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  • Traum. Lettre (ouverte) à Aurélien Lemant à l'occasion de la lecture de Traum / Philip K. Dick, le martyr onirique

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  • Bousier

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    Il est plus simple de se rappeler ce que Hegel a dit des comédies d’Aristophane : « Si on n’a pas lu Aristophane, on peut difficilement savoir de quel contentement l’homme peut se satisfaire, à quel point sa gaieté est vigoureuse et immodérée. »

    La formule de Hegel nous rappelle les obstacles qu’il faut franchir en lisant les comédies d’Aristophane. Car si nous désirons comprendre, apprécier et aimer les comédies d’Aristophane, il est nécessaire que nous soyons d’abord dégoûtés par elles. Les moyens qu’emploie Aristophane pour nous faire rire incluent la médisance ou la calomnie, l’obscénité, la parodie et le blasphème. A travers ce brouillard épais et nauséabond, nous voyons des paysans rustiques, pris de boisson ; de bonnes natures ; jaugeant les femmes, libres ou esclaves, comme ils jaugent un cheval ou une vache ; dans leurs moments les meilleurs ou les plus gais, ceux qui ne sont dupes de personne, fût-il un dieu, une femme ou un glorieux capitaine, mais moins enragés qu’amusés d’avoir été si souvent trompés par eux ; aimant le pays et ses coutumes ancestrales et éprouvées, méprisant le genre nouveau et sans racine qui fleurit en l’espace d’une journée dans la cité, parmi les fanfarons survoltés ; incroyablement familiers du beau, de sorte qu’ils l’apprécient chaque allusion à la moindre tragédie d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide ; et incroyablement experts en beauté, de sorte qu’ils ne tolèrent pas une parodie qui ne soit pas, à sa manière, aussi parfaite que l’originale. Le public d’Aristophane est composé d’hommes d’une telle naissance et d’une telle stature – ou en tout cas la partie la meilleure ou qui fait autorité de son public (ce qui est le cas pour tout poète non méprisable). Le public auquel s’adresse Aristophane ou qu’il invoque est la meilleure démocratie qui soit, telle qu’elle fut décrite par Aristote : la démocratie dont l’assise est la population rurale. Aristophane nous fait voir ce public dans sa plus grande liberté et sa plus grande joie, de sa périphérie fruste et vulgaire à son centre d’une délicatesse sublime ; nous ne le voyons pas aussi bien, même si nous le sentons bien, pour ce qui est de ses chaînes et de ses limites. Nous ne voyons qu’une moitié de l’humanité, apparemment la moitié inférieure, en fait la moitié supérieure. L’autre moitié appartient à la tragédie. La comédie et la tragédie ensemble nous montrent la totalité de l’homme, mais de telle manière que la comédie doit être sentie dans la tragédie et la tragédie dans la comédie. La comédie commence au plus bas du bas alors que la tragédie demeure au centre. Aristophane a comparé la muse comique ou plutôt le Pégase du poète comique à un bousier, une petite bestiole méprisable qui est attirée par tout ce qui sent fort, qui semble combiner la prétention avec une distance absolue à l’égard d’ Aphrodite et des Grâces – monture qui, quand on peut la décider à s’arracher de la Terre, monte plus haut que l’aigle de Zeus : elle permet au poète comique d’entrer dans le monde des dieux, de voir de ses propres yeux la vérité en ce qui concerne les dieux et de communiquer cette vérité aux mortels. La comédie s’élève plus haut que tout autre art. Elle transcende tout autre art ; elle transcende en particulier la tragédie. Dans la mesure où elle transcende la tragédie, elle présuppose la tragédie. Le fait qu’elle présuppose et transcende la tragédie trouve sone expression dans les parodies de tragédie qui sont si caractéristiques de la comédie d’Aristophane. La comédie s’élève plus haut que la tragédie. Seule la comédie peut représenter les hommes sages : des hommes comme Euripide ou Socrate, des hommes qui en tant que tels transcendent la tragédie.

    Ce n’est pas pour nier que la comédie d’Aristophane abonde en éléments ridicules du plus bas niveau. Mais cette comédie ne tourne jamais en ridicule ce que seuls des hommes pervers pourraient trouver ridicules. Elle reste dans les bornes de ce qui est par nature ridicule. Il y a des fessées mais non des tortures ou des meurtres. Ce qui provoque véritablement la terreur doit être absent, et tout particulièrement ce qui provoque la plus grande peur : la mort, c’est-à-dire le fait de mourir – distinct du fait d’être mort dans l’Hadès. Doivent être aussi absents ce qui provoque la compassion et ce qui est vraiment noble.

     

     

     

     

    Leo Strauss, « Le problème de Socrate », preimière conférence, dans La renaissance du rationalisme politique classique, Gallimard, collection Tel, traduit par Pierre Guglielmina

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Du le style

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    Du le style.

    Beau titre (je le dis).

    On me demandera pourquoi ?

    Parce que rien à foutre le style.

    J’aime pourtant le français.

    Et même le fameux style classique français, je l’aime.

    Belle marquise…

    Et Bossuet, ah, Bossuet !

    Le style est une arme.

    (Les armes – les vraies – me fascinent.

    Comme aussi les instruments de musique, je m’en aperçois à l’instant.

    Mais je n’utilise jamais ni arme ni instrument de musique et il vaut mieux.)

    Je continue.

    Il y a une de ces histoires, en France, avec le style.

    Il y a un mythe du style et ce mythe sert à muséifier la littérature.

    Un écrivain a du style, un style, n’a pas le style.

    C’est indéfini ou partitif.

    Mais tout de même, tout de même, il y a le style. The style.

    Le style absolu français.

    Qui plane au-dessus de tout.

    Que rien ne satisfait.

    Que personne ne connaît.

    Un mystère.

    Mais qui permet de ranger tout ça au musée.

    Au mausolée, quand on ne peut pas faire autrement.

    Qui permet que toute littérature, ici, soit échec.

    Tout.

    C’est un putain d’embaumeur, le style français.

    Balzac, il écrit pas toujours super, hein?

    L’art et la littérature finissent au musée.

    C’est une manie. Ça et le Panthéon. Et puis Napoléon.

    Ça rassure, les musées. Il ne s’y passe rien, des touristes défilent.

    Il n’y a rien à voir, dans le musée.

    Ou seulement de jolies touristes – et puis quoi, hein ?

    Même Dostoïevski, s’il avait écrit en français, on aurait trouvé à lui redire dans le style.

    Faut voir ce qu’on a longtemps balancé à Shakspeare.

    Oui, Shakespeare, je sais. Mais c’est une orthographe que lui-même n’a jamais employée.

    Pas du tout français, Shakspear.

    Shkspr.

    Les armes. J’y reviens. Bon.

    Les instruments de musique.

    Tout dépend de ce que vous voulez exécuter.

    Exécuter, oui.

    C’est un problème d’adéquation.

    J’ai vu des snipers prétendus bien encombrés d’épées lourdes.

    Et des agents secrets qui ne savaient pas conduire leur char d’assaut.

    Et Philippe Sollers qui écrit, Dieu sait pourquoi, avec une raquette de tennis.

    Des trucs mal adaptés partout. Tout le temps.

    Remarquez, c’est assez drôle.

    Et je vous passe les écrivains sans alphabet.

    Les flopées de dramaturges kamikazes, sans aucun équipement d’aucune sorte, qui se fracassent leurs os contre les murs d’une forteresse dont les portes sont grandes ouvertes.

    J’ai même entendu la mort de Siegfried à la flûte de Pan, un jour, dans le métro (mais j’étais fatigué, sans doute).

    Et les fous de la Grammaire, de la Syntaxe et en général… du Style.

    Et ceux qui n’y connaissent rien, qui n’y entendent rien, et qui espèrent bien le faire savoir et respecter, d’autor.

    La perfection m’emmerde, et l’ignorance itou.

    La lenteur et la vitesse.

    La structure et l’improvisation.

    Je m’en bats les couilles.

    Ohé.

    Qu’est-ce que vous racontez, les écrivains français ?

    Tout le monde s’en fout.

    Heureusement que vous êtes bien au chaud entre vous, à Paris, ville sous cloche, future Ilion.

    A écrire des trucs déjà morts, taxidermistes ! Empailleurs !

    Ils se bourrent le cul avec de la paille, la caboche aussi est pleine de bourre, et les voilà qui se prennent pour la statue du Commandeur (avec des ennemis, même, des fois)…

    Des scènes inénarrables, ça donne !

    La Statue du Commandeur chez le psychanalyste lacanien du XIV°, la Statue du Commandeur raconte son enfance avec un papa pas gentil (voyez la nuance), la Statue du Commandeur fait un voyage dans un pays lointain et c’est quand même formidable, la Statue du Commandeur évite héroïquement d’être un touriste en assortissant son parcours Découverte de la Thaïlande de remarques iconoclastes (sic) sur les jeunes femmes indigènes, etc. La Statue du Commandeur sous ecstasy. La Statue du Commandeur fume comme Michel Houellebecq. La Statue du Commandeur lit Debord et Heidegger et se trouve par exception être la seule à tout piger ce qu’elle veut là-dedans (d’ailleurs, elle le savait déjà).

    La Statue du Commandeur dans son propre rôle.

    La Statue du Commandeur dernier écrivain, dernier tout.

    Dernier tube.

    (Petite annonce : je revends ces volumes, et pas cher.)

    Ah, mais le style, hein, le style.

    La dernière fois que j’ai lu un grand roman français, si je suis autorisé à le dire, c’était les Bienveillantes.

    Mais l’auteur était aussi américain qu’inconnu à Paris. Jonathan Littell.

    Avait-il le droit d’écrire ça ? (Qu’est-ce que c’est que ce guignol qui ne raconte pas sa vie ?)

    Avait-il le droit d’écrire ça comme ça ? Avec un narrateur SS (j’ai même entendu une ordure radiophonique bien de chez nous refuser de distinguer l’auteur du narrateur) cultivé et homosessuel (alors qu’on le sait que la cultivation et l’homotextualité, c’est par principe vachement le top, merde) qui nous racontait sa vie à lui, la Shoah de l’Ukraine à Auschwitz, le meurtre de sa mère, Stalingrad, la déroute allemande, les bombardements de Berlin, la fuite finale hors d'Allemagne… Et dans tous les détails et jusqu'aux plus atroces (nous, les détails, on les emmerde, on est vachement au-dessus de tout ça, la preuve, c’est que le diable est dans les détails…). Mais alors, justement, les détails.

    Ça faisait donc bien des problèmes, m’a-t-on dit (et pas qu’à moi), avec le du le style.

    D’autant qu’il en a vendu plein (même qu’il a piqué la place à Josette A. qu’elle était réservée, les histoires, les histoires...).

    Un vrai choc, malgré le du le style des cons.

    Même que je ne savais que lire ensuite.

    Alors j’ai relu tout Eschyle. Dans l’ordre.

    Jusqu’à l’Orestie.

    Tout Eschyle.

     

     

     

     

     

    Sur le même sujet : Guérilla.