, Winston se rendit compte à quel point il était facile de présenter l’apparence de l’orthodoxie sans avoir la moindre notion de ce que signifiait l’orthodoxie. Dans un sens, c’est sur les gens incapables de la comprendre que la vision du monde qu’avait le Parti s’imposait avec le plus de succès. On pouvait leur faire accepter les violations les plus flagrantes de la réalité parce qu’ils ne saisissaient jamais entièrement l’énormité de ce qui leur était demandé et n’étaient pas suffisamment intéressés par les événements publics pour remarquer ce qui se passait. Par manque de compréhension, ils restaient sains. Ils avalaient simplement tout, et ce qu’ils avalaient ne leur faisait aucun mal, car cela ne laissait en eux aucun résidu, exactement comme un grain de blé, qui passe dans le corps d’un oiseau sans être digéré.

     

    Orwell, 1984

  • Nihilisme actif

    Big Brother, comme opération sur la langue, est aujourd’hui disséminé partout.

    (Orwell se serait beaucoup trompé… Il se trouve même de bonnes âmes pour le lui reprocher.)

     

    Les trois slogans officiels de Big Brother se présentent avant tout comme des définitions.

    La guerre c’est la paix.

    La liberté c’est l’esclavage.

    L’ignorance c’est la force.

    Big Brother a très bien pensé l’ordre de ses slogans.

    Les deux premiers obéissent à la même « logique ».

    Une chose est définie par son contraire.

    Si la guerre est la paix, alors la paix est la guerre, et il n’y a donc plus ni guerre ni paix. Si la liberté est l’esclavage, alors l’esclavage est la liberté, et il n’y a plus ni esclavage ni liberté.

    Mais surtout, les mots n’ont plus de sens. Leur sens est suspendu. La définition s’annule elle-même au fond, ne conserve que sa forme. C’est un principe actif de néantisation.

    On peut alors amener le troisième slogan-« définition ».

    L’ignorance c’est la force.

     

    Il n’y a de toute façon que ce que Big Brother dit qu’il y a.

     

     

     

     

    (Lire aussi :

    Bref passage de Thomas Jefferson.)

  • Bref passage de Thomas Jefferson

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    Et l’on pouvait prévoir qu’avec le temps les caractéristiques spéciales du novlangue deviendraient de plus en plus prononcées, car le nombre de mots diminuerait de plus en plus, le sens serait de plus en plus rigide, et la possibilité d’une impropriété de termes diminuerait constamment.

    Lorsque l’ancilangue aurait, une fois pour toutes, été supplanté, le dernier lien avec le passé serait tranché. L’Histoire était récrite, mais des fragments de la littérature du passé survivraient çà et là, imparfaitement censurés et, aussi longtemps que l’on gardait l’ancilangue, il était possible de les lire. Mais de tels fragments, même si par hasard ils survivaient, seraient plus tard inintelligibles et intraduisibles.

    Il était impossible de traduire en novlangue aucun passage de l’ancilangue, à moins qu’il ne se référât, soit à un processus technique, soit à une très simple action de tous les jours, ou qu’il ne fût, déjà, de tendance orthodoxe (bienpensant, par exemple, était destiné à passer tel quel de l’ancilangue au novlangue).

    En pratique, cela signifiait qu’aucun livre écrit avant 1960 environ ne pouvait être entièrement traduit. On ne pouvait faire subir à la littérature prérévolutionnaire qu’une traduction idéologique, c’est-à-dire en changer le sens autant que la langue. Prenons comme exemple un passage bien connu de la Déclaration de l’Indépendance :

     

    « Nous tenons pour naturellement évidentes les vérités suivantes : Tous les hommes naissent égaux. Ils reçoivent du Créateur certains droits inaliénables, parmi lesquels sont le droit à la vie, le droit à la liberté et le droit à la recherche du bonheur. Pour préserver ces droits, des gouvernements sont constitués qui tiennent leur pouvoir du consentement des gouvernés. Lorsqu’une forme de gouvernement s’oppose à ces fins, le peuple a le droit de changer ce gouvernement ou de l’abolir et d’en instituer un nouveau. »

    Il aurait été absolument impossible de rendre ce passage en novlangue tout en conservant le sens originel. Pour arriver aussi près que possible de ce sens, il faudrait embrasser tout le passage d’un seul mot : crimepensée. Une traduction complète ne pourrait être qu’une traduction d’idées dans laquelle les mots de Jefferson seraient changés en un panégyrique du gouvernement absolu.

