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  • Défense et Illustration du Sinistère de la Culutre (2)

     

     

     

    Lien : Défense et Illustration du Sinistère de la Culutre (1).

    Voici donc la deuxième partie de cette saynète tirée de Pour une Culutre citoyenne ! La troisième, et dernière, ne tardera guère.

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    LE MINISTRE. – Bien. Mon vieux Saint-Foin, appelez-moi Micheline et soyez sincère : quelle est ma marge de manœuvre ?

    LE CONSEILLER. – Nulle, Madame la… Micheline. Le programme est sur ses rails, suivez le programme. Sinon, Micheline, vous ne pourrez que dérailler ; je veux dire : vous exposer inutilement à la vindicte artistico-médiatique.

    LE MINISTRE. – Mais tout de même, si l’idée me prenait d’être une Ministresse exemplaire et marquant de son sceau la fonction ?

    LE CONSEILLER. – Le complexe de Malraux, quoi : dangereux. Les ministères sont brefs, et la continuité du service public donne la part belle à l’Administration, laquelle s’y entend pour freiner car, telle un char d’assaut, son poids convertit la lenteur en puissance. Si vous me permettez cette envolée.

    LE MINISTRE. – Je me sens là comme un fusible dans un étau. Pour autant que ça veuille dire quelque chose. Donnez-moi un conseil.

    LE CONSEILLER. – Défensivement, soyez un fusible qui ne se fait pas sauter. Offensivement, suivez toujours le programme, mais accélérez où c’est possible.

    LE MINISTRE. – Ce programme, il est écrit ? Vous l’avez ? On le trouve où ?

    LE CONSEILLER. – Nulle part, fort heureusement. Au mieux peut-on le déduire de ce qui arrive.

    LE MINISTRE. – Vous pensez que je suis foutue d’avance, n’est-ce pas ?

    LE CONSEILLER. – Non, car il n’est pas trop tard pour ne rien faire et se fondre à la grisaille.

    LE MINISTRE. – Expliquez-moi ce putain de programme, bordel de merde, Saint-Foin. Parce que moi, Micheline Broutard, incrédule et naïve comme je suis, j’en suis restée à la phrase de Malraux : rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité

    LE CONSEILLER. – Oui, oui, je vois bien où vous en êtes. C’était une utopie séduisante ; mais comme toutes les utopies, la réalité l’a retournée en cauchemar. Et notre job, c’est de rendre le cauchemar séduisant.

    LE MINISTRE. – Comment a-t-on fait ce retournement ?

    LE CONSEILLER. – Très simplement. On n’a bien sûr rien changé à la phrase du vieillard. De sorte que vous pourrez encore la citer…

    LE MINISTRE. – C’est déjà ça : je ne connais que celle-là.

    LE CONSEILLER. – Non, on a simplement étendu la notion d’œuvre capitale de l’humanité à strictement tout ce qui se torche sous le ciel. Ce fut le coup de génie du Ministre Jack Loche.

    LE MINISTRE. – C’est atroce. Un exemple ?

    LE CONSEILLER. – Un connard écrit sur un mur (avec ou sans fautes, on s’en fout) la phrase éminemment poétique : J’encule ta mère. Ca dérange le bourgeois. Or, en son temps, Molière dérangeait le bourgeois, ou son équivalent à particule. Donc ce connard pourrait être le Molière d’aujourd’hui.

    LE MINISTRE. – Ce n’est qu’un syllogisme éculé.

    LE CONSEILLER. – C’est un raisonnement imparable.

    LE MINISTRE. – Vous trouvez vraiment ça imparable, vous ?

    LE CONSEILLER. – A la vitesse de l’approximation journalistique, ça l’est, vous pouvez me croire. Et donc, ce connard, on l’embarque : on l’achète, on le produit, on le défend contre les vilains réactionnaires, on le vend un peu partout, il fait école, on décline le concept en chanson technovulgaire, en jonglage innovant, en cirque impopulaire et emmerdant, en chorégraphie animalière, et voilà qu’il se met à nous pousser des chiées de petits Molière dans toute la France, de Dunkerque à Tamanra… à Ajaccio et de Choisy-le-Roi à Bourg-la-Reine. Et là, jackpot numéro un ! tout est devenu anonyme, c’est-à-dire égalitaire et progressiste, tout le monde est artiste !

    LE MINISTRE. – Adieu Shakespeare, Molière, Tolstoïevski, balayées les vieilles lunes élitistes !

