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Tout faut - Page 3

  • Le Commandement de la Machine (3)

    Le Commandement de la Machine (1)

    Le Commandement de la Machine (2)

     

     

    ***

     

    Troisième série de coupes :

     

    301. Mais dans le nihilisme impérial ne demeure plus d’histoire, plus d’espace ni de temps, plus de société fondée sur un conflit réel ou mimétique, plus de classes et plus d’hommes, finalement. Pauvres et riches sont confits dans la même misère. Tout est égalisé, tout est égal. Ils travaillent pour l’autocratie de la technique, bienvenue les gars.

     

    711. Le Commandement de l’Amour, dans sa formulation christique, est impossible à l’homme. Il est exactement prévu pour cela. Il n’y a rien à dire, c’est d’une balistique impeccable, parfaite. Le plérôme réalisé in absentia.

     

     

     

    (A suivre...)

  • Interview NDE (1)

    Je livre ici, en deux fois, une saynète d’interview retranchée (à mon grand regret) de la version définitive de Wonderland. Le nom de la chaîne télé est NDE 1 (Near Death Experience One). L’Inconnue est certainement connecté à un détecteur de mensonges, etc.

    Ange mort. E de Morgan.jpg

    Studio de télé. Logo NDE 1.Lumières vives, rose fluo. Et une arme, aussi, au bon moment.

    Sur le divan hi-tech, l’Inconnue lentement s’éveille – semble-t-il ; la Mort est là déjà, très en beauté…

     

    LA MORT. – Elle dort. Elle dort et ne sait pas encore que son visage, nous le lui avons refait à neuf et rajeuni pour la compétition. Je soufflerai sur sa face et elle s’éveillera, attention, 1, 2, 3.

     

    *

     

    L’INCONNUE – Qu’est-ce que je fais ici ?

     

    Atroce feulement numérique.

     

    LA MORT – Taisez-vous. Contentez-vous de répondre aux questions.

    L’INCONNUE – C’est un interrogatoire.

     

    Atroce feulement numérique.

     

    LA MORT – Taisez-vous. C’est un débat télévisé.

    L’INCONNUE – Cauchemar.

     

    Atroce feulement numérique.

     

    LA MORT – Taisez-vous, merde.

    L’INCONNUE – Laissez-moi sortir.

    LA MORT – Nous avons fouillé votre passé. Nous n’avons rien trouvé. De quoi vous souvenez-vous ?

    L’INCONNUE – Pardon ?

    LA MORT – De quoi vous souvenez-vous ?

    L’INCONNUE – Mais… à propos de quoi ?

    LA MORT – De quoi vous vous souvenez, putain de merde. Listez vos saloperies de souvenirs par ordre chronologique, ils seront soumis à vérification.

    L’INCONNUE – C’est débile.

    LA MORT – Et alors ? Je ne vous demande pas ce que vous en pensez. Listez. Listez. Un souvenir. Même un seul, tout petit, paumé dans un coin.

    L’INCONNUE – Ouais. La gare, le lundi, c’est à la gare que je viens, un lundi, c’est le lundi que j’arrive à la gare, je vais au travail, à Wonderland.

    LA MORT – Quel jour quittiez-vous votre travail ?

    L’INCONNUE – Quittiez ?

    LA MORT – Quittez. Quel jour quittez-vous votre travail ?

    L’INCONNUE – Le samedi. Le vendredi. Je ne sais pas. Peut-être le jeudi.

    LA MORT – C’est à la gare ?

    L’INCONNUE – Oui.

    LA MORT – Vous reprenez le train, c’est bien ça ?

    L’INCONNUE – Oui, c’est ça, c’est pourtant logique. Je ne vois pas pourquoi toutes ces questions.

    LA MORT – Alors, comment pouvez-vous me dire que c’est un lundi, pas un jeudi, votre souvenir ?

    L’INCONNUE – C’est un lundi. Sûrement. Je me vois descendre d’un train. Du train.

    LA MORT – Comment peut-on se voir descendre d’un train ? Quand on descend d’un train, on ne s’en voit pas descendre. Vous mentez.

    L’INCONNUE – Non, non, je ne crois pas.

    LA MORT – Bon. Et que se passe-t-il à la gare ?

    L’INCONNUE – Je descends du train.

    LA MORT – Ne vous répétez pas. Cherchez. Ca n’a pas d’intérêt, ce souvenir, s’il est juste ce souvenir. Cherchez. Que se passe-t-il à la gare ? 

    L’INCONNUE – C’est un lundi, je descends du train… et après… eh bien, après, je ne sais plus.

    LA MORT – Vous ne savez plus ? Plus du tout ?

    L’INCONNUE – Non. Du tout. Je ne sais rien. Je suis vidée. Et vide.

    LA MORT – C’est maigre. Un autre souvenir ? Un homme, par exemple.

    L’INCONNUE – Un homme ? Vous voulez dire un homme en particulier ? Non, non, je ne vois pas.

    LA MORT – Pourtant vous avez des enfants.

    L’INCONNUE – On me les a offerts.

    LA MORT – Qui donc ? Un homme, justement, j’imagine.

    L’INCONNUE – Non, non, je ne crois pas. A un moment, ils étaient là, c’est tout. Je ne vois que ça.

    LA MORT – Le nom de vos enfants ?

    L’INCONNUE – Bégonia. Docile.

    LA MORT – C’est un souvenir, ça. Deux filles, donc ?

    L’INCONNUE – Peut-être. A moins qu’il n’y ait un garçon.

    LA MORT – Quels âges ont-ils ?

    L’INCONNUE – Je ne sais pas. Il y a longtemps, je trouve, que je les ais.

    LA MORT – Mais enfin, vous les aimez ?

    L’INCONNUE – Je ne comprends pas.

    LA MORT – Vous leur donnez à manger ?

    L’INCONNUE – Evidemment. C’est con comme question. Je suis leur mère.

    LA MORT – Gardez vos commentaires pour vous. Vous leur donnez à boire aussi, et des vêtements, et ce genre de choses ?

    L’INCONNUE – Oui, oui.

    LA MORT – Alors vous les aimez.

    L’INCONNUE – Même qu’ils vident tout mon compte en banque. Ils pillent même les dettes.

    LA MORT – Les chéris…

    L’INCONNUE – Les petits enculés, oui…

    LA MORT – En somme, vous êtes heureuse ?

    L’INCONNUE – Heureuse ?

    LA MORT – Oui, vous travaillez, vous gagnez votre vie, vous avez deux enfants parfaitement adorables, vous êtes heureuse. Le bonheur, quoi.

    L’INCONNUE – Le bonheur.

    LA MORT – Et votre nom, madame, il est revenu votre nom ?

    L’INCONNUE – Quel nom ? Ah, mon nom. Non.

    LA MORT. – C’est bien, ça. Ca soulage. Quelle expérience.

    L’INCONNUE. – Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi je ne sais plus mon nom ?

    LA MORT – Je rappelle à nos spectateurs que vous êtes sous sérum de vérité. Et vos enfants, ils ne le connaissent pas votre nom ?

    L’INCONNUE – Je ne sais pas.

    LA MORT – Comment vous appellent-ils ?

    L’INCONNUE – Maman.

     

    Atroce feulement numérique.

     

    LA MORT – Vous mentez ! N’oubliez pas que je suis là tout spécialement pour vous aider. Comment vous appellent-ils, alors ?

    L’INCONNUE – La Vieille.

    LA MORT – Bravo. Vous vous sentez vieille, vous ?

    L’INCONNUE – Oui.

    LA MORT – Quel âge avez-vous ?

    L’INCONNUE – Eh bien… écoutez… je dirais… 65 ans…

    LA MORT – Faux. Je suis ravie de vous apprendre que, génétiquement, vous avez 34 ans.

    L’INCONNUE – Vous savez ça, vous ?

    LA MORT – Oui, je sais ça. J’en sais même plus que ça. Ce n’est pas très vieux, 34 ans. La vie va encore vous traîner un moment. Elle va vous traîner longtemps, très longtemps, oui, très longtemps, très très.

    L’INCONNUE – Ah oui. Et comment ça ? Et comment vous le sauriez ?

    LA MORT – Comment je le sais. Mais parce que vous êtes morte, ma chère.

    L’INCONNUE – Rendez-moi mon nom, maintenant. Non, je ne suis pas morte. Et vous non plus, vous ne savez pas mon nom. Pas morte encore, non. Salope. Mon nom.

    LA MORT – Je le sais. Mais je ne puis pas vous le dire. C’est tout à fait contraire au règlement.

    L’INCONNUE – Cette discussion est atroce.

    LA MORT – Fermez-la.

    L’INCONNUE – Je ne suis pas morte.

    LA MORT – Si. Vous êtes morte. Essayez donc de vous tuer.

    L’INCONNUE – Quoi ?

    LA MORT – Essayez donc de vous tuer.

    L’INCONNUE – On passe encore à la télé, là ?