    Une grande partie de la littérature du passé était, en vérité, déjà transformée en ce sens. Des considérations de prestige rendirent désirable de conserver la mémoire de certaines figures historiques, tout en ralliant leurs œuvres à la philosophie de l’angsoc. On était en train de traduire divers auteurs comme Shakespeare, Milton, Swift, Byron, Dickens et d’autres. Quand ce travail serait achevé, leurs écrits originaux et tout ce qui survivait de la littérature du passé seraient détruits.

    Ces traductions exigeaient un travail lent et difficile, et on pensait qu’elles ne seraient pas terminées avant la première ou la seconde décennie du XXI° siècle.

    Il y avait aussi un nombre important de livres uniquement utilitaires – indispensables manuels techniques et autres – qui devaient subir le même sort. C’était principalement pour laisser à ce travail de traduction qui devait être préliminaire, le temps de se faire, que l’adoption définitive du novlangue avait été fixée à cette date si tardive : 2050.

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     Fin de l’appendice, intitulé « Les principes du novlangue », achevant réellement le roman 1984 de George Orwell. Etonnant, non ? de voir passer là Thomas Jefferson, rédacteur de la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique et plus tard, fondateur du Parti Républicain. Déclaration d’égalité des droits et présence du Créateur ; on est en 1776, un avant la Constitution des Etats-Unis, treize ans avant la Révolution française. 1984 fut écrit entre 1945 et 1948.

    Pour le reste, nous en venons en France aujourd’hui à traduire Molière, mais dans la langue de qui ?

  • La République contre le français ?

    Information trouvée sur L’annexe, le blog de Jean-Jacques Nuel :

     

    *

     

    (Cette déclaration a été votée à l'unanimité par les membres de l'Académie française dans sa séance du 12 juin 2008).

     

    Depuis plus de cinq siècles, la langue française a forgé la France. Par un juste retour, notre Constitution a, dans son article 2, reconnu cette évidence : « La langue de la République est le français ».

    Or, le 22 mai dernier, les députés ont voté un texte dont les conséquences portent atteinte à l’identité nationale. Ils ont souhaité que soit ajoutée dans la Constitution, à l’article 1er, dont la première phrase commence par les mots : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », une phrase terminale : « Les langues régionales appartiennent à son patrimoine ».

    Les langues régionales appartiennent à notre patrimoine culturel et social. Qui en doute ? Elles expriment des réalités et des sensibilités qui participent à la richesse de notre Nation. Mais pourquoi cette apparition soudaine dans la Constitution ?

    Le droit ne décrit pas, il engage. Surtout lorsqu’il s’agit du droit des droits, la Constitution.

    Au surplus, il nous paraît que placer les langues régionales de France avant la langue de la République est un défi à la simple logique, un déni de la République, une confusion du principe constitutif de la Nation et de l’objet d'une politique.

    Les conséquences du texte voté par l'Assemblée sont graves. Elles mettent en cause, notamment, l’accès égal de tous à l'Administration et à la Justice. L'Académie française, qui a reçu le mandat de veiller à la langue française dans son usage et son rayonnement, en appelle à la Représentation nationale. Elle demande le retrait de ce texte dont les excellentes intentions peuvent et doivent s'exprimer ailleurs, mais qui n'a pas sa place dans la Constitution.

     

     

     

    Voir aussi, à propos de l’Académie française, le billet titré 1984 ; et sur (pour partie) l’article 2 de la Constitution, le billet titré Du devoir d’insubordination.