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Bible - Page 2

  • Un poème de la modernitude

    Courte et triste est notre vie ;

    il n’y a pas de remède lors de la fin de l’homme

    et on ne connaît personne qui soit revenu de l’Hadès.

    Nous sommes nés du hasard,

    après quoi nous serons comme si nous n’avions pas existé.

    C’est une fumée que le souffle de nos narines,

    et la pensée, une étincelle qui jaillit au battement de notre cœur ;

    qu’elle s’éteigne, le corps s’en ira en cendre

    et l’esprit se dispersera comme l’air léger.

    Avec le temps, notre nom tombera dans l’oubli,

    nul ne se souviendra de nos œuvres ;

    notre vie passera comme les traces d’un nuage,

    elle se dissipera comme un brouillard

    que chassent les rayons du soleil

    et qu’abat sa chaleur.

    Oui, nos jours sont le passage d’une ombre,

    notre fin est sans retour,

    le sceau est apposé et nul ne revient.

     

    Venez donc et jouissons des biens présents,

    usons des créatures avec l’ardeur qui sied à la jeunesse.

    Enivrons-nous de vins de prix et de parfums,

    ne laissons point passer la fleur du printemps,

    couronnons-nous de boutons de roses avant qu’ils ne se fanent,

    qu’aucune prairie ne soit exclue de notre orgie,

    laissons partout des signes de notre liesse,

    car telle est notre part, tel est notre lot !

    Opprimons le juste qui est pauvre,

    n’épargnons pas la veuve,

    soyons sans égard pour les cheveux blancs chargés d’années du vieillard.

    Que notre force soit la loi de la justice,

    car ce qui est faible s’avère inutile.

    Tendons des pièges au juste, puisqu’il nous gêne

    et qu’il s’oppose à notre conduite,

    puisqu’il nous reproche nos péchés contre la Loi

    et nous accuse de péchés contre notre éducation.

    Il se flatte d’avoir la connaissance de Dieu

    et il se nomme enfant du Seigneur.

    Il est devenu un blâme pour nos pensées,

    sa vue même nous est à charge ;

    car son genre de vie ne ressemble pas aux autres

    et ses sentiers sont tout différents.

    Nous comptons pour lui comme de la fausse monnaie,

    et il s’écarte de nos chemins comme d’impuretés.

    Il proclame heureux le sort final des justes

    et il se vante d’avoir Dieu pour père.

    Voyons si ses dires sont vrais,

    expérimentons ce qu’il en sera de sa fin.

    Car si le juste est fils de Dieu, Celui-ci l’assistera

    afin de connaître sa douceur

    et d’éprouver sa résignation.

    Condamnons-le à une mort honteuse,

    puisque, à l’entendre, il sera visité. 

     

    Ce poème fut écrit en grec dans la première moitié du premier siècle avant Jésus-Christ, probablement à Alexandrie.

    Son auteur nous est inconnu.

    On peut lire l’intégralité de ce poème dans la plupart des Bibles chrétiennes. Il a pour titre Sagesse de Salomon (chez les Grecs), ou simplement Sagesse (liber sapientiae, selon la Vulgate). Il ne figure pas dans l’Ancien Testament des juifs, les protestants en font un apocryphe.

    La présente traduction est celle d’Emile Osty et Joseph Trinquet (Bible Osty).

    Quant au passage cité, il est introduit ainsi :

     

    Mais les impies appellent la mort du geste et de la voix ;

    la tenant pour amie, pour elle ils se consument,

    avec elle ils font un pacte,

    dignes qu’ils sont de lui appartenir.

     

    Car ils disent entre eux, dans leurs faux calculs :

     

    Le premier passage cité ici relate donc la parole de ces impies ayant fait un pacte avec la mort.

    La modernité n’est pas du tout récente ; c’est une très ancienne saloperie.

    Et rien ne la contient plus.

     

     

     

     

  • Contre Novarina

    En écrivant tout à l’heure, sans crayon ni papier, dans un café perdu au milieu des déambulations des acheteurs de Noël, le billet qui précède, j’ai repensé à quelque boutade que j’ai pris l’habitude d’opposer à quiconque me demande ce que je pense du théâtre, ou de la poésie, de Valère Novarina, lequel, pour tout vous dire, m’attire et me repousse également :

    – Et tu penses quoi de Novarina ?

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  • Rentrée littéraire (3), un peu de finesse

     

     

     

     

     

    Un jeune homme rend visite au vénérable rabbin de Kovno et se présente comme un libre-penseur.

    – Avez-vous étudié la Bible avec attention ?

    – Non, répond le libre-penseur.

    – Avez-vous étudié la philosophie juive ?

    – Non, Rabbi.

    – Alors, dit le rabbin, vous naviguez sous un faux pavillon. Vous n’êtes pas un libre-penseur mais un ignorant.

     

    H. R. Rabinowitz, Kosher Humor

     

    Kosher Humor.jpg

     

    Trouvé par hasard, perdu aux étals de la rentrée littéraire, ce petit livre publié chez Allia. Dans sa brève préface de 1977 (Jerusalem 15 Shvat 5737), l’auteur explique son titre par le fait que ces histoires, ces blagues sont authentiquement juives. Mais surtout :

    « Le choix du titre, Kosher Humor, est judicieux. Le mot kosher (cacher) apparaît une fois seulement dans la Bible, mais est fréquemment mentionné dans le Talmud. Dans son acception biblique, il signifie correct, convenable, comme dans le livre d’Esther (8 :5). Il est utilisé ici dans ce sens. Toutes les histoires rapportées sont correctes, propres, sans aucune allusion à quelque chose de vulgaire. Elles conviennent aux grands-parents comme aux petits-enfants. »

    Voilà qui se démarque fortement du restant de la production normative de cette atroce rentrée littéraire nombrilo-transgressive.

