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Bible - Page 4

  • Mon nouveau patronyme

     

     

    J’ai réalisé ces jours-ci que mon nom avait changé.

    J’ai, en effet, depuis quelque temps semble-t-il, un nouveau patronyme. Il m’horripile, m’énerve et je le trouve détestable ; je le tiens néanmoins, hélas, dans l’exacte mesure où il ne me revient pas d’en décider, pour acquis.

    Je sais bien qu’il y a des patronymes sur la prononciation desquels, du fait de leur rareté ou d’une consonance étrangère, on s’interroge toujours. Je trouve même souvent admirable l’opiniâtreté légitime qu’ont certaines personnes à faire respecter une prononciation ancienne que nombre de leurs homonymes ont abandonnée depuis longtemps.

    Mais, jusqu’à ces derniers jours, je ne m’étais en rien senti concerné par ses soucis.

    Je me souviens plutôt, enfant, avoir été lassé, vite et souvent, des blagues de mes camarades, lesquels alors ne songeaient pourtant pas le moins du monde à passer pour érudits : – Alors, elle est où, Eve ? etc… Non plus je n’ai nul souvenir que mon père se fût jamais plaint, jusqu’à très récemment, avoir été nommé autrement que Adam.

    C’était un nom que l’on n’écorchait pas, ou seulement par plaisanteries enfantines, volontaires.

    C’est en grande partie grâce, ou à cause des téléphones portables – et précisément du fait de la ségrégation des appels que leur apparition opéra – que j’ai fini par prendre conscience de mon nouveau patronyme. Mes proches et mes collègues m’appelant désormais exclusivement sur cette pratique et tyrannique machine portable, le téléphone fixe de mon domicile semble abandonné, essentiellement aux heures de repas, à l’unique dévolu des « commerciaux » et sondeurs de tous poils. Lesquels, systématiquement, et sans l’ombre même d’une hésitation, m’appellent « Adame ».

    La « chose », sans doute, s’est installée lentement dans le cours des quinze dernières années, et elle est désormais très éloignée du toujours sympathique embarras des interlocuteurs étrangers devant un patronyme sur la prononciation duquel , respectueusement, ils hésitent ou même se trompent.

    Les « commerciaux » et sondeurs, bien sûr, ne sont pas seuls. J’ai ainsi récemment été nommé « Adame » par un officier d’état civil, un jour que j’étais témoin de mariage, par un tout jeune médecin dans une salle d’attente, par un professeur de mathématiques ou de physique (je ne sais plus trop), par un nombre conséquent d’agents immobiliers, et même par un prétendu écrivain des temps post-quedalle… Quoique je ne fréquente guère les offices religieux, je ne « désespère » pas qu’un prêtre quelque jour les imite, ayant récemment entendu l’un d’eux, au prétexte qu’il mariait un brave homme pratiquant à ses heures de loisirs le football, comparer d’une façon à la fois bassement racoleuse et objectivement imbécile les apôtres du Christ aux joueurs d’une « équipe de foot »…

    Les gens qui m’appellent ainsi sont en règle générale plus jeunes que moi, et comme je n’ai guère que trente-sept ans, je crains que leur nombre ne doive aller en augmentant tout le temps du reste de ma vie. Et la phrase banale et convenue : « Je m’appelle Adam » risque fort de ne bientôt plus valoir strictement que pour moi, tant le nombre des gens qui m’appellent autrement tend à croître. La lâcheté, la résignation, le passage du temps, comme aussi la détestation latente ou avouée du christianisme pourrait même tenter certains de mes homonymes d’accepter pour eux-mêmes la nouvelle prononciation de leur nom.

    Car Adam n’était pas seulement un nom très chrétien, c’était aussi un très vieux nom français, quoiqu’il existe évidemment, non sans raison, et sous d’autres prononciations, légitimes celles-ci, dans de très nombreuses autres langues.

    Mais ce n’est pas seulement parce qu’il me touche personnellement que je prends le temps de noter ici ce changement d’importance, c’est avant tout parce qu’il me semble symptomatique de notre basse époque.

     Il me touche personnellement certes, mais je ne suis pas le propriétaire de mon nom, contrairement à une idée reçue comme naturellement aujourd’hui ; j’en suis bien plutôt le gardien, et gardien temporaire. Car mon nom est avant tout un patronyme, c’est-à-dire le nom de mon père, et le nom de son père avant lui. J’ai avant tout à le conserver, et si possible, comme en telle parabole désormais oubliée, à le faire fructifier, seul moyen finalement de réellement le conserver.

    Ce n’est donc pas seulement mon nom qu’on écorche aujourd’hui, c’est également celui de mon père, et celui de son père avant lui ; et celui de mes enfants. Et au-delà encore, c’est ce que désigne dans l’histoire ce nom, en l’espèce celui, symbolique, du premier père de l’humanité.

    Un des tout premiers noms de la Bible. Et le premier nom d’homme à y paraître.

    Qu’on ne se méprenne pas. Je ne demande aucunement à ce qui reste de la laïcité républicaine de transmettre la foi chrétienne ou la foi juive, je lui demande tout bonnement 1. d’apprendre à lire le français aux enfants et 2. de ne pas nier quatre mille ans d’histoire parce que les fariboles religieuses de ces époques obscures n’ont pas l’heur de convaincre ces sommités de la connaissance que sont les actuels professeurs.

    Et même, personnellement, pour y revenir, je ne crois pas du tout qu’Adam ait été pour de vrai le premier homme, créé par Adonaï au sixième jour du monde, ainsi qu’il est dit dans le pourtant irremplaçable Livre de la Genèse. Non. Mais je crois que cette histoire est importante historiquement, que son rôle dans la formation de notre civilisation n’est absolument pas négligeable, et que toutes autres considérations, finalement, sont bonnes pour les chiottes.

  • Lire l'illisible (Elisabeth Bart)

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    Poursuite du vent.

    Il me paraît tout à fait au-dessus de mes forces de parler du très beau texte d’Elisabeth Bart, Le Qôhéléth, livre illisible. Après tant d’évidence, de clarté, de beauté, je me sens idiot et cela ne m’est pas un problème.

    J’ai toujours beaucoup aimé L’Ecclésiaste, puisque c’est de ce livre de la Bible qu’il est question. Je puis même dire que ce livre m’a fasciné. Mais pas seulement.

    C’est un livre qui ne vous lâche pas : sa violence, les questions qu’il vous pose, tournoient, assaillent, finalement réduisent en poussière vos maigres certitudes, vos navrantes et terrestres opinions, en somme tout ce que vous êtes socialement. Tout ce que vous croyez être.

    C’est un livre qui vous ramène à rien. A ce rien que nous sommes.

    C’est un livre, aussi, qui vous ramène à Dieu. Je le sais.

    Per speculum in aenigmate.

    Mais ces pauvres phrases (les miennes, hein), outre qu’elles sont idiotes, sont également inutiles.

    Si vous voulez pouvoir lire enfin, vraiment ce bref grand livre qu’est L’Ecclésiaste, je ne puis que vous recommander la lecture du texte d’Elisabeth Bart, que vous trouverez sur le site du Stalker.

     

  • Dans les ténèbres, par Léon Bloy

    I

    Le mépris

     

    Oh ! le délicieux, l’inappréciable refuge ! Rafraîchissement surnaturel pour un cœur tordu d’angoisse et de dégoût ! Le mépris universel, absolu, des hommes et des choses. Arrivé là, on ne souffre plus ou du moins on a l’espérance de ne plus souffrir. On cesse de lire les feuilles, on cesse d’entendre les clamitations du marécage, on ne veut plus rien savoir ni rien désirer que la mort. C’est l’état d’une âme douloureuse qui connaît Dieu et qui sait qu’il n’existe rien sur terre où elle se puisse appuyer en nos effroyables jours.

    Est-il nécessaire pour cela d’être devenu un vieillard ? Je n’en suis pas sûr, mais c’est tout à fait probable. Le mal est énorme, pensent les hommes qui n’ont pas dépassé soixante ans, mais il y a tout de même ceci ou cela et le remède n’est pas impossible. On ne se persuade pas que tout est dans le filet du mauvais chasseur et qu’il y a un ange de Dieu ou un homme plein de miracles pour nous délivrer.

    La Foi est tellement morte qu’on en est à se demander si elle a jamais vécu, et ce qui porte aujourd’hui son nom est si bête ou si puant que le sépulcre semble préférable. Pour ce qui est de la raison, elle est devenue si pauvre qu’elle mendie sur tous les chemins, et si affamée qu’on la vue se repaître des ordures de la philosophie allemande. Il ne reste plus alors que le mépris, refuge unique des quelques âmes supérieures que la démocratie n’a pu amalgamer.

    Voici un homme qui n’attend plus que le martyre. Il sait de façon certaine qu’un jour il lui sera donné de choisir entre la prostitution de sa pensée et les plus horribles supplices. Son choix est fait. Mais il faut attendre, il faut vivre et ce n’est pas facile. Heureusement il a la prière et les larmes et le tranquille ermitage du mépris. Cet ermitage est exactement aux pieds de Dieu. Le voilà séparé de toutes les concupiscences et de toutes les peurs. Il a tout quitté, comme il est prescrit, renonçant même à la possibilité de regretter quelque chose.

    Tout au plus serait-il tenté d’envier la mort de ceux qu’il a perdus et qui ont donné leur vie terrestre en combattant avec générosité. Mais cette fin elle-même le dégoûte, ayant été si déshonorée par les applaudissements des lâches et des imbéciles.

    Et le reste est épouvantable. La sottise infinie de tout le monde à peu près sans exceptions ; l’absence, qui ne s’était jamais vue, de toute supériorité ; l’avilissement inouï de la grande France d’autrefois implorant aujourd’hui le secours des peuples étonnés de ne plus trembler devant elle ; et la surnaturelle infamie des usuriers du carnage, multitude innombrable des profiteurs grands et petits, administrateurs superbes ou mercantis du plus bas étage, qui se soûlent du sang des immolés et s’engraissent du désespoir des orphelins. Il faut être arrivé, après tant de générations, sur ce seuil de l’Apocalypse et être ainsi devenu spectateur d’une abomination universelle que ne connurent pas les siècles les plus noirs pour sentir l’impossibilité absolue de toute espérance humaine.

    Alors, Dieu qui sait la misère de sa créature confère miséricordieusement à quelques-uns qu’il a choisis pour ses témoins la suprême grâce d’un mépris sans bornes, où rien ne subsiste que Lui-même dans ses Trois Personnes ineffables et dans les miracles de ses Saints.

    Lorsque le prêtre élève le calice pour recevoir le Sang du Christ, on peut imaginer le silence énorme de toute la terre que l’adorateur suppose remplie d’effroi en présence de l’Acte indicible qui fait paraître comme rien tous les autres actes, assimilables aussitôt à de vaines gesticulations dans les ténèbres.

    L’injustice la plus hideuse et la plus cruelle, l’oppression des faibles, la persécution des captifs, le sacrilège même et le déchaînement consécutif des luxures infernales ; toutes ces choses, à ce moment-là, semblent ne plus exister, n’avoir plus de sens en comparaison de l’Acte Unique. Il n’y a plus que l’appétit des souffrances et l’effusion des larmes magnifiques du grand Amour, avant-goût de béatitude pour les écoliers de l’Esprit-Saint qui ont établi leur demeure dans le tabernacle du royal Mépris de toutes les apparences de ce monde.

     

     (Dans les ténèbres, dernier livre de Bloy, 1917. Recopié de l’édition des Œuvres de Léon Bloy, tome IX, Mercure de France, 1969, édition de Jacques Petit.)