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Culutre - Page 2

  • Crachoir

    Il pensait s’être retrouvé dans ce café très mondain par hasard et se mentait tranquillement. Son rendez-vous s’était le plus simplement du monde décommandé à l’heure exacte d’arriver, ce qu’il avait très servilement accepté, avec sa résignation coutumière. Il ne lui serait jamais venu à l’esprit de mentionner ses deux heures trente de trajet, train plus métro, ni leur coût. Il ne se sentait même pas humilié, il se disait juste qu’il devrait se sentir tel.

    Il faisait semblant de relire son dossier, son projet. Cette fois il avait fait tout ce qu’il fallait et ça n’empêcherait certainement rien de foirer. Et peut-être tant mieux.

    La conversation de tous ses voisins de table tendait à prouver que ce milieu chic et toc était exclusivement un concours de bassesse et de vulgarité, et qu’on pouvait forer très loin. Ubu propre. Ces gens autour de lui avec leur beau jargon technique lui semblaient les outils haut de gamme permettant de forer plus bas, toujours plus bas. Le pire était sans doute qu’il rechignait de moins en moins à concourir lui-même. Puisque cela fonctionnait ainsi. Quoi qu’il concourût mal. Il se demanda qui finalement organisait ce concours, mais il ne trouva pas de réponse qu’un slogan pût contenir ; rien d’utilisable aujourd’hui, en somme.

    Mais tout cela ne l’affectait pas réellement. La réalité serait de plus en plus brutale et insupportable, certes ; mais les moyens de se prémunir contre elle seraient de plus en plus nombreux et efficaces – stupéfiants d’ordres variés. Il était même difficile de savoir quel était le poison, quel le contrepoison – et donc, qui avait un coup d’avance sur l’autre. Les gens autour de lui s’occupaient de ce genre d’affaires, mais le savaient-ils seulement ? Et il pensa qu’il lui serait parfaitement indifférent, par exemple, qu’on les pende tous demain.

    Comme l’école, la culture était simplement devenue un formidable moyen d’abrutissement des masses, capable de donner aux personnes les plus faibles – qui deviendraient artistes, etc… – l’illusion de leur affranchissement. Elle était la nouvelle machine à décerveler. Raison pour laquelle le pouvoir faisait fonctionner à plein sa belle pompe à phynances toute trouée. Les plus chiens, les plus cyniques atteindraient, non sans marcher en coulisses sur la gueule de leurs confrères, les postes les plus hauts à coups de grands discours égalitaristes et transparentistes. Les sincères, les convaincus, corvéables à merci, dealeraient la came, fabriqueraient à grand-peine quelques accros avant de crever plus prolos qu’au départ ; il y aurait bien sûr, çà et là, des dépressions, mais leur cause presque unique ne serait jamais tirée au clair.

    Il sortit et alluma une cigarette. Vraiment, qu’est-ce qu’il avait à foutre de tout cela ?

     

    Dans les bacs d’occasions d’un libraire, il acheta La Mort de Pompée en vieux Classiques Larousse, pour 25 centimes d’euro. Il demanda un paquet cadeau. La vendeuse se demanda s’il était cinglé ou radin, ou les deux ; et dit : – Vous plaisantez ? Il répondit : – C’est votre faute. J’achète un chef d’œuvre 25 centimes et la moindre merde coûte cent fois ça. Vous voulez que j’offre une merde ?

  • Rire ou ne pas rire

    1251785707.jpg– Ce qui est épatant, c’est que des gens avec lesquels tu ne serais d’accord sur rien, mais alors sur rien, trouvent quand même le spectacle épatant…

    – C’est normal. Que je sois d’accord ou non avec mes personnages n’a aucune importance ; et même, ne regarde pas les gens. Pas davantage que je ne suis là pour raconter ma vie, je ne suis là pour exprimer ma petite pensée personnelle.

    – Mais il y a des moments où ils doivent se sentir visés, non ? Surtout les gens du milieu culturel…

    – Quand ils se sentent visés, les imbéciles le prennent pour eux et ainsi, se trahissent ; n’importe quel type normal trouve que j’ai raison (si l’on rit en effet), et qu’il peut être d’accord avec moi parce que lui-même fait exception à la critique formulée. Il en sort même grandi.

    – Ce qui n’est pas moins imbécile, au fond.

    – C’est toi qui l’as dit.  