    LE CONSEILLER. – Tout à fait, Micheline ! Mais voilà le jackpot numéro deux : La Culture d’un seul coup fusionne avec l’Education Nationale. Leur mission est la même : Imbécilliser la Nation par analphabétisation progressive. – A quoi bon lire encore Molière, les gars, puisque nous en fabriquons deux cents par an, qui ne demandent pas le niveau de compréhension d’un gamin de dix ans puisque tout est écrit en novlangue caca ? Tenez, emmenez donc plutôt les enfants au spectacle, ça les changera des conneries de la télé et ils y verront la même chose.

    LE MINISTRE. – Ici, la mise est raflée en totalité. C’est atroce.

    LE CONSEILLER. – Mais oui, c’est ça ! Il n’y a plus aucun effort à faire, tout est déjà acquis, l’enfant est un créateur, il apprend au maître à se défaire de la raison, place à l’émotion pure. L’émotion ! Il faudrait être un monstre froid, n’est-ce pas ? pour être contre l’émotion. Et pure, en plus ; je veux dire : infantile.

    LE MINISTRE. – Place à la subversion officielle.

     

     

     

    (A suivre...)

  • Lettre au Cardinal Fornari, par Juan Donoso Cortès

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    513745771.jpgCe petit livre est tellement passionnant, instructif, et visionnaire, qu’il serait tentant de le citer tout entier… On se le procurera donc aux éditions L’Age d’Homme, collection Le bruit du Temps, s’il n’est pas épuisé. L’Essai sur le catholicisme, le libéralisme et le socialisme, seule autre œuvre publiée en français du penseur espagnol peut être trouvé aux confidentielles éditions Dominique Martin Morin. Juan Donoso Cortès est né en 1809 à Valle de la Serena et mort en 1853 à Paris. Sa lettre au Cardinal Fornari, est de 1852. Son propos est celui-ci : « Parmi les erreurs contemporaines, il n’en est aucune qui ne se ramène à une hérésie ; et parmi les hérésies contemporaines, aucune qui ne se ramène à une hérésie plus ancienne, de longtemps condamnée par l’Eglise. »

     

     

    Après avoir considéré les principales erreurs de ce temps, et démontré dûment que toutes tiraient leur origine de quelque erreur religieuse, j’estime non seulement opportun, mais aussi nécessaire de descendre à certaines applications qui montreront encore plus clairement la dépendance dans laquelle se trouvent toutes les erreurs politiques et sociales vis-à-vis des erreurs religieuses. Il me semble, par exemple, ne faire aucun doute que tout ce qui affecte le gouvernement de Dieu sur l’homme affecte de même et dans la même mesure les Gouvernements qui régissent les sociétés civiles. La première erreur religieuse de ces derniers temps a été le principe de l’indépendance et de la souveraineté de la raison humaine. A une telle erreur dans l’ordre religieux correspond dans l’ordre politique celle qui consiste à affirmer la souveraineté de l’intelligence ; de là que la souveraineté de l’intelligence soit devenue le fondement universel du Droit public dans les sociétés ébranlées par les premières révolutions. C’est d’où sont nées les Monarchies parlementaires, avec leur cens électoral, leur division des Pouvoirs, leur presse libre et leur tribune inviolable.

    La deuxième erreur concerne la volonté ; sur le plan religieux, elle consiste à affirmer que la volonté, étant droite par nature, n’a nul besoin pour incliner au bien de l’appel ni de l’impulsion de la grâce. A cette erreur dans l’ordre religieux correspond dans l’ordre politique celle qui consiste à affirmer que, puisque toute volonté est droite, on ne doit prétendre en diriger aucune, mais bien les laisser toutes diriger. C’est sur ce principe que se fonde le suffrage universel, de lui que tire son origine le système républicain.

    La troisième erreur a trait aux appétits ; sur le plan religieux, elle consiste à affirmer que, compte tenu de l’immaculée conception de l’homme, les appétits de ce dernier sont excellents. A cette erreur dans l’ordre religieux correspond celle qui consiste à affirmer que les Gouvernements, quels qu’ils soient, doivent être tous ordonnés à une seule fin : la satisfaction de toutes les concupiscences. C’est sur ce principe que reposent tous les systèmes socialistes et démagogiques qui se battent aujourd’hui pour la domination et qui un jour ou l’autre l’obtiendront, pour peu que les choses suivent la pente naturelle sur laquelle elles vont.

    Voilà comment la néfaste hérésie qui consiste, d’un côté, à nier le péché originel, et de l’autre, à nier que l’homme ait besoin d’une direction divine, conduit à affirmer en premier lieu, la souveraineté de l’intelligence, puis la souveraineté de la volonté, et, enfin, la souveraineté des passions ; soit trois souverainetés grosses, chacune, de désordre.

     

  • Obscur triomphe

     

     

    Journées d’échecs divers. Semble-t-il. Mais comment me plaindrais-je que la société que j’attaque se défende, fasse barrage, masquant un silence de mort d’une omniprésence de bruit ? En me refusant mollement une reconnaissance qu’elle ne peut absurdement que supposer enviable, la société m’épargne l’obligation de contracter une dette.

    Obscur triomphe.

    On me plaint donc de mes échecs, quand ils me consolident. Le téléphone ne cesse pas de sonner – sans ses contresens touchants, l’amitié ne serait pas… – et l’apitoiement, plus ou moins finement, pleut. J’ai l’impression étrange, pas même vraiment désagréable, d’assister à mon enterrement, et l’on voudrait que j’oublie que c’est encore à moi que les condoléances sont adressées. Il faudrait même – pour me le reprocher plus tard ? – que je pleure, ou étale des sentiments.

    Mais non.

    A quel point la société, qui sans doute n’a point, elle non plus, de substance propre, croit en elle !... Elle a bien tort, d’ailleurs. Je n’ai pour pleurer ni tristesse ni rage. Pas de tristesse. Mieux, je ne recharge pas les armes qui se sont montrées insuffisantes, j’en change.

    Comme aussi de distance et d’angle et d’axe.

     

     

  • Force manque

    Paroles d’un lâche :

    Sans cette veste, nous ne serions toi et moi qu’animaux ; et parce que tu portes cette veste à bon droit, mon frère, à bon droit je vais t’assassiner. Ta veste est identique à la mienne, je le sais bien : seuls y diffèrent les insignes de nos dieux. Je vois à présent ton visage, et dans l’instant de métal et de feu où je te tue enfin, mon frère, je crains que nos dieux ne nous soient pas insignes, mais leurs insignes nos dieux. Ô Christ, prends pitié. Ton corps est chu et le mien non, pourtant – mystère – le mien ne l’est pas moins. Et pour le reste, Seigneur, prie-toi toi-même car moi, je n’en ai plus la force, et dévale ma fuite.

  • Défense et Illustration du Sinistère de la Culutre (1)

    Je publierai ici, en trois fois, la saynète tirée de Pour une Culutre citoyenne ! et titrée Défense et Illustration du Sinistère de la Culutre. (Les photographies d'Alexandre Viala ont été prises lors des répétititons du spectacle : on y voit Fabien Joubert et Emmanuelle Roussel...)

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    Votre but doit être de prendre intact tout ce qui est sous le ciel.

    SUN TZU, L’art de la guerre

     

    Rappelons brièvement que le sainfoin est la nourriture préférée de l’âne. Pour le reste, dans cette scène où il ne se passe objectivement presque rien d’autre que ce qui se dit, le décor est évident : c’est un bureau, dans un ministère. On peut aussi bien ne rien mettre sur le plateau, ou une chaise, ou un bureau, dans un ministère. – Le conseiller, vêtu d’un fort seyant camaïeu de gris, est là déjà quand arrive son ministre, tailleur rose éclatant, gros nœud fleuri dans les cheveux…

    LE MINISTRE. – Alors vous, vous devez être Charles-Emmanuel Saint-Foin, celui de mes conseillers qui se dispense des réunions plénières…

    LE CONSEILLER. – Madame le Ministre.

    LE MINISTRE. – La Ministre. Soyons modernes un peu, mon vieux Saint-Foin, et ensemble féminisons la langue : Déjà quand j’étais enfante, j’étais une chicque garce ; c’est pour ça même que je voulais devenir médecine, mais j’ai finite ingénieuse agronome. C’est vous dire si je m’y connais en culture, moi, Micheline Broutard.

    LE CONSEILLER. – Beau parcours, Madame la Ministre. La société civile m’a toujours fait rêver…

    LE MINISTRE. – Vous vous moquez. Vous savez mieux que moi à quel point l’Administration tient ce pays. A propos, comment se fait-il qu’un brillant élément tel que vous ait été rétrogradé du Ministère de l’Intérieur à celui de la Culture ? Les porte-flingues vous donnaient des boutons, à la longue ?

    LE CONSEILLER. – Veuillez plutôt voir là un penchant personnel accrédité par la hiérarchie, Madame la Ministre. La Culture au fond est une vieille dépendance de l’Intérieur.

    LE MINISTRE. – Mais c’est bel et bien fini depuis lurette, ça, non, Saint-Foin ? Vous confondez Culture et Censure.

    LE CONSEILLER. – Volontairement : c’est la même chose. Il est vrai que le mot Culture, au premier abord, a une connotation plus positive. Au lieu de censurer des choses prétendument intelligentes qui nous échappent, nous en promouvons nous-mêmes de parfaitement imbéciles. C’est une grande avancée.

    LE MINISTRE. – Je ne voyais pas les choses comme ça. Il n’y a donc pas, selon vous, d’opposition de fond entre la Culture et l’Intérieur ?

    LE CONSEILLER. – Aucune, non. Comme l’Eglise qu’elle veut à toute force remplacer, la République est une et indivisible ; autant dire qu’elle transcende ses propres ministères.

    LE MINISTRE. – Ah ? C’est une façon de voir… Mais par exemple, la pornographie ?

    LE CONSEILLER. – La loi la combat par les taxes, qui sont notre morale, l’Intérieur la boute hors de l’espace public minimal, et nous la soutenons hautement et humblement sous le couvert de l’art.

    LE MINISTRE. – J’ai vu la semaine dernière, en prévision de mon arrivée ici, une sorte de théâtre où des gens tout nus faisaient caca par terre.

    LE CONSEILLER. – Je vois. Mais hurlaient-ils des onomatopées, et gesticulaient-ils comme des déments ?

    LE MINISTRE. – Ah, ça oui !

    LE CONSEILLER. – Alors c’est de l’art, Madame la Ministre. C’est même ce que nous avons de plus subversif en magasin. Le haut de la gamme. Rassurez-vous, pour les bouseux de Province, qui selon nos critères sont un peu attardés, nous avons la version soft : gesticulations et hurlements comiques, mais sans caca.

    LE MINISTRE. – Subversif… Mais qu’est-ce que cela subvertit au juste, Saint-Foin ?

    LE CONSEILLER. – Mais rien du tout, Madame la Ministre, rien du tout.

    LE MINISTRE. – Et moi qui en ai fait tout un complexe d’infériorité. Je me suis même dit que j’étais trop con pour comprendre.

    LE CONSEILLER. – Trop conne, Madame la Ministre. Sauf votre respect. Féminisons la langue.

    LE MINISTRE. – Je me suis bien faite rouler par ces cacatophiles. La subversion ne subvertit rien. C’est pour cela, en somme, que nous l’encourageons.

    LE CONSEILLER. – Et même la finançons à 100%. Oui. Le verbe subvertir ne s’emploie plus. Parce qu’il faudrait nommer ce qu’on subvertit. On préfère l’adjectif. On dit juste qu’un artiste, ou un spectacle, est subversif. Ca veut dire qu’il travaille pour nous.

    LE MINISTRE. – Ce sont des flics en quelque sorte, alors. Mais malgré eux.

    LE CONSEILLER. – Ils n’ont pas statut de fonctionnaire, tout de même. Non, ce sont plutôt des indics. Des petites frappes sans intérêt. Un peu paranos, un peu mégalos. Et d’une vénalité, je ne vous dis pas… Alors on les baffe – aura ? aura pas la monnaie ? – et ils crachent ce qu’il faut. Et s’ils ne crachent pas, on les rebaffe pour le plaisir et on les jette, aura pas la monnaie !

    LE MINISTRE. – Vivent les subversifs, alors ! Je sens que vous allez m’être précieux, mon petit Saint-Foin.

    LE CONSEILLER. – Je n’en demande pas tant, Madame la Ministre.

    LE MINISTRE. – Je dois aussi vous dire que vos collègues ne vous apprécient guère, Saint-Foin.

    LE CONSEILLER. – Ils ne savent pas ce qui est bon.

    LE MINISTRE. – Certains croient même que vous avez une oreille ici et une bouche à l’Intérieur.

    LE CONSEILLER. – Je sers la République. Et eux ?

     

     

     

     

     

     

     

    (A suivre…)