    Pour être drôle et rester convenable, il faut être très fin.

     

    La finesse, vertu oubliée ?

     

     

  • Fictions pourries

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    On ne peut pas dire que la philosophie, qui s’est au fil des siècles modernes toujours plus éloignée de son étymologie, en soit venue à proposer aux hommes une façon simple de vivre. Elle aussi s’est technicisée et spécialisée, jusqu’à devenir une discipline parmi tant et tant d’autres, et n’est plus guère accessible qu’à ses techniciens et spécialistes, lesquels, barrant de leur jargon en expansion constante tout accès au profane, semblent entre eux divisés en factions rivales se livrant, comme exactement partout ailleurs, à une course aux places et aux prix. Je me pâme évidemment chaque matin, dès le réveil, devant une telle sagesse.

    2014199219.jpgJe me repose donc de ma très rare fréquentation de ces phraseurs de long par quelques saines excursions en territoires théologiques, quoique je ne sois pas davantage théologien. Et c’est justement la lecture du Contre les païens de saint Athanase d’Alexandrie qui m’a inspiré ce premier paragraphe. Dès les premières pages, jusqu’à la toute fin, en exceptant peut-être quelques passages qui m’ont semblé répondre de façon presque exclusive aux querelles et combats de l’époque, le Contre les païens déploie, dans une langue assez simple, un très grand nombre de questions philosophiques, lesquelles – miracle – sont accompagnées de leur lisible et très sensée réponse.

    Et pourtant, les questions abordées ne sont pas si simples. A preuve que nos spécialistes et techniciens s’acharnent encore dessus, vainement, et d’abord parce qu’ils ont considérablement dégueulassé les énoncés à force de les tripatouiller dans tous les sens. Il y est question de l’homme et de Dieu, de l’être et du néant, du mal (qui n’a pas de substance propre), des désirs beaucoup, des agencements machiniques et délirants des désirs (pour parler contemporain), du Verbe et de son incarnation, de l’imagination, du libre-arbitre et de la volonté de l’homme… Il a même pu me sembler, mais j’exagère sans doute, comme à mon habitude, que toute la philosophie depuis Athanase s’était en somme amusée, quitte à finir par se tripoter seule, à explorer en long, en large, en travers, et surtout n’importe comment, pondant de longs traités, changeant la définition des termes selon ses intérêts – serviles ? – du moment, plaçant une négation où il n’y en était point, etc. ; s’était en somme amusée, dis-je, à explorer, développer, embrouiller, pervertir, et cela presque à l’infini, des questions qui sont traitées simplement et clairement en quelques lignes.

    Je me suis demandé pourquoi ? C’est certainement une erreur.

    Et je me suis dit ceci : Certes Athanase n’est pas, quoique nourri de culture grecque, d’abord un philosophe. Pour raisonner, pour déployer sa logique, il s’appuie sur la Bible. Donc il fait de la théologie (quelle idée). D’accord. On peut donc se dire, Athanase n’est pas philosophe puisqu’il s’appuie ouvertement sur un texte poétique, la Bible – en l’espèce, celle des Septante –, c’est-à-dire sur une fiction, pour fonder sa logique, qui donc est théo-. 

    Mais j’aurais personnellement tendance à prendre le problème à l’envers. Et si toute pensée, parce qu’elle appartient à une civilisation, à un moment donné d’une civilisation, ne pouvait déployer sa logique profonde qu’en s’appuyant sur une fiction, je veux dire : sur une fiction de la Vérité. Et si le drame profond, insoluble parce que nié d’emblée, presque a priori, par les philosophies interminables en cours, de la pensée contemporaine était de ne pas savoir du tout sur quelle fiction au juste s’appuyer.

    Prenez-moi pour un imbécile, vous me ferez plaisir : je suis parfaitement au courant que de Dieu, nous serions passés à l’Homme. Mais cet Homme-là ne s’est pas trouvé de fiction universelle par quoi naître et sur laquelle tout le monde (ou presque) s’entende ; les déclarations de ses droits infinis et de ses quelques devoirs, du point de vue de la fiction poétique sont archinulles, de déjà confiner trop ouvertement au juridique, et d’un point de vue juridique sont d’une construction tellement niaise qu’elle devrait, si nous n’étions tombés dans la marmite tout petits, tout bonnement nous faire honte.

    De sorte que ce qui manque aux philosophes, ce n’est en aucun cas, l’intelligence, la rigueur ou le vocabulaire, c’est tout bonnement la fiction de la Vérité sur laquelle appuyer leur logique. Aussi se trouvent-ils tous contraint de palier au manque de cette fiction ; et tous y pallient bien sûr avec les moyens du bord et selon ce qui les arrange ; le plus souvent, me semble-t-il, en partant du principe que cette fiction existe, qu’elle est archi-connue, que son extension est immense, que la partie vaut pour le tout, et que donc, ils peuvent aussi bien s’appuyer sur ce morceau-là que sur ce morceau-là et inventer autant de concepts imbittables qu’ils en auront besoin ; après quoi la chose bien sûr finit en concurrence éparpillée, idiote et désastreuse, sans plus aucune unité, chacun ramenant un auteur célèbre ou inconnu, voire même tout à fait aberrant, s’appuyant sur l’Histoire selon Groucho Marx, ou le corps sans organes selon Artaud, ou la psychologie des profondeurs, ou l’ontologie poétique entr’aperçue des Grecs présocratiques, la logique maothématique selon Alain Badiou, ou sur n’importe quoi… Et me voilà revenu à mon premier paragraphe, au revoir, il est tard, je vais me coucher.