    – Une même chose représentée, pour peu qu’elle ait un minimum de fond, peut-être comprise de deux façons opposées. Et entre ces deux-là, il y a encore toute la gamme. Le cas d’école, c’est l’Antigone d’Anouilh, en 1944. C’est la conclusion un peu girardienne à laquelle je suis finalement arrivé avec Rotrou (1).

    – La seule chose réellement importante, ce n’est pas de savoir si l’on est ou pas d’accord avec l’auteur, c’est de savoir si l’auteur parle de choses importantes…

    – C’est la seule chose ?

    – Non, il y a l’humour. Pas nécessairement pour faire rire « professionnellement » les gens, d’ailleurs. Je crois que l’humour opère à lui seul la première division politique.

    – Un exemple ?

    – Houellebecq. Je suis rarement d’accord avec ce qu’il raconte (ce qui ne signifie pas, d’ailleurs, qu’il pense effectivement ce qu’il raconte, et donc que je puisse savoir ce qu’il pense). Mais c’est un écrivain qui ne parle que de choses importantes. Et qui a, je trouve, beaucoup d’humour. Un type en somme qui n’a pas peur de ses contradictions, en joue, les écarte même plutôt qu’il ne cherche à les résoudre, jusqu’à faire entrevoir, sinon pas voir, l’abîme sous elles, etc.

    – Et les choses importantes, pour toi ?

    – Les choses qui existent dans la réalité, d’abord. Le reste, je m’en fous. N’importe quelle chose, je crois, peut devenir importante, même une chose infime (ah ! Gombrowicz…), si on ne s’arrête pas à la simple monstration de l’effet, mais si on descend aux causes. Aux monstruosités des causes. Dès qu’on descend aux causes, ça peut faire mal. Il faut anesthésier à l’humour. Et descendre encore...

     

    J’ajoutai :

    – Ils rient, les gens. Mais ils peuvent aussi vous en vouloir pour cela…

     

    Je suis dans une veine complaisante, ce soir, dirait-on.

     

     

     

     

     

     

    (1) Voir la fin du texte, partie IV.

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    A lire ici, sur la notion de Culutre :

    En-jeu.

    Interview. Programme : No private joke.

    Rappel : Culutre.

    A lire ici, extraits du texte :

    1. Mission de sévice public.

    3. Saturne, le Touriste et son bébé.

    6. Défense et Illustration du Sinistère de la Culutre 1.

    6. Défense et Illustration du Sinistère de la Culutre 2.

    6. Défense et Illustration du Sinistère de la Culutre 3.

    10. La fin du Pain dur.

     

     

  • Défense et Illustration du Sinistère de la Culutre (3)

    Suite et fin de la mise en ligne de la saynète Défense et Illustration du Sinistère de la Culutre, tirée de Pour une Culutre citoyenne ! Liens :

    Défense et Illustration du Sinistère de la Culutre (1)

    Défense et Illustration du Sinistère de la Culutre (2)

     

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    LE CONSEILLER. – Et c’est ainsi, Madame la Ministre, que nous pénétrâmes au cœur de la plus grande entreprise de perversion jamais réalisée.

    LE MINISTRE. – Oui. C’est un effondrement institué.

    LE CONSEILLER. – Et qui fonctionne formidablement.

    LE MINISTRE. – J’ai toujours pensé que Jack Loche était un agent soviétique.

    LE CONSEILLER. – Peut-être même pas. Un imbécile convaincu est le plus précieux des criminels. Précisément parce qu’il est innocent.

    LE MINISTRE. – Et moi, il faut que je poursuive ces horreurs-là ?

    LE CONSEILLER. – Nous n’en sommes plus là.

    LE MINISTRE. – La guerre froide est terminée, je suis au courant.

    LE CONSEILLER. – Mais les imbéciles ne changent pas d’avis.

    LE MINISTRE. – Comment fait-on pour revenir en arrière ?

    LE CONSEILLER. – On ne peut pas. Il y a la continuité du service public qui est rectiligne comme la flèche du temps, et par bonheur, la République qui transcende tout, et intègre en son sein jusqu’à sa destruction même.

    LE MINISTRE. – Amen.

    LE CONSEILLER. – Raison pour laquelle il faut continuer de citer la belle phrase de ce brave Malraux, Madame la Ministre.

    LE MINISTRE. – Je serai donc soviétique. Ce n’est pas parce que c’est de l’art que la République le défend, c’est parce que la République le défend que c’est de l’art.

    LE CONSEILLER. – Vous êtes douée.

    LE MINISTRE. – Merci.

    LE CONSEILLER. – Pour le reste, un peu de rhétorique : Employez souvent les mots d’innovation et de technologie, tout ira bien. Ajoutez aussi : au service de la création. Etc.

    LE MINISTRE. – Nous sommes sur le marché, allelluiah.

    LE CONSEILLER. – C’est le dossier qui doit vendre. Il est votre publicité. N’importe quelle pacotille surnavrante est un chef d’œuvre putatif. C’est important.

    LE MINISTRE. – A nous donc d’organiser la compétition la plus sauvage entre toutes ces merdes réellement analphabètes et prétendument subversives.

    LE CONSEILLER. – Exact. La première phase décentralisée d’abrutissement et d’analphabétisation étant un franc succès, nous avons déjà entrepris de nous retirer progressivement d’un peu partout, Madame la Ministre.

     

    *

     

    LE MINISTRE. – J’entrevois la solution, à présent.

    Il faut laisser ces équarisseurs de toute intelligence s’étriper à mort entre eux ; qu’ils soient prêts à se marcher sur la gueule les uns les autres pour fourguer leur brave petite moraline humanitaire à la con.

    Je veux, oui, qu’ils se comportent comme les pires crapules du libéralisme le plus déchaîné pour vendre à des spectateurs pré-achetés les sirupeuses douceurs de la tolérance et de l’égalité pour tous !

    Je veux qu’ils fassent tous très exactement le contraire de ce qu’ils disent ; je veux que les petits crèvent et que les gros engraissent, et que les spectacles des gros défendent en théorie et à grande eau ces mêmes petits qu’ils ont eux-mêmes écrabouillés en pratique et dans le sang ! Je veux aussi que tous ces imbéciles soient propres et laids et honnêtes comme les représentants de ces labos pharmaceutiques qui exterminent en Afrique pour vendre en Occident l’hygiène et la santé.

    Je veux, oui, que ces ectoplasmes d’artistes rivalisent de sourire et de sympathie et de compréhension et aussi de gentillesse, et que le plus atroce de ces marchands de lieux-communs gauchistes monte en rampant les marches menant à mon bureau à moi, Micheline Broutard.

    Je veux que le plus anti-capitaliste de ces spectacles imbéciles soit jugé au nombre de représentations vendues et qu’au surplus il serve à maintenir son public dans la torpeur molle de bonne conscience idiote où il baigne depuis déjà trente ans.

    Je veux un pays où chaque écolier rêve d’être artiste pour faire un jour caca par terre devant mille ahuris criant au génie et à la subversion parce que c’est écrit dans le programme.

    Je veux que pas un homme sensé ne foute les pieds dans un théâtre. Ou pas deux fois. Et je ne veux plus d’hommes sensés non plus.

    Je veux coter la merde culturelle en bourse, et que le plus petit prolo soit fier d’être actionnaire à deux balles.

    Et moi, moi, moi-je veux aller chaque soir au spectacle pour jouir de cette ordure.

    Vous voudrez bien parfois m’accompagner, Saint-Foin ?

    LE CONSEILLER. – Je ne vais jamais au spectacle, Madame la Ministre.

    LE MINISTRE. – Ah. Et vous faites quoi de vos soirées ?

    LE CONSEILLER. – Je lis Shakespeare.

  • Défense et Illustration du Sinistère de la Culutre (2)

     

     

     

    Lien : Défense et Illustration du Sinistère de la Culutre (1).

    Voici donc la deuxième partie de cette saynète tirée de Pour une Culutre citoyenne ! La troisième, et dernière, ne tardera guère.

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    LE MINISTRE. – Bien. Mon vieux Saint-Foin, appelez-moi Micheline et soyez sincère : quelle est ma marge de manœuvre ?

    LE CONSEILLER. – Nulle, Madame la… Micheline. Le programme est sur ses rails, suivez le programme. Sinon, Micheline, vous ne pourrez que dérailler ; je veux dire : vous exposer inutilement à la vindicte artistico-médiatique.

    LE MINISTRE. – Mais tout de même, si l’idée me prenait d’être une Ministresse exemplaire et marquant de son sceau la fonction ?

    LE CONSEILLER. – Le complexe de Malraux, quoi : dangereux. Les ministères sont brefs, et la continuité du service public donne la part belle à l’Administration, laquelle s’y entend pour freiner car, telle un char d’assaut, son poids convertit la lenteur en puissance. Si vous me permettez cette envolée.

    LE MINISTRE. – Je me sens là comme un fusible dans un étau. Pour autant que ça veuille dire quelque chose. Donnez-moi un conseil.

    LE CONSEILLER. – Défensivement, soyez un fusible qui ne se fait pas sauter. Offensivement, suivez toujours le programme, mais accélérez où c’est possible.

    LE MINISTRE. – Ce programme, il est écrit ? Vous l’avez ? On le trouve où ?

    LE CONSEILLER. – Nulle part, fort heureusement. Au mieux peut-on le déduire de ce qui arrive.

    LE MINISTRE. – Vous pensez que je suis foutue d’avance, n’est-ce pas ?

    LE CONSEILLER. – Non, car il n’est pas trop tard pour ne rien faire et se fondre à la grisaille.

    LE MINISTRE. – Expliquez-moi ce putain de programme, bordel de merde, Saint-Foin. Parce que moi, Micheline Broutard, incrédule et naïve comme je suis, j’en suis restée à la phrase de Malraux : rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité

    LE CONSEILLER. – Oui, oui, je vois bien où vous en êtes. C’était une utopie séduisante ; mais comme toutes les utopies, la réalité l’a retournée en cauchemar. Et notre job, c’est de rendre le cauchemar séduisant.

    LE MINISTRE. – Comment a-t-on fait ce retournement ?

    LE CONSEILLER. – Très simplement. On n’a bien sûr rien changé à la phrase du vieillard. De sorte que vous pourrez encore la citer…

    LE MINISTRE. – C’est déjà ça : je ne connais que celle-là.

    LE CONSEILLER. – Non, on a simplement étendu la notion d’œuvre capitale de l’humanité à strictement tout ce qui se torche sous le ciel. Ce fut le coup de génie du Ministre Jack Loche.

    LE MINISTRE. – C’est atroce. Un exemple ?

    LE CONSEILLER. – Un connard écrit sur un mur (avec ou sans fautes, on s’en fout) la phrase éminemment poétique : J’encule ta mère. Ca dérange le bourgeois. Or, en son temps, Molière dérangeait le bourgeois, ou son équivalent à particule. Donc ce connard pourrait être le Molière d’aujourd’hui.

    LE MINISTRE. – Ce n’est qu’un syllogisme éculé.

    LE CONSEILLER. – C’est un raisonnement imparable.

    LE MINISTRE. – Vous trouvez vraiment ça imparable, vous ?

    LE CONSEILLER. – A la vitesse de l’approximation journalistique, ça l’est, vous pouvez me croire. Et donc, ce connard, on l’embarque : on l’achète, on le produit, on le défend contre les vilains réactionnaires, on le vend un peu partout, il fait école, on décline le concept en chanson technovulgaire, en jonglage innovant, en cirque impopulaire et emmerdant, en chorégraphie animalière, et voilà qu’il se met à nous pousser des chiées de petits Molière dans toute la France, de Dunkerque à Tamanra… à Ajaccio et de Choisy-le-Roi à Bourg-la-Reine. Et là, jackpot numéro un ! tout est devenu anonyme, c’est-à-dire égalitaire et progressiste, tout le monde est artiste !

    LE MINISTRE. – Adieu Shakespeare, Molière, Tolstoïevski, balayées les vieilles lunes élitistes !

    LE CONSEILLER. – Tout à fait, Micheline ! Mais voilà le jackpot numéro deux : La Culture d’un seul coup fusionne avec l’Education Nationale. Leur mission est la même : Imbécilliser la Nation par analphabétisation progressive. – A quoi bon lire encore Molière, les gars, puisque nous en fabriquons deux cents par an, qui ne demandent pas le niveau de compréhension d’un gamin de dix ans puisque tout est écrit en novlangue caca ? Tenez, emmenez donc plutôt les enfants au spectacle, ça les changera des conneries de la télé et ils y verront la même chose.

    LE MINISTRE. – Ici, la mise est raflée en totalité. C’est atroce.

    LE CONSEILLER. – Mais oui, c’est ça ! Il n’y a plus aucun effort à faire, tout est déjà acquis, l’enfant est un créateur, il apprend au maître à se défaire de la raison, place à l’émotion pure. L’émotion ! Il faudrait être un monstre froid, n’est-ce pas ? pour être contre l’émotion. Et pure, en plus ; je veux dire : infantile.

    LE MINISTRE. – Place à la subversion officielle.

     

     

     

    (A suivre...)