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Porcherie - Page 24

  • Magie du créateur

    Après le taï-chi du matin, le grand créateur R. met son costume rose sur mesure et va manger pour 1000 euros, seul, dans les jardins d’un grand restaurant réputé. Il se concentre ainsi, songe à sa performance improvisée du soir, trouve qu’il a encore faim, remange pour 1000 euros. A six heures, les caméras débarquent, puis son spectateur symbolique, un professionnel lui aussi.

    Il est enfin l’heure de performer, le spectateur tend son assiette, R., fidèle à sa réputation, y vomit copieusement, mais proprement – sans déborder –, regarde son spectateur heureux manger le visage dans l’assiette – ses mains sont entravées ; puis il touche son enveloppe du Ministère (100.000 euros), remet en ordre son nœud papillon et s’en va tandis qu’on interviewe un spectateur ravi :

    – C’est une performance dans lequel le spectateur est très actif, très créatif.

    Commentaire du journaliste : – Voilà comment on fait encore rêver les masses, en 2008. Nouvelle distribution d’enveloppes par le croque-mort du Ministère. La suite au Louvre, à Versailles, à Avignon… Rois et Papes, quoi, merde.

    Pendant ce temps, le contribuable regarde Docteur House.

  • Michel-Ange remix par Europack

    Loft parisien transformé en studio, murs blancs. Une boîte de conserve sans étiquette sur un piédestal blanc.

    – Dites, ça vous emmerde pas, si on vous paie au black ? demande le producteur.

    – Bah non, dit Gilbert, un grand Africain sans-papiers.

    – Alors, c’est réglé.

    Cocaïné de frais, Kevin Martin manifeste d’une flatulence syncopée son impatience.

    – Qu’est-ce qu’il faut faire ? demande Gilbert, qui s’écorcherait vif s’il le fallait.

    – Te pose pas de questions, mec. C’est compliqué. Tends à mort ta main vers cette boîte de conserve de merde que tu ne dois jamais toucher.

    – Mais pourquoi ?

    – Parce que c’est Dieu.

    Gilbert a un imperceptible mouvement de recul de la main.

    – Putain ! Tends plus tes doigts ! Il est con, en plus… Cette boîte de conserve, tu la veux ! Tu la veux et tu ne peux pas l’atteindre ! C’est Dieu, je te dis… Qu’il est con. Mais tends-les donc tes doigts, enculé ! Ouais, ouais, je veux voir tes veines gonfler comme une bite !

    – Je crois qu’on l’a, là, dit le producteur.

    – Ouais, on l’a, Alban. Putain, on l’a ! Je suis le nouveau Michel-Ange ! Putain de merde. Tu te rends compte ?

    Kevin Martin danse. Sonnerie de téléphone. Alban répond, raccroche :

    – Le journaliste arrive dans cinq minutes. Alain Potent, de l’e-Monde. Mais là, il pige pour Libé. Comment c’est ton nom ?

    – Gilbert.

    – Ta gueule, ce sera Youssouf, tranche l’artiste. On va te la défendre ta cause, tu vas voir. Allez, dégage, maintenant.

    – Et pour me payer ?

    – Putain, démerde-toi, prends la boîte de conserve. Allez, casse-toi.

    – Excuse-le, intervient Alban, il n’est pas diplomate. Tiens, voilà dix euros, en plus de la boîte hein. Et merci, hein, merci.

    Gilbert sort, entre Alain Potent. L’interview commence.

     

    Extraits de l’enregistrement :

    « – On a beaucoup dialogué, avec Youssouf, dit Kevin. Je voulais que ce soit un homme de couleur, un black hein, mais pas seulement pour les contrastes photo. Un homme avec une foi, aussi. Un rapport à Dieu. Ça doit se sentir dans la main, dans le gonflement des veines, que cet homme a besoin de Dieu. C’est ce qui nous manque, maintenant, à nous ici. Une foi. Et je crois que, dans une certaine mesure, c’est ce que l’islam apporte de positif à l’Occident. La laïcité permet très bien ça et c’est bien. »

    « – Evidemment, il y a le rapport à la nourriture aussi, à la faim dans le monde. On n’est jamais assez sensibilisé à ça. Il faut que le spectateur se sente coupable. Puisqu’il l’est. Et puis Youssouf est sans-papiers. Il vit dans des conditions effroyables, avec sa famille. Nous soutenons d’ailleurs sa régularisation… »

    « Ouais, le film sera diffusé tous les soirs à la télé. Des photogrammes seront présentés à Beaubourg. Mais le film, lui, tous les soirs. C’est important, que les gens voient ça. On me demande souvent si je n’ai pas honte de faire des pubs pour des produits de l’agro-industrie. En plus, c’est du bio. Mais non. Tant que je peux faire passer mes messages, tant qu’on va dans le bon sens… En plus, ils paient vachement bien chez Europack et nous, une fois les frais dégagés, ça nous permet d’aider un peu Youssouf, alors… »

    Conclusion d’Alain Potent :

    « – Non, les gars, c’est vachement bien, ce que vous faites… Vraiment… »

  • La République contre le français ?

    Information trouvée sur L’annexe, le blog de Jean-Jacques Nuel :

     

    *

     

    (Cette déclaration a été votée à l'unanimité par les membres de l'Académie française dans sa séance du 12 juin 2008).

     

    Depuis plus de cinq siècles, la langue française a forgé la France. Par un juste retour, notre Constitution a, dans son article 2, reconnu cette évidence : « La langue de la République est le français ».

    Or, le 22 mai dernier, les députés ont voté un texte dont les conséquences portent atteinte à l’identité nationale. Ils ont souhaité que soit ajoutée dans la Constitution, à l’article 1er, dont la première phrase commence par les mots : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », une phrase terminale : « Les langues régionales appartiennent à son patrimoine ».

    Les langues régionales appartiennent à notre patrimoine culturel et social. Qui en doute ? Elles expriment des réalités et des sensibilités qui participent à la richesse de notre Nation. Mais pourquoi cette apparition soudaine dans la Constitution ?

    Le droit ne décrit pas, il engage. Surtout lorsqu’il s’agit du droit des droits, la Constitution.

    Au surplus, il nous paraît que placer les langues régionales de France avant la langue de la République est un défi à la simple logique, un déni de la République, une confusion du principe constitutif de la Nation et de l’objet d'une politique.

    Les conséquences du texte voté par l'Assemblée sont graves. Elles mettent en cause, notamment, l’accès égal de tous à l'Administration et à la Justice. L'Académie française, qui a reçu le mandat de veiller à la langue française dans son usage et son rayonnement, en appelle à la Représentation nationale. Elle demande le retrait de ce texte dont les excellentes intentions peuvent et doivent s'exprimer ailleurs, mais qui n'a pas sa place dans la Constitution.

     

     

     

    Voir aussi, à propos de l’Académie française, le billet titré 1984 ; et sur (pour partie) l’article 2 de la Constitution, le billet titré Du devoir d’insubordination.

  • Nouveaux territoires de l'amour (un peu de narcissisme à la faveur des émeutes de Vitry-le-François)

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    Ce titre demande une explication.

     

    Je travaille partiellement, depuis quelques années, à Vitry-le-François.

    Le directeur de la scène conventionnée de Vitry, flanqué d’un metteur en scène associé, m’a passé commande, aux environs de Noël 2005, peu de temps donc après les émeutes de novembre, d’une pièce sur « les banlieues ».

    – Vous êtes sûrs que vous voulez me demander ça, à moi ? ai-je dit.

    – Mais oui, mais oui… fit le premier.

    – Mais oui, mais oui… fit le second.

    J’acceptai, pensez donc.

    Il était surtout question de parler du vivre-ensemble, ou vivrensemble, dans une barre d’immeuble qu’on va raser sous prétexte de rénover le quartier (les salauds).

    Quatre comédiens. Un homme (blanc), trois femmes (une blanche, une « black », une « beur »). – Pas de ballon de foot ? Pas de ballon de foot.

     

    J’ai dit que j’écrirai une farce.

    Au sens aristophanien.

    Autant que faire se peut.

     

    Son titre fut :

    Territoires de la merde.

     

    Mon meilleur titre.

    Mon synopsis évoquait aussi une émission de télé, sorte de Thalassa des banlieues, cyniquement intitulée : « Territoires de l’amour ».

    Mes commanditaires me pressèrent de changer le premier titre (impubliable) pour le second (putassier et cynique). Ce que j’acceptai, avec ma coutumière lâcheté.

    Non sans avoir préalablement argumenté :

    – Mais merde, quand vous voyez ces émeutes, vous vous dites, comme tout le monde : « Putain, c’est la merde… » et non pas « chouette, c’est l’amour ! ».

    Il apparut que j’étais cynique.

    Toujours le même déni de réalité.

    Mais c’est l’incitation au rêve, à l’émotion, à l’utopie, que j’ai moi toujours trouvée cynique.

    Mais bon, je cédai.

     

    Puis j’écrivis la pièce.

    Mes commanditaires la refusèrent.

    Une de mes meilleures pièces.

    La scène représente un parking. Les personnages sont : 1. une professeurere des écoles alcoolique dernier stade, célibataire et hystéro-dépressive ; 2. une jeune « beurette » émancipée quoique portant foulard, ayant parfaitement intégré les codes du quartier et transportant un sac très lourd dont nous ne saurons jamais ce qu’il contient ; 3. un politicien libéral-socialiste (c’est-à-dire qu’on ne sait s’il est encarté au Parti Salopiste ou à l’Union pour une Médiocrité Présidentielle) d’une infinie veulerie ; 4. une journaliste « black », très énergique, dirigeant son émission d’une main de fer, coupant la parole, au besoin avec vulgarité, etc. J’avais ajouté une cinquième «  personnage », une sorte d’Intelligence Artificielle qui, dans la dernière partie, c’est-à-dire dans l’émission télé, donnait à chaque phrase prononcée par les autres la note d’audimat. Ce qui rendait bien sûr complètement incohérent ce piètre simulacre de débat – l’annonce d’un 2, par exemple, engageant le locuteur à se contredire lui-même immédiatement, etc.

     

    Bref, ma pièce fut refusée. Dès lecture.

    Toujours le même déni de réalité (« Ce n’est plus la droite qui est réactionnaire, c’est la réalité », comme le disait quelque part le fade Laurent Joffrin…).

    Ils montèrent un autre texte, non-théâtral, sociologique et neuneu, je veux dire : pavé de bonnes intentions idiotes, et comme les programmes annonçaient une pièce titrée Territoires de l’amour, ils conservèrent ce titre de merde que j’avais initialement destiné à illustrer l’abjection journalistique.

    CQFD.

     

    CQFD est le titre des 20 pages de notes racontant l’histoire de cette commande et de son refus par ses commanditaires mêmes.

    Peut-être les publierai-je ici, quelque jour où je serai lassé de pondre de nouveaux billets.

     

    Depuis, j'ai archivé la pièce dans Tout faut.