    LA MORT – Oui. L’audimat monte à max.

    L’INCONNUE – C’est de la folie.

    LA MORT – Si vous ne croyez pas que vous êtes morte, essayez donc de vous tuer. Pour voir.

    L’INCONNUE – Pour voir ?

    LA MORT – Oui, oui, pour voir. Préférez-vous que je vous tue ?

    L’INCONNUE – Non. Non.

    LA MORT – Alors, allez-y.

    L’INCONNUE – Bon. Pourquoi pas, après tout ?

    LA MORT – Adieu Bégonia, adieu Docile.

    L’INCONNUE – Quoi ?

    LA MORT – C’est ce que vous devriez dire. Adieu Bégonia, adieu Docile.

    L’INCONNUE – Adieu Bégonia, adieu Docile.

     

    L’Inconnue se tire une balle dans la tête.

     

    (A suivre…)

  • Le Commandement de la Machine (2)

    Le Commandement de la Machine (1)

     

    **

     

    Deuxième série de coupes :

     

    63. Les guerres sont commencées. Simultanées, elles se chevauchent. Personne ne vous demande de choisir : vous appartenez à un camp, ou à un autre. Que cela vous plaise, ou pas, n’est pas une question. Fort heureusement, il est des choses auxquelles on n’échappe pas.

     

    97. De son point de vue, qui est exactement la totalité des divers points de vue qui peuvent ou non s’exprimer, la Machine te cerne totalement ; d’autant plus même qu’elle te somme de choisir entre ses points de vue celui ou ceux dont, toi-même étant monnaie et marchandise, tu devras faire commerce. Ta vie, cette illusion fondamentale que la Machine a intérêt à ne jamais t’ôter, cette illusion au contraire qu’elle se doit de te faire développer toi-même, oui, ta vie même, elle l’appelle dès sa naissance à disparaître en elle, dans sa matière immense, en une fusion matricielle par laquelle ta mort même est judicieusement anticipée. Alors quoi ? – Mais moi, je te dis qu’il n’y a pas à choisir entre ces différents points de vue fabriqués tous à l’identique, mais à prendre en soi la totalité même de ces points de vue, oui, à prendre en soi le point de vue de la Machine. Et bien sûr, c’est impossible.

     

    121. Ta petite volonté imbécile d’échapper aux lois de la reproduction, d’échapper en somme à la génération et à la corruption, littéralement, ne compte pas à part. Elle prouve au mieux, cette croyance que ton destin individuel serait séparé de celui de l’espèce, ton imbécillité ; or, ce n’est pas du tout là que les choses se jouent. Ce calcul, en tant justement qu’il est calcul, appartient de fait à l’ordre de la Machine ; il lui est donc utile.

     

    249. On ne lutte pas contre la Machine, mais seulement contre ce qu’on prend pour elle – qui est fonction d’échelle. Et ce fait même d’attaquer un fantasme de Machine tient à l’illusion nécessaire, fondamentale, de la vie. Ta force de négation demeure ici seulement explétive.

     

    1026. Mais comment peuvent-ils à ce point détester leurs enfants, leurs propres enfants ? Et comment, non moins, trouvent-ils encore le moyen d’ignorer cela même ? Parce que, putain, cela crève les yeux – et justement, sans doute est-ce cela qui les leur crève… L’Europe des loisirs, où gouverne une nouvelle gentilité, saisie d’un effroi rétrospectif, extatique et inintelligent dont la durée trahit sans doute une reddition définitive à la raison inférieure, semble avoir décidé de ne plus commettre d’erreurs, c’est-à-dire de crimes, ce qui est en soi sa plus grande erreur et partant, son crime le plus ignoble – mais sans doute le dernier. Aussi la voit-on attaquée de partout, et par des ennemis qui n’hésitent plus à se nommer, mais elle a décidé unilatéralement qu’elle n’avait plus d’ennemis et que, donc, il était bienséant de ne pas se défendre, et de poursuivre son divertissement – je veux dire : son suicide. Quand on menace de mort toi et ta famille, tu prends des anti-dépresseurs ou tu retournes au cinéma ? Les deux, ah bon… l’un, puis l’autre. C’est formidable, ce qu’ils appellent la tolérance… La crainte et l’espérance étant les deux faces d’une même attente, on peut dire qu’il n’y aura pas, ou très peu, de survivants, car pour qu’il y en ait demain, il en faudrait aujourd’hui. L’histoire est action, conflit et finalement sélection ; en tout cas, elle ne connaît pas la paix. De sorte qu’il n’est finalement qu’un moyen de sortir de l’histoire et ce moyen, c’est d’en sortir en fumée. Bon vent.

     

    1035. Tout serait tellement simple et livré d’emblée au surplomb ridiculement bas de ceux qui passent pour des esprits critiques, si le Commandement de la Machine, nie-toi toi-même, derrière sa face apparente et massive n’en cachait une autre, elle réellement sensée. – Celui qui appartient à la masse et obéit à un Commandement qu’il n’est pas en capacité d’entendre, à un Commandement en somme dont il n’a pas conscience, choisissant parmi les possibles, se nie lui-même et l’ignore. Mais celui qui, entendant le Commandement pour ce qu’il est réellement, voulant y obéir et y obéissant de toute la puissance de son être, autre chose lui étant parfaitement impossible, que fait-il donc sinon se trouver ?

     

     

     

    (A suivre...)

  • Le Commandement de la Machine (1)

    Dans la nuit du 25 décembre 2004, j’ai fait disparaître dans la poubelle numérique de mon précédent ordinateur un texte assez volumineux, environ trois cents pages, qui me paraissait alors impossible à achever et mettre en ordre, et m’avait coûté deux ans de travail, intitulé : Le Commandement de la Machine. Et j’ai commencé, à partir du bref dialogue qui alors le terminait formellement, d’écrire Tout faut.

    Avant de le jeter, j’ai sélectionné dans les paragraphes numérotés, un certain nombre d’entre eux, que je donnerai en cinq livraisons sur Theatrum mundi.

     

    *

     

    Première série de coupes :

     

    1. Ecoutez, hommes accumulés, bande d’humus, strates d’engrais, terreau de l’advenue terminale, écoutez, agencements quelconques de poussière et buée, écoutez et jusqu’à la plus ultime dépossession rendez à la Machine ce qui appartient à la Machine.

     

    48. Pour le reste, c’est la guerre, donc. La Machine déploie ses pions. Les intérêts de la Machine ne sont ceux d’aucun homme, d’aucune société humaine, d’aucune civilisation. A ce niveau, toutes les hybridations seront tentées, sans égard pour les pertes.

     

    81. L’occidenté cause énormément de l’amour, qu’il ne connaît pas, ne pouvant rien connaître ; jusqu’à ce que cet amour, peut-être, devienne le terme générique nommant son délire, le cauchemar dont il ne peut s’éveiller – parce qu’il ne dort pas, ne sachant pas dormir.

     

    135. Ce que l’occidenté, donc, nomme amour n’a d’existence que sociale, n’est rien d’autre qu’un rapport où la qualité est une propriété de la quantité – son prix le plus inaccessible. Et cela même l’occidenté ne le voit pas parce qu’il a fait de l’amour la marchandise suprême, sacrée, la marchandise qui ne paraît pas pour une marchandise. Ce que l’occidenté nomme amour, c’est le marché ; et ce qu’il nomme autrui, c’est l’argent. On ne met rien sur le marché, parce que tout y est déjà. L’enfant qui naît, il naît sur le marché.

     

    218. Les truqueurs de la morale, ces nouveaux gentils, ont construit leur surplomb et les degrés qui y mènent dans le plomb même de cette matière qu’ils prétendent, donc, surplomber. Quelque illusion qu’ils donnent à la masse qu’ils ont à charge d’électriser, quelque illusion aussi qu’ils croient vivre pour eux-mêmes, il n’auront bâti qu’un temple dans le temps, pour la satisfaction des idolâtres dont ils sont la fraction avancée et non pas séparée, et ils ne peuvent conséquemment que retarder encore son inexorable effondrement. Sans doute la beauté même de ces surplombs tient-elle tout entière dans la promesse de leur effondrement.

     

    522. Nie-toi toi-même. Tel est le Commandement de la Machine.

     

    533. Tu voudrais tellement être un héros, mon lapin, mais pour cela il faudrait qu’on te filme. La façon dont tu allumes ta cigarette en marchant dans cette rue est en soi tout à fait digne d’un film d’action américain ; il suffirait du bon cadrage, de la bonne musique, et surtout qu’il ait été préalablement décidé que c’était toi, oui toi, qu’il convenait de regarder. Mais tu passes anonyme dans un chaos de musique de variétés banale, dans un plan tellement élargi que tu n’es qu’une fourmi. Les femmes, même les femmes te regardent à peine. Et ne se resserre finalement sur toi qu’un sentiment d’impuissance que tu ne peux encaisser qu’en pariant sur l’injustice. – Certes tout cela est très dommage, mais toi au moins tu te vois très bien et l’essentiel n’est-il pas que tu aies la sensation d’être vu ? Il y a bien eu un moment où tu as été ce héros anonyme ? Oui. C’est déjà bien. Tu rappelleras maman ce soir.

     

    1018. Faites attention à vous, faites attention au reste aussi puisque vous roulez à grande vitesse sur cette autoroute, voilà, c’est ça, regardez ces voitures et camions qui filent dans les deux sens, prêtez brièvement attention grâce au petit rétro du pare-brise à ce que vous laissez derrière vous – si cette expression a un sens –, imaginez les destinations mêmes provisoires de tous ces véhicules, imaginez les cartes, inventez-les, imaginez leurs déserts et leur zones d’hyperactivité, ne vous demandez rien sauf où, oui, où vont ces gens dans leurs petites coques de métal, ajoutez à ce qui est désormais une cartographie imaginaire et mouvante les transports ferroviaires, maritimes, aériens et spatiaux… bien, et demandez-vous maintenant un instant comment vous pourriez être autre chose qu’un neurone ou un octet accomplissant sa tâche à la surface de ce cortex-machine qu’est peut-être cette planète ; et ce que pourrait bien changer à cela, dans trois minutes, votre crash létal. Cela modifie bien quelque chose, certes, mais quoi ? petit dysfonctionnement aussitôt absorbé. – Quelle information transportez-vous ? où l’amenez-vous ? pour le compte de quoi ?

    (A suivre...)

  • Rire ou ne pas rire

    1251785707.jpg– Ce qui est épatant, c’est que des gens avec lesquels tu ne serais d’accord sur rien, mais alors sur rien, trouvent quand même le spectacle épatant…

    – C’est normal. Que je sois d’accord ou non avec mes personnages n’a aucune importance ; et même, ne regarde pas les gens. Pas davantage que je ne suis là pour raconter ma vie, je ne suis là pour exprimer ma petite pensée personnelle.

    – Mais il y a des moments où ils doivent se sentir visés, non ? Surtout les gens du milieu culturel…

    – Quand ils se sentent visés, les imbéciles le prennent pour eux et ainsi, se trahissent ; n’importe quel type normal trouve que j’ai raison (si l’on rit en effet), et qu’il peut être d’accord avec moi parce que lui-même fait exception à la critique formulée. Il en sort même grandi.

    – Ce qui n’est pas moins imbécile, au fond.

    – C’est toi qui l’as dit.  

    – Une même chose représentée, pour peu qu’elle ait un minimum de fond, peut-être comprise de deux façons opposées. Et entre ces deux-là, il y a encore toute la gamme. Le cas d’école, c’est l’Antigone d’Anouilh, en 1944. C’est la conclusion un peu girardienne à laquelle je suis finalement arrivé avec Rotrou (1).

    – La seule chose réellement importante, ce n’est pas de savoir si l’on est ou pas d’accord avec l’auteur, c’est de savoir si l’auteur parle de choses importantes…

    – C’est la seule chose ?

    – Non, il y a l’humour. Pas nécessairement pour faire rire « professionnellement » les gens, d’ailleurs. Je crois que l’humour opère à lui seul la première division politique.

    – Un exemple ?

    – Houellebecq. Je suis rarement d’accord avec ce qu’il raconte (ce qui ne signifie pas, d’ailleurs, qu’il pense effectivement ce qu’il raconte, et donc que je puisse savoir ce qu’il pense). Mais c’est un écrivain qui ne parle que de choses importantes. Et qui a, je trouve, beaucoup d’humour. Un type en somme qui n’a pas peur de ses contradictions, en joue, les écarte même plutôt qu’il ne cherche à les résoudre, jusqu’à faire entrevoir, sinon pas voir, l’abîme sous elles, etc.

    – Et les choses importantes, pour toi ?

    – Les choses qui existent dans la réalité, d’abord. Le reste, je m’en fous. N’importe quelle chose, je crois, peut devenir importante, même une chose infime (ah ! Gombrowicz…), si on ne s’arrête pas à la simple monstration de l’effet, mais si on descend aux causes. Aux monstruosités des causes. Dès qu’on descend aux causes, ça peut faire mal. Il faut anesthésier à l’humour. Et descendre encore...

     

    J’ajoutai :

    – Ils rient, les gens. Mais ils peuvent aussi vous en vouloir pour cela…

     

    Je suis dans une veine complaisante, ce soir, dirait-on.

     

     

     

     

     

     

    (1) Voir la fin du texte, partie